Un bâillement sonore résonne dans la pièce. Le réveil est toujours aussi dur… Qu’est-ce qui me retient de retourner me coucher d’ailleurs ? Rien… Cette idée est tentante, il n’est pas midi je pourrais fermer la boutique et profiter d’une petite demie-heure de sommeil en plus… Ou d’une heure ou deux si l’envie m’en prend…  Oui j’aime bien ce programme… Sauf que si je ne veux pas qu'encore une fois l’alambic tourne plus que de raison et ne donne qu’un liquide imbuvable je dois rester debout. Et relancer l’expérience dans la foulée… Quelle idée d’avoir un passe temps aussi dépendant du temps… Et en même temps je n’arrêterais pour rien au monde. Le vin était une expérience, et il l’est toujours, je suis loin d’avoir juste fini d’explorer la face émergée de l’iceberg alors ne parlons pas de la face immergée, mais il était une expérience ou je savais me diriger, ou je sais comment essayer de nouvelles choses qui ont des chances de réussir. La distillation… Comment ne pas soupirer en y pensant. Et l’état de mon atelier ne peut que confirmer ce ressenti. Oui, vraiment quand je vois tout ça j’aimerais pouvoir retourner me coucher.

Mais non. Plus que dormir ce que je veux ce sont des résultats. Être la première à réussir n’est pas ma motivation, au contraire j’aimerais réellement pouvoir me reposer sur le travail d’un autre, ne pas devoir chercher à tâtons, tenter des expériences au hasard sans savoir ce qui est à garder ou à jeter… Quand je suis arrivée je ne comprenais pas, et je ne comprends toujours pas totalement, pourquoi certains sont si curieux à l’idée de découvrir l’extérieur de la ville, ce nouveau monde, ces nouvelles créatures… Cette envie d’être le premier à poser ses yeux sur une nouveauté, à ramener un élément inconnu… Pourtant c’est exactement ce que je fais non ? À mon échelle, à ma manière, mais je tente aussi de créer des choses, de faire de nouvelles découvertes… Et je suis dépendante des leurs pour avancer. Finalement même pour eux c’est la moindre des choses que de faire mon maximum pour obtenir des résultats. Qu’ils puissent avoir d’autres choses à consommer après les expéditions et… Tout ce qu’ils font, quoi que ce soit.

Donc on va reprendre tout ça. Je me demandais sur terre comment les premières découvertes avaient été faites, j’ai ma réponse. Difficilement. Il me semble que la dernière fiole en date est… Celle-là. Le liquide est bleuté, normal étant donné qu’il provient d’algue-plume, et brille légèrement. Au moins contrairement à d’autres fois il a gardé des spécificités physiques en rapport avec le produit de base. Maintenant reste à vérifier si j’ai réussi à lui faire perdre cet horrible goût amer… À l’odeur je dirais que non. Et au goût… Non plus évidemment. “C’est pire que la dernière fois, il est tellement âpre qu’il racle la gorge… Un de plus à mettre de côté et à jeter.” En regardant la fiole j’avais un semblant d’espoir, la texture et la couleur sont bonnes pourtant… Tout n’est pas à jeter, le dosage, la température et la durée de distillation sont bons ou alors vraiment pas loin de l’être… “Dans un sens… Si cette base est bonne alors le plus dur est fait. Et si je ne peux pas utiliser ces algues comme base pour un alcool je pourrais les utiliser comme complément pour un autre… Mais elles restent amer… Hm…” Comme souvent je pense à voix haute, mais contrairement à d’habitude il y a des choses à dire. Et des notes à prendre. Jusqu'à maintenant mes carnets étaient bien triste, rarement plus qu’une pauvre page par expérience, la date, quelques informations en vrac et le fait que c’est un échec…

“Une avancée… Bon, ne nous précipitons pas. Étape par étape. Déjà prendre en note le nécessaire pour pouvoir reproduire ce résultat. Ensuite… Il faut voir ce que je veux et peux en faire… La liqueur aurait été le meilleur choix…” Ce grincement… La porte d’entrée… Les visiteurs sont rares et j’ai tendance à oublier que je peux en avoir… Sauf que ça reste mon lieu de vente, forcément de temps à autre un client se présente. Et la loi des séries fait que ça doit être maintenant… Soit.

