S’il était bien une chose que Soren refusait généralement d’admettre c’était bien la possibilité d’avoir une fierté mal placée voire le besoin maladif de se prouver quelque chose, de se rassurer. La course était une idée folle qui aurait probablement fait tomber Tommy d’une chaise parfaitement stable et lui aurait arraché l’un de ces regards aux grands yeux écarquillés dont il avait le secret. Cette compétition était inutile, stupidement dangereuse s’il devait tomber de selle lui qui n’avait jamais foutu le cul sur la moindre monture, et ne lui apportait pas grand chose sinon la possibilité de se ridiculiser devant tout le monde.
Et pourtant.
Pourtant il s’était déplacé, équipé de son pantalon de cuir, de ses bottes hautes et d’une chemise et d’un veston parfaitement ajusté de sorte à empêcher le vent de s’engouffrer dans ses vêtements et de le déséquilibrer. Calithéa Agenor se tenait sur l’estrade, prête à délivrer son discours devant la foule et les participants rassemblés devant elle dont Soren faisait partie.

Le dos droit, les mains jointes dans le dos et équipé de ses dagues car incapable de se déplacer sans au moins une arme à portée de main, Soren la suivait du regard. Non loin de là, des arches étaient déplacées dans les airs, mises en place et le meilleur itinéraire se dessinait… selon lui. Pour peu que sa monture se montre coopérative et lui permette d’effectuer la course sans se rebeller contre ses directives… ce qu’il prévoyait pourtant. La chimère appréciait guère qu’on lui dise quoi faire - l’une des raisons l’ayant poussée à occuper un poste décisionnel - et n’imaginait pas occuper la place d’une de ces bestioles. Obéir à la moindre requête, aller là où on lui demande sans chercher à en savoir davantage… l’esprit même de Soren se rebellait à l’idée alors même qu’il s’apprêtait à imposer sa volonté à l’une de ces créatures.
Son nom appelé, Soren inclina brièvement le buste, un geste de respect mais également afin d’être identifié parmi la foule présentée alors même qu’il jetait un regard en coin à Asphodèle et Adel, amusé par leur présence et curieux du déroulé de la course.

Les deux explorateurs ne déméritaient pas et les autres concurrents semblaient également compétents… certains même à l’aise avec les créatures présentées ce qui n’augurait rien de bon. Retenant une moue, la chimère hocha la tête à l’attention d’Adel et d’Asphodèle avant de se diriger vers l’enclos contenant les strinix, prêt à choisir sa propre monture. Il sélectionna l’une des bêtes purement selon l’impression qu’il en tirait tout en jugeant l’apparente silhouette. Plus élancée, plus musclée, plus à même de s’en tirer… dans une situation de combat plutôt que dans le cadre d’une course. Grommelant contre lui-même, Soren s’approcha prudemment et mis un instant avant d’établir le contact visuel avec la créature, se postant à proximité avant d’étendre une main vers le bec acéré. Il caressa du bout des doigts les petites plumes douces situées juste au commencement du bec, remontant doucement jusqu’à placer les doigts à l’angle de la mâchoire du strinix.

« Prêt à faire équipe ? » souffla-t-il tout bas, croisant le regard perçant du volatile.

La bête baissa la tête, ses yeux se mettant à hauteur des siens, lui rendant son regard… avant de lui donner un coup de tête sec et de détourner la tête, son long cou exposant la naissance de sa selle.
Soren leva le nez, considérant la hauteur de la créature, la selle… et les puissantes ailes ornées de doigts griffues… c’était une créature volante. Les arches se situaient dans les airs… et il s’apprêtait à participer à une course. Volante. Son estomac se serra tandis qu’il approchait de la selle, se hissant sur le cuir robuste et tentant de trouver son assiette malgré sa totale incompétence en la matière.

Il s’estimerait heureux s’il s’en tirait vivant… peut-être. Il n’y avait probablement pas grand chose à craindre mais… La chimère leva les yeux vers les arches. Elles étaient quand même foutrement hautes…

Suivant les autres participants dans les airs, Soren se laissa d’abord guider, le strinix semblant savoir ce qu’on attendait de lui pendant que la chimère essayait de s’installer de son mieux et de trouver un équilibre et un confort tout relatif… jusqu’au coup de sifflet. Sans attendre la moindre directive de sa part, la créature s’élança à la poursuite des autres, probablement plus déterminée que Soren à gagner la course qu’à garder son cavalier vivant. Ses ailes puissantes frappant l’air, son corps se tordant pour gagner un angle plus avantageux tandis que le vent éclatait au visage de la sentinelle, ses cheveux s’éparpillant, lui fouettant le front et les oreilles tandis que son estomac restait quelque part plus haut, abandonné sur la ligne de départ.

La sensation d’une créature vivante sous lui, la puissance des muscles et l’épaisseur des plumes sous la selle, contre ses bottes hautes, était déconcertante. Il fallut un moment à Soren pour interpréter les mouvements de la bête, les inclinaisons de ses ailes… et il lui en faudrait certainement de nombreux autres pour s’accoutumer et réussir à suivre de sorte à ne pas gêner le strinix.

Il n’avait que cette course. La chimère n’avait que peu de temps pour faire la différence.

Fronçant les sourcils, il se détendit, souple sur la selle de sorte à suivre les mouvements de sa monture, elle savait ce qu’elle faisait, certainement mieux que lui et avait saisit le but de la course. Non loin de lui, l’intriguant à la crinière de feu qu’il avait déjà croisé lors de la chasse au trésor organisée par sa propre maison s’élançait pour la première arche là où Adel l’avait déjà franchie avec une aisance que la chimère lui enviait presque.
S’abaissant sur la selle, Soren s’inclina légèrement sur le côté, faisant peser, juste un peu, son poids plus sur le côté jusqu’à ce que le strinix, comprenant le message, se positionne en dominant, forçant la monture du rouquin à céder du terrain… Les hurlements ne tardèrent pas à commencer et Soren ne put retenir un rictus satisfait tandis que sa monture s’engouffrait dans l’arche.

Comme pour la récompenser, la chimère glissa ses doigts sous le plumage épais de la bête et gratta discrètement la jonction entre la nuque et l’épaule. Le strinix inclina légèrement la tête, ses yeux perçants se rivant sur lui avant de revenir sur la trajectoire. Aucune indication que le geste avait été apprécié mais au moins avait été reconnu.
Il y avait une selle entre lui et le strinix - une bonne chose s’il ne voulait pas finir en impression abstraite sur le sol, loin en contrebas - mais il comptait bien user de tous les moyens pour communiquer avec sa monture. Et ignorer essentiellement les rennes qu’il n’appréciait guère, à moins de n’en user que pour indiquer si nécessaire.