Le chant des sirènes


C’est en 4155 dans le Nord-Ouest Allemand vers Bremerhaven que vint au monde Clemens Pleiff. Nommé en l’honneur d’un des écrivains de la légende de Loreleï, il avait à ce moment-là tout son destin tracé par sa propre famille. Venant d’une lignée de pêcheurs catholique, le jeune homme était déjà condamné à suivre le même destin que bon nombre de ses ancêtres. Vivant alors dans une milieu modeste d’une société s’approchant petit à petit de la ruine, le garçon n’avait à côté pas grand chose dont se plaindre. Jeune, il avait eu la chance d’avoir une éducation sommaire à travers des cours qu’il ne suivait qu’à moitié, sachant de toute façon comment finirait sa vie, pour lui les études n’étaient donc qu’un moyen de s’instruire plus que de réussir. Il avait, par l’argent et le métier de ses parents, une alimentation plus que correcte, mais c’est surtout la foi que lui offrait son cocon religieux qui nourrissait le plus son cœur dans sa jeunesse. Il n’y avait pas une journée sans prière, sans qu’ils n’aillent à l’église au retour du père et de son bâteau. Il n’y avait pas un instant où Clemens ne portait pas la croix autour du cou et il n’y avait pas un moment où le doute pouvait entrer dans son esprit.

Pour lui, le monde suivait un plan de destruction car l’Homme avait été trop tenté par le démon. Mais que rien n’empêcherait les fidèles de s’en sortir, par la foi et le bon comportement. Ainsi suivait-il cette routine continuelle, jour après jour. Entre prière, écoles et vivre comme si l’avenir était déjà acquis. Et c’est ce qui fonctionna le mieux jusqu’à ses dix-huit ans. Le jour où il quitta officiellement le monde des études pour rejoindre son père comme marin pêcheur. Sortant alors chaque jour, qu’il pleuve ou qu’il fasse un soleil de plomb. Récitant toutes les prières de protection qu’il pouvait avant de partir, et remerciant le ciel de le protéger à chaque retour sur terre. Que cela ne dure que quelques heures ou bien même plusieurs jours lorsque la pêche n’était pas assez fructueuse. Dans ces moments-là aussi, il priait du mieux qu’il pouvait. Mais pas un seul instant dans sa vie, il n’y avait le regret d’être enfermé dans une sorte de routine ou de prison.

Jusqu’à un beau jour où notre bon croyant tomba sur le plus beau de tous les serpents…


Bien que ne buvant pas une goutte d’alcool, Clemens ne pouvait s’empêcher, le soir après la prière à l’église, d’aller dans le même bar. Pourquoi? Pour pouvoir côtoyer du monde hors de sa famille. Discuter avec d’autres pêcheurs, divers marins ou simplement s’amuser un peu. Parfois il dînait, parfois il y passait seulement un quart d’heure. Si son tempérament calme et plutôt réservé ne lui offrait pas vraiment beaucoup de liens, c’était pour lui un petit moment de repos avant de retourner chez lui se reposer et recommencer la routine habituelle. Et cela continua jusqu’à ses 21 ans. Jusqu’à ce qu’une femme entre dans sa vie. Magnifique, un air rebelle enchanteur… L’Allemand n’avait jamais eu un aussi gros coup de cœur de toute sa vie. Cette dernière, une nouvelle serveuse dans ce bar lui faisait perdre la tête. Que ce soit sa voix, son parfum ou ses gestes, le pauvre homme était tombé sous le charme d’une sirène ravageuse. Sirène qui, pour illuminer le bar, chantait durant son service, attirant alors bien des regards. Et rien ne pouvait y faire. Quand il priait, une partie de son esprit se tournait vers elle, tout comme lorsqu’il pêchait. Cela hantait ses nuits, au point où il traînait de plus en plus souvent au bar juste pour pouvoir discuter plus souvent avec elle…

Forcément, l’état plus fatigué, plus distrait de leur fils fût facilement compris des parents qui cherchèrent dans un premier temps à le pousser dans la direction de cette inconnue. Lui, si peu sociable, ne cherchant habituellement jamais à se faire remarquer mais souhaitant juste se laisser porter par les vagues d’un petit moment de détente entre sa foi et son métier, devait, pour la première fois agir comme acteur de sa vie. Et ce fût quelques mois seulement après cette rencontre qu’il réussit à obtenir son premier rencard et enfin, à sortir avec celle qui deviendra encore plus tard son épouse, Dorothea.

Mais hélas, celle qui ressemblait à la plus belle des fleurs devint bien rapidement le plus terrible des serpents pour la famille Pleiff. Si ces derniers étaient croyants, Dorothea ne l’était pas, bien au contraire. Et dans le couple, c’est elle qui vient petit à petit mettre ses idées dans l’esprit de Clemens. Celles du doutes, perturbant sa foi. Il quitte d’abord la demeure familiale pour vivre avec la jeune brune. Et au fil des mois, voire même des années, cela n’était qu’une douce descente aux enfers. Le jeune Allemand se rendant de moins en moins à l’église. Faisant en sorte de ne plus prier systématiquement avant chaque départ et à chaque retour. Se prenant de plus en plus la tête avec sa famille jusqu’à changer totalement de navire de pêche, se séparant quasiment d’eux. Après tout, pourquoi notre pêcheur aurait-il besoin de cette foi, de sa famille alors qu’il avait son épouse? Pourquoi suivre aveuglément des dogmes et autres absurdités alors que la vie était faite ainsi?

En 4178, lorsque la grande sélection débute alors, l’intérêt initial de Clemens fût rapidement stoppé par sa moitié qui considérait cela comme inutile. Le couple avait sa vie sur Terre après tout, pourquoi tout changer pour quelque chose qui lui semblait aussi absurde que la foi? Surtout qu’ils avaient un enfant en route, il était donc hors de question de réfléchir à une façon de partir. Et, comme pour chaque nouvelle chose, notre protagoniste se plia. Devenant alors père pour la première fois à 24 ans. Faisant alors deux choses qui finirent de couper les derniers liens avec les Pleiff. Ne pas baptiser son premier né, tout en refusant de suivre la tradition d’en faire un pêcheur et surtout… Il retira pour la première fois sa croix autour de son cou, décidant de la renfermer dans une boite et ne plus jamais la porter selon les demandes de Dorothea. Ce fût alors le premier jour de l’abandon de la foi de Clemens…


De sa vie sans foi ni croyance, Clemens n’était devenue plus que l’ombre de lui-même. Suivant les caprices de sa femme, il devint père une seconde fois à 27 ans alors que ses pêches se faisaient de moins en moins fructueuses. L’argent n’était pas encore un souci grâce au deux métiers du couple, mais cela peinait de plus en plus l’Homme qui se demandait à quoi pourrait bien ressembler son avenir qui semblait devenir sans but, ressentant comme un vide en lui, un manque de lumière. Peur et doutes qui furent alors bien souvent moqués par sa moitié. Isolé loin de sa famille, parfois regardé comme un traître par les autres pêcheurs, l’Allemand n’avait de toute façon plus que Dorothea vers qui se tourner, et ses enfants pour rester un minimum sain d’esprit.

Quand il atteint les 28 ans en 4183, et alors que sa femme était enceinte de leur troisième enfant, le pêcheur parti une nouvelle fois en mer. La pêche de la veille ayant été infructueuse, et cela malgré les risques de tempêtes considérées comme violentes. Suivi malgré tout par un équipage qui avait aussi besoin de survivre, l’adulte eu lors de cette nuit tous les malheurs du monde, se rendant compte que finalement, suivre la voix d’un Serpent pouvait conduire à sa perte bien des années plus tard. La tempête qui frappa son navire de pêche fût l’une des plus intenses qu’il n’eut jamais vécu de toute sa vie de pêcheur. Cherchant par tous les moyens de protéger son navire et son équipage, une violente bourrasque suivie d’une puissante vague rasa le pont du bateau, et Clemens avec qui fût alors emporté. Ne devant son salut qu’à la rambarde contre laquelle il s’écrasa. Il fût sauvé in extremis par un membre de son équipage alors que la douleur le faisait petit à petit quitter le monde conscient, le plongeant alors dans les ténèbres… Dans le vide.

Notre homme se réveilla deux mois plus tard. Le choc qu’il avait reçu ayant été plus sévère que prévu. Son navire avait réussi à retourner à bon port, mais en très mauvais état. Malheureusement tous les marins n’avaient pas réussi à survivre à cette tempête et il avait été impossible de reprendre le large au vue du piteux état du bâteau et surtout, sans grands moyens avec les derniers temps difficiles… Pour couronner le tout, Dorothea avait perdu leur troisième enfant lors d’une fausse couche, ce qui finit par plonger Clemens dans le désespoir. Alors qu’on lui racontait le tout, l’esprit du fils Pleiff commença à vagabonder dans les limbes de son subconscient. Quand il avait été emporté par cette vague, il faisait si noir… Pas une étoile éclairait le monde, ni la lune, ni le soleil. Quand son corps se brisa contre les rambardes, la seule lumière qui brilla, fût l’éclat de douleur rouge intense qui vrilla son âme entouré de ténèbres. Et quand son esprit vint à s’assoupir, une nouvelle fois, il avait été abandonné dans les ténèbres. Il n’y avait pas eu un semblant d’espoir pour lui à ce moment-là. S’il avait dû mourir, il aurait alors rejoint le vide. Il aurait cessé d’exister. Il n’y aurait… Rien eu d’autre… L’esprit rongé par le chagrin et la détresse, l’Allemand se demandait depuis quand sa vie prenait un tournant si horrible. Se demandant alors qu’est ce qui avait pu si mal tourné. Et c’est une fois de retour chez lui, alors qu’il fouillait ses vieilles affaires, qu’il retomba sur une bien étrange boîte. Celle contenant sa croix.

Sa foi… Voilà ce qu’il lui manquait. Depuis cet abandon, qu’est ce qui lui était resté de positif? Une femme ayant méprisé sa religion, l’ayant éloigné de son Salut? Des enfants condamnés comme leurs pères à une vie sans être protégés? Condamnés à une vie… D’hérésie? Pris entre la colère d’avoir peut-être suivi le pire train de vie possible en renonçant à la protection divine, et la peur d’avoir condamner son âme, Clemens préféra tout quitter. Se séparant alors de Dorothea. Seul, retournant alors sur les mers après avoir quitté l’Allemagne pour les pays Nordiques, devenant pêcheur sur un navire ayant bien voulu de lui. Ayant tourné le dos à son ancienne famille qui l’avait oubliée, et à la nouvelle qu’il avait abandonnée. Pourtant, même avec la croix autour du cou et en reprenant les prières, il ne trouva plus jamais le réconfort. Il ne trouva plus jamais ce sentiment rassurant quand il faisait un signe au Divin. Comme si, une fois qu’il avait été pris dans les ténèbres, il n'y avait plus de machine arrière.

C’est sur une carcasse d’un homme repêché qu’il tomba sur une clef. Symbole d’un nouveau monde qu’il avait eu un moment dans son esprit, mais qui fût bien vite oublié. C’est avec une once de tristesse que Clemens observa l’homme décédé, se disant que ce dernier n’avait pas eu le temps de saisir sa chance, se demandant surtout si, lui-même, il la prendrait… Et quand. Regardant alors cette chose, se demandant si, finalement, ce nouveau monde n’était pas une arche vers une promesse nouvelle, Clemens décida de la garder précieusement dans sa poche. Quand il se sentira prêt…

Et ce fût peu de temps après ses trente ans qu’il se décida. Son capitaine de navire semblant vouloir suivre une ancienne et très mauvaise idée qu’il avait lui-même emprunté à l’époque. Celle de naviguer face à l’une des plus terribles tempêtes situées dans le Nord du Monde. Il en était hors de question pour Clemens. Au vue de sa situation, au vue du fait que même Dieu l’avait abandonné, il ne pouvait se permettre un tel voyage, car il serait sans retour c’était certain. La mort l'attendait et il n’y aurait rien d’autre après, car il avait été marqué comme un maudit. Jetant sa croix dans l’eau, abandonnant une nouvelle fois cette religion qui l’avait aussi délaissé, il fit en sorte de s’enfuir, entendant derrière lui les appels de ses anciens matelots. Le tout, pour se réfugier sur une colline. En regardant le ciel, et le soleil couchant, sortant la clef qu’il avait conservé, il décida de se piquer, lançant alors une prière anonyme, dans l’espoir que quelque part, on puisse l’entendre. Que quelque part, on récupère sa Foi, et qu’on puisse le sauver… En fermant les yeux, il se laissa simplement porter par la suite des évènements, espérant que quelqu’un, que quelque chose le considère digne…


Une sensation de flottement. Où était-il? Les souvenirs du jeune homme ne trouvaient pas vraiment d’écho alors que son esprit était encore dans un marasme ambiant. Tout ce dont il avait souvenir était d’un portail puis… Plus rien. Il avait senti de nouveau le vide, malgré son cri déchirant. Ou alors avait-il vraiment crié? Aucun souvenir de sa voix ne lui revenait, comme s’il avait simplement cessé d’exister. Pourtant, il était là. Comme ressuscité. Comme si son appel avait été écouté. C’est en trouvant l’énergie de se lever que l’homme pût contempler ce nouveau monde qui s’offrait à lui. Ozéna. Accueilli par une personne de foi, Angélique et une statue divine qui l’observait, comme un gardien protecteur.

Lui? Avait aussi changé. Une paire d'ailes, une sensation nouvelle en lui, et un corps bien plus pâle, comme celui d’un noyé. Il fallut un certain temps pour le pauvre Clemens de s’habituer à tout cela, mais cela ne l’empêchait pas d’écouter, silencieux. Apprenant tout ce qu’il pouvait de ce nouveau monde, s’intéressant alors aux quatre Divinités qui semblaient régir ce monde. Il était heureux de voir que chaque Divinité possédait un culte, des lieux pour se recueillir et pour prier. Mais au vue de la population qu’il apprenait petit à petit à connaître, la foi présente semblait si… Vide. Une nouvelle crainte emplissait alors l’âme de l’Allemand qui craignait alors voir ce monde englouti ou abandonner comme la Terre qui se détruisait. Comme un navire dévoré par les vagues. Et il en était hors de question.

Ainsi, jusqu’en 116, soit pendant les deux premières années de sa nouvelle vie, le nouveau Malakim décida de devenir fermier. Récoltant ce qu’il pouvait de son dur labeur, décidant de continuer de nourrir le peuple comme il avait toujours fait. Priant chaque jour les différents Dieux pour lui offrir les meilleures récoltes. Visitant chaque jour après son travail les différents temples pour y fournir offrandes et salutations. Mais il fit en sorte de ne pas s'arrêter là. Chaque événement ou chaque grande fête de l’année, notre ancien marin faisait en sorte d’y participer afin d’y apporter un peu de lumière. Cherchant à encourager la Foi, d’encourager la croyance. Que ce soit face au refus ou l’acceptation, il ne se laissa pas abattre, car la peur et la colère étaient des moteurs bien plus puissants que la résignation. Après tout, sa vie avait déjà été remplie de vide, et il en avait goûté une profonde terreur. Hors de question que cela se reproduise.

Même si la foi qu’il portait n’était pas un écho des plus fulgurants, le Malakim était malgré tout soulagé de trouver des gens qui partageaient en partie sa vision des choses, ou au moins sa force religieuse. Ces gens-là étaient comme un pilier pour lui permettre de continuer. Si l’idée de devenir prêtre le tentait énormément, il ne se voyait pas divinisé qu’une seule entité, non. Pour lui, chaque Dieux méritait le même amour, la même vénération, méritait le même temps accordé aux autres.

Mais heureusement, son vœu vint à être exaucé quand arriva alors le Prieuré des Dieux. Une organisation qui prônait l’égalité parmi les Quatre. Il ne fallut pas longtemps à Clemens pour en devenir un fidèle. Cherchant bien vite à en faire partie, cherchant à montrer tout l’amour qu’il portait au Divin de ce monde, admettant ses peurs mais cherchant lui aussi à apporter la Lumière à ce monde. Lors de sa fête d’intégration, le jeune homme apporta bien entendu les offrandes, donnant pour chaque divinité quelque chose qu’il considérait de précieux mais qu’il considérait aussi comme digne des Dieux.


Devenu fidèle du Prieuré, la folie religieuse vint s'incruster encore plus intensément dans le cœur de Clemens. Passant le plus de temps possible avec les rares autres membres, cherchent conseils et paix auprès des Hauts prêtres et prêtresses. Passant parfois de longues périodes à prier pour espérer contenter les Dieux, quitte à sentir son corps s’écrouler, quitte à en souffrir. Il souhaitait montrer sa dévotion à ses confrères mais aussi à ses guides. Il n’y avait pas un jour où il manquait de montrer son amour pour les Quatre, évitant tout de même de faire de trop grandes démonstrations aux autres citoyens…

C’est en 117, après une longue année qu’il demanda à devenir prêtre, se sentant enfin prêt et en phase pour faire encore plus pour le Prieuré. Quittant alors son métier de fermier, abandonnant son nom pour ne devenir plus que Clemens, changeant alors tout ce qu'il avait pût être pour ce renouveau, pour s’investir entièrement dans ce nouveau rôle. Prenant la peine d’améliorer son apparence, de prendre soin de lui comme il avait pu l’apprendre et le voir avec son ancienne religion. Portant divers bijoux, et des vêtements visibles pour attirer le regard. Essayer par diverses phrases d'accroche, à défaut de recruter de nouveaux fidèles, d’intéresser un peu plus les gens. Et il donna toute son énergie dans l’objectif de faire grossir cette institution. Même s’il lui fallait parfois de la compagnie pour éviter tout dérapage lorsqu’il tombait sur ce qu’il considérait comme un blasphémateur… Son cœur, toujours marqué par d’anciens vices et traîtrise qui le faisait parfois trop facilement vriller…

Il n’est donc pas rare de voir une grande chevelure dorée en robe se promener dans les différents quartiers. A la recherche de brebis égarés, apportant prières, mais aussi aide à la population dans la limite de ce qu’il peut faire. Guider par la Foi divine, et par la peur, s'il échouait... De disparaitre.

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