C’est en fin d’année 4144 que vint au monde Dorne Tilliann. Enfant unique d’une famille pauvre, proche de la capitale française. Vivant dans la difficulté, cela n’empêcha aucunement aux parents d’offrir tout l’amour possible à leur enfant. Il était certes venu au monde dans un endroit bien dangereux, mais il incarnait un certain espoir. L’espoir de voir surgir d’à travers les cendres, une fleur. Celle de voir à travers la brume, une lumière. Faire partie des rares enfants de la pauvreté réussissant à s’en sortir pour faire le bien. Pour faire mieux. Ainsi sacrifièrent-ils le peu qu’ils n’avaient déjà pas pour donner à cet enfant le meilleur possible. De quoi manger à sa convenance, de quoi s’habiller. S’il y avait une maladie alors les soins lui venaient en priorité. Bien entendu, l’amour offert n’était pas en reste. Ils aimaient ce petit cadeau du destin. Cet enfant prometteur. Leur enfant. Tout était fait pour lui donner le maximum de chances possible pour réussir dans la vie. Cet espoir qu’ils espéraient tant voir s’élever ne serait pas pour eux, mais pour les autres. Ils sacrifièrent jusqu’à leurs dernières économies pour qu’ainsi il puisse suivre un minimum d’études, dans l’espoir  Et cette chance, Dorne ne la laissa pas fuir.

Dès l'enfance, il présenta une capacité de mémoire incroyable, couplée à une grande intelligence. Tout cela lui offrant les meilleures notes de toutes les classes qu’il traversa. Mais malgré ses réussites, il n’oubliait pas d’où il venait. Il n’oubliait pas tous les sacrifices. Et chaque jour il remerciait ses parents. Il faisait en plus preuve d’une immense empathie envers toute les personnes en difficultés qu’il pouvait accompagner, faisant de lui une véritable fleur dans le sillage de nombreuses âmes, un petit espoir dans cette capitale française bien trop dans le dur au vue de la situation du monde. Alors qu’il allait toucher à la fin de ses études, durant l’année 4160 qu’une maladie fulgurante emporta alors son père. Après tout, ils n’avaient plus rien. Plus d’économies. Pas assez d’argent pour le soigner. Mais ce dernier s’était déjà fait une raison depuis bien longtemps. A ses yeux, il n’était qu’une carte déjà utilisée dans la main de son fils. Sa dernière volonté, avant de rendre son dernier souffle, était d’espérer que Dorne soit un jour utile pour tout le monde. Du plus insignifiant, au plus grand. Un but qu’accepta en larme le jeune français.

Dès lors qu’il atteignit l’âge de dix-huit ans en 4162, le fils Tilliann suivit la longue route de la carrière médicale. Une tâche ardue, encore plus dans sa situation financière terriblement instable, mais qu’il adopta alors. Faisant tout son possible à travers les métiers les plus dégradants possible tout en utilisant toutes ses facultés pour progresser à travers les années de la faculté. Le savoir s’aggrandissant alors en même temps que les cernes et la fatigue, mais pourtant l’idée même d’abandonner ne lui vint jamais à l’esprit. Car tel était son devoir, et tel était la volonté de son père. Tous les sacrifices effectués ne pouvaient s’écrouler ainsi. Ce fût vers la troisième années de médecin que Dorne rencontra alors ce qui allait être la femme de sa vie. Edana Treska, une franco-polonaise issue d’une des plus riches familles de France. Cette dernière était tombée sous le charme du sérieux et de la volonté du fils Tilliann et ce dernier était tombé amoureux de sa beauté et sa gentillesse. Tous les deux en médecine, ils vinrent continuer leurs études ensembles. Se motivant alors l’un l’autre pour traverser la longue horreur de la faculté jusqu’à obtenir finalement le Saint-Graal : Un poste de médecin, chacun à vingt-six ans.

Ayant la chance de faire partie du même hôpital, ils se marièrent alors la même année, en 4170, ayant attendu la bonne nouvelle pour cela. Malgré l’immense richesse d’Edana, ce fût un mariage sobre, n’ayant d’invité que de rares amis et la seule parente survivante, la mère de Dorne. Le principal n’étant, après tout, pas d’afficher quoi que ce soit hormis leur amour. Et c’est cette amour qui permit au duo ayant le même but de survivre à l’horreur dont ils ne s’attendaient pas. Dans un monde qui s'approchait inexorablement du gouffre, de la ruine, la pauvreté était bien souvent facteur d’abandon. Bien souvent, les plus pauvres n’avaient pas le droit aux mêmes soins que les riches. Bien souvent, ils n’étaient même pas considérés. Ce qui horrifiait le couple Tilliann qui faisaient cela pour aider le plus de gens possible. Mais ils n’avaient hélas pas les moyens pour. Alors Dorne redoubla d’effort. Si l’on ne lui offrait pas les cartes nécessaires, il essayerait de se les faire soi-même. A travers la recherche, à travers la connaissance, à travers les échecs. Chaque mort était un clou de plus dans son cœur. Mais chaque mort était aussi une motivation supplémentaire pour éviter que cela continue.