“Excusez-moi, j’arrive… Un tout petit instant.” J’espère qu’on m’a entendu… Me présenter en tenue de travail n’est pas un souci, je n’ai pas de tenues spécialement pour la vente de toute façon, mais on va éviter de laisser l’alambic fonctionner dans le vide. De toute façon ça n’aurait rien donné alors que le résultat final soit faussé ou non ne change rien. Tout éteindre ne me prend pas plus de deux minutes et je me précipite dans l’escalier “Pardonnez-moi, vraiment, c’est… J’étais… Une distillation à terminer… Enfin… Des tests à faire et… Peu importe.” Je remonte la bretelle du tablier ayant glissée, manque de cogner le pied contre le coin du comptoir, il faudrait que j’arrête de traîner pieds nus dans l’atelier d’ailleurs, et glisse quelques mèches rebelles derrière mon oreille… Définitivement pas la tenue d’une vendeuse… Ce qui tombe bien puisque ce n’est pas ce que je suis initialement. “Je… Bonjour… Enchantée, je suis Anastasia propriétaire de… Cet endroit. Je peux vous aider ?”

Je profite de ses explications sur la raison de sa présence pour me glisser derrière le comptoir. Contrairement à la plupart des gens que je vois passer, et c’est sans compter les curieux qui ne viennent que regarder ou les alcooliques notoire à la recherche de quelques résultats d’expériences infructueuse, elle sait ce qu’elle veut, dans les grandes lignes du moins, et ce n’est pas pour une consommation occasionnelle. Il était évident que ce genre de rencontres et de contrats allaient être de plus en plus fréquents avec le temps, nous ne sommes pas nombreux en ville à nous être lancé dans cette aventure, je ne m’attendais pas à ce que ce soit si rapide. “Merci beaucoup. Pour tout. C’est… Pour la boutique… Ça a été du travail mais oui je… Je suis contente de ce qu’on a réussi à faire. Et je suis contente que l’odeur d’en haut ne descende pas trop… C’est… Autre chose. Tout aussi floral mais… Plus chargé disons… Entre autres.” Il serait sûrement beaucoup plus dur de faire des ventes si la moitié des odeurs de l’étage parvenaient à s’immiscer en bas. Dieux merci la maison est bien agencée et, surtout, l’atelier est très bien aéré.

“Pour votre demande… Sur les vins d’Ozéna soyez rassurée, nous sommes tous égaux sur leurs connaissances. Le simple fait de pouvoir travailler les paleberges comme nous travaillions le raison est déjà un miracle en soit.” Je me penche, attrape deux verres et les dépose sur le comptoir. “Que connaissiez-vous du vin sur terre ? Il sera plus simple pour moi de vous conseiller et de vous guider pendant la dégustation en sachant ça.” Tout en écoutant sa réponse, je quitte le comptoir pour ouvrir la porte située juste derrière, d’une main distraite j’attrape une miche de pain avant de revenir devant elle. “Désolée, c’est… Nous en aurons besoin pendant que vous goûterez les vins. Enfin euh… Si vous voulez goûter ? Je peux aussi juste vous conseiller sur vos préférences ou vos envies si vous en avez mais… Ce serait dommage. Ce n’est que mon avis bien entendu, je ne veux vous forcer à rien… Mais ce serait dommage…” Ma voie meurt dans un murmure alors que je détourne le regard, gênée,  pour fixer l’étagère à ma gauche.

Plus un présentoir qu’une réelle vitrine même si une majorité des bouteilles que je propose sont présente dessus. Les plus rares ou réussies on eu droit à un traitement de faveur mais c’est suffisant pour se donner une idée de ce que je peux proposer. Et contrairement à la terre les paleberges ont la bonne idée de proposer de vins variant réellement de couleur. Beaucoup plus facile à présenter et pour donner envie aux gens. Dans son cas elle m’a dit venir du quartier ouest, les maintes eaux donc… Une solution de simplicité se dessine facilement mais il ne serait pas intéressant de partir dessus. “Excusez-moi mais que vendez-vous au juste ? Et quel genre de clients avez-vous ? Si vous cherchez à conclure un accord pour que je vous fournisse, je peux me faire une petite idée de leur rang social… enfin si ce terme a encore un quelconque sens ici, mais je préfère être sûre. Pour être sûre de pouvoir vous conseiller au mieux et…” Je m’interrompt brusquement et me mord la lèvre. “Euh… Désolée, c’est peut-être une question indiscrète… Vous n’êtes nullement tenue de me dire quoi que ce soit sur vos clients, pardonnez-moi, j’étais… Je pensais déjà à la suite et j’ai parlé sans réfléchir. Excusez-moi, cette question était sûrement déplacée.”

Des centaines de vins goûtés à l’époque de la terre… Et une idée assez précise de ses goûts. Je ne peux retenir un sourire devant cette déclaration. Je ne m’avancerai pas en disant qu’elle s’y connaît, même si elle semble sûre d’elle, néanmoins, elle a certainement au moins un début d’expérience. Mais cette expérience et cette connaissance de ses goûts ne veux clairement pas dire qu’il sera facile de répondre à sa demande. Au contraire. Les gens sachant ce qu’ils veulent sont généralement les plus durs à contenter. Et ça me convient parfaitement. Le plaisir de la recherche et de l’échange, proposer des produits, expliquer les points forts et les points faibles, les meilleures conditions pour en profiter… Dans son cas… Une boutique qui vend des objets de luxe… Non, elle ne l’a pas présenté comme ça, mais ceux qu'elle veut récompenser sont les plus dépensiers… Ce qui n’en fait pas forcément des experts. Quoique, la plupart prétendraient sûrement le contraire simplement par fierté. Mais elle a raison, un vin passe-partout sera le meilleur choix pour cette situation. “L’équinoxe… Euh… Désolé, je… J’ai bien peur de ne pas connaître… C’est… Je ne sors pas beaucoup d’ici ou du quartier et… Et quand je le fais c’est pour chercher des ingrédients… Alors… Beaucoup d’éléments de la ville me sont inconnus.” Ce qui n’est clairement pas un avantage il faut bien en convenir, combien de fois me suis-je retrouvé à devoir demander des évidences aux habitants du quartier ?

“Pour le reste… Eh bien j’espère que vous aimerez ce vin et que vous l'achèterez. Vous m’avez déjà donné quelques indications, la suite ne devrait pas être compliquée…[/i][/color]” Tout en lui parlant, je me retourne vers la grande étagère présente derrière le comptoir et commence à regarder les différentes bouteilles présentées dessus, faisant passer mon doigt sur certaines, secouant la tête devant d’autres. “Je vous demande pour être sûre mais vous ne comptez servir que du vin à vos clients ? Pas de nourriture ?” Une mauvaise surprise sur un vin changeant soudainement de goût à cause de l’acidité d’un fruit ou perdant toute sa saveur à cause d’un aliment neutre serait regrettable… Après quelques secondes je m’arrête sur deux bouteilles, hésite un instant sur une troisième avant d’hausser les épaules et la sortir aussi de l’étagère. “Vous m’avez dit une préférence pour le rouge, il est compliqué d’avoir quelque chose de réellement ressemblant ici cependant, je peux faire en sorte de ne pas vous donner ce que vous n’aimez pas. Rien de trop fade et rien de trop sucré.”

