Qui peut se vanter de connaître les remparts comme sa poche, à part les veilleurs dont le métier est de les arpenter en long en large et en travers ? Zora peut déjà entendre le bruissement du vent et les bribes des conversations de ceux s’aventurant pour la toute première fois tout là-haut. Il ne faut pas avoir le vertige certes, mais une fois au sommet la vue est époustouflante et dissipe toute crainte de chute. C’est simple on ne peut qu’être amoureux de ce point d’observation. Et elle l’aime, à l’instar des petits détails qui rendent sa vie plus supportable.

Une fleur bleue laissée pour compte, puis coupée de sa tige, se niche derrière son oreille gauche, les ventes ont été très bonnes aujourd’hui et son patron l’a congédiée plus tôt pour que son employée puisse profiter de sa soirée. Il sait tout aussi bien qu’elle comment se déroulera cette dernière et son sourire n’a pas quitté ses lèvres depuis. Dans sa poche un mouchoir dont on retrouve en son creux des rondelles de fruits en guise d’en-cas. Manger n’est pas source de plaisir, mais une obligation du fait de sa condition encore proche de celle des humains. La jeune femme allie alors l’utile à l’agréable en ne commençant son repas qu’une fois à destination.

Encore toi, lui murmure-t-on en feignant l’indifférence lorsque l’interpellée lui retourne naïvement sa question. Il comprend vite qu’il risque de se lancer dans une conversation stérile et retourne à ses occupations, tout sauf travailler convenablement. Décidément, combien d’entre eux exécutent assidûment les ordres ? On ne doit donc pas se plaindre si une menace inconnue décide de nous envahir. Que fait leur supérieur !

Par heureux hasard, Zora aperçoit celui qu’elle prend pour responsable de ce laxisme. Il lui a fallu parcourir quelques mètres depuis les escaliers, entendre le son des vagues et se demander jusqu’à quelle hauteur doivent-elles monter avant qu’on ne finisse mouiller. Le bruit de leur danse résonne comme une lointaine mélodie si bien que les voir s'écraser contre la pierre est impossible sans une bonne lanterne.

Le fameux commandant tant respecté et sérieux n’a pas la motivation de prétendre. Allongé, à le confondre pour endormi, il est une cible facile à surprendre. La nymphe compte sur l'agitation sous leurs pieds pour distraire son ouïe de son approche.
Elle croit encore qu’il dort et se positionne tout proche, penchée sur sa tête, avec le bout de ses chaussures écrasant sans douleur ses mèches éparpillées sur le sol. Elle leur fait de l’ombre : à lui vis-à-vis des étoiles qu’il regardait et à elle vis-à-vis de ses yeux grand ouverts. Leur couleur vive se devinerait dans le noir, tel des lucioles guidant les âmes vagabondes dans la forêt. Plutôt pas mal comme métaphore.

Bouh !...Oh. Elle réalise quasi immédiatement son erreur. Me voilà terriblement déçue. Ses mèches tombent en averse sur le front de Koss et ce spectacle l’amuse assez pour la consoler de cet échec cuisant. Que faisais-tu donc ?, elle se relève à cause de tournis. Ce n’est pas comme ça qu’on demande aux étoiles. Il n’a toujours pas appris la leçon, c’est que cet homme lui donne du fil à retordre. Sans attendre une quelconque invitation de sa part, elle s’assoit à ses côtés, les jambes également dans le vide, tapant légèrement les parois limées.T’as faim ? Je suis prête à partager avec toi. Son mouchoir est déplié sur ses genoux, elle prend un morceau en bouche et pose le reste sur ses jambes à lui, nullement inquiète de le déranger. C’est Koss, il lui pardonnerait tout !

Tu feras gaffe, tes veilleurs ne surveillent qu’à moitié, ils doivent certainement prendre exemple sur quelqu’un en particulier…Inutile de se demander si Zora le juge réellement ou pas, il suffit d’écouter son rire qui vient ponctuer son commentaire.

De rien, c’est gratuit !

Koss fait partie de ces personnes qu’elle aime revoir bien que son âme solitaire favorise les moments seule avec la voie lactée. Il est d’un esprit tranquille et elle se demande bien comment il fait pour dompter autant de personnalités fortes. Le peu de fois où elle a dû entrer en interaction avec un de ses subordonnés, son envie d’écourter la conversation s'était toujours faite très pressante. La nette impression de ne pas avoir le droit de ne serait-ce que prendre l’air n’a eu de cesse de l’agacer. Bien qu’il se soit clairement mis à l’écart du groupe pour sa pause, Zora rêve égoïstement qu’un en fonction les surprenne et comprenne qu’il n’est plus nécessaire de voir chacune de ses apparitions comme une menace. Mais le destin est assez bon pour les faire se rencontrer, il ne va non plus pas lui offrir un second cadeau.

Tu penses très positivement de tes veilleurs, qui suis-je pour juger à vrai dire, j’imagine que tu les connais mieux que moi. En se gardant de remettre en cause sa parole à voix haute, peut-être qu’ils travaillent assez efficacement puisque la cité n’est pas encore en ruine. Le chaos a pour l’instant été créé par un des leurs, le souvenir amer de ce jour de novembre se ravive sans prévenir et ses pensées chassent les images de la catastrophe.

Des amis ?...Elle réfléchit, déroutée de sa remarque, ressasse des visages avec des situations. Comment fait-on pour nouer des amitiés ? J'ai déjà oublié tout le processus. A partir de quand devenons-nous ami avec quelqu’un, est-ce que cela exige une question claire et une réponse dans la même veine ou tout se déroule naturellement…Mais alors, qu’est-ce que le naturel, l’évidence, la normalité.Tu sembles sous-entendre que tu n’es pas de bonne compagnie, je tiens à te dire que c’est ma phrase ça, cherche-toi en une autre. Elle sourit de toutes ses dents, la bizarre ici n’a pas les traits d’un humain sur Terre resté un humain sur Ozéna. Peut-être qu’il pourrait lui montrer. Les mots lui manquent cependant, ce n’est pas forcément une demande à faire à la légère.
L’occasion se représentera sûrement !

Très bonne question mon cher. Hmm…très bonne question. Sur le moment Zora ne sait pas quoi lui répondre tant cela lui vient de manière innée. Ne te contente pas de voir les étoiles, regarde-les ! Tu comprends ? Moi quand je viens sur ces remparts pour passer du temps à leurs côtés, je me perds dans leur lumière jusqu’à me rendre compte que deux heures se sont écoulées. On a beau se moquer de moi, de me trouver à part, au moins je sais qu’elles ne pensent pas en mal de mon comportement, car un astre n’a pas de conscience haha. Eeeh ! C’est ça la solution. Prise d’une réalisation, elle s’arrête dans son discours, ne mâche plus et fixe le commandant. Heureux est l’ignorant, il n’a pas besoin de se soucier de quoique ce soit.

Sa main pioche dans le mouchoir, l’appétit arrive en mangeant et elle a envie de tout dévorer à en avoir l'estomac qui gargouille. Je suis toutefois surprise d’une chose, je n’aurai jamais cru que tu étais du genre à te perdre dans la contemplation du ciel. Tu parais tellement pragmatique qu’un détail aussi insignifiant que tout ça, en pointant le dit ciel du doigt, ne devrait pas attirer ton attention. Ses yeux se posent sur sa coupe négligée et ne s’en délogent plus, tout en continuant à parler. S’il y avait une étoile filante, quel serait ton vœu Koss ?

Le vent marin se hisse à leur niveau, elle sent l’odeur salée et cela donne l’illusion que l’océan inonde les alentours, que la cité n’existe plus et qu’ils sont sur le toit du monde. Ce sentiment de hauteur lui donnerait presque le vertige en lui retirant la certitude qu’elle pourra de nouveau retrouver la terre ferme. Quel comble pour une nymphe d’être gênée par autant d’eau, même après un an Zora a encore quelques uns de ses réflexes d'humain. Une de ses mains appuie fort contre la pierre, tâte pour y trouver une faille dans la conjonction entre deux briques. Ils ne vont pas tomber, elle peut expirer.

Trop penser peut provoquer un mal de tête, parles donc Koss je saurai t’écouter comme il se doit. Et pour ne pas clôturer le sujet sur une note négative, elle tient à revenir dessus. Je m’excuse aussi, mon animosité ne doit pas créer d’amalgame, je suis persuadée qu’ils font de leur mieux ! Et avec un commandant aussi attentionnée, la tâche n’a pas l’air compliquée.

Il a soulevé un bon point, sa remarque fait écho au principe des maisons et de la prieuré des Dieux. Bien que chacun soit obligé de respecter les règles et des conditions, rares sont les moments de conflits et finalement on peut dire qu’il en faudra beaucoup pour perturber cette stabilité bâtie il y a des années de cela et entretenue depuis ce jour. Zora s’est tournée vers les dieux pratiquement dès son arrivée, pourtant cela lui aurait beaucoup plu de pouvoir côtoyer les étoiles tout en travaillant. Dommage, à ses yeux il est trop tard pour changer de voie, sa routine en serait troublée.

Personne ne se moque réellement de moi ici. Je me suis mal exprimée. Avant on se moquait, maintenant les gens racontent, mais elle n’écoute plus, alors si on n’entend rien c’est comme s’il n’y avait pas de méchanceté. Elle n’aurait pas dû en parler. Tu me surestimes, je connais que ce qu’on peut tous voir, si j’avais plus de connaissances je ne serai pas fleuriste. Et elle préfère en rire plutôt que de s’en vouloir de ne pas avoir assez de capacités pour se lancer dans des études poussées sur l’astronomie. Ce domaine est fascinant autant que complexe. Puis, si on s’informe de sa passion, on peut finir par subir une terrible désillusion. A l’image des étoiles filantes qui ne sont que des comètes pénétrant l’atmosphère.

On reconnait bien là notre commandant ! Tes discours encourageraient n’importe qui à rejoindre ton groupe, attention je suis déjà assez occupée comme ça ne me tente pas. Elle ne le montre pas explicitement, mais ça l’amuse qu’il l’appelle ma chère. En général, elle a beau affubler les autres de petits surnoms, peu répondent à l’appel et ça devient grisant de ne pas avoir de réciprocité ; à se demander qui a vraiment du mal à communiquer avec les autres. Elle se sert volontiers en fruits, contente qu’il en ait pris quelques-uns. Alors il faut instruire les ignorants bien qu’ils soient récalcitrant ou trop tristes pour apprendre. S’en suit une réflexion sur la question, comment savoir qui l’est et comment s’y prendre. Oh. Peut-être que les veilleurs qui soupirent de ses visites récurrentes ne demandent que ça ! Sa tête se relève vers les lunes, cet éclair de génie lui donne un regain d’énergie incroyable ! On ne la déteste pas, on veut juste en savoir autant qu’elle. Mais quel plaisir !

Tu as tout compris Koss, les étoiles sont les meilleures accompagnatrices de l’univers. Ne dit-on pas qu’il faut lever les yeux au ciel pour se repérer quand on est perdu ? Surtout que contrairement à notre vie d’avant, ici on les voit très bien. Il n’a pas eu besoin de plus amples explications, c’est comme si Zora pouvait lui parler de n’importe quoi et il saurait rebondir dessus. Elle aime pouvoir arrêter de justifier tout ce qui sort de sa bouche, laisser le champ libre à sa pensée de s’exprimer, ressentir véritablement ce lâcher prise.

Oh le tricheur, il a choisi le vœu le plus facile. Tu ne te mouilles pas toi. Elle continue de manger tout en feignant l’indignation. Je crois être la personne la plus facilement heureuse, en plus, elle se coupe car la peau du fruit s’est collée à son palais. Après quelques déglutitions, la parole lui revient, en plus te voilà à discuter de ce que j’adore, je ne pourrais définitivement pas passer un mauvais moment. Koss se couche comme si de rien était, la nymphe le regarde faire et se demande si là est son souhait le plus profond. Alors elle se couche sur le ventre, écrase le mouchoir et tape l’air avec ses pieds, Tu dis pour l’instant, mais après ? Hm ? Quand l’étoile filante passe, c’est pour nous permettre de souhaiter quelque chose de grand, de permanent, un but inatteignable sauf s’il y a un miracle. Ok cela peut lui paraître très gros. A elle aussi en vérité. Moi je fais le voeu, et elle ferme fort ses yeux, que tu ne rases jamais ta barbe et que tu ne coupes ja-mais tes cheveux ! Promis ??? En les rouvrant, optimiste.

Koss associe avec tellement de facilité le passage du portail à un grand mot tel que celui de miracle. Zora n’arrive pas à le contredire, avant tout parce que personne n’aurait imaginé la possibilité pour l’homme de créer une entité aussi éloignée de ce qu’on pensait être normal et faisable sur Terre. Il est désormais sûr que volontairement ou pas, les arrivées sur Ozéna partent du besoin de quitter quelque chose et de ne surtout pas revenir sur ses pas. Quand certains arrivent à se souvenir de leur vie passée, d’autres n’en ont aucun souvenir ou seulement des bribes qui ne sont pas assez suffisantes pour constituer un récit tangible. Cela lui ferait peur de ne plus savoir qui elle était avant de devenir ce qu’elle doit être maintenant. Se retrouver face au noir quand on ferme les yeux, ne plus comprendre pourquoi on agit de cette manière; ignorer jusqu’à notre véritable nom…même se rappeler de sa famille la soulage.

Magnifique, tu as encore de belles années devant toi. A moins de t'arracher les cheveux à cause de la stupidité de tes veilleurs, ils resteront donc bien en place. Voilà que mon vœu s’exauce déjà, j'ai trop de chances.

Que peut-elle demander de plus aux étoiles, à y regarder de plus près elle ne manque de rien d’important. Si on remonte le temps, il se peut qu’elle souhaiterait que son pouvoir disparaît, sauf que ce n’est plus utile car il ne fonctionne vraiment pas. La nymphe pense qu’elle manque de détermination et que son absence d’effort à ce sujet continuera à renforcer son inaction, comprenez alors qu’elle ne s’exerce pas du tout.

Un creux ? Pourtant jusqu’à là elles le lui ont toujours bien rendu. Est-ce que Koss voudrait qu’elles se montrent plus…interactives ? Aaah il faut croire que ce nouvel univers a aussi ses limites. J’aime en déduire qu’elles ne répondent pas pour encourager les Hommes à se parler. L’ignorant, l’insociable, le solitaire devront tôt ou tard entrer en contact avec la population et surpasser leur peur. Comme Zora. Des fois l’exercice n’en reste pas moins compliqué surtout quand la discussion exige de la spontanéité et qu’on n’en voit pas sa fin. Cependant, ce soir elle n’a pas de crainte à avoir, c’est un de ces soirs où l’esprit n’a pas à se fatiguer pour trouver quoi dire, on la complimente d’ailleurs sur son métier, son visage s’illumine. Koss tu es beaucoup trop gentil, c’est impossible qu’une seule personne ose confier qu’elle te déteste, je ne la croirai pas.

Elle pousse sur ses mains pour se relever à son tour, galère à ne pas piéger sa chevelure dans le processus, puis dépoussière sa robe et sa veste. Malheureusement, tu places trop d’ambitions en moi. Les fleurs, les étoiles, les lunes, la promenade ; ne sont-ce pas des passions suffisamment prenantes ? Le mouchoir est emporté par une brise, son pied marche d’un coup sur lui pour le plaquer et l’empêcher de s’envoler au loin. Au lieu de tout de suite se pencher pour le ramasser, Zora se perd dans sa couleur blanche. Il n’y a peut-être rien d’incroyable dans ce qu’elle aime, c’est bizarre de le réaliser quand on a sous-entendu tout le contraire. Cela change pourtant de ceux qui aiment boire, chercher les ennuis et s’enferment dans l’entraînement pour une guerre dont on ignore le commencement. Je ne vois pas comment enseigner correctement des choses qui me paraissent évidentes, j’ai réussi avec les étoiles, mais ça n’a pas répondu à toutes tes questions. Enfin bon, tu es toi ! Je ne pourrais rêver meilleur élève. Le bout de tissu est mis en boule, rangé dans une poche et totalement oublié.

Quels sujets t’intéressent ? On est tout seuls, personne ne va nous déranger, on a toute la nuit ! La mer paraît s'endormir et donne l’impression de tendre l’oreille pour écouter. Zora l’accepte en tant que second élève, à condition de ne pas la couper avec ses vagues.
Je parie que tu rends curieux énormément de gens, tu es bavard, mais tu te dévoiles pas beaucoup. Tu veux connaître ce que j’aime en plus de tout ce que tu as cité ? J’aime qu’on me dise tout ! Ses ambitions, son dernier rêve, sa vision des autres, ce qu’il mange le matin, s’il voudrait voyager sur les lunes, s’il préfère le froid plutôt que la chaleur et s’il a hâte qu’il se mette à neiger.

Sa langue a fourché, le contact à l’arrière de la tête lui prend conscience qu’elle a loupé une occasion de se taire. Bien qu’il n’y ait aucune méchanceté dans son geste, que la sympathie de Koss continue à exister en témoignent ses prochains mots, Zora est prise de honte. Elle remercie fermement le froid glacial et l’environnement pittoresque qui les distraient assez pour ne pas se focaliser sur ce couac. Un acquiescement, aveu timide, eux qui parlaient du cas des ignorants, elle se sent pareil en cet instant. Je tâcherai de devenir douce. Les veilleurs seront laissés tranquilles, tellement tranquilles qu’ils ne remarqueront plus sa présence et croiront que leur visiteuse intempestive crèche ailleurs.

Ses paumes se plaquent contre ses oreilles, appuient dessus à en faire mal. Elle sent qu’elles sont gelées avant de remarquer que ses doigts sont eux-même rouges vifs. Les escapades nocturnes ont leurs désavantages. Ses poches internes renferment peu d’objets utiles, les gants portés disparus quelque part dans son appartement, ne se battent en duel que des emballages de bonbons datant de plusieurs jours. Ses bras quittent les manches de sa cape pour entourer sa taille, la chaleur qui en ressort lui fait du bien.

Quand il donne son avis sur la gentillesse et lui attribue le statut de sage professeure, Zora essaye de décomposer chacune de ses phrases pour être à cent pour cent certaine d’avoir tout compris. Son cerveau a tendance à perdre le fil, d’autant plus avec ces rudes températures, mais cette discussion lui est chère de ce fait elle en vient même à se rapprocher pour capter chaque syllabe.

Koss ne dis pas n’importe quoi, le plus sage ici c’est toi haha, regarde comme j’ai osé critiquer des gens que je connaissais pas…je peux t’apprendre à tout hasard le langage des fleurs, ça peut te servir si tu as un message à faire passer ! Ses lèvres tremblent, elle tente d’oublier les frissons qui lui piquent le corps tout entier. Je pense qu’une personne gentille avec tout le monde est tout bonnement hypocrite ou beaucoup trop naïve pour son propre bien. Attendez, il lui arrive d’être naïve…oh ce qu’elle espère avoir des gens qui la détestent alors !

Pas de frère et soeur ? Je te comprends, en quelque sorte. A vrai dire, Kai n’a jamais énormément joué avec elle, il sortait, était occupé et se réfugiait dans la musique, leur cinq ans de différence a été surtout vu comme un obstacle à une entente parfaite, ce n’est pourtant pas grand chose.
Les années passent si vite, dans six courtes années, elle aura vécu autant de temps avec lui que sans lui.

Ah hélas je n’ai aucune aptitude cérébrale à saisir la moindre règle de jeu, je crains d'être la pire partenaire que tu puisses avoir ! Il n’est pas commandant et elle n’est pas simple fleuriste pour rien. Néanmoins, la nymphe serait intéressée de l’écouter établir des stratégies qui n’ont aucun sens à ses yeux, l’observer en réunion débattre sur un sujet comme Feyre. De mémoire, il assiste aussi au conseil…Je peux toujours te regarder jouer par contre, je serai muette comme une carpe pour ne pas te perturber dans ta stratégie.

Peut-être que si elle s’efforçait à briller dans sa communauté, on la choisira en tant que second bras droit. Est-ce qu’écrire en guise de lettre de motivation qu’on la trouve sage servirait ? Elle médite déjà sur cette possibilité.

Enlever ton armure, à l’intérieur ? Oh ! Avec plaisir, je veux me réchauffer en buvant du thé !

Quelle idée de génie que de leur proposer de poursuivre à l’abri de l’hiver. Le ciel se couvre, les étoiles se cachent et la neige ne tardera pas à venir se déposer sur tout Azamyr, elle a hâte d’assister à ce spectacle. Je pourrais aussi tenter de trouver ce qui ne te rend pas aussi gentil, je parie que ce ne sera pas facile.

L’obscurité l’effraye encore moins à ses côtés, ses pas se fixent dans les siens en attendant qu’ils s’arrêtent devant la porte donnant lieu sur son bureau. Elle remarque automatiquement la pile de dossier, et donc de travail, cela lui rappelle l’école et ses yeux se détournent de cette montagne de problèmes.

Ne te dérange pas pour moi, je sais m’installer toute seule, déclare-t-elle en accrochant sa veste, frottant ses pieds sur le tapis d’entrée et frottant ses mains pour les réveiller.

La cheminée pourrait vite les réchauffer, Je vais l’allumer, je gère ! Si Vane était là, il validerait en personne son talent. Mettant ainsi sa soif de côté, Zora s’accroupit devant les flammes à s’en brûler les prunelles, subjuguée par leur couleur en total contraste avec les flocons de dehors.
Un détail la chiffonne. J'ai dit que j'allais devenir douce, je sais juste pas comment faire...dès qu'il revient je vais lui demander conseil, il a l'air de savoir de quoi il parle ! Et après ça je serai et réfléchie et aimable, impossible qu'on me refuse le poste. Ensuite...je reviendrai pour qu'il m'explique toute cette histoire d'échecs, le plan parfait !

Le contraste de températures ne l’interpelle qu’une fois qu’elle voit Koss revenir vêtu chaudement. Elle ne sait pas quelle mouche l’a piquée pour avoir retiré sa veste comme si c’était un soir d’été. Le feu a beau briller de ses plus belles couleurs, il ne réchauffe pas encore assez son corps et il suffit de reculer de quelques pas pour se faire envelopper par la fraîcheur de la pièce. Zora se retrouve face à sa stupidité, heureusement qu’elles sont de fidèles amies. Ses paumes tournées vers les flammes en profitent jusqu’au dernier moment avant de le rejoindre en invité modèle qu’elle essaye d’être.

Ne t’en fais pas, je ne bois pas. D’ailleurs, figures toi que j’étais à l’auberge hurlante il n’y a pas une semaine de cela et j’ai goûté leur alcool et bien c’est dégueulasse. Je parie qu’il faut déjà être assez bourré pour apprécier leurs boissons. Elle ne s’est toujours pas remise de sa profonde déception, et dire qu’elle leur a accordé une seconde chance tout ça pour finir avec un sale mal de tête à lui percer les tempes. La mine dépitée de la nymphe se soustrait à un soupir, enfin un soulagement en se rassurant de ne pas subir une énième désillusion en la compagnie du commandant.

Les fauteuils ont l’air aussi confortables qu’ils habillent à merveille la pièce, enfin c’est ce qu’elle tente d’en déduire avec le peu de goût qu’elle possède pour la décoration d’intérieur. Devant le choix des deux à disposition, son esprit bafouille et cela lui prend une bonne dizaine de secondes avant de s’asseoir.

Ah. Il remarque l’épaisseur de sa robe qu’elle plisse par réflexe, frottant discrètement ses bras. Je veux bien une couverture pour mes jambes parce qu’on s’est assis assez longtemps dehors, merci beaucoup ! Sans sa proposition, elle aurait tout simplement prétendu le contraire jusqu’à ce que les vingt minutes se soient écoulées. Le vert te va à ravir. Ses tons froids de sa peau blanche à sa tenue noire font tâche et la feraient se confondre avec les zones d’ombres du bureau, elle s’avance pour revenir dans la lumière et fait une fixette sur la fourrure, ça doit peser une tonne.

Je suis d'accord. Ca m’arrange en fait, j’ai tendance à répondre à côté de la plaque quand on m’en demande trop, comme toute question a une réponse j’arrive à plus ou moins m’en sortir. Elle croit ? Zora ne sait plus si on parvient à saisir là où elle embarque son interlocuteur, elle-même se perd dans ses emportements, ce n’est pas faute de réfléchir avant.

Je possède les deux ! Son dos se redresse, fière de son indépendance. J’ai mon appartement près de la boutique - de fleurs, on entend - et quand je dois rejoindre l’eau je dors dans une chambre. Tu devrais y passer un jour, enfin pas forcément plonger dans l’eau, dans mon appart sur terre je veux dire haha. J’ai…qu’est-ce qu’elle a à lui servir ? Des bonbons et des gâteaux, parfois. Sa voix devient peu audible à mesure que lui vient la réalisation qu’elle n’a pas grand chose dans ses tiroirs. Je ferai les courses. Changeant vite de sujet, elle poursuit E-et toi Koss, tu vis donc à l’étage ? Ça doit être chouette de ne pas avoir à se fatiguer pour aller travailler. Elle se permet d’observer davantage les alentours, la chaleur de la bouilloire l’attire, mais la jeune femme se retient de venir coller ses mains dessus ; ne surtout pas écouter la petite voix.

Au risque d’oublier, je vais vite te demander ce qui me tracasse. Son interrogation d’un peu plus tôt a besoin d’éclaircissement. Deviens douce, c’est ce que t’as dit avant. Comment je dois faire ? Hm ? En acceptant de jouer aux échecs ? Ça s'annonce impossible. Partir défaitiste est chose rare, sauf que la nymphe sait que ce jeu sera son point faible.

La couverture posée sur ses épaules la fait presque disparaître, sa petitesse est d’autant plus exposée et elle profite de sa chaleur enveloppante avant de tirer dessus, la déposer sur ses cuisses et les sentir revivre sous son épaisseur. Ses doigts se glissent dans la fourrure recouvrant sa chaise, elle ne voudrait quitter cette place pour rien au monde. Quand il faudra se relever et repartir chez elle en traversant le froid sec de cette nuit d’hiver, le regret d’être sortie en premier lieu sera immense. Zora se retient de se projeter dans cette dure épreuve, pour le moment elle se trouve au paradis et il n’y a aucune ombre au tableau.

Koss met son déplaisir de la boisson sur le dos de son manque d’expérience, à dire vrai il ne serait peut-être pas bon pour elle d’y prendre un quelconque plaisir à se saouler. C’est connu que les personnalités les plus anormales sont bonnes à devenir incontrôlables une fois en contact avec de l’alcool. Ce serait terrible de la voir sortir de sa coquille, agir encore plus éhontément et- inutile d’évoquer les autres possibilités, elle ne veut pas se les imaginer. Elle est assez adulte et responsable pour dire non et s’en tenir.

Tu m’en diras des nouvelles Koss, on prétend que l’alcool renvoie l’illusion de chaleur, tu devrais t’en servir pour maintenir tes troupes motivées en cette rude saison. Elle choisit de son côté de subir le froid quand obligée de quitter les eaux douces et salées, puis de se servir un thé bien chaud voire brûlant en sortant d’un bain plutôt tiède. C’est presque un miracle qu’elle ne tombe que rarement malade avec ces multiples changements d’environnement..

Son silence sur la question de la douceur révèle la difficulté du problème, finalement on emploie des grands mots sans réussir à en définir les attentes. Zora ne veut qu’apprendre à se comporter un peu plus comme les autres. Lui reviennent alors les paroles attendrissantes de Kaël, des mots d’une amitié sans égal, elle s’était sentie aimée pour ce qu’elle est et il lui avait renvoyé une image de sa personne qu’elle n’aurait jamais crue possible aussi bien dans sa première existence que dans sa seconde.

Pourquoi n’arrive-t-elle pas à tenir le même discours avec Koss ? Elle a cette soudaine envie de vouloir grandir, changer, devenir meilleure ou tout simplement de suivre ses conseils pour qu’il en soit satisfait. Quelle sorcellerie ! Elle n’a encore rien bu, impossible qu’elle soit sous drogue. Son cerveau doit lui jouer des tours par ennui.

Tu me trouves doux, toi ?
Pardon ?

Quel est le but de cette question ? Zora affiche une totale incompréhension avant de le regarder avec sérieux se lever, chercher la bouilloire et venir la déposer sur la table. Tu m’as donné une couverture, tu me prépares du thé et tu as parlé des étoiles avec moi..., ne le présentant pas forcément en tant que réponse officielle, elle continue de réfléchir en démêlant avec précision plusieurs mèches de cheveux.

Tu parles de gentillesse ? La douceur découle de la gentillesse, je pense. Avant qu’il ne passe de lui-même à autre chose, elle tient à rajouter ceci, Attends je crois comprendre. Hm…on peut être brutal avec certaines personnes ou dans certaines situations et après ne plus l’être ! Reste à savoir comment passer d’un état à un autre, l’art de s’adapter n’est pas un de ses talents innés. Elle laisse ça aux autres et préfère compter sur sa spontanéité.

C’est compliqué dans le sens où personne ne veut trop m’approcher de peur d’être agressé et manipuler, elle en rigole ouvertement, heureusement je le vis bien qu’on ne veuille pas venir à moi, c’est une forme de paix à laquelle je ne pouvais rêver sur Terre. Son discours décourageant et haineux sur son pouvoir devient tellement redondant qu’elle ne se fatigue plus à se lamenter sur son sort, c’est plus marrant d’en pointer les conséquences et se vanter d’être vue telle une paria. De toute façon, les Dieux ont exaucé son vœu, on peut arrêter de l’éviter car il n’y aura aucun effet à la suite d'un baiser de sa part, mais ça personne ne le sait à part ce rigolo de Zohar. Sinon je respire sous l’eau, c’est ultra chouette. Et toi donc Koss, tu es heureux d’être passé d’humain à surhumain ? On peut imaginer que l’adaptation n’a pas dû être très difficile au moins.

De l’index, elle pointe une herbe qui semble sentir plus fort que ses consœurs, les odeurs marquantes ne la dérangent pas, elle s’en accommode à force de marcher dans les bois, près de l’océan et de travailler parmi les fleurs des heures d'affilée.

Tu fais fausse route, je suis la pire conseillère d’Azamyr, tu es vraiment en train de demander à une femme ennuyeuse comment ne plus l’être. Jamais Zora ne s’est jugée très intéressante, originale et aimante à sa manière oui. Pendant que le thé infuse, elle tente de respecter son souhait et se met à réfléchir. Cependant, sa réflexion s’arrête bien vite. Restons comme nous sommes ! Elle cesse de tortiller ses cheveux, pose les deux coudes sur cette table, son menton dans une de ses paumes. Tu sais que si on est soi-même au moins on a pas à s’inquiéter de si on nous aime véritablement ou pas ? Je sais qu’on ne peut pas être aimé par tout le monde sinon c’est suspect, raison de plus pour ne pas s’embêter à changer sa nature. Laissons les gens nous apprécier s’ils le veulent, qu’ils nous détestent si on les dérange ! Bon débarras. Personnellement je ne te trouve pas ennuyeux, comment peux-tu l’être alors que tu es chef des veilleurs, que tu sièges au conseil, que t’as une armure super imposante et que tu t’appelles Koss ! Elle se marre avec son discours, espérant qu’il voit où elle veut en venir.

Haut les cœurs, on a passé l’âge de s’inquiéter de l’image qu’on renvoie, n’est-ce pas ? Et ses yeux de biche surveillent de près la préparation. Encore longtemps ou pas ? La soif lui pique la gorge et tous ses sens s’impatientent.

Qu’a-t-on donné aux gens qu’elle se décide à croiser pour qu’on la couvre ainsi de compliments ? Des doux mots qu’elle ne se serait jamais dits même tout bas, avant de dormir ou devant son miroir. Des mots qui la font croiser les mains sous la table, à trifouiller la fourrure du fauteuil et à tripoter le plaid sur ses jambes. Ses pieds s’agitent par terre, cognent contre l’un des pieds de la table, son regard soutient tant bien que mal celui de Koss, mais l’exercice ne s’avère pas si facile à force que les secondes passent. Elle comprend maintenant comment certains peuvent se retrouver à rougir des oreilles, Kaël n’est désormais plus tout seul à subir cela.

Comment exprimer sa gratitude lorsqu’un merci ne paraît pas assez ? En attendant de trouver un meilleur moyen de réagir plutôt que de devenir rouge telle une écrevisse, Zora repense sa définition de la gentillesse. Si elle ne sonne pas erronée au départ, il lui apporte une nuance et une nouvelle manière de voir cet aspect qui ne raisonne pas chez tout le monde. Son raisonnement paraît désormais simpliste à souhait. Décidément, cette soirée le lui en aura appris beaucoup sur sa propre personne !

Le parfum brut des herbes flottant dans l’eau chaude s’élève, son nez se penche dessus, les respire et a déjà hâte de pouvoir le boire. L’odeur du thé de Koss lui parvient également aux narines, l’acidité du citron est inévitable, elle ne sent que lui maintenant. Ce n’est pas désagréable, sans devenir sa nouvelle senteur préférée du moment. Elle trouve ce choix marrant et en inadéquation avec l’image qu’il renvoie. Le jugement qu’on a sur les autres peut tellement être à côté de ce qu’ils sont vraiment, Zora se promet de ne plus s’aventurer sur ce chemin, rien que pour conserver cette beauté qu’il a vue en elle.

Une sacrée loterie, tu l’as dit. Le destin et les dieux ont une drôle de façon de façonner les personnes. Doit-on y voir un message dans le fait qu’on lui a imposé de vivre entre deux mondes et ce baiser maudit, et par ailleurs, le veilleur n’a pas eu le droit à une transformation radicale pour des raisons en particuliers ou par (mal)chance ? Nul ne le saura vraiment, un mystère de plus avec ce qui se joue au-delà des murs.

Encore aujourd’hui l’opaline s’étonne de ce que cet univers nous donne. Elle ne sait pas si c’est une peur profonde qui la pousse à ne pas vouloir savoir tout ce qu’il y a tout là-bas ou juste que sa routine dicte ses quotidiens avec excès. Au moins on a une belle vue depuis les remparts.

Elle tique quand il parle de son nom. Ah, il lui donne raison, mais sa volonté ne s’est pas faite clairement entendre.

Tu vivras encore Koss, les humains sur Ozéna ont apparemment une espérance de vie plus grande que sur Terre ! Et ses centaines d’années d’existence semblent énormes, elle tait cette information reçue avec totale surprise et effroi à son arrivée, elle pensait à un mensonge avant que certains lui montrent les archives et les recherches. Le chiffre reste approximatif, il est cependant question d’une longue période de temps. Je ne juge pas, je ne veux pas juger un ami.
Le terme qui lui trottait en tête, enfin lâché, la force à détourner les yeux. Ce n’est sûrement rien pour lui, cependant depuis son amitié officialisée avec le malakim, Zora s’est jurée de reconnaître sa valeur et ses capacités à nouer des liens. Montrer son envie de vieillir auprès d’autrui la remplie de joie, plus qu’à espérer que ce soit réciproque.

Tu ne lâches pas l’affaire toi. Koss a le don de ne jamais oublié là où il veut en venir. Ses mains portent la tasse à ses lèvres, elle souffle fort sur la surface avant de plonger sa bouche dedans et de retenir un sursaut au contact de la chaleur. C’est chaud et pourtant elle reprend une gorgée.

Je me suis jamais posée la question, je devrais enseigner tu penses ? A qui…de quoi ? Je n’ai que des connaissances vagues sur un peu tout, même ici je dois réapprendre le métier que j’exerçais pourtant quand j’étais encore humaine ! Par contre…oui j’aime bien quand on est heureux d’avoir appris quelque chose grâce à moi. Elle se gratte la tempe, le nez, le front, tout lui gratte à cause de la gêne ! Le sourire déborde en rire, si bas au point de ne pas être sûr qu’elle ait bien rigolé.

Tu disais ne pas avoir décidé de ton statut de commandant, qu’est-ce que tu as décidé ici ? Il y a une chose que tu veux sans qu’on ait à te l’imposer ? A part ce thé partagé de ta volonté et ta volonté seule. Un trait d’humour pour alléger l’ambiance, s’alléger aussi intérieurement.

La nymphe déglutit un peu, se frotte les mains, les observe et les lui tend pour qu’il les prenne. Avant que tu ne me répondes, j’aimerais te remercier de ta douceur, je veux dire, avant, quand tu m’as complimenté. Il ne faut pas perdre le fil Zora. On se serre les mains ? Ses paumes ouvertes, patientant.

Koss a une vision du futur qui tombe sous le sens, elle n’a jamais pensé à ce genre d’enseignement en se focalisant principalement sur l’idée d’apprendre aux autres adultes. Elle avait d’ailleurs proposé plus tôt dans le mois à un des protégés d’Elizabeth de lui montrer comment confectionner des bouquets de fleurs. Son idée lui apparaît sous un nouveau jour et elle pense pouvoir y réfléchir sérieusement. En vérité, je suis une employée d’un autre humain qui a ouvert une boutique, mais je crois que je n’ai pas encore réalisé qu’il me considère plutôt comme son associée. Je ne saurai pas trop l’expliquer, c’est sûrement moi qui pense ne pas avoir les capacités pour assurer ce rôle alors que de nous deux je suis la plus expérimentée dans le domaine.

Son thé est délicieux, d’autant plus maintenant qu’il lui a donné une autre perspective d’avenir. Plutôt que de s’écarter de ce qu’il fait son essence pour se lier aux autres, pourquoi ne pas leur ouvrir son monde ? Comme lorsqu’elle a proposé à Kaël de venir passer du temps dans l’eau avec elle une fois que l’été arrive. Et comme Koss qui l’invite dans sa tour, dans son bureau après qu’ils aient passé du temps sur les remparts. Partager ce que nous sommes, ce que nous aimons est la meilleure façon de donner sans s’oublier.

Tu as raison, ta réflexion est vraiment intelligente. Si nous comptons vivre ici le temps qu’il nous ait accordé, autant se préparer à vivre correctement. On ne peut pas empêcher les gens de faire des enfants…à nous de mettre en place le nécessaire pour les accueillir. Même si la question de la famille n’est pas un sujet de prédilection, sur Terre on s’attend à ce qu’une femme de trente ans ait l’envie d’en avoir, or sur Ozéna on s’occupe surtout de sa propre survie et de la découverte des territoires inconnus.

Par ailleurs, si elle venait à prendre des apprentis, cela signifie que son métier n’est pas entièrement inutile, non ? Et ça, ça lui fait chaud au cœur de savoir qu’il ne faut pas obligatoirement être dans la guilde d’exploration ou médecin pour servir la communauté.

La chaleur de ses mains autour des siennes agit plus efficacement que le feu, sa fraîcheur est d’autant plus évidente quand elle compare leur écart de température corporelle. Comment se fait-il qu’il n’ait pas aussi froid qu’elle ?
Et elles paraissent tellement petites enfouies dans ses paumes, son sourire amusé s’étire en écoutant ce qu’il à lui dire. J’ai besoin de remercier mes amis, je veux pas me montrer ingrate. Ça lui permet surtout de prononcer son mot favori ; ami. Décidément, en deux semaines, elle s’en serait fait trois ! C’est beaucoup trop pour son coeur,  mais pour rien au monde elle ne céderait sa place.

Quand elles s’ouvrent, Zora comprend que l’instant se termine. Enfin, elle le comprend notamment trop en retard ou de travers. Il se termine pour lui, alors elle se retrouve à lui agripper les mains à son tour et à passer les doigts sur sa peau ferme. Les gants l’ont protégé du temps où il a dû les mettre à contribution, néanmoins quelque chose les a abimés, c’est comme si elle était marquée par des événements particuliers. Ses lignes de vie sont creusées dans la chair, elle en suit le tracé du pouce, le visage très concentré.

Oh non, elle s’est perdue dans sa contemplation, qu’est-ce qu’il disait ?! Oui, oui, je vois ce que tu veux dire. Être obligé et avoir envie sont deux concepts différents, elle croit avoir entendu ça. Finalement, le contact est rompu par son mouvement de recul.

Zora ne peut lui en vouloir en entendant son rire réveiller toute la pièce, elle rigole en retour, n’a pas le choix, il est communicatif. Tu te gênes pas, il faut cultiver sa réflexion monsieur le chef, sinon on devient tout ramolli et on ne sait plus penser par nous-même. Puis tu as commencé je te rappelle, je ne fais que nourrir notre conversation comme je l’ai appris au fil du temps ! Aucun reproche fait, tout est dit sur un ton très amical.

Elle reprend sa tasse, la sensation n’est plus pareille, ça la chagrine un peu. C’est mal d’être avide.

Et donc. Elle boit pour effacer cette impression de gorge complètement sèche qui l’irrite. Tu comptes rester simplement commandant, vivant dans cette tour, seul ? A part les veilleurs et les amis…fonder une famille ne t’intéresserait pas ? En devenant enseignante, je dois m’assurer que j’aurai des élèves ! Sa plaisanterie tente d’alléger le sérieux de la question. Que faire si on nous oblige à agrandir la population, ce serait bien si ça venait de nous d’abord.

La famille, les enfants, l’idée même de devenir mère n’a jamais traversé ses pensées. Cette possibilité de ne plus vivre par soi-même, d’avoir un rôle aussi important, de rencontrer quelqu’un, de se lier et de s’engager à ce point ressemble à une vie que tous sauraient appréhender, sauf elle. Comment fait-on d’abord pour se décider, pour savoir que la personne avec qui on en ferait est la bonne ? Même cette simple question lui paraît être une épreuve. En fait, si Zora devait devenir mère, ce serait sûrement par accident et elle finirait par élever l’enfant à l’aide de ses propres moyens ; ce schéma apparaît comme une évidence plutôt que le développement d’une relation amoureuse et l’envie commune d’avoir une descendance. Ce monde est trop loin pour une femme comme elle et si elle devait s’en approcher, cela prendrait des efforts qu’elle a du mal à envisager. Elle se sent trop dysfonctionnelle pour être faite pour ça, pour intéresser de cette façon.

On ne peut empêcher les gens de faire des enfants, qui sommes nous pour leur interdire. Reste à savoir s’ils en sont capables et je ne pense pas que tout le monde l’est. Elle se prend en exemple, ses mains resserrent leur emprise sur la tasse, le goût du thé a changé, il est devenu amer, étrangement. Tant pis, elle a abordé le sujet, autant assumer qu’importe les conséquences et le mal-être que cela peut provoquer.

Le sourire de Koss est bien interprété, elle a compris qu’il n’attendait pas une véritable réponse, ce qui est assez incroyable de sa part. En lui renvoyant un regard amusé, elle se retrouve interrompue avant même d’avoir commencé une quelconque phrase, parce qu’il a beau lui dire qu’il plaisante, elle a besoin de partager son avis pour qu’il lui dise si elle fait fausse route, si elle en serait incapable comme on en confluerait.

Tu as beaucoup de fois répété des choses négatives sur ta vie passée, tu étais vraiment quelqu’un de mauvais ? Zora accepterait toutes ses vérités, on la croirait imperméable à toute horreur qu’on lui rapporterait, sûrement au vu de son rapport avec la vie et la mort. Mourir dans l’instant ne l’a jamais fait peur, rien n'est éternel et surtout pas les Hommes. Malgré sa nonchalance, elle n’a jamais été mise en danger, on a pensé des choses à son sujet, on s’est sûrement retenu de lui infliger un mal, toujours est il que la nymphe est encore là, à parler, à rigoler, à se projeter, à apprendre sur l’amitié et à craindre que son indifférence vis-à-vis de tout ça ne s’ébranle à cause de ses relations. Ces dernières l’encouragent à cesser de prendre à la légère l’idée de disparaître, cela pose problème, ça la change aussi, d’avoir des raisons de continuer.

Ça n’est pas stupide, je suis de ton avis. Moi non plus je ne sais pas comment me détacher de ce que j’ai décidé il y a des années de cela maintenant. C’est devenu une partie intégrante de ce que je suis, de ce que je compte être à l’avenir. Difficile de changer ce qui est réconfortant pour nous. Puis, les autres qui veulent des enfants n'ont qu’à en faire plein à notre place ! Que cela soit sur Terre ou sur Ozéna, aucun des deux mondes n’a le pouvoir d’altérer ses aspirations personnelles. Certes, sur leur ancienne planète avoir des enfants relevait de l'égoïsme, de l’inconscience, qui voudrait élever des êtres humains dans le chaos ? Mais à Azamyr aussi, il fait peut-être bon vivre sur le papier, le futur n’en est pas moins incertain. Soyons déjà sûrs de survivre aux lendemains.

En l’entendant parler de son entourage, Zora acquiesce et ne peut que lui donner raison. Quand il mentionne ses mains, les complimente spontanément, ses yeux se posent alors sur elles, les examine sous un nouvel angle. Elles sont douces, mais écorchées par des coupures d’épines, ses doigts ne sont pas longs et fins et sa peau ne réchauffe pas énormément. Mais il est vrai que son précédent geste était tendre et sincère. Ses joues rosies accusent la température de sa boisson, le col de sa robe la gêne, elle l’écarte de l’index et s’imagine coller son front contre la vitre pour s’en soulager.

Son estomac choisit pile le moment parfait pour gargouiller, il a parlé de manger…J’ai très faim, j’avoue tout. Sa tasse se vide la seconde d’après, Koss part chercher de quoi les nourrir.

Le silence s’installe à nouveau. Un son oublié depuis qu’ils discutent, ses oreilles se demandent comment s’y accoutumer. En l’absence de son ami, elle fouille très vite dans ses poches afin d’en sortir un élastique, ce dernier se moque de sa précipitation en lui filant entre les doigts à plusieurs reprises.

Quand il revient, la jeune femme n’est plus assise, elle est allée se servir de l’eau et a remarqué de petits flocons contre les carreaux. Il neige et cela l'hypnotise.

Je la regarde, en pointant vers l'extérieur. Tu as vu ? Respirer aussi proche de la vitre créer des petits cercles, se retournant sur lui et le feu qui rejaillit. Je veux bien boire, ça ne me dérange pas si c’est avec toi et je parie que tu as mieux à me proposer que l’auberge hurlante. Qu'as-tu dans ta réserve dis moi. L'odeur du repas l'attire, elle regagne la table non sans un regard sur ce qu'il lui montre.