Mais même la plus grande des volontés peut subir un coup d’arrêt. Peut subir des difficultés. La première fût la mort de la mère de notre protagoniste alors que ce dernier était âgé de trente ans. Sa mère se faisait vieille. Son corps est plus fragile. Et même si c’était un acte de la vie, il perturba suffisamment le fils Tilliann pour douter. Quand son père disparu de ce monde, il n’était pas en mesure de l’aider. Quand ce fût le tour de sa mère, il n’avait pas les moyens de l’aider. A quoi bon chercher à sauver les gens, s'il y avait toujours un pépin? Un empêchement? Heureusement, Edana était là. Pour le rassurer, pour lui faire voir la lumière. Que malgré tout, ils étaient capables, tous les deux, de sauver des gens. Alors il continuera. Sur le sang de ses parents. Et par la volonté de son épouse. Ainsi retrouva t’il son moral d’acier pour se dévouer entièrement au soin de toute personne dans le besoin. Car tel était son destin. Devenir la fleur qui pousse des cendres.

En début d’année 4176, alors âgé de trente-deux ans, la plus belle nouvelle du monde arriva à Dorne. Sa femme était enceinte. Il allait devenir père à son tour. Espérant, tout comme on avait fait pour lui, offrir le mieux qu’il pourrait à sa descendance. Il se considérait enfin comme une fleur, donnant naissance à un bourgeon. L’annonce lui donna les larmes aux yeux. Il allait avoir une nouvelle famille. Et ceci lui donna tous les éléments nécessaires pour que, une fois au sein de l’hôpital, il devienne une véritable machine de soin. Si de base il était considéré par ses confrères comme un des meilleurs médecins de sa génération, il démontra qu’il pouvait toujours faire mieux pour les autres. Son savoir, son empathie, sa confiance en lui permettant même aux plus démunies d’avoir un maigre espoir de passer un autre jour. De donner aux riches une qualité encore bien meilleure. Pour notre médecin, si le monde devait s’écrouler, alors il ferait son possible pour l’en empêcher, comme si des ailes s’étaient mises à pousser dans son dos.

Mais hélas, la vie est faite d’équilibre. Chaque moment de joie intense, se doit d’être accompagné d’une profonde tristesse. Alors que le couple profitait d’une journée de repos pour profiter d’une boutique, ce dernier vint à se faire braquer par une pauvre âme en peine. Armée, le braquage se déroula horriblement mal lors de l’intervention des forces de l’ordre, et une balle perdue se réfugia dans la cage thoracique d’Edana. Dorne avait bien vu où s’était planté ce morceau de métal. En plein cœur. Il n’y aurait pas d’espoir pour la femme Tilliann. Il n’y aurait pas de futur pour ce fœtus en plein développement. Il n’y aura plus de famille heureuse. Et pourtant, même s’il savait parfaitement que cela ne servirait à rien, notre protagoniste donna tout ce qu’il pouvait pour sauver sa dulcinée. Massage cardiaque, bouche à bouche… La seule chose qu’il obtint et qui le brisa plus que prévu, furent les derniers mots de son épouse. “J’ai été si heureuse de passer mon temps sur terre avec toi…”. Et sur ses mots, Dorne fût entièrement brisé.

Il déposa la blouse de médecin le lendemain. Quittant ses fonctions, se refusant de toucher de nouveau à un être humain. Sauver des vies n’avait plus de sens, s’il perdait les personnes les plus importantes à ses yeux. Il se laissa aller à l’alcoolisme, s’enfonçant toujours plus dans une spirale sans fond. Ne voyant personne du début de sa journée jusqu’à la fin, trop alcoolisé pour même réfléchir. Pleurant ses parents. Pleurant sa femme. Il n’avait sût tenir aucune promesse. Il n’avait sût protéger personne. Alors à quoi bon? Si même la fleur la plus protégée du monde, se fanait, elle aussi. Les jours devinrent des mois, et une année passa dans le même registre. Capable de simplement oublier tous ses problèmes grâce à la fortune de sa défunte épouse.

Puis l’année 4178 arriva, avec elle, un espoir. La grande sélection, pour un nouveau monde. Celui que Dorne avait actuellement n’avait plus de saveur. Il n’avait plus rien pour lui. Alors pourquoi rester? On lui avait tout pris, il ne pouvait que recommencer ailleurs, tout simplement. Ainsi le fils Tilliann utilisa jusqu’au dernier centimes de la fortune qu’il avait récupéré par héritage pour obtenir une clef et commencer une nouvelle aventure. Ne sachant pas ce que pourrait lui réserver cette nouvelle aventure hormis le faite qu’elle ne pourrait pas être pire que celle dans laquelle il vivait actuellement. Et ainsi, fit-il ce grand pas en avant…

