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Premier jour d'école
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
- 20 octobre 118 -
Elide lissa les pans de sa veste en peau de Moozer d’un geste nerveux et observa d’un œil incertain les derniers rayons de soleil embraser le ciel de ce qui, sur Terre, aurait été l’automne. En jurant, elle accéléra le pas – on lui avait donné rendez-vous au crépuscule, et même elle savait qu’il valait mieux éviter d’arriver en retard pour son premier jour. D’autant plus qu’elle était loin de débuter avec une ardoise vierge.Tout en tournant à un coin de rue, la jeune femme repensa à l’entrevue qu’elle avait eu cinq jours auparavant. Dire que les choses avaient mal débutées serait un euphémisme – avancer qu’elles s’étaient bien conclues, une supposition un peu rapide. Si elle devait être entièrement honnête, Elide n’aurait pas parié sur ses chances de succès. C’est la raison pour laquelle elle avait été d’autant plus étonnée de découvrir, quarante-huit heure plus tôt, que sa candidature chez les veilleurs avait finalement été acceptée. L’image du Malakim aux ailes de cuir dansa un instant dans son esprit. Celui-ci avait bel et bien tenu sa promesse de neutralité, refusant de laisser l’incident de leur rencontre – et l’humiliation qui l’avait suivie – influencer sa décision. Ce n'était pas peur dire qu'une telle droiture d’esprit la surprenait.
Ce n’était pas lui, cependant, qui lui avait annoncé la nouvelle. Lorsqu’elle s’était pointée cet après-midi-là, il n’avait pas encore pris son poste. C’était un autre Malakim, un homme aux yeux d’un violet incroyable, qui l’avait informée de la décision avec un étrange sourire en coin. Un peu plus, et la jeune femme aurait parié qu’il avait l’air… amusé ? Après avoir fouillé un instant dans un vieux registre poussiéreux, ce dernier lui avait communiqué l’heure et la date de sa première journée. Ou soirée, serait-il plus juste de dire, puisqu’elle débutait apparemment dans l’escouade de nuit.
Un coup de vent la fit frissonner malgré l’épaisseur de son manteau. De toutes les nuits qui s’étaient succédé ces derniers jours, il fallait forcément qu’elle prenne ses fonctions par la plus froide. « Et ça n’allait pas s’arranger » pesta-t-elle intérieurement tout en imitant la voix haute perchée de sa voisine de chambre à la Maison du Ciel et du Souffle. La sylphe était bien gentille, mais sacrément soulante, à vous tenir la jambe pour tout et rien. Surtout si c’était pour partager une évidence comme le fait qu’on se pelait les miches. Sans blague.
Elide pressa encore le pas, sentant sur sa hanche le poids rassurant du fourreau dans lequel elle avait glissé le couteau de chasse qu’elle avait subtilisé à l’armurerie de sa maison. « Emprunté » serait plus exact, vu qu’elle comptait l’y remettre dès qu’elle aurait assez d’argent pour se payer sa propre lame. Mais, d’ici là, elle avait besoin de quelque chose pour se défendre – si ses années terriennes à évoluer dans les cercles criminels lui avaient bien appris quelque chose, c’est qu’il fallait toujours sortir armée.
Après une petite frayeur qui lui fit craindre de s'être encore une fois égarée, la jeune femme déboucha finalement sur une cour familière. Un nouveau coup d'œil au ciel lui apprit qu'elle devait être un tout petit peu en avance. Parfait, pensa-t-elle, satisfaite. Ses pieds ralentirent toutefois au fur et à mesure qu'elle approchait, son anxiété à la perspective d'arriver en retard peu à peu remplacée par une nervosité d'un tout autre genre. Travailler de façon officielle, c'était tout nouveau, pour elle. Elle n'avait jamais enchaîné que les petits boulots, et s'était rapidement mise à son compte dans un tout autre type d'activité dont il valait mieux qu'elle évite de se vanter – pas sûr que les veilleurs voient d'un bon œil le fait d'accueillir une criminelle dans leurs rangs.
La jeune femme regarda nerveusement autour d’elle à la recherche d’une paire d’ailes familière, pas certaine pour autant de ce qu’elle devait faire si elle venait à apercevoir la silhouette athlétique du chef d’escouade. Merde, elle aurait dû demander davantage de précisions. Elle serra les poings, autant d’agacement que pour se donner le courage d’affronter les regards curieux qu’elle sentait glisser sur elle. Effectivement, difficile de passer inaperçu avec la scène qu’elle avait faite quelques jours plus tôt.
** Respire. Ça va aller. **
Précautionneusement, comme pour éviter de rentrer malencontreusement dans quelqu’un, elle tourna sur elle-même, balayant d’un regard un peu confus les alentours. Une pointe de panique fit accélérer son cœur. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire, et les chuchotements qui lui parvenaient aux oreilles lui donnaient la désagréable sensation d’être au cœur d’un vaudeville dont elle serait sans le savoir devenu le personnage principal. Cinq minutes, décida-t-elle résolument. Encore cinq minutes, et elle irait aux renseignements plutôt que de rester plantée là comme une idiote, le rouge aux joues.
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Ce n’était que l’automne, pourtant les températures chutaient assez dès le soir venu, comme pour annoncer un rude hiver à venir. Non pas que cela lui déplaise. Sur Terre, Kaël n’avait jamais connu le froid. La douceur du mois de janvier de son Espagne natale était, selon les dires des plus érudits de la communauté, digne des mois de mai d’un autre temps. Cela n’avait jamais rien signifié pour lui qui ne connaissait rien de cet ancien monde, maltraité, bafoué par des générations et des générations qui avaient poussé la sienne à ne vivre que la nuit, ou plutôt survire. Ici, le froid est mordant, au milieu de l’hiver, il peut provoquer des engelures, il est douloureux lorsque le veilleur ne se couvre pas assez… Pourtant, il ne peut pas dire qu’il le déteste. Il est inédit, même après plus d’une dizaine d’années à vivre à Ozéna, Kaël ne se lasse pas de le retrouver chaque nuit, lors de ses gardes.
Il nouait les boutons de son manteau, ajustait sa paire de gants, toujours vêtu de noir de pieds en cap, alors qu’il entendait les gloussements de l’un de ses frères d’ailes. Celui à la paire de mirettes violette. Il ne cessait de lui répéter que ce soir était un grand soir, celui de l’arrivée d’une recrue au bagou certain. Comme si le chef d’escouade pouvait oublier cette rencontre. Comme s’il pouvait ignorer son admission parmi les recrues. C’était lui qui avait fait un rapport factuel et dénué de tout jugement à Koss. C’était lui qui avait évoqué une honnêteté et une vulnérabilité qui trouveraient sa place parmi les frères et sœurs veilleurs, si bien sûr le commandant acceptait cette candidature. Le dossier était passé, sans doute parce que les capacités et les réponses d’Elide avaient fait bonne impression. Peut-être parce que les veilleurs peuvent difficilement faire les fines bouches et acceptent quiconque est droit dans ses bottes et volontaire. Un peu parce que Kaël avait été lui-même convainquant et a exprimé son impression pour conclure son discours auprès du commandant : donner une chance à Elide lui semblait parfaitement cohérent.
Bien évidemment, les deux gros beaufs lourds avec qui il cohabite en colocation, lui avaient pris la tête avec des blagues graveleuses, des remarques déplacées, un humour plus que douteux pour justifier selon eux que Kaël n’ait pas simplement rejeté la candidature de l’élémentaire. Lorsqu’il en eut trop marre et que le besoin de silence se fit ressentir, il avait froidement conclue qu’ils ne sont que deux cons, animés par leurs attributs et que c’était sans doute pour ça qu’il était chef d’escouade et eux des « simples » veilleurs hiérarchiquement sous ses ordres. Cela ne les faisait jamais taire, mais au moins, ils changeaient de sujet pour lui en mettre plein la tronche à lui, Kaël, et lui seul. C’était plus simple de trouver le sommeil dans ces cas-là, car ses pensées ne se trouvaient pas troublées par le visage d’Elide, qu’il avait pris pour une fille de joie, comme un idiot.
Il quitta leur résidence en premier, comme toujours. Ses deux frères d’ailes partiront juste à l’heure. Lui ne peut pas s’empêcher de prendre quelques minutes de son temps libre pour faire un tour, observer l’horizon, l’état des remparts, écouter les dires de la précédente équipe des veilleurs, s’inquiéter du moral des troupes. Il en faisait trop, comme toujours, c’était sa signature.
Après un bref vol et rien à signaler qui sorte de l’ordinaire, il consultait un registre, histoire de vérifier une bricole, qu’ils sont bien à jour sur certaines tâches à accomplir, quand il entendit l’un de ses acolytes dans son dos, celui avec les cheveux suffisamment long pour en faire un genre de chignon.
- Ta protégée poireaute par là-bas. Je n'ai pas eu besoin de passer trop près pour entendre son cœur tambouriner.
En se retenant de rouler des yeux vers le ciel (depuis le temps qu’il le fait à chaque intervention de ses frères, le rouage grince), il fit mine de l’ignorer en finissant de chercher une information dans les vieux papiers qui traînaient. Juste le temps de montrer que les paroles de l’autre malakim lui en touchait une, sans faire bouger l’autre. Lorsqu’il le regarda, avec un soupir, il lui rappela l’évidence.
- Et donc toi, en bon collègue, tu la laisses comme un radis dans un champ, sans lui adresser la parole ? Il ajusta l’un de ses gants, pour se donner une contenance, avant de le contourner. La protégée, c’est ta future collègue. Comme pour les autres recrues, le bon sens veut que tu t’en préoccupes, avant qu’elle ne fuit, découragée.
C’était comme pisser dans un violon, il le savait. Juste pour le principe, son ami avait fait exprès de forcer cette mise en scène. D’une part, il se préoccuperait bien assez vite de la nouvelle recrue, parce que les veilleurs ont tous plus ou moins cette tendance à la bienveillance et l’entraide. D’une autre part, il savait que Kaël réagirait, pile comme ça. Son petit sourire insolent en était la preuve. Le chef d’escouade poussa un second soupir avant de dévaler les escaliers.
Et oui, Elide était bien là, comme une plante verte attendant qu’on vienne lui donner une utilité. Tout cela, sous les yeux des autres, évidemment. Là, Kaël roula des yeux vers le ciel, au diable le vieux rouage.
- Bonsoir Elide. Respire, ils font ça à toutes les nouvelles recrues, peu importe qu’elles aient, ou non, fait forte impression à leur arrivée. Une seconde de silence, histoire que le message passe bien. C’est un genre de bizutage, mais ils n’iront pas plus loin, sinon ils passeront la soirée dans les chiottes à récurer ou seront de corvée de patates en haut des remparts, sans brasero pour leur tenir chaud.
Il haussa la voix, sans même jeter un regard vers les autres membres de son escouade qui, jusqu’ici, admiraient la petite nouvelle sans lever ne serait-ce que le petit doigt. Trois secondes plus tard, il entendit le malakim aux prunelles violettes s’exclamer que « ses mains ne sont pas faites pour racler la merde des autres » tout en s’en allant. Le chef d’escouade haussa les épaules avec nonchalance.
Il nouait les boutons de son manteau, ajustait sa paire de gants, toujours vêtu de noir de pieds en cap, alors qu’il entendait les gloussements de l’un de ses frères d’ailes. Celui à la paire de mirettes violette. Il ne cessait de lui répéter que ce soir était un grand soir, celui de l’arrivée d’une recrue au bagou certain. Comme si le chef d’escouade pouvait oublier cette rencontre. Comme s’il pouvait ignorer son admission parmi les recrues. C’était lui qui avait fait un rapport factuel et dénué de tout jugement à Koss. C’était lui qui avait évoqué une honnêteté et une vulnérabilité qui trouveraient sa place parmi les frères et sœurs veilleurs, si bien sûr le commandant acceptait cette candidature. Le dossier était passé, sans doute parce que les capacités et les réponses d’Elide avaient fait bonne impression. Peut-être parce que les veilleurs peuvent difficilement faire les fines bouches et acceptent quiconque est droit dans ses bottes et volontaire. Un peu parce que Kaël avait été lui-même convainquant et a exprimé son impression pour conclure son discours auprès du commandant : donner une chance à Elide lui semblait parfaitement cohérent.
Bien évidemment, les deux gros beaufs lourds avec qui il cohabite en colocation, lui avaient pris la tête avec des blagues graveleuses, des remarques déplacées, un humour plus que douteux pour justifier selon eux que Kaël n’ait pas simplement rejeté la candidature de l’élémentaire. Lorsqu’il en eut trop marre et que le besoin de silence se fit ressentir, il avait froidement conclue qu’ils ne sont que deux cons, animés par leurs attributs et que c’était sans doute pour ça qu’il était chef d’escouade et eux des « simples » veilleurs hiérarchiquement sous ses ordres. Cela ne les faisait jamais taire, mais au moins, ils changeaient de sujet pour lui en mettre plein la tronche à lui, Kaël, et lui seul. C’était plus simple de trouver le sommeil dans ces cas-là, car ses pensées ne se trouvaient pas troublées par le visage d’Elide, qu’il avait pris pour une fille de joie, comme un idiot.
Il quitta leur résidence en premier, comme toujours. Ses deux frères d’ailes partiront juste à l’heure. Lui ne peut pas s’empêcher de prendre quelques minutes de son temps libre pour faire un tour, observer l’horizon, l’état des remparts, écouter les dires de la précédente équipe des veilleurs, s’inquiéter du moral des troupes. Il en faisait trop, comme toujours, c’était sa signature.
Après un bref vol et rien à signaler qui sorte de l’ordinaire, il consultait un registre, histoire de vérifier une bricole, qu’ils sont bien à jour sur certaines tâches à accomplir, quand il entendit l’un de ses acolytes dans son dos, celui avec les cheveux suffisamment long pour en faire un genre de chignon.
- Ta protégée poireaute par là-bas. Je n'ai pas eu besoin de passer trop près pour entendre son cœur tambouriner.
En se retenant de rouler des yeux vers le ciel (depuis le temps qu’il le fait à chaque intervention de ses frères, le rouage grince), il fit mine de l’ignorer en finissant de chercher une information dans les vieux papiers qui traînaient. Juste le temps de montrer que les paroles de l’autre malakim lui en touchait une, sans faire bouger l’autre. Lorsqu’il le regarda, avec un soupir, il lui rappela l’évidence.
C’était comme pisser dans un violon, il le savait. Juste pour le principe, son ami avait fait exprès de forcer cette mise en scène. D’une part, il se préoccuperait bien assez vite de la nouvelle recrue, parce que les veilleurs ont tous plus ou moins cette tendance à la bienveillance et l’entraide. D’une autre part, il savait que Kaël réagirait, pile comme ça. Son petit sourire insolent en était la preuve. Le chef d’escouade poussa un second soupir avant de dévaler les escaliers.
Et oui, Elide était bien là, comme une plante verte attendant qu’on vienne lui donner une utilité. Tout cela, sous les yeux des autres, évidemment. Là, Kaël roula des yeux vers le ciel, au diable le vieux rouage.
Il haussa la voix, sans même jeter un regard vers les autres membres de son escouade qui, jusqu’ici, admiraient la petite nouvelle sans lever ne serait-ce que le petit doigt. Trois secondes plus tard, il entendit le malakim aux prunelles violettes s’exclamer que « ses mains ne sont pas faites pour racler la merde des autres » tout en s’en allant. Le chef d’escouade haussa les épaules avec nonchalance.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Les veilleurs de l’escouade de nuit arrivaient les uns après les autres. Piquet solitaire dans cette cour qu’abandonnaient doucement les derniers rayons du soleil, Elide attendait. Comme une plante verte, peut-être ; comme une idiote, sûrement. Les murmures des visiteurs nocturnes l’entouraient, certains plus intelligibles que d’autres. Au loin, le Malakim aperçu quelques jours plus tôt se hâtait vers l’une de ces tours qui décorait les épais remparts. La jeune femme se raidit, le souvenir de son majeur dressé et du rire qu’il l’avait accueilli la percutant avec une dérangeante acuité. Ne regarde pas par là. Ne regarde pas par-là. supplia-t-elle intérieurement.
Sans doute les dieux d’Ozéna étaient-ils plus cléments que le vieux barbu qui prétendait siéger sur Terre, car le veilleur aux cheveux noisette disparut dans la bouche affamée d’un escalier sans un regard en arrière. Mais de regards, Elide n’en manquait pas. Elle pouvait les sentir la détailler, la jauger, la juger. Elle pouvait deviner les expressions qui les accompagnaient – surprises, amusées, perplexes. Elle remua, mal à l’aise, les yeux fixés droit devant elle, la posture rigide, les mains dans les poches. Putain, qu’elle détestait être au centre de l’attention.
Alors que la jeune femme tâchait de fuir mentalement loin de toute cette mise en scène qui la mettait profondément mal à l’aise, une voix familière s’éleva de derrière elle, lui faisant faire volte-face. Un regard ambré. Des cheveux noirs en bataille, qui donnaient envie d’y passer la main. Des épaules larges et rassurantes qui ne dissimulaient en rien les ailes de cuir soigneusement rassemblées dans un dos qu’elle ne pouvait que deviner. Son cœur manqua un battement. C’était lui. Le soulagement l’envahit.
« Kaël », le salua-t-elle dans un souffle, les joues rosies, alors qu’il se dirigeait vers elle à grandes enjambées, admirable incarnation du chef militaire sur son terrain de campagne. Le fantôme d’un sourire vint flotter sur ses lèvres tandis qu’il avançait. « Bonsoir. » Sa voix était presque rauque. Elle lâcha la respiration qu’elle avait retenue sans en avoir vraiment conscience, inspirant goulûment par le nez, l’esprit temporairement étourdi par l’afflux d’oxygène.
La différence avec leur première rencontre était aussi contrastée que les ombres qui glissaient délicatement sur le sol, accompagnatrices silencieuses du crépuscule qui tranquillement cédait la place à la nuit. Détendu, sûr de lui, avec cette douce autorité des gens qui n’ont pas besoin de se questionner d’être obéis, Kaël, lui semblait-il, envahissait tout l’espace comme ces anges de l’Ancien Testament auquel il ressemblait. Oui, le contraste était saisissant.
L’autre Malakim réapparut derrière lui, s’extirpant à son tour de la pénombre de la tour. Après une brève pause, à l’occasion de laquelle il sembla prendre la mesure des événements, il allait nonchalamment s’appuyer à quelques mètres d’eux, se plaçant légèrement en retrait du reste de ses collègues. Elide lui jeta un bref coup d’œil, les sourcils légèrement froncés. Elle ne le sentait pas, celui-là. Son instinct lui soufflait qu’il s’agissait du genre d’individus à vous entraîner dans les emmerdes les plus inextricables pour le simple plaisir de vous voir essayer de les esquiver. Elle reporta son attention sur le chef d’escouade, résolue à ignorer le nouveau venu.
« Ce n’est rien… » s’entendit-elle murmurer, singeant sans le savoir l’attitude de ces enfants intimidés qui défendent leurs harceleurs juste pour caresser l’espoir de faire un jour partie des leurs. Alors qu’elle aurait en réalité voulu dire à tous ces voyeurs d’aller se faire foutre. Elle eut cependant du mal à ne pas rire en entendant bougonner le troisième Malakim – celui aux yeux d’améthyste – et se mordit la joue pour cacher un sourire naissant. Kaël, lui, semblait s’en foutre, haussant les épaules avec une nonchalance qui en disait plus long sur la relation qu’il entretenait avec ses hommes que n’importe quels mots.
« Tu as raison, chef d’escouade. Toutes nos excuses à la nouvelle. » C’était le Malakim au catogan qui avait parlé. Elide lui jeta un regard en coin et sentit son estomac se serrer. Oh, elle n’aimait pas le petit sourire qu’il affichait. L’homme se redressa. « Je déteste me geler les couilles, surtout pour quelque chose d’aussi peu intéressant qu’une corvée de patates. » ajouta-t-il à titre d’explication en lui adressant un clin d’œil qui lui fit monter le rouge aux joues. Les yeux du salopard pétillaient de malice et elle aurait pu jurer qu'il prenait un grand plaisir à tout ce bordel. Quelques rires vinrent ponctuer cette déclaration. Le Malakim se tourna vers Kaël – la jeune femme aurait mis sa main au feu que les deux se connaissaient.
« Tu veux la tester maintenant, ou tu préfères d’abord lui faire faire le tour du propriétaire ? Auquel cas il faudra quelqu’un à la muraille Sud. »
Tester ? Qu’entendait-il par « tester » ?
Sans doute les dieux d’Ozéna étaient-ils plus cléments que le vieux barbu qui prétendait siéger sur Terre, car le veilleur aux cheveux noisette disparut dans la bouche affamée d’un escalier sans un regard en arrière. Mais de regards, Elide n’en manquait pas. Elle pouvait les sentir la détailler, la jauger, la juger. Elle pouvait deviner les expressions qui les accompagnaient – surprises, amusées, perplexes. Elle remua, mal à l’aise, les yeux fixés droit devant elle, la posture rigide, les mains dans les poches. Putain, qu’elle détestait être au centre de l’attention.
Alors que la jeune femme tâchait de fuir mentalement loin de toute cette mise en scène qui la mettait profondément mal à l’aise, une voix familière s’éleva de derrière elle, lui faisant faire volte-face. Un regard ambré. Des cheveux noirs en bataille, qui donnaient envie d’y passer la main. Des épaules larges et rassurantes qui ne dissimulaient en rien les ailes de cuir soigneusement rassemblées dans un dos qu’elle ne pouvait que deviner. Son cœur manqua un battement. C’était lui. Le soulagement l’envahit.
« Kaël », le salua-t-elle dans un souffle, les joues rosies, alors qu’il se dirigeait vers elle à grandes enjambées, admirable incarnation du chef militaire sur son terrain de campagne. Le fantôme d’un sourire vint flotter sur ses lèvres tandis qu’il avançait. « Bonsoir. » Sa voix était presque rauque. Elle lâcha la respiration qu’elle avait retenue sans en avoir vraiment conscience, inspirant goulûment par le nez, l’esprit temporairement étourdi par l’afflux d’oxygène.
La différence avec leur première rencontre était aussi contrastée que les ombres qui glissaient délicatement sur le sol, accompagnatrices silencieuses du crépuscule qui tranquillement cédait la place à la nuit. Détendu, sûr de lui, avec cette douce autorité des gens qui n’ont pas besoin de se questionner d’être obéis, Kaël, lui semblait-il, envahissait tout l’espace comme ces anges de l’Ancien Testament auquel il ressemblait. Oui, le contraste était saisissant.
L’autre Malakim réapparut derrière lui, s’extirpant à son tour de la pénombre de la tour. Après une brève pause, à l’occasion de laquelle il sembla prendre la mesure des événements, il allait nonchalamment s’appuyer à quelques mètres d’eux, se plaçant légèrement en retrait du reste de ses collègues. Elide lui jeta un bref coup d’œil, les sourcils légèrement froncés. Elle ne le sentait pas, celui-là. Son instinct lui soufflait qu’il s’agissait du genre d’individus à vous entraîner dans les emmerdes les plus inextricables pour le simple plaisir de vous voir essayer de les esquiver. Elle reporta son attention sur le chef d’escouade, résolue à ignorer le nouveau venu.
« Ce n’est rien… » s’entendit-elle murmurer, singeant sans le savoir l’attitude de ces enfants intimidés qui défendent leurs harceleurs juste pour caresser l’espoir de faire un jour partie des leurs. Alors qu’elle aurait en réalité voulu dire à tous ces voyeurs d’aller se faire foutre. Elle eut cependant du mal à ne pas rire en entendant bougonner le troisième Malakim – celui aux yeux d’améthyste – et se mordit la joue pour cacher un sourire naissant. Kaël, lui, semblait s’en foutre, haussant les épaules avec une nonchalance qui en disait plus long sur la relation qu’il entretenait avec ses hommes que n’importe quels mots.
« Tu as raison, chef d’escouade. Toutes nos excuses à la nouvelle. » C’était le Malakim au catogan qui avait parlé. Elide lui jeta un regard en coin et sentit son estomac se serrer. Oh, elle n’aimait pas le petit sourire qu’il affichait. L’homme se redressa. « Je déteste me geler les couilles, surtout pour quelque chose d’aussi peu intéressant qu’une corvée de patates. » ajouta-t-il à titre d’explication en lui adressant un clin d’œil qui lui fit monter le rouge aux joues. Les yeux du salopard pétillaient de malice et elle aurait pu jurer qu'il prenait un grand plaisir à tout ce bordel. Quelques rires vinrent ponctuer cette déclaration. Le Malakim se tourna vers Kaël – la jeune femme aurait mis sa main au feu que les deux se connaissaient.
« Tu veux la tester maintenant, ou tu préfères d’abord lui faire faire le tour du propriétaire ? Auquel cas il faudra quelqu’un à la muraille Sud. »
Tester ? Qu’entendait-il par « tester » ?
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Pas besoin d’être particulièrement devin pour remarquer combien la présence de Kaël soulageait la nouvelle recrue. Elle s’était peut-être imaginée abandonnée à son sort, jusqu’au moment où elle prendrait une initiative, comme un genre de bizutage. Ou alors, elle attendait que l’un des veilleurs les plus narquois s’approche avec pour prétexte qu’il la prendrait en charge pour sa première garde. Peu importe, son soulagement était palpable. Cela n’avait sans doute rien à voir avec le fait que ce soit le chef d’escouade qui soit venu à sa rencontre. Il n’a pas vraiment ce genre d’effet sur les autres, si ? Non, il ne le pense pas, il sait qu’il n’inspire pas confiance au premier abord, quand bien même il n’a aucun désir sadique, c’est bien ça le pire. C’est simplement qu’Elide doit se sentir entre de bonnes mains, plutôt qu’avec un autre type ailé qui pense avec un autre organe que son cerveau.
Il lui laissa le temps de retrouver un peu de calme. Leur promiscuité, bien que très respectable, permettait au malakim d’entendre le cœur de la nouvelle recrue battre la chamade. Le stress, nul doute, mais bon sang que c’était bruyant. Pas assez pour que Kaël n’entende pas l’un de ses acolytes prendre place dans l’ombre, prêt à observer et à se délecter du moindre échange qui donnera lieu à une histoire palpitante et complètement déformée. Bien décidé à ne pas lui accorder la moindre importance, le veilleur ne lui prêta aucune attention. Le contraire n’aiderait sans doute pas à ce qu’Elide retrouve un rythme cardiaque correct.
C’était bien évidemment sans compter sur le culot et le franc parlé de son ami. Fallait-il vraiment parler maintenant de ses couilles ? Non. Et ce n’était pas le regard de son chef d’escouade qui l’intimida et le fit fuir, loin de là. Il se délectait de la vue, des couleurs sur les joues de leur nouvelle coéquipière. Avec le temps, elle se forgera une carapace, imperméable à tous les commentaires dont ils font preuve. Et si ce n’est pas le cas, que les dieux lui viennent en aide, car elle n’a pas fini de virer au rouge !
Et puisque rien ne peut l’arrêter, puisque Kaël ne jugeait pas nécessaire d’user de son autorité de chef d’escouade pour l’envoyer paître, le malakim jugea bon de rajouter un petit coup de pression à Elide. Comment s’en rendit-il compte ? Au bruit épouvantable que cette question venait de provoquer et à son rythme cardiaque qui ne parvenait pas à se calmer. Il roula des yeux au ciel, par réflexe. Pitié que cela ne soit pas mal interprété, ce n’était pas tant l’attitude timide de l’élémentaire qui le désespérait, que le petit jeu auquel il était forcé de jouer, faute d’avoir envie de passer une nouvelle fois pour le rabat-joie de service.
- Sympa l’ambiance, faut vraiment que je te rappelle qu’on a besoin de nos nouvelles recrues et que ce petit jeu n’a rien d’amusant pour Elide ?
D’un signe de la main, il mima qu’il chassait le malakim, et toute autre paire d’oreilles indiscrètes qui traînaient dans le coin.
- C’est nous qui irons au quartier Sud. Je te conseille de prendre le Nord, que je vois le moins possible ta gueule.
L’éclat de rire qui s’en suivit était prévisible, son ami n’avait cure de son conseil. Pourtant, il devra bien le suivre, ou le chef d’escouade aura de bonnes raisons de lui faire payer son esprit rebelle.
- Allons-y, Elide.
Ou comment rappeler que pour un certain temps, ce soir, il restera seul en sa compagnie. Il n’est pas l’être le plus plaisant, le plus avenant de tous les veilleurs, mais il a au moins l’avantage d’être bienveillant. Si cette première nuit peut ne pas être catastrophique, car il lui permet de souffler, de prendre quelques marques en sa seule compagnie, ce sera déjà beaucoup…
D’un geste de la main, il lui indiqua les escaliers. Ceux-là mêmes qu’il lui avait fait grimper en silence avant d’entamer l’entretien. D’un pas moins rapide cette fois, histoire qu’elle ne claque pas d’un arrêt cardiaque, ils grimpèrent tout en haut pour rejoindre les remparts. Lui aurait pu s’y rendre en volant, demander à la recrue de le rejoindre pour voir si elle sait se repérer dans la nuit, mais… Il n’avait pas le cœur à être sadique. Il laissait bien volontiers ce rôle à d’autres veilleurs ou supérieurs hiérarchiques bien moins sympathiques que lui.
Une fois au sommet, le froid mordant vint se rappeler à eux. Ne restait plus qu’à espérer qu’Elide se soit habillée en conséquence, car la vie des veilleurs est au rythme des saisons, elle subit les aléas météorologiques.
- Ne prends pas trop au sérieux ce qu’il a dit, je ne compte pas te tester ce soir. Tu auras toute ta formation de recrue pour faire tes preuves. Il aime simplement pimenter tout et n’importe quoi. Derrière son sourire goguenard, ce n'est pas un mauvais gars.
Il lui laissa le temps de retrouver un peu de calme. Leur promiscuité, bien que très respectable, permettait au malakim d’entendre le cœur de la nouvelle recrue battre la chamade. Le stress, nul doute, mais bon sang que c’était bruyant. Pas assez pour que Kaël n’entende pas l’un de ses acolytes prendre place dans l’ombre, prêt à observer et à se délecter du moindre échange qui donnera lieu à une histoire palpitante et complètement déformée. Bien décidé à ne pas lui accorder la moindre importance, le veilleur ne lui prêta aucune attention. Le contraire n’aiderait sans doute pas à ce qu’Elide retrouve un rythme cardiaque correct.
C’était bien évidemment sans compter sur le culot et le franc parlé de son ami. Fallait-il vraiment parler maintenant de ses couilles ? Non. Et ce n’était pas le regard de son chef d’escouade qui l’intimida et le fit fuir, loin de là. Il se délectait de la vue, des couleurs sur les joues de leur nouvelle coéquipière. Avec le temps, elle se forgera une carapace, imperméable à tous les commentaires dont ils font preuve. Et si ce n’est pas le cas, que les dieux lui viennent en aide, car elle n’a pas fini de virer au rouge !
Et puisque rien ne peut l’arrêter, puisque Kaël ne jugeait pas nécessaire d’user de son autorité de chef d’escouade pour l’envoyer paître, le malakim jugea bon de rajouter un petit coup de pression à Elide. Comment s’en rendit-il compte ? Au bruit épouvantable que cette question venait de provoquer et à son rythme cardiaque qui ne parvenait pas à se calmer. Il roula des yeux au ciel, par réflexe. Pitié que cela ne soit pas mal interprété, ce n’était pas tant l’attitude timide de l’élémentaire qui le désespérait, que le petit jeu auquel il était forcé de jouer, faute d’avoir envie de passer une nouvelle fois pour le rabat-joie de service.
D’un signe de la main, il mima qu’il chassait le malakim, et toute autre paire d’oreilles indiscrètes qui traînaient dans le coin.
L’éclat de rire qui s’en suivit était prévisible, son ami n’avait cure de son conseil. Pourtant, il devra bien le suivre, ou le chef d’escouade aura de bonnes raisons de lui faire payer son esprit rebelle.
Ou comment rappeler que pour un certain temps, ce soir, il restera seul en sa compagnie. Il n’est pas l’être le plus plaisant, le plus avenant de tous les veilleurs, mais il a au moins l’avantage d’être bienveillant. Si cette première nuit peut ne pas être catastrophique, car il lui permet de souffler, de prendre quelques marques en sa seule compagnie, ce sera déjà beaucoup…
D’un geste de la main, il lui indiqua les escaliers. Ceux-là mêmes qu’il lui avait fait grimper en silence avant d’entamer l’entretien. D’un pas moins rapide cette fois, histoire qu’elle ne claque pas d’un arrêt cardiaque, ils grimpèrent tout en haut pour rejoindre les remparts. Lui aurait pu s’y rendre en volant, demander à la recrue de le rejoindre pour voir si elle sait se repérer dans la nuit, mais… Il n’avait pas le cœur à être sadique. Il laissait bien volontiers ce rôle à d’autres veilleurs ou supérieurs hiérarchiques bien moins sympathiques que lui.
Une fois au sommet, le froid mordant vint se rappeler à eux. Ne restait plus qu’à espérer qu’Elide se soit habillée en conséquence, car la vie des veilleurs est au rythme des saisons, elle subit les aléas météorologiques.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Ce n’était pas tant la timidité, qui faisait battre le cœur d’Elide à coups redoublés. Non, c'était plutôt l’appréhension d’être prise la main dans le sac comme la misérable menteuse qu’elle était. Elle avait retenu à grand peine ses yeux de s’écarquiller lorsque le Malakim aux cheveux longs avait amené sur le tapis la question de ce fameux « test », tâchant au contraire de composer son visage en un masque de désintérêt étudié – totalement inconsciente du fait que son rythme cardiaque affolé suffisait à lui seul à la trahir aux oreilles affutées des êtres ailés qui l’entouraient. Que diraient ces bouches souriantes, en apprenant qu’elle n’était qu’une imposture qui les avait menés en bateau sur ce qu’elle était, et sur ce qu’elle avait à leur offrir ? La mort dans l’âme et le ventre tordu d’anxiété, elle avait suivi le chef d’escouade avec tout l’entrain d’un condamné qu’on accompagne à l’échafaud. Son esprit échauffé imaginait déjà toutes les formes possibles que pourrait prendre cet examen inattendu, ainsi que toutes les façons de s’y soustraire. Elle avait à peine noté le pas mesuré que leur imposait l’homme aux ailes de cuir.
Le soupir qu’elle relâcha lorsque Kaël démentit les propos de son compagnon n'eut donc rien de feint. Une sensation de légèreté s’empara de l’élémentaire en même temps qu’une soudaine pointe de soulagement desserrait l’étau de sa poitrine. Et, l’espace d’un souffle, tout lui parut plus beau. Plus simple, également, alors que l’univers des possibles s'étendait de nouveau à portée de ses doigts.
« Pas de problème, je ne l’ai pas mal pris. » La jeune femme glissa les mains dans ses poches pour les protéger du froid qui devenait plus agressif ici, en haut des remparts. Elle patienta quelques instants, le temps de reprendre le souffle que la montée lui avait dérobé. « Je connais ce genre de type. Ce sont de grandes gueules, mais au fond, ils ne sont pas méchants. » C’était les taiseux, dont il fallait se méfier. Les retors qui vous observaient dans l’ombre, ceux à l'œil torve et à la bouche pincée, qui restaient à l’affut des failles que vous dévoiliez sans le savoir et qui s’y faufilaient à la première occasion. Son regard parti à l'assaut de celui du Malakim. « Mais merci d’être intervenu en ma faveur. » ajouta-t-elle sincèrement. Les commissures de ses lèvres se levèrent, comme tirées par un fil invisible, au souvenir de la grimace faussement peinée qu’avait esquissé l’homme – l’ami ? – de Kaël lorsque celui-ci l’avait congédié. Elle avait dû se mordre l’intérieur de la joue pour retenir le ricanement qui lui grattait le fond de la gorge.
Le sourire ne monta pas jusqu’à ses yeux, cependant, et le visage de la jeune femme reprit rapidement son sérieux alors que se fronçaient ses sourcils. « Mais si je veux m’intégrer, si je veux qu’ils m’acceptent comme l’une des leurs… peut-être, la prochaine fois, vaudrait-il mieux que je me débrouille seule. » Son timbre, mesuré, ne portait pas la moindre trace de reproche, juste une pure factualité teintée d’une note d’interrogation hésitante.
Les yeux de l’élémentaire se portèrent rapidement sur le chef d’escouade, comme pour sonder sa réaction, avant de retourner balayer la noirceur de la nuit. Les trois lunes nimbaient d’une lueur fantomatique le paysage en contrebas, qui s’étendait à perte de vue avant de disparaître dans les lointaines ténèbres de contrées inexplorées. La jeune femme sentit sa gorge se serrer. « C’est… impressionnant » murmura-t-elle, comme pour elle-même. « Je n’avais pas vraiment fait attention, la dernière fois. Ça parait si… immense, si infini. » Elle secoua la tête, et un petit rire incrédule franchit la frontière de ses lèvres. « Je suppose que ce genre de vision suffit à elle seule à expliquer pourquoi la ville a besoin de gens pour la protéger de ce qui vient du dehors. » Car qui savait, au fond, ce qui se tapissait dans le mystère de ces terres sauvages ? Quelles créatures rôdaient dans l’ombre, prêtes à donner l’assaut à l’inconscient égaré par des pas trop curieux ? Une bête tout droit tirée de ces cauchemars enfantins ? Un élémentaire millénaire, fait de songes et d’étoiles ? La jeune femme s’entoura de ses bras, frissonnant sous la caresse brutale d’une vulnérabilité mâtinée d'impuissance qu’elle n’avait encore jamais ressentie. « Est-ce qu’il y a eu beaucoup d’attaques ? De l'extérieur ? » demanda-t-elle d’une voix absente alors que son regard, un peu inquiet mais alerte, tentait de percer l'horizon nocturne comme pour y déceler d’éventuelles menaces.
Le soupir qu’elle relâcha lorsque Kaël démentit les propos de son compagnon n'eut donc rien de feint. Une sensation de légèreté s’empara de l’élémentaire en même temps qu’une soudaine pointe de soulagement desserrait l’étau de sa poitrine. Et, l’espace d’un souffle, tout lui parut plus beau. Plus simple, également, alors que l’univers des possibles s'étendait de nouveau à portée de ses doigts.
« Pas de problème, je ne l’ai pas mal pris. » La jeune femme glissa les mains dans ses poches pour les protéger du froid qui devenait plus agressif ici, en haut des remparts. Elle patienta quelques instants, le temps de reprendre le souffle que la montée lui avait dérobé. « Je connais ce genre de type. Ce sont de grandes gueules, mais au fond, ils ne sont pas méchants. » C’était les taiseux, dont il fallait se méfier. Les retors qui vous observaient dans l’ombre, ceux à l'œil torve et à la bouche pincée, qui restaient à l’affut des failles que vous dévoiliez sans le savoir et qui s’y faufilaient à la première occasion. Son regard parti à l'assaut de celui du Malakim. « Mais merci d’être intervenu en ma faveur. » ajouta-t-elle sincèrement. Les commissures de ses lèvres se levèrent, comme tirées par un fil invisible, au souvenir de la grimace faussement peinée qu’avait esquissé l’homme – l’ami ? – de Kaël lorsque celui-ci l’avait congédié. Elle avait dû se mordre l’intérieur de la joue pour retenir le ricanement qui lui grattait le fond de la gorge.
Le sourire ne monta pas jusqu’à ses yeux, cependant, et le visage de la jeune femme reprit rapidement son sérieux alors que se fronçaient ses sourcils. « Mais si je veux m’intégrer, si je veux qu’ils m’acceptent comme l’une des leurs… peut-être, la prochaine fois, vaudrait-il mieux que je me débrouille seule. » Son timbre, mesuré, ne portait pas la moindre trace de reproche, juste une pure factualité teintée d’une note d’interrogation hésitante.
Les yeux de l’élémentaire se portèrent rapidement sur le chef d’escouade, comme pour sonder sa réaction, avant de retourner balayer la noirceur de la nuit. Les trois lunes nimbaient d’une lueur fantomatique le paysage en contrebas, qui s’étendait à perte de vue avant de disparaître dans les lointaines ténèbres de contrées inexplorées. La jeune femme sentit sa gorge se serrer. « C’est… impressionnant » murmura-t-elle, comme pour elle-même. « Je n’avais pas vraiment fait attention, la dernière fois. Ça parait si… immense, si infini. » Elle secoua la tête, et un petit rire incrédule franchit la frontière de ses lèvres. « Je suppose que ce genre de vision suffit à elle seule à expliquer pourquoi la ville a besoin de gens pour la protéger de ce qui vient du dehors. » Car qui savait, au fond, ce qui se tapissait dans le mystère de ces terres sauvages ? Quelles créatures rôdaient dans l’ombre, prêtes à donner l’assaut à l’inconscient égaré par des pas trop curieux ? Une bête tout droit tirée de ces cauchemars enfantins ? Un élémentaire millénaire, fait de songes et d’étoiles ? La jeune femme s’entoura de ses bras, frissonnant sous la caresse brutale d’une vulnérabilité mâtinée d'impuissance qu’elle n’avait encore jamais ressentie. « Est-ce qu’il y a eu beaucoup d’attaques ? De l'extérieur ? » demanda-t-elle d’une voix absente alors que son regard, un peu inquiet mais alerte, tentait de percer l'horizon nocturne comme pour y déceler d’éventuelles menaces.
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Le veilleur ressentit la reconnaissance de la nouvelle recrue. Cette dernière ne manqua pas de souligner qu’à l’avenir, un peu d’indépendance de sa part ne ferait pas de mal. Arquant un sourcil, mais plutôt d’accord avec l’idée, Kaël lui fit part de son avis.
- J’espère bien que tu te débrouilleras toute seule à l’avenir.
Il tenta de ne pas trop la regarder sévèrement, malgré son ton coupant. Pour qu’elle puisse s’intégrer, il faudra qu’elle parle pour elle-même et qu’elle impose le respect qu’elle mérite.
- Je ne serai pas toujours là pour les rappeler à l’ordre. Ce soir, tu es avec nous, mais tu n’auras pas toujours les mêmes collègues, ni moi pour instructeur. J’essaye d’être là les premiers jours des nouvelles recrues qui arrivent lors de gardes de nuit, mais je ne pourrai pas forcément interférer lors de tes prochaines gardes.
Il sentit lui-même que son ton était très légèrement paternaliste, ce dont il avait plutôt horreur. Il aimait être protecteur, mais jouer le papa poule condescendant, très peu pour lui.
- Un petit doigt d’honneur et tu devrais en vexer quelques-uns. J’ai entendu dire que tu étais très douée pour dresser ton majeur.
D’accord, c’était petit de sa part. Mais pour ni l’accabler de honte, ni faire preuve d’une sévérité dont lui-même se passait (il n’y a qu’à voir l’échange avec son collègue ailé), il se permit de sourire et de lui jeter un petit regard narquois, pour s’assurer qu’elle ne s’empourpre pas de gêne. Si elle pouvait encaisser le comportement des gorilles qui sont ses nouveaux collègues, elle pourrait bien supporter les rares blagues dont fait preuve Kaël, non ?
Maintenant qu’elle a intégré les veilleurs, tout du moins les recrues, c’est dans un autre état d’esprit qu’Elide parcourt les remparts. Elle prend même le temps d’admirer la vue et l’horizon grandioses. Cela n’agace pas le chef d’escouade, car lui aussi, un jour, il a eu la même réaction. Le métier de veilleur a bien des défauts et des contraintes, mais la vue et la sensation de liberté font partie des rares privilèges. Qu’Elide apprenne à les chérir le plus tôt possible, car un jour, elle sera peut-être enfermée dans une routine dont elle ne verra plus les bénéfices !
Leur foulée a ralenti, mais ils seront bien assez vite au rempart Sud, alors cela ne pose pas de problème. Tant qu’ils ne sont pas arrivés, les autres veilleurs ne quitteront pas leur poste. Et lorsqu’ils constateront que la relève est fait par leur chef accompagné d’une nouvelle tête, ils comprendront que le malakim essaye de faire les choses bien, de l’accueillir et de ne pas lui donner tout de suite envie de fuir très loin les remparts.
- C’est arrivé oui, que des prédateurs s’approchent un peu trop de la cité, attirés par la vie, les proies potentielles que nous sommes, nos récoltes ou nos têtes de bétail. Tu ne passeras pas tout ton temps en haut des remparts à regarder l’horizon. Hormis le travail administratif, les entraînements, l’entretien et le rangement, tu devras parfois sortir de la cité pour repousser les menaces. Il nous arrive aussi de sortir, plus loin encore, pour escorter des hommes et des femmes dans leur mission, ou pour combattre une créature retord et dangereuse.
Naturellement et pas du tout impressionné par la hauteur, il s’approcha du bord des remparts. Des sécurités sont installées, mais tous les bords ne sont pas protégés, si bien que quelqu’un de mal intentionné pourrait commettre un crime. Ou, dans une bouffée de désespoir, tenter d’ôter sa vie, à l’instar d’une certaine vampyre… Sa venue si près du vide n’était en rien une tentative de mettre fin à ses jours. Et puis, sauveur et bienveillant qu’il est, il serait capable de s’auto-sauver si cela devait arriver et de battre des ailes comme un fou pour ne pas s’écraser…
Son regard se perdit vers l’horizon et plusieurs petites boules duveteuses attirèrent son attention. Elles se déplaçaient vite et, avec un soupir, il tendit son index dans cette direction, pour qu’Elide puisse constater la terrible menace qui viendra probablement perturber leur nuit.
- Tu vois les spitmons là-bas ? J’ai une meilleure vue que toi, alors peut-être sont-ils trop lointains pour le moment… Il lui laissa quelques secondes pour que ses yeux puissent s’accoutumer au manque de lumière, ou pas. C’est l’une des principales menaces pour ta santé mentale dans les années à venir. Un fléau sous-estimé. Ils braillent sans cesse et, je te le garantie, cela n’a rien de mignon quand tu te cailles les miches ici et que le vent et le silence de la nuit t’apportent ces horribles sons. Tu as de la chance de ne pas avoir mon audition, d’ailleurs.
Il quitta le bord du rempart pour reprendre le chemin du quartier sud. Inutile de s’éterniser face à ce bétail pourtant très plaisant et mignon à vivre, tant qu’ils n’ouvrent pas tous leur gueule simultanément.
- Pour peu qu’on veuille t’ennuyer, tu auras des collègues qui feront exprès de les attirer à ton quartier attitré lors de ta garde. En guide de revanche discrète. Ou alors c’est un truc que je suis le seul à subir et qui me permet de regretter d’être un malakim béni de sens très alertes. Je ne suis pas toujours très populaire comme chef d’escouade, c’est leur façon de m’en faire baver. Cela pourrait être pire, si tu veux mon avis.
Le chef d’escouade secoua les épaules nonchalamment, mais tout de même, il soupira. Ces bêlements avaient tendance à hanter ses cauchemars. Ainsi, il profita du début de leur relation pour l’alerter, voire peut-être un peu la menacer.
- Si tu vois un de tes collègues disperser de la becquetance sans raison aux pieds des remparts, et plus particulièrement à un endroit en particulier, tu es priée de m’en faire un rapport. Ça m’évitera de devenir fou, de mourir trop jeune et tu gagneras des points auprès de moi, bien que cela ne changera en rien ce que tu devras fournir comme efforts pour devenir une veilleuse.
Son petit laïus prononcé, il salua d’un signe de tête les trois membres des veilleurs qui terminaient de surveiller leur portion de remparts. Non contents d’être enfin remplacés, ils zieutèrent un peu trop longtemps l’élémentaire. La petite nouvelle. La recrue toute fraîche. La femme bien à leur goût. Puisqu’elle souhaitait se débrouiller seule, Kaël ne fit aucun commentaire, pas plus qu’il n’essaya de les chasser.
Il tenta de ne pas trop la regarder sévèrement, malgré son ton coupant. Pour qu’elle puisse s’intégrer, il faudra qu’elle parle pour elle-même et qu’elle impose le respect qu’elle mérite.
Il sentit lui-même que son ton était très légèrement paternaliste, ce dont il avait plutôt horreur. Il aimait être protecteur, mais jouer le papa poule condescendant, très peu pour lui.
D’accord, c’était petit de sa part. Mais pour ni l’accabler de honte, ni faire preuve d’une sévérité dont lui-même se passait (il n’y a qu’à voir l’échange avec son collègue ailé), il se permit de sourire et de lui jeter un petit regard narquois, pour s’assurer qu’elle ne s’empourpre pas de gêne. Si elle pouvait encaisser le comportement des gorilles qui sont ses nouveaux collègues, elle pourrait bien supporter les rares blagues dont fait preuve Kaël, non ?
Maintenant qu’elle a intégré les veilleurs, tout du moins les recrues, c’est dans un autre état d’esprit qu’Elide parcourt les remparts. Elle prend même le temps d’admirer la vue et l’horizon grandioses. Cela n’agace pas le chef d’escouade, car lui aussi, un jour, il a eu la même réaction. Le métier de veilleur a bien des défauts et des contraintes, mais la vue et la sensation de liberté font partie des rares privilèges. Qu’Elide apprenne à les chérir le plus tôt possible, car un jour, elle sera peut-être enfermée dans une routine dont elle ne verra plus les bénéfices !
Leur foulée a ralenti, mais ils seront bien assez vite au rempart Sud, alors cela ne pose pas de problème. Tant qu’ils ne sont pas arrivés, les autres veilleurs ne quitteront pas leur poste. Et lorsqu’ils constateront que la relève est fait par leur chef accompagné d’une nouvelle tête, ils comprendront que le malakim essaye de faire les choses bien, de l’accueillir et de ne pas lui donner tout de suite envie de fuir très loin les remparts.
Naturellement et pas du tout impressionné par la hauteur, il s’approcha du bord des remparts. Des sécurités sont installées, mais tous les bords ne sont pas protégés, si bien que quelqu’un de mal intentionné pourrait commettre un crime. Ou, dans une bouffée de désespoir, tenter d’ôter sa vie, à l’instar d’une certaine vampyre… Sa venue si près du vide n’était en rien une tentative de mettre fin à ses jours. Et puis, sauveur et bienveillant qu’il est, il serait capable de s’auto-sauver si cela devait arriver et de battre des ailes comme un fou pour ne pas s’écraser…
Son regard se perdit vers l’horizon et plusieurs petites boules duveteuses attirèrent son attention. Elles se déplaçaient vite et, avec un soupir, il tendit son index dans cette direction, pour qu’Elide puisse constater la terrible menace qui viendra probablement perturber leur nuit.
Il quitta le bord du rempart pour reprendre le chemin du quartier sud. Inutile de s’éterniser face à ce bétail pourtant très plaisant et mignon à vivre, tant qu’ils n’ouvrent pas tous leur gueule simultanément.
Le chef d’escouade secoua les épaules nonchalamment, mais tout de même, il soupira. Ces bêlements avaient tendance à hanter ses cauchemars. Ainsi, il profita du début de leur relation pour l’alerter, voire peut-être un peu la menacer.
Son petit laïus prononcé, il salua d’un signe de tête les trois membres des veilleurs qui terminaient de surveiller leur portion de remparts. Non contents d’être enfin remplacés, ils zieutèrent un peu trop longtemps l’élémentaire. La petite nouvelle. La recrue toute fraîche. La femme bien à leur goût. Puisqu’elle souhaitait se débrouiller seule, Kaël ne fit aucun commentaire, pas plus qu’il n’essaya de les chasser.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Un tic nerveux agita le visage de la jeune femme à la mention du doigt d’honneur. Merde. Elle avait déjà oublié cette histoire. Mais, à vrai dire, maintenant qu’elle commençait à cerner un peu mieux le personnage à qui elle avait adressé le salut de son majeur, il lui apparaissait évident que Kaël serait mis au courant – probablement d’une façon ni raffinée ni élogieuse, d'ailleurs. L’élémentaire souffla par le nez et glissa un regard vers le chef d’escouade. Avisant la lueur amusée au cœur des deux mires d’ambres qui l'observaient, elle se détendit et un petit ricanement fit vibrer sa gorge.
« Il l’avait mérité, non ? » Sa voix charriait cette note d’arrogance qui accompagne les menues victoires. La jeune femme haussa les épaules et reporta son attention devant elle. « J’en ai plein d’autres en réserve, si ça l’intéresse. » Le coin de ses lèvres se releva en un petit sourire satisfait avant que son visage ne retrouve tout son sérieux. Quelque chose qu’avait dit le veilleur lui revenait en mémoire. « Mais je ne serai donc pas toujours dans votre escouade ? J’avais cru comprendre que je serai sous vos ordres. » L’appréhension lui noua soudain les tripes. Le Malakim lui avait certes donné sa chance, mais qu’adviendrait-il si un autre gradé l’avait dans le collimateur ? Son expérience de la vie militaire se réduisait aux patrouilles qui sillonnaient parfois son quartier, et à ceux qui les composaient. Des brutes, pour la plupart, principalement motivées par la perspective d’arracher à ceux qui n’avaient déjà plus rien le peu d’espoir qui leur restait. Y avait-il des hommes semblables, dans les rangs de veilleurs ? Bien au chaud dans leurs poches, ses doigts se serrèrent. « Administration, rangement, entraînements, rondes. C’est bien noté… » reprit-elle d’une voix mesurée, la mâchoire encore crispée. Les deux premières tâches ne lui disaient trop rien, mais elle pourrait s’en accommoder. Un doute persistait, cependant. « Est-ce que toutes les recrues s’entraînent uniquement entre elles, ou bien avec également les autres veilleurs ? » questionna-t-elle l’air de rien. Pitié non, pitié non, pitié non, scandait son esprit d’un air paniqué. Comme attirés par un pôle invisible, les yeux d’Elide dérivèrent sur le torse du Malakim et les épaules tout en muscle qui le surplombaient. Et, l’espace d’un cillement, elle surprit son imagination à lui jouer la scène d’un corps à corps bien différent de celui qu’elle évoquait en parole.
La jeune femme s’étouffa et détourna précipitamment le regard, les joues rosies. Feignant une quinte de toux soudaine, elle fut trop heureuse de sauter sur la distraction bienvenue que lui offrait Kaël avec ses stipmons et lui emboîta le pas vers le bord des remparts. Putain, qu’est-ce que qui vient de se passer ? Repoussant résolument au fond de son esprit le fantasme sorti de nulle part que lui avait momentanément inspiré le chef d’escouade, l’élémentaire plissa des yeux pour tenter de repérer les bêtes que celