Elle prit une grande inspiration et ouvrit les yeux. Il n’était pas vraiment simple de jouer avec ses petites mains. Et pourtant elle y passait une grande partie de ses journées, soit en écoutant sa mère, soit en apprenant directement avec elle.

Sa mère était une musicienne assez populaire dans la petite ville recouverte d'usine ou elles vivaient, au cœur des plaines les plus froides de la Pologne. C’était ainsi qu'elles pouvaient subvenir a leurs besoins, en jouant dans des petits cabarets, dans des bars ou des cafés, et même dehors quand il ne faisait pas trop froid.

C’était dans un de ces lieux qu'elle s’était entiché d'un prostitué un peu rêveur avec qui elle avait commencé a passer ses soirées. Et c’était ainsi que Emilia avait vu le jour. Elle était très petite et chétive, et avait hérité des cheveux sombres de sa mère, accompagnant un regard d’ébène, qui pouvait faire frissonner en regardant l'enfant. Elle ne se rendit pas compte, toute petite, quasiment native, de la profession qu'exercer son pere, et il eu disparu comme il était apparut dans la vie de sa mère avant même qu'elle ne soit en age de vraiment se rendre compte de son absence. Sa mère ne souriait plus, soudainement. Elle ne parlait plus beaucoup, et commença a lui enseigner ce qu'elle savait a la place des histoires qu'elle pouvait raconter a son enfant.

La guitare était lourde, les cordes lui faisait mal au doigt, et les leçons de chants étaient interminables. Mais durant ces périodes, c’était la ou sa mère lui accordait le plus d'attention. Car pour le reste, il ne restait plus que la boisson, le silence pesant, l'absence le soir. La dépression.

***

Elle prit une grande inspiration et ouvrit les yeux. Il y avait du monde ce soir la, peut être encore plus que d'habitude. Et la pression, comme a chaque fois qu'elle grimpait assez vivacité sur ces planches de bois, était lourde sur ses épaules. Peut etre même beaucoup plus que d'habitude. A tel point qu'elle sentait légèrement sa main suinter sur sa guitare bas de gamme qui semblait presque vrombir dans sa main. Elle souffla une fois, deux fois, avant de croiser le regard de l'un des gamins qui vivaient avec elle dans l'assemblée, a travers le rideau rapiécé.

Sa mere etait la aussi, et jouait du piano. Elle avait cessé de chanter quand elle s'etait aperçut que sa voix etait largement abimé par les érrances que sa vie l'avait conduite à avoir. Et surtout, que la voix de sa fille etait belle, puissante, vibrante. Bien plus a meme de rapporter de l'argent. C'etait donc cette derniere qui s'occupait de cette partie. les instruments n'allaient pas vraiment bien ensembles, mais le public ne s'en formalisait pas vraiment.

Elle avança doucement, alors que le silence ce faisait. Le dernier instant, le plus crucial, avant que sa main ne commence a bouger doucement. Elle était capable de jouer et de chanter un peu de tout, aussi bien avec entrain qu'avec une certaine solennité. Elle commençait cependant toujours par la meme chanson, une vieille mélodie qu'elle avait entendue sa mere chanter quand elle était toute petite. et qu'elle insistait pour continuer a présent. Comme quand elle n'avait pas vraiment conscience du monde.

♫ Well, you only need the light when it's burning low ♫
♫ Only miss the sun when it starts to snow ♫
♫ Only know you love her when you let her go ♫
♫ Only know you've been high when you're feeling low ♫
♫ Only hate the road when you're missing home ♫
♫ Only know you love her when you let her go ♫
♫ And you let her go...♫

***

Elle prit une grande inspiration et ouvrit les yeux. Mais sa mere ne bougeait toujours pas. Dans un etat quasiment cadavérique, sa poitrine ne se soulevait plus. La jeune femme, encore adolescente, etait assise a coté du lit, et replongea la tete dans les mains. La drogue avait fini par avoir raison de sa génitrice, et la fievre qui l'avait frappé durant des jours, sans possibilités de soin, avait décidé de l'achever. Elle ouvrit la bouche, pour chanter, comme pour essayer de compenser avec ce qu'elle avait le plus l'habitude de faire. Mais aucun son ne parvint a sortir. Elle etait comme bloqué. Elle referma les levres et retint un sanglot. Plus jamais elle ne serait avec elle. Plus jamais elle ne pourrait entendre ses notes de piano. Plus jamais elle ne viendrait la réprimandé sur une partition ou un chant raté. Elle etait maintenant toute seule.

***

Elle prit une grande inspiration, et ouvrit les yeux. Il faisait froid et elle était allongé sur le sol, la main sur le ventre qui la faisait souffrir atrocement. Elle était si faible, elle avait si faim, si soif, tout ses sens semblaient brouillés, anesthésiés. Elle se redressa doucement. Le camp de fortune qu'elle avait occupé des années n’étaient plus qu'un vestige. Il n'y avait plus rien, et encore moins de quoi la garder en vie bien longtemps. C'etait peut etre ça son destin finalement. Née dans l'anonymat, morte seule et isolée, dans le froid et la tristesse.

♫ Only know you've been high when you're feeling low ♫
♫ Only hate the road when you're missing home ♫

Tient, depuis combien d'années elle n'avait pas chanté ? Depuis la mort de sa mere, elle en avait été incapable, et elle avait simplement continuer a accompagner d'autres chanteurs avec sa guitare, le regard dans le vague, écoutant a moitié, jouant mécaniquement avec tout le talent et le savoir que son apprentissage depuis toute petite lui avait offert.

Elle avança fébrilement, en boitillant a demi, sans force, visitant ce qu'elle avait considéré comme un chez elle. Les petites cabanes renforcés qui avaient fini par s'écrouler par le temps et la vie. Elle se mordit légèrement la lèvre inférieur, alors que chanter lui avait presque écorché sa gorge sèche. Elle avait le sentiment qu'on l'observait depuis le dessus, prêt a venir faucher ce qu'il restait d'énergie dans son corps.

… ?

Soudainement, elle s’arrêta, ses yeux se posant sur l'une des dernières couvertures encore debout. Depuis le coté, une petite main dépassait, recouverte de gelures, pendant mollement dans le vide. Inerte. Comme le dernier symbole qu'il ne lui restait plus rien que la mort.

♫ Only know you love her when you let her go ♫

Elle s'approcha doucement, le souffle court, les pupilles tremblantes alors qu'elle savait déjà parfaitement qui se trouvait derrière. La main de petite fille, la dernière qui avait tenue, avec elle, n'etait plus qu'une forme dans l'obscurité du couchant. Elle se planta debout, comme sonnée, les yeux sur la main tendue comme une invitation, et doucement, alors qu'elle n’était même plus assez hydraté, elle la prit doucement dans sa main.

♫ And you let her go...♫

Elle resta un instant ainsi, avant d'hésiter a en finir. Les quelques enfants qui etaient encore restés avec elle n'etait plus. Certains parti. D'autre, mort, pour la plupart. Au coeur de cet endroit, la famine regnait en maitre, quand ce n'etait pas la nature elle meme qui venait a rappeler que les jours etaient comptés.

Elle détourna les yeux, observant a droite puis a gauche, Et son oreille entendu un bruit de moteur, plus loin. Dans la quasi décharge ou elle vivait, en profitant des dechets qui pouvaient encore etre un minimum utile, elle avait l'habitude de ces camions venant recracher leur fumés sombres et leurs trésors. Comme un cadavre, elle se dirigea vers la source du bruit, et constata un nouveau tas, laissé par le moteur qui s'éloignait dans la nuit encore présente. C'etait l'aube.

Elle constata alors, parmi les sacs sombres, une petite boite en bois abandonné sur le sol, perdu parmi les détritus, et s'en approcha, comme si c'etait un dernier rayon de soleil qui essayait de briser l'obscurité de son coeur.  Elle ne reconnu pas du tout ce que c’était. Elle en avait, a vrai dire, a peine entendue parlé. Plus occupée a survivre qu'a vivre. Car en ouvrant la boite, c'etait une clé étrange, dorée, qui se présenta, perdue comme elle au milieu du rien. Elle observa autour d'elle, comme si son ou sa proprietaire allait apparaitre, mais elle se souvint qu'elle etait seule ici, désormais. Il n'y avait plus personne. Elle hésita un instant, sa pensée précédente ayant étrangement disparue aussi vite qu'elle avait prit naissance. Si les vivants n'etaient plus la pour se souvenir, alors plus rien n'avait d'importances. Elle se devait au moins de continuer encore un peu. Elle avait encore un moyen de ne pas totalement abandonner.

Elle posa donc la main sur l'objet, sans vraiment savoir exactement ce que l'objet pouvait bien ouvrir. Sans se douter que c'etait la porte d'un changement qui venait s'offrir a elle.

***

Elle prit une grand inspiration et ouvrit les yeux. Elle avait dormit, longuement, et comme a son habitude, elle avait prit soin de s'envelopper dans ses ailes. C’était un don. Comme les bras de sa mère venant la protéger. Elle était allongée dans le hamac qu'elle avait fabriqué elle même, prenant des jours pour faire quelques choses de corrects, et accrochés devant la petite maison qu'elle avait finalement pu obtenir après deux années entières de travail.

Elle vivait seule, n'ayant pas perdue ses habitudes, mais elle se sentait mieux, apaisé. Elle restait également assez éloigné du reste des gens, en dehors du travail, et ne parlait quasiment jamais. Mais ca lui etait revenue, juste un peu. La mélodie que sa mere aimait le plus lui chantonner dans l'oreille quand elle etait petite.

♫ Nanana nana na na nana. Nanana nana na nanana. ♫

Elle travaillait dans absolument tout les domaines ou elle pouvait avoir des compétences propre a aider son prochain. Elle avait besoin du minimum possible pour survivre, et pour le reste, tout lui convenait, elle n'etait pas difficile. Sans doute que son allure sombre, son expression froide et distante n'aidait pas les gens a venir lui adresser la parole non plus, mais elle avait assez prouvé pour qu'on lui confie quelques taches ici et la, a présent. Elle etait volontaire, dure au mal, travailleuse. Et c'etait ce dont on avait besoin ici, ou tout etait encore a faire.

Et par chance, son nouveau corps lui avait offert une échappatoire vers la liberté, des ailes vers le ciel, loin du sol et de tout ce qui avait pesé sur ses épaules toute sa vie.

Juste une petite demi-heure supplémentaire, avant de retourner travailler. Elle s'enveloppa de nouveau, dans la quietude de l'existence.

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