Dorne perdit pied, ayant l’impression de se noyer. Voyageant d’un monde à l’autre dans un sentiment si lourd, si pesant. Un sentiment morbide entaillant son coeur, écrasant ses espoirs dans un entrechoquement osseux… Pour s’écrouler une fois de l’autre côté, le regard perdu, la vision floue… Ne comprenant pas ce qu’il venait de se passer. Où il était. Heureusement, un prêtre vint à lui, pour le soutenir. Face à la bienveillance de cette âme aidante, le fils Tilliann ne voulait pas sourire, son coeur était encore trop lourd, mais il se força. On ne le connaissait pas ici après tout. Tout le monde avait probablement souffert comme lui d’une façon où d’une autre pour voyager jusqu’à ce nouveau monde. Alors il ne voulait pas qu’on le plaigne, il ne voulait pas que d’autres voient dans ses douleurs personnelles, leurs douleurs à elles. Ainsi, alors qu’on lui expliquait le principe d’Ozéna, d’Azamyr, des quatre maisons et des différentes races peuplant ce nouvel endroit, il cacha au plus profond de son cœur toute sa tristesse. Quand on lui annonça qu’il faisait partie de la maison de la flamme et de l’ombre et qu’en plus il était un nécromancien, l’ironie de la situation faillit lui faire naître un puissant éclat de rire. Lui? Un médecin? Ayant parcouru toute sa vie le chemin de la santé et de la vie, il était devenu l’incarnation de la mort? Et pourtant, passé cette légère folie, il comprit. Lui qui avait toujours espéré éloigner la mort en sauvant la vie des gens, avait l’occasion de par ses nouveaux pouvoirs de la comprendre. Pour un jour peut-être, mieux la combattre. Peut-être qu’un jour, quand il aura maitrisé l’aspect de la mort, pourra t’il, peut-être, redonner la vie…

L'instinct curieux qui l’avait poussé à étudier et essayer motiva le nouveau nécromancien dans ce nouveau monde. Lui permettant de repousser un temps le désespoir et la solitude qui battait dans son cœur. Essayant d’éviter les gens de sa maison comme des autres, Dorne passa ses six premières années sur Ozéna à étudier l’environnement non dangereux. Dessiner les races de loins, les paysages. Décrire dans des livres tout ce qui était possible. Des schémas, des dessins, des suppositions, des fausses et bonnes compréhensions… Il y passa ses jours dans l’exploration et ses nuits dans l’écriture. S’il n’était pas dans cette routine là, il essayait de comprendre sa propre magie, de repousser ses limites. De comprendre la mort. D’analyser la vie. Tout était bon pour oublier sa famille, Edana, l’ancien monde. Quitte à sacrifier encore plus sa santé. Il lui arriva même de s’écrouler de fatigue sur ses dessins ou ses livres.

Puis en l’an 113 du Nouveau Monde, et bien qu’il reste encore tant de choses à explorer, Dorne compris que cela ne servait à rien. Pas ce qu’il faisait, non. Mais comment il le faisait. Tout ce qu’il possédait, n’était lu et analysé que par lui. En tant que scientifique, cela allait à l’encontre même de sa logique. Comment avancer, comment évoluer seul dans tout cela? C’était absurde. Et il savait la solution qui lui permettrait de repousser ce problème : Une bibliothèque. Pour disperser ses ouvrages, ceux d’autres écrivains de sa maison par exemple. Offrir un recueil pour la lecture, pour l’écriture, pour le partage et surtout, pour la connaissance. S’il ne voulait plus sauver les vies en soignant, pourquoi ne pas espérer les aider en offrant ses recherches? Ainsi, vint au monde l’Au Delà du Savoir. Pas la plus grande Bibliothèque de la région, mais une qui promettait le partage. Mais à gérer une boutique, on passait moins de temps à explorer. Moins de temps à affiner sa curiosité et surtout… Plus de temps pour réfléchir sur soi-même…

Ainsi le Nécromancien se retrouva sur de nombreux charbons ardents. Alors qu’il essaye de faire bonne figure face à ses clients, il doit aussi affronter ses démons. Sa peur de l’échec, la peur de voir sa Bibliothèque finir en poussière. La peur de voir ce monde finir comme l’ancien. La peur de s’attacher car avec cela vient la peur de perdre une nouvelle personne qu’il pourrait aimer. De cette peur, rentre sa folie. Car depuis l’année 117, à chaque fois que Dorne rendre dans les limbes, il a l’impression d’entendre la voix de sa femme décédeé. De voir dans la brume le visage de ses parents. Tous le jugeant, le calomniant, le mettant face à ses échecs… Ce qui bloque totalement Dorne dans la pratique de sa magie, refusant de l’utiliser de peur de faire face à ses propres peurs, à sa propre faiblesse, brisant toujours plus son cœur… Et le poussant donc à ne s’occuper presque que de sa Bibliothèque. Souriant le jour. En pleur la nuit… Car même si l’on vit dans un Nouveau Monde, parfois nos anciennes vies ne veulent pas nous abandonner.