Et sous les airs innocents d'une plante accueillante
Se cachait en fait l'araignée endormie.


Et entre les branches d'un arbre bicentenaire d'où passe les rayons du soleil naissant, il y a... Il y a ... Un papillon?

Un bruit dans le couloir interrompt mon rêve, et il me faut quelques minutes pour reconnaître le petite chambre propre de la Maison du Ciel et du Souffle. De la fenêtre, les premières lueurs d'un nouveau jour pointent à peine, mais le sommeil est déjà trop loin pour être rattrapé. Tant pis, allons explorer!
Mes pieds sortent des draps pour joindre le sol doux, et en m'habillant je prend soin de ne pas froisser mes ailes que je commence à peine à discerner comme les miennes. Il y a tant à savoir, à découvrir, à comprendre encore!

Ma robe mise, je me dirige vers le petit bureau où trône mes seules affaires: Mon carnet, et mon crayon, ceux que Clemens m'a offert. Que fait-il donc à cette heure? Est-il seulement réveillé? Il faudrait que je repasse au temple un de ces jours. Mais pas aujourd'hui: Le jour me donne des envies de ballades en forêt. Mais pour le moment, le coin de verdure le plus proche est toujours la place centrale.
Je pense un moment à l'herboriste croisée la bas, et au gerris nouveau qui illuminait la rivière. Espérons faire de nouvelles découvertes encore aujourd'hui!

Depuis que mon métier m'était revenu en mémoire, mon enthousiasme face à tout ce qu'il y avait à inventorier allait grandissant. Et pire, encore, j'avais l'impression que les initiatives de découverte, dans ce nouveau monde, étaient plutôt appréciées, ce qui m'incitait d'autant plus à fouiner le moindre recoin. Je regarde rapidement mes derniers croquis de l'insecte aquatique avant de passer la porte. Certains bruits venant de la cuisine me parviennent, mais je n'ai pas le cœur à prendre le petit déjeuner à cette heure, surtout accompagnée. Je passe donc doucement jusqu'à l'entrée, et m'enfonce dans la ville à peine réveillée.

Mes pas se dirigent rapidement vers la place, et il me faut à peine quelques coups d’œil sur la carte pour trouver les accès les plus difficiles pour me rappeler le chemin que j'avais déjà fait quelques fois en si peu de temps. Le parc se dresse rapidement devant moi, et ma joie de retrouver la verdure me gonfle d'énergie.
J'ouvre doucement les grilles, pas encore laissées grandes ouvertes pour le public, mais ouvertes quand même, et je pars d'un coté où je ne suis pas encore allée.

Mes pas se dirigent dans un petit sentier ou je regarde attentivement l'herbe, les murets et les troncs d'arbres, et bien vite je m'éloigne des pavés et statues du centre principal pour rejoindre une zone plus boisée. La chaleur ne faisant pas encore son effet, les insectes se font muets, et les chants seulement tenus par des animaux invisibles et le petit vent entre les feuilles. Et puis, un arbre un peu plus gros que les autres attire mon attention.

Il a une belle carrure, des mousses abondantes, des branches basses, et je risque un regard de chaque côté avant de tester la solidité de la première. J'ai certes des ailes, mais pour l'instant elles sont inefficaces. Voir ce qu'il se passe plus haut demande donc un peu de discrétion, d'adresse... Et d'escalade. Laissant le carnet précieux sur le côté des racines, à l'abri des regards, je retrousse ma robe et pose mon pied à plat contre le tronc avant de faire levier pour me soulever d'un bon demi mètre, et me rattrape sur une branche plus haute pour grimper un peu plus. Puis, arrivée à une bonne hauteur, et sûre de mon installation, je m'assieds à califourchon devant une jolie faille mousseuse et commence à en faire l'observation quand une voix me parvient du chemin que j'ai pris.

"... que l'ortie est une couleuvre, l'araignée un gueux ; Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes ..."

La voix se rapproche, et je glisse mes pieds sur la branche pour éviter d'être très visible de la route, et se rapprochant, je remarque qu'en fait... La silhouette s'arrête sous l'arbre. C'est bien ma veine!
Je me fais toute petite, espérant pouvoir me fondre dans la masse feuillue, sans entendre de nouveaux pas...
Et sur ma main, un petit chatouillement se fait sentir. Je dresse les yeux et là, contre mes doigts...

"UNE ARAIGNEE!"

L'exclamation de surprise me fait bouger, et tandis que la petite bête s'enfuit en sautillant, mon poids me fait glisser de la branche, je me rattrape un peu plus bas, pendue par les bras, égratignée aux genoux telle une enfant, et nez à nez avec une femme à longue corne.

Bon, pour la discrétion on repassera: Non seulement je m'étais rétamée pour un animal que j'aurais pu tout à fait observer si je n'avais pas été prise par surprise, mais en plus je m'étais rétamée en public, devant les yeux interrogateurs d'une passante à une heure où le parc est pourtant généralement vide.

A sa question, mes doigts me lâchent et je retombe sur mes pieds même si mes genoux me font un peu mal, et époussette mes doigts endoloris. La jeune femme est un peu plus petite que moi, mais son regard et sa corne son très impressionnants.

"Pas de mal, désolée de... Cette entrée. S'il vous plaît..."

Je grimace et époussette mon genoux gauche qui me fait un peu plus souffrir. Il est sur qu'il est égratigné...

"Si vous êtes de la garde du parc, je vous assure que j'avais de bonnes raisons de monter... Et sinon, je vous en prie... Ne le dites pas aux authorités."

Je fais un regard penaud à mon interlocutrice et tend une mains encore rouge sous la friction.

"Je m'appelle Nelly. Je suis zoologue, j'étudie la faune du parc depuis quelques jours... Mais une araignée m'a surprise et je suis tombée..."

Bon, pas la peine de dire qu'elle aussi m'avais surprise, mes explications devaient être suffisantes, non? Je regarde l'arbre, son écorce et les branches qui m'ont rattrapé, et heureusement aucun dégât n'est à déplorer, seulement de la mousse détachée et un peu de peau pour moi.

"C'est dommage, je l'aurais bien étudiée... Mais elle était si petite, elle m'a grimpé dessus et j'avais l'esprit ailleurs..."

Mieux viser?
Je fronce le nez, essayant de comprendre ce que la dame cornue veut entendre par la. Vu la longueur de la chose sur son front, je n'avais pas intêret à mal tomber. Quand à tomber sur quelqu'un, je doutait franchement que ça ait un intérêt quelconque pour qui que ce soit. Perplexe, un rire bizarre sort d'entre mes lèvres et je lui demande de ne pas me dénoncer. L'arbre n'a rien, moi pas grand chose et elle ne comporte aucun dégât physique. ça devrait être bon, niveau procédure?
Heureusement, mon interlocutrice me rassure vite sur son intention de garder le silence sur l'incident, et je lui retourne un sourire de remerciement.

"C'est très gentil, merci à vous!"

En guise d'excuse, mais aussi de remerciement supplémentaire, je me présente, et son nom peu commun me frappe. Vipérine? Comme les serpent? Quand je m'intéresse à son prénom, elle lève les yeux sur la branche que je viens de quitter, et je rajoute:

"Elle était toute petite, mais comme j'étais concentrée sur autre chose je ne l'ai pas vu arriver. Elle m'a grimpée dessus et..."

Un petit poc se fait entendre quand un morceau de mousse se colle sur la joue de Vipérine, et je la regarde, surprise.

"Je... Vous me permettez? Vous avez de la mousse sur... Vous."

J'avance mes doigts vers son visage jusqu'à ce que le petit point vert... Se meuve en sautillant vers sa tempe. Je recule ma main, retenant un cri de surprise et bredouille d'une voix étranglée:

"En fait... En fait non, euh... Attendez,  ne bougez pas."

Et si la bête était venimeuse? Après tout je ne connais rien de la faune d'ici. Pourrait-elle blesser la demoiselle? La tuer peut-être? Un frisson se forme dans mon dos tandis que l'arachnide atteint les premiers cheveux couleur jazzy. Il faut faire quelque chose, mais quoi? Je n'ai aucun matériel sur moi!
Je me tourne vers l'arbre et cherche un instant au sol avant de trouver une écorce de taille suffisante. Je me retourne et, d'un geste incertain mais déterminé dépose aux abords de l’agresseuse surprise son futur véhicule de sureté.

"Je l'ai presque..."

Finalement un petit bond amène la huit-pattes sur le bout de bois et immédiatement je le détache de la chevelure de Vipérine avant de regarder à l'intérieur. Pas de doute, c'est bien ma surprise d'en haut!

"Je ne sais pas si elle est empoisonnée... Mais voilà la raison de ma chute!"

Je tend prudemment l'écorce pour laisser à la vision le petit animal. En la regardant de loin, elle a tout d'une mousse ordinaire, mais de près de petits yeux noirs font surface; Elle saute, elle doit être de ces prédateurs sans toiles, si elle ressemble à ses cousines d'une autre planète.
Se sentant sûrement observée, l'araignée s'est figée dans une posture mimant la mousse d'où je l'ai délogée, et me prend l'envie furieuse de la dessiner.

"Est-ce que..; ça vous irait si je la dessine et que vous tenez le bout de bois? Je ne vous en voudrais pas si vous me dites non."

Tout le monde n'apprécie pas les insectes, ni plus particulièrement les arachnides. Je ne pourrais lui en vouloir ni si elle refuse, ni si elle l'a fait tomber de surprise... Après tout, j'étais la première à avoir sursauté. Foutue peur primaire.

Si j'avais d'abord prise la femme-licorne comme membre du parc, sa patience à l'égard de ma maladresse, et encore plus lorsque la bête se déplace sur son crâne, est impressionnante. Un flegme incroyable, digne d'une grande zoologue. Pourrait-elle être de mon métier aussi?
En tout les cas, elle semble bien curieuse du petit animal, et son commentaire vis à vis de son potentiel urticant est juste: La mousse vivante n'a pas de poison passif, et c'est déjà pas si mal.

"Le côté urticant est plutôt pour les insectes... Les araignées, à ma connaissances... Sont peu enclines à ce genre de méthode. A part les Theraphosinae. Mais dans un monde neuf, peuplé de choses neuves... ça aurait pu être tout à fait le cas! Je vais le noter."

Une fois n'est pas coutume, et parce que Vipérine semble intéressée, je lui propose d'être le support de l'objet de mes recherches, au moins quelques secondes le temps de l'observer et le croquer. Elle accepte avec facilité, même avec le peu d'informations que j'ai sur ce qu'elle va tenir, et tend la main pour prendre l'écorce chargé de notre sésame miniature. Je me tourne et prend dans l'herbe le crayon et le carnet, et, retournant vers la demoiselle, remarque que l'arachnide, loin d'être trop effrayée et cherchant la fuite à tout pris, s'est plutôt dirigée sur son bras.

"Ah... Je dois vous l'enlever encore?"

A priori le fait d'être en contact permanent avec la huit-pattes ne semble pas embêter outre mesure la demoiselle, et j'ouvre donc mes feuillets et disant avec un ton admiratif:

"Vous semblez très calmes avec elle, peut-être qu'elle est sensible à cela? Vous avez déjà manipulé des insectes ou des araignée? C'est peut-être votre métier d'ailleurs... Serions-nous collègues?"

J'envoie un petit sourire à ma comparse, traçant les traits vaporeux de la mousse sur le dos de la sautillante qui semble pourtant tenir la pose, là sous mes yeux.

"En tout cas, elle semble un très bon sujet d'analyse, elle est très calme! Son caractère ressemble un peu à une araignée paon, une araignée sauteuse très jolie qui a disparue il y a des centaines d'années sur terre. Un beau gâchis, elle avait des couleurs magnifiques et un caractère remarquable..."

Je rajoute les yeux nombreux mais doux de la bestiole avant de rajouter:

"Si les collectionneurs entomologistes existaient dans ce monde, cette araignée serait sûrement un premier animal très convenable pour une collection."

Dommage, le croquis ne peut pas être colorisé, la faute de mes moyens peu conséquents pour l'instant. Je repense à la boutique de papeterie, espérant pouvoir me pourvoir rapidement, et trace une première patte avec précision, tout en réfléchissant à voix haute.

"Vous être très matinale, Vipérine. Je m'attendais à être seule dans ce parc..."

L’intérêt que porte Vipérine pour le petit animal ne fait qu'accroître ma curiosité à son égard, et les questions fusent, nombreuses, sur ses connaissances et sur l'hypothèse qu'elle puisse être une autre zoologue chevronnée. Mais si elle réfute rapidement la chose, elle en valide un: Nous avons le point commun d’aimer les petites bêtes, particulièrement les arachnides pour elle, tandis que je ne fait pas trop de distinction. Les six-pattes et les huit-pattes étaient suffisamment fascinantes pour que je m’intéresse aux deux, sur Terre où tout animal se faisaient si rare comme sur Ozéna où tout était à connaître.

Tandis que mon croquis prend forme, le soleil pointe mieux entre l'ombre des feuilles, et une lueur dans le regard admire la porteuse d'araignée:

"Quelle chance! Ce n'était pas un animal très aimé, et encore moins détenu sur Terre. La capacité de l'homme à tout détruire des autres espèces a largement contribué à l'état des populations sauvages, et leur état naturel étant plus que rarissime, j'imagine que c'était des animaux nés en captivités depuis des générations. Après tout, c'est à peu près tout ce qu'il restait dans les recensements du vivant, des animaux détenus... Enfin, je m'égare. J'ai cherché si longtemps à comptabiliser les individus sauvages...

L'anecdote me donne un sourire amusé, et je continue sur ma lancée en finissant les membres de la dame en mousse avant de reprendre certains détails. Ici, les animaux ne manquaient pas, tout comme la végétation luxuriante, et c'était une véritable bénédiction de faire partie d'un écosystème qui n'était pas ruiné. Tout à ma réflexion, je n'entend presque pas ma propre remarque sur les horaires de la femme qui m'aide, et rougit quand je me rend compte à quelle point je fais le chat curieux. ça ne se fait pas en société...
ça ne semble pourtant pas déranger Vipérine qui répond qu'elle est sur le chemin du lit, tandis que j'en suis sortie. Oiseau de nuit rencontrant oiseau d'aube... Je réprime un bâillement et ajoute:

"Je ne vais pas vous retarder de trop alors! Quel est votre métier? "

J'hausse les épaules quant à ma matinalité, et désigne l'araignée mousse d'un bout de crayon:

"On ne remarque ce genre de merveilles que quand la foule est endormie, et j'aime le calme quand je dessine. Bien que... La compagnie est appréciée!"

Je lance un regard complice vers elle, et fait un compte rendu général du dessin avant de lui montrer:

"Qu'en pensez-vous?"