Une première bouteille est déposée sur le comptoir. Il a été compliqué de réussir à trouver quelqu’un capable de faire des bouteilles semblables à celle de la terre, et en y regardant bien certaines différences sont présentes, dans la forme, dans la couleur de la bouteille qui n’est pas aussi marquée que ce que j’aurais aimé ou simplement dans l’étiquette qui est un simple parchemin écrit à la main et collé dessus cependant, malgré tous ces petits défauts elles sont une fierté. “Si vos clients ne sont pas des habitués, le plus simple est sûrement le vin de paleberges ayant poussé en bordure de forêts. Certains vins sont un peu corsés et ne les rendent pas forcément accessibles à tous mais vous verrez, celui-ci devrait être assez doux. L’arôme boisé est ce qui ressort le plus avec une impression de fruit rouge en arrière goût. Et en plus…” Je remplis les verres. Prenant le mien et jouant avec à la lumière du soleil je fais miroiter sa robe grenat. “Les paleberges ont la bonne idée de donner un vin rouge quand elles poussent dans les bois. Ce qui devrait rassurer vos clients. Quelque chose de passe-partout et ne s’éloignant pas de ce qui est connu.” Un instant je fais tourner le liquide dans le verre avant de tremper mes lèvres dedans. L’une de mes premières réussites, l’une des premières bouteilles ou j’ai pu forcer le vin à se plier à mes idées. Il lui faudra encore quelques années pour répondre totalement à mes attentes mais pour l’heure il est déjà très satisfaisant.

Reposant le verre sur le comptoir, je la regarde avec un sourire. “S’il ne vous plaît pas ne vous inquiétez pas ce n’est pas un souci et j’ai encore d’autres choses à vous proposer… Par ailleurs… C’est peut-être une proposition qui ne me regarde pas mais… Vous m’avez dit vendre aussi des objets magiques et… Je me disais que quelque chose d’autre serait plus adapté… Moins… Passe-partout, plus… Plus extravagant.” Mon sourire s’efface vite devant mon hésitation alors que je sors à la hâte une deuxième bouteille de sous le comptoir. La dernière que j’avais hésité à prendre. “Le… Les paleberges sont capables de produire un vin d’une couleur bleuté… Nous… Nous verrons après, vous avez le temps avec la première bouteille mais… Mais je me disais que… Que peut-être, dans le cas de transaction magique, le vin bleu serait plus adapté…”

Apprendre à connaître la ville au fil des ans… Elle n’a peut-être pas tort, il est même probable qu’elle ait raison mais ce n’est pas si simple que ça… Ou alors le problème vient de moi. C’est bien possible aussi. Pas que ça me dérange réellement, même si cela peut rendre certaines discussions un peu… Étranges, ça ne m’empêche pas de vivre. Pour l’heure, il y a d’autres choses à penser que mon manque de culture et d’intérêt sur la cité. Comme je m’y attendais un peu, la première bouteille n’est pas totalement à son goût. Je peux la comprendre, d’ici deux ou trois ans cette bouteille aura d’autres choses à dire, pour l’instant elle se contente de remplir son rôle sans faire de vagues. Je l’aime bien aussi pour ça, ce n’est pas seulement une première réussite, le plaisir de voir les choses évoluer, se développer… Là dessus, on ne peut pas dire que ce pays est décevant.

“Vous… Vous en rendrez-vite compte mais le vin bleu est plus… Particulier. Ce n’est pas qu’une question de couleur c’est…” Tout en discutant je remplace les verres par deux verres propres, déposant les anciens un peu plus loin sur le comptoir “Vous allez peut-être un peu changer d’avis sur certains préjugés… Le vin bleu est un vin qui pousse en bords de mer et a donc des spécificités qu’on peut attendre d’une telle proximité. Un goût plus iodé, plus acide. C’est pour ça que je vous demandais si vos clients mangent, c’est un bon vin d’accompagnement mais un vin normalement difficile à consommer seul.” Sans chercher à cacher mon sourire, j'expose le bleu turquoise du liquide à la lumière. “Sur terre ce genre de vin aurait été un vin blanc. Vous allez voir qu’il est bien loin de ces vins trop sucrés dont vous parliez.”

