Seul, silencieux, il contemplait les draps blancs et froissés. L'endroit sentait encore le désinfectant, cette odeur caractéristique des hôpitaux qui mettait parfois mal à l'aise une partie de la population. Il faisait d'ailleurs partie de cette catégorie de personnes, du sol au plafond tout était stérile. Il avait l'impression d'être un aliment sous vide, un produit que l'on avait si finement emballé que rien ne pouvait l'atteindre. Les derniers jours avaient été particulièrement durs. Il y avait son réveil, la découverte de sa blessure. Malgré les bandages, on pouvait aisément deviner les dégâts. Toute la partie gauche de son visage avait été soufflée, les stigmates de l'explosion parcouraient son cou, glissant sur sa clavicule et touchant l'extrémité de son pectoral. Malgré toutes les drogues qu'on lui avait administrées, la douleur était là, c'était comme une lame effilée glissant sous sa peau, se faufilant au plus profond de son être tout en raclant doucement la surface de ses os. Il posa une main sur le drap, cherchant une once de chaleur, mais le corps qui était autrefois étendu là, n'était plus là depuis de longues heures, des jours peut-être. L'homme n'avait pas quitté la chambre depuis qu'elle était partie, des heures, des jours… tout était confus. L'esprit abruti par les drogues, la notion de l'espace et du temps lui semblaient abstraites. On toqua à la porte, mais il resta silencieux et ne se retourna même pas, la main toujours posée sur le drap. On toqua une seconde fois et cette fois l'homme pénétra dans la chambre sans attendre d'invitation. Il avait dû troquer son costard contre une tenue médicale, le genre de tenue qu'on portait dans les laboratoires de niveau quatre.

— Elias ?

Il resta silencieux, n'émettant qu'un faible hochement de tête lorsqu'une main gantée, se voulant réconfortante, se posa sur son épaule.

— Elias je… Je suis désolé pour Sally. Elle… Ils n'ont rien pu faire ?

Une larme coula le long de sa joue. De son autre main, il chassa ladite larme avec son pouce, se demandant où son corps trouvait encore de l'eau avec tout ce qu'il avait pleuré ces dernières vingt-quatre heures.

— Attaque virale de type trois… C'était notre travail de trouver un remède, on… On devait mettre au point une méthode pour contrer la dégénérescence des cellules et… Je n'ai pas réussi, je n'ai pas trouvé la clé du génome à temps. J'aurais pu la sauver, Sam. Je n'ai pas réussi…

Chaque parole était un combat, il avait l'impression que sa mâchoire tenait en place uniquement grâce au bandage qui lui recouvrait la moitié du visage.

— Elias… Ce n'est pas ta faute… Sally était une femme formidable, intelligente, elle connaissait les risques de ce genre de travail, on connait tous les risques.

— Oui… les risques. Les contaminations accidentelles : oui. C'est notre travail, c'est un risque. Là, c'était une contamination volontaire. Sam… Sally a été assassinée. Ils lui ont inoculé la variante F, la plus violente, ils voulaient qu'elle souffre, et elle a souffert.

L'homme retira la main de son épaule, il eut un bref moment de recul. Même si le mouvement fut infime, il n'avait pas eu besoin de le voir pour le sentir.

— F… Les fils de… Désolé… Elias, si je peux faire quoi que ce soit… Tu n'as pas été contaminé ?

— Malheureusement, non. J'ai eu droit à une méthode plus classique, l'explosion ne m'a pas tué.

— Je sais que ce n'est pas le moment, Elias, mais… Est-ce que Sally, savait ?

— Non. J'ai toujours veillé à le tenir loin de tout ça, et regarde le résultat.

— Tu ne dois pas t'en vouloir Elias…

— J'en veux à la Terre entière Sam. Je… Elle me manque tellement Sam… Je suis allé à son chevet dés que j'ai pu, j'étais assis là, sur cette chaise, quotidiennement. Je l'ai vu Sam, j'ai vu la variante F ravager son corps, j'ai vu s…

— Elias… Non. Je connais les effets du F, pas la peine de te faire revivre ça.

Alors, il prit une grande inspiration, puis il continua.

— J'ai vu son système immunitaire lâcher en moins de quarante-huit heures. Ensuite, tout s'est accéléré. Les leucocytes se sont attaqués aux hématies, les organes vitaux ont lâché les uns après les autres. Elle… Elle m'a demandé de l'aider à partir, elle ne voulait pas mourir de cette façon. J'ai contourné la sécurité du moniteur, j'ai modifié les dosages de morphine pour…

Il recommença à pleurer, s'effondrant sur le lit comme s'il refusait d'accepter la réalité. Sam resta immobile un instant, puis il se rapprocha pour l'aider à se redresser un peu, il ne l'avait encore jamais vu dans un tel état.

— Je suis là petit frère… On les retrouvera, je te fais la promesse qu'on les retrouvera.

Puis, il se serra dans ses bras.


— Elias ? J'ai quelque chose à t'annoncer ! Viens voir.

L'homme releva la tête du datapad qu'il consultait. Les dernières nouvelles n'étaient pas bonnes concernant les recherches sur les dernières attaques virales. Malgré tout, il reporta son attention sur la femme qui faisait battre son cœur.

— Mh… Laisse-moi deviner… Tu as décidé de m'inviter au resto ? C'est ça ?

Elle fronça légèrement les sourcils.

— Tu es une personne incroyable Elias, je n'avais encore jamais rencontré un estomac sur pattes avec autant d'intelligence. C'est plus important, mais aussi plus secret. Approche…

Il se pencha légèrement sur elle, venant chercher l'odeur de son parfum et la douceur de sa peau. Elle releva la tête, murmurant à son oreille.

— Je suis enceinte…

— Sally !

Le Fae s'était redressé d'un coup dans son lit, à bout de souffle et en sueur comme après un marathon. Il rejeta la couverture et se leva. Malgré l'obscurité totale, il traversa la chambre jusqu'au bac d'eau fraîche dont il s'aspergea copieusement le visage.

Des mois s'étaient écoulés depuis la mort de Sally, de longs mois de doute, de tristesse et de colère. Sam n'avait pas chaumé, il avait rassemblé le plus de ressources pour remonter la piste de l'attaque virale qui avait touché la jeune femme. Mais, tous ses efforts n'avaient pas été vains, il était parvenu à trouver le ou la responsable, mais cela ne rendait pas les choses plus faciles pour autant.

— Le portail ?

— Oui. La personne qui a commandité la mort de Sally a eu droit à sa petite clé dorée. Elle a quitté notre monde depuis plusieurs mois.

— Envoie-moi là-bas, Sam.

— Elias… On ne force pas le passage comme ça, personne ne peut forcer d'ailleurs, il faut une clé, c'est la seule condition.

Il était là depuis si longtemps qu'il avait l'impression d'avoir perdu le compte. Pourtant, malgré les années, les souvenirs étaient toujours là, dans un coin. Chaque fois qu'il posait le regard sur son miroir, les stigmates de l'ancien monde lui rappelaient sa vie passée. Oublier était tout bonnement impossible, il ne pouvait pas passer à autre chose.

— Alors trouve-moi une putain de clé !

— C'est pas si simple, Elias…

— Tu parles, les riches arrivent bien à obtenir ces saloperies, même des clochards chanceux tombent dessus par hasard, tu vas pas me faire croire qu'on peut pas en avoir une.

— Il… Il y a peut-être une solution.

Sam, il avait tout tenté pour le Fae, c'était grâce à lui qu'il était ici, grâce à lui s'il pouvait profiter de cette nouvelle vie loin de tout. Elias avait changé de nom, adoptant « Caranthir » comme nouvelle identité. C'était la norme ici, changer de nom, changer de vie. Même s'il avait changé de nom, l'ancien scientifique n'avait pas changé d'objectif : il était là dans un seul but, malgré les années. Le portail l'avait cependant changé, il n'était plus… Il n'était plus simplement humain, il était plus que ça. La magie parcourait ses veines et elle était devenue une alliée de poids, un moyen d'évoluer et d'être respectée. Ici tout était si différent, si… rustique. La technologie était au mieux moyen-ageuse, et la magie faisait partie intégrante du monde.

— P'tit frère… Prends garde à toi.

— Je retrouverai le coupable, et je le ramènerai ici, tu peux me croire.

— Tu n'auras sûrement pas l'occasion de revenir, on ne sait rien du monde de l'autre côté, on ne sait même pas si le portail fonctionne, tu sais… Si ça se trouve, ce truc n'est qu'un vaporisateur géant, un moyen comme un autre de réguler la population.

Du bout des doigts, il tissa une forme ombreuse qui s'étendit jusqu'au lit. La main brumeuse s'étira plus encore pour saisir un vêtement et le rapporter au Fae. Même si son pouvoir était plus « performant » la nuit, le Fae éprouvait de plus en plus de facilité à user de son pouvoir. Ce qui le fatiguait des années auparavant était devenu aussi bénin que mettre un pied devant l'autre pour marcher.

— Là-bas, tu seras seul, Elias, je n'ai aucune idée de ce que tu trouveras.

Il parlait franchement. Même si Sam avait le bras long lorsqu'il s'agissait d'obtenir toutes sortes d'informations, il n'était pas parvenu à en apprendre plus sur le portail, ni aux conséquences derrière son utilisation.

— La vengeance.

— C'est bien ce qui m'effraie.

Il avait fallu plusieurs mois à l'ancien scientifique pour trouver sa place. En effet, comme l'avait dit son frère, le monde ici était bien différent de ce qu'il avait pu connaître. Après avoir pris ses marques, il se rapprochera naturellement de la guilde Ozénys, une organisation qui regroupait différentes activités aspirant à en apprendre plus sur le nouveau monde. Après avoir intégré la guilde, il se spécialisa en alchimie, activité qu'il considéra comme étant la plus proche de celle qu'il avait dans l'ancien monde.

Lorsqu'il eut fait ses preuves, Caranthir se porta officiellement volontaire pour se charger de l'intégration des nouveaux alchimistes au sein de la guilde. De ce fait, certains le considéraient comme un mentor. Au fil des années, le Fae se tailla une solide réputation au sein de la guilde, cela lui permit de s'installer dans une maison suffisamment grande pour qu'il puisse y aménager son propre laboratoire. Un atout de poids qui lui permettait de travailler depuis chez lui. Lorsque son attention n'était pas tournée vers l'alchimie, Caranthir passait de longues heures à s'entraîner, peaufinant toujours un peu plus ses compétences en matière de magie. Ses recherches et la magie empiétant toujours plus sur le reste de ses activités, le Fae dut laisser son rôle de mentor de côté, afin de se livrer corps et âme à ses expériences. Même s'il était fasciné par le nouveau monde et par la magie, le Fae n'oublia jamais ce pourquoi il avait passé le portail.

Palier de pouvoir:

Chronologie générale:

Inventaire: