On dit qu'une découverte est un accident rencontrant un esprit préparé.


Quelques jours s'étaient écoulés depuis mon arrivée à Ozéna, et le temps, s'il ne m'avait pas rendu mes souvenirs, semblait au moins suffisamment clément pour me laisser sortir. Aucune chance que j'aille trop loin: La ville d'Azamyr n'était certes pas la plus grande, mais le quartier Est de la ville, avec les habitations et la maison qui devait être la mienne à présent, était déjà un espace suffisant pour attiser ma curiosité et implanter mes premières racines.
Tout d'abord, une préparation rudimentaire avait été effectuée: Carnet, check. Crayon, check.
Puis j'ai passé les portes de la maison du Ciel et du Souffle avant de regarder l'extérieur. Les gens, si différents, et pourtant avançant dans le même ordre comme une cité myrmécéenne en plein essor. Mes yeux se lèvent vers le ciel, essayant de détecter, sûrement par habitude, le passage d'un oiseau dans le bleu du matin, mais non. Le ciel du nouveau monde n'était pas le ciel terrestre.

Cela dit, il y a forcément des choses à y voir, et en matière de faune, la nourriture passant dans les cuisines de la maison laissait tout à croire qu'il y avait de quoi croquer et notifier dans le monde animal d'Ozéna. Et puisque le monde était neuf, alors les expositions anatomiques et scientifiques de ceux-ci devaient être, si existantes déjà, peu nombreuses. Bref, tout pour faire une petite place à des recherches, bien que jusque là, rien ne m'ai trop laissé croire que les insectes étaient pléthore ici bas. Tant pis, s'il fallait se diversifier, je n'étais pas zoologiste que d'animaux à six pattes, et en réalité dessiner me faisait du bien, et un argument parfait pour sortir.

Je prend donc la direction du plus vaste carré de végétation visible, et note scrupuleusement mes déplacements pour ne pas me perdre dans les dédales du quartier comme à flanc de falaise. Pont, descente, escaliers, droite, pont...
Tout doucement, je laisse mes pas m'enfoncer dans la cité tandis que mes mains transcrivent le chemin et mon regard admire la zone. Pour une zone urbaine, l'endroit est majestueusement végétalisé, et l'eau présente partout donne une dimension féérique à la scène.
Oui, féérique. Mes ailes frissonnent comme riant à une blague tout à fait non-intentionnelle, tandis qu'un groupe divers et varié de gens aux ailes colorées passe à côté de moi. La vie semblait être un doux rêve d'enfant, vu comme ça.

Je continue dans ma trajectoire et me pose une seconde dans un escalier étroit en bordure de chemin pour vérifier la carte que la maison m'a donné pour éviter que je me perde. La place centrale ne devait pas être trop loin, peut-être en dessous de 200 mètres, mais avec les cascades autour et l'air surchargé de gouttelettes formait par endroit un brouillard provisoire mais épais pouvant perdre tout novice de la navigation en quartier inconnu.

Je reprend mon chemin, et finis par atterrir aux grilles de la place. L'endroit est encore calme, et je rentre dans le sanctuaire avant de bifurquer en épingle pour longer le mur qui épouse les formes du lieu. Les murs sont d'excellentes cachettes pour les petits animaux, alors je fait attention de ne pas glisser mes mains contre la mousse et ouvre grand les yeux.
Je fais ce petit exercice sur quelques mètres, puis suis obligée de me séparer de l'enceinte: une embouchure de rivière s'écoule en dessous et coupe ma route en perpendiculaire, pied de nez à ma recherche. Alors pour la contredire, je suis le petit ruisseau bordé de fleurs.

Il ne faut pas longtemps pour que son eau soit brouillée par les pattes hydrofuges d'un être qui me fait immédiatement de l'oeil. Je me met alors à genoux, surexcité devant la bête, pourtant pas bien grosse, que je viens de voir.

"UN GERRIS!"

Mon carnet s'ouvre sur une nouvelle page et je brandis mon crayon, triomphante, avant d'arrêter mon geste.

Sous la précipitation, je n'ai pas remarqué que je n'étais pas seule.
Et la personne en face de moi, témoin de mon enthousiasme débordant, est figé dans une expression que je n'arrive pas à lire.