La réalité est que sur terre nous n’aurions pas trouvé de vin avec des arômes aussi marqué mais, une fois ce détail mis de côté, seuls les vins blancs auraient été capable de s’approcher de son goût. Un peu acide, un peu trop même, quelques touches salines et la touche de citron qui vient rehausser le goût. Le rendre plus frais. Mais… Ça risque bien de ne pas être suffisant. Même pour moi ce vin est dur à boire seul, il lui manque un petit quelque chose en plus. Soit un plat pour l’accompagner, cette solution n’en est pas une, soit de l’âge pour lui permettre de devenir quelqu’un d’autre. “Ce… Ce n’est sûrement pas ce que vous imaginiez n’est-ce pas ? Sa couleur est intrigante, son goût fait voyager mais… Il pique le nez.”

Du coin de l'œil, j'avise un instant l’étagère derrière moi, je pourrais le décanter et le travailler un peu, en quelques secondes la situation serait réglée mais… Si moi je peux le faire, ce n’est pas forcément le cas de tout le monde. “Ce que je peux vous proposer c’est un… Un tour de magie. L’image marchait mieux avant, ici… Ici, alors que des gens volent, manipulent les émotions, se téléportent, le tour risque de paraître un peu fade mais… Je ne dirais pas qu'il manque de saveur, au contraire.” Le bouchon de la bouteille retourne sur le comptoir et je laisse mon verre un peu plus loin. “Si… Si vous avez quinze à trente minutes de plus à m’accorder vous verrez que l’attente vaut le coup. Si ce n’est pas le cas… Je… Je me débrouillerai autrement juste… Le résultat ne sera pas exactement le même et… Peut-être vais-je me tromper et parler sans savoir mais… Je pense que vous serez plus à même de laisser simplement le vin se reposer à l’air libre pour le servir à vos client que de le préparer. Ou le faire préparer.” Même si on ne peut pas nier un certain aspect artistique dans certaines préparations, un décantage joliment effectué produit toujours son petit effet sans parler de la suite… La question n’est pas là et si elle se pose je pourrais lui faire part de mon avis, ce n’est pour l’instant clairement pas nécessaire.

“Si… Si vous êtes prêtes à attendre je peux soit vous proposer de goûter autre chose ou… Il n’y a pas grand chose à voir mais je peux toujours vous faire visiter la cave, la ou attendent tranquillement les prochaines bouteilles… Sinon…” Petite hésitation, je ne sais pas vraiment si c’est bien correct ou non de lui poser la question mais je ne peux pas nier être curieuse. “Sinon… Peut-être pourriez-vous me parler un peu de votre boutique ? Ce que vous faites, vous vendez, comment vous vous fournissez… C’est… Beaucoup de curiosité, désolée si c’est déplacé…”

Il était déjà rare de trouver des gens ayant des bases en oenologie ou sachant ce qu’ils veulent sur terre alors ce n’est pas rien de dire que je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ayant une idée aussi précise de ses attentes ici. Pourtant ce n’est pas réellement surprenant, même sans être très nombreux en ville assez de gens sont présents pour qu’au moins une personne soit intéressée par ce milieu. Après tout, non seulement je suis là mais en plus avant moi des gens avaient déjà trouvé quels fruits pourraient servir pour remplacer le raisin et comment faire. Quoi qu’il en soit je reste confiante, cette idée de vin de paleberges marines m’est venue sur un coup de tête pourtant maintenant je suis convaincu que c’est une bonne idée. Peut-être pas exactement ce qui lui faut, le classique à l’avantage d’être rassurant mais on parle ici d’objets magiques. Comment est-ce qu’on associe un vin à un objet magique ? Je saurais accorder des plats sans le moindre souci mais ici l’exercice est plus compliqué.

“Oh euh… À la cave il y a surtout les fûts pour le vin, l’alambic et mes appareils de distillation sont à l’étage… On peut… Si ça vous intéresse vraiment on peut aussi y aller… C’est… Euh… Disons que… C’est un atelier. Ce n’est pas la pièce la mieux rangée…” Sans parler des odeurs… J’ai la chance qu’elles ne descendent pas et que le reste des odeurs de l’habitation soient assez marquées pour cacher ce qui se passe à l’étage. Cela dit au vu de mes dernières expériences… Ça devrait aller… Je pense. “On… On peut commencer par en bas si vous voulez, le tour va être rapide à faire…” J’enfile discrètement une paire de chaussure derrière le comptoir avant de me diriger vers la porte de la cave. L’idée de marcher sur des morceaux de verre ou sur de l’alcool brûlant qui serait tombé par terre ne m’a apparemment jamais effleuré l’esprit, ou en tout cas pas assez pour que je change mes mauvaises habitudes, par contre il est inenvisageable que je marche pieds nus sur la terre de la cave.

l’escalier de pierre est étroit, mais a le mérite de ne pas être très profond. “Attention ou vous mettez les pieds, la cave est dans le noir. Il n’y a pas de torche mais… Je… Je me suis débrouillée autrement, vous allez voir…” Quelques marches plus tard nous sommes arrivées en bas, et à moins qu’elle ne puisse voir dans le noir l’obscurité doit comme pour moi être totale. Ça a été un petit casse-tête de trouver un moyen d’éclairer la pièce proprement mais la solution que j’ai trouvée fait partie des rares choses dont je suis fière de pouvoir me vanter. Une utilisation créative et détournée de la magie. Du bout des doigts je viens frôler les feuilles d’une fleur présente à l’entrée et lui insuffle un souffle de magie. La réponse ne se fait pas attendre et en quelques secondes de multiples petits bouquets de calix viennent illuminer la pièce d’une teinte bleutée. “C’est… Les… Les avantages de la magie verte… Même si elles demandent beaucoup d’entretiens… Elles ne sont pas faites pour vivre en sous-sol… Mais… Le résultat est plus agréable que quelques torches vous ne trouvez pas ?” Encore aujourd’hui il m’arrive de descendre dans la cave et me perdre dans la contemplation de ce paysage artificiel. De multiples bouquets, accrochés aux murs, au plafond, qui viennent dévoiler toute l’étendue de la cave et ses immenses fûts.

“Ça… Je ne sais pas pour vous, je… J’espère que ça a été plus simple mais… Apparemment les gens qui ont construit la ville ne se sont pas dit que quelqu’un déciderait de faire du vin dans sa cave… Il m’a fallu du temps pour trouver une maison capable de répondre à mes attentes…” Et quelques modifications… Sans compter que si je pars d’ici, les fûts eux resteront, ils ont été construits directement dans la cave, ce n’est pas pour remonter… “Je… N’ai pas répondu tout à l’heure mais oui… Je passerai sûrement… Vous avez dit vendre aussi des objets d'art… Alors… Je ne m’y connais pas vraiment mais comment faites-vous pour décider qu’un objet plutôt qu’un autre en est un ?” J’avance distraitement dans la cave, allumant au passage les calix les plus loins de l’entrée. Je n’ai jamais vérifié, mais je ne serais pas surprise que la personne ayant construit cet endroit ait légèrement dépassé les limites de la propriété… “Est-ce que nous avons déjà des artistes en ville ? Dans… Dans les artisans je veux dire. Je sais que certains tentent de remettre en place des groupes de théâtre par exemple… Nous avons déjà des gens qui sont capables de se faire remarquer ? Ou… Qui se seraient découvert une vocation peut-être…” Je suis admirative de ces gens qui ont eu le courage de passer le portail, oublier tout ce qu’ils étaient et devenir de nouvelles personnes. Je ne regrette pas de ne pas avoir tenté de nouvelles choses, je suis très heureuse de ma situation néanmoins, si je suis honnête avec moi-même, je dois quand même avouer qu’ils ont mon respect…

Lui tournant le dos, regard perdu dans le vague je réalise à peine poser ma question à voix haute. “Et vous ? Pourquoi avoir ouvert l’Équinoxe ?”