" Oh."

L'heure matinale m'avait très certainement induite en erreur sur le fait que je serais seule. Si dans mes souvenirs, parcourir les bois était une activité solitaire où on ne croisait rarement des traces d'humanité, et plus rarement encore des humains eux-même, la vie urbaine au sein de la petite cité que je devais apprendre à mener était loin de tout ça, et maintenant, à plat ventre dans l'herbe boueuse, carnet en main et yeux relevés, on pouvait certainement voir que je n'étais pas la plus encline à faire des manières en présence d'un sujet qui m’intéressait, ici cet insecte qui, profitant de la présence inespérée de la jeune femme rousse de l'autre côté de la rive, s'enfuyait d'un pas pressant sur l'onde calme.

Je me redresse un peu sur mes coudes et pose un instant mon carnet de coté sur une surface sèche pour qu'il ne s'abime pas, essayant de me montrer un peu plus présentable, et fait un petit sourire d'excuse:

" Bonjour, excusez moi, je ne vous avait pas vu. Ne faites pas attention à moi, je ne comptais pas vous déranger en pleine cueillette de..."

Je regarde dans les doigts de la demoiselle la petite fiole à moitié remplie, et fronce un peu les sourcils devant la fleur lumineuse inconnue. Si je n'étais pas la spécialiste des choses qui poussent, j'étais à peu près sûre de n'avoir jamais vu une luminescence pareille sur un végétal terrestre, ce qui à le don de me rendre curieuse à son sujet.

" Comment vous appelez ça? Je suis désolée, je suis nouvelle... Et pas encore au point niveau botanique. Mon sujet, ce sont surtout les insectes, comme... Lui."

Je pointe le petit fuyard du doigt, qui se glisse d'ailleurs dans un bosquet de ces inflorescences bleues dont la couleur les font étonnament bien se confondre tant la nuance est proche. Intéressant...

" Si ça ne vous dérange pas, et si vous avez le temps... Vous voudriez bien m'en dire plus sur votre cueillette?"

Je fais un sourire gêné, mais présent. Après tout, maintenant que nous étions là, et mon petit doigt m'indiquant que fleur et insecte faisait certainement la paire, il serait intéressant d'en savoir plus. Je prend le temps de me redresser, faisant attention à ne pas glisser, jusqu'à m'assoir sur un motte un peu plus sèche tout en essuyant grossièrement mes avant bras pour les débarasser de la terre , et tendant la main de l'autre côté de la rigole, j'esquisse un sourire plus chaleureux en entamant des présentations plus convenables.

" Enchantée, je m'appelle Nelly. Vous être botaniste?"

Un instant, je déblatère toutes mes questions à la jeune femme qui me fait face comme pour expliquer ma posture, mes faits et gestes et peut-être même ma présence hors des sentiers quand je me rend compte de la posture défensive de mon interlocutrice. Instantanément, je ferme la bouche, n'ajoutant pas une ligne de plus, regardant d'un air désolé la pauvre bougresse qui avait, avec tout le respect du monde, écouté mon monologue.

Puis, avec une voix timide, la fae répond à mes interrogations, une à une, patiemment. Elle tenta même un sourire, et je le lui rendis, espérant l'encourager de cette façon.

"C'est un très joli prénom."

Peut-être le compliment aiderait la demoiselle à s'ouvrir sans le malaise qui semblait lui coller à la peau? Je finis par m'asseoir en tailleur, écoutant avec attention. Elle était donc herboriste, une botaniste des temps anciens, plus utilisatrice que répertorieuse, mais dans un monde aussi nouveau que celui-ci, ne devait-on pas avoir des connaissances théoriques pour utiliser les plantes? Elle avait dû apprendre à connaître ses ingrédients, et cela passait forcément par de la recherche... Surtout si elle cueillait en pleine nature.

Je regarde plus intensément les boutons amassés dans la fiole, fascinée par les inflorescences, me mordant la langue pour ne pas demander plus à la fae. Pas question de la submerger plus comme un commissaire de police que je n'étais pas, Elle pourrait bien m'en parler plus si elle le souhaitait... Je retiens un instant ce qu'elle vient de me dire, puis me tournant je fourre le nez dans mon carnet une seconde pour griffonner le nom de la plante dans un coin de la page de mon nouvel animal. S'il devait y avoir un lien entre leur couleur commune, il fallait absolument en savoir plus sur la flore autant que sur la faune impactée.

Et à priori, elle n'en savait rien, la demoiselle aux airs de faon. Elle s'occupait seulement des fleurs, et n'avait même pas vu la bête qui s'y cachait, malgré la luminosité de l'insecte. Je hoche la tête, pensive, et fais la remarque:

"Vous devriez regarder dans votre fiole en ce cas: Les deux ont l'air de bien s'entendre, et si vous n'avez pas vu celui-ci au milieu du ruisseau, vous avez peut-être cueilli ses congénères avec vos fleurs..."

Pas que cela soit nécessairement dangereux, quoi que, mais retrouver une bêbête dans sa potion pouvait se révéler fort désagréable pour celui ou celle qui voulait l'utiliser j’imagine... Je fini par me lever à mon tour, époussetant ma robe, et ajoute encore:

"En tout cas, si l'Akaris et le Gerrys ont la même couleur, ce n'est certainement pas pour rien. peut-être est-ce seulement du mimétisme, pour se cacher et se confondre avec la fleur pour éviter les prédateurs, ou peut-être les deux travaillent ensemble... Dans les deux cas, je suis sûre que ça peut vous aider à comprendre vos fleurs... Et moi mes animaux."

Mais pas question d'embêter plus la jeune fille si elle avait du travail ou même si elle avait été dérangée dans son œuvre. J'étais généralement seule pour travailler moi-même, et les introvertis étaient pléthores dans nos métiers, alors.. Peut-être que ma présence était seulement une gêne pour la jolie Kidà?

A priori, mon intrigue avait fait mouche: De l'hypothèse qu'un insecte se soit retrouvé piégé dans le bocal avec son apparente inflorescence bleutée, les yeux verts de la cueilleuse prête une attention redoublée à son butin avant de s'exclamer qu'en effet, la fiole était plus remplie que prévue. Je souris, un peu fière de voir mon hypothèse se confirmer: Gerrys et Akarys étaient bel et bien en harmonie. Restait juste à savoir pourquoi, et cela demandait plus d'observations que cela.

En attendant, la petite histoire malencontreuse de l'insecte semble avoir donné parole à la fae: Après avoir libéré le malheureux individu qui se sauve à toute hâte de ses longues et fines pattes, la jeune femme se décide même à me parler plus de ses fleurs, qui, plus que d'être jolies, on un pouvoir qui me stupéfait.

"Respirer sous l'eau? C'est incroyable!"

Comment cela se produisait-il? Anatomiquement, ou biologiquement, c'était plus qu'un mystère et une découverte incroyable! Je regarde les fleurs sauvages qui bordent la rive avec un intérêt renouvelé, et si je n'avait jamais mis les pieds dans le quartier aquatique, l'idée de le découvrir en respirant sous l'eau donnait de nouvelles découvertes zoologiques d'un nouveau genre.

"Et... c'est un effet qui dure longtemps?"

Pas question de se retrouver au fond et de ne pas pouvoir remonter, il fallait sûrement que les effets soient forts...

"Peut-être que cela permet à notre insecte de respirer sous l'eau aussi?"

Une autre hypothèse qui pourrait expliquer la présence des insectes sur les plantes... Après tout, souvent les larves étaient uniquement aquatiques, et peut-être que l'adulte en profitait pour les cacher au fond des rivières, les protéger ou même se nourrir... Tandis que les gerris terrestres, espèce disparues depuis que les eaux avaient étaient polluées au point de n'être qu'un amas liquide stérile, pondaient sur les abords des cours d'eau... Pouvoir voir des animaux uniques gambader au gré des flots, et pas seulement dans mes livres d'entomologie était vraiment un plaisir, et je glisse mon regard sur l'onde, attendrie de pouvoir ressusciter mon métier, en un sens. Sur Terre, le recensement des bêtes survivantes avait un certain goût de mélancolie par moment, qui ne pouvait exister dans un monde florissant comme celui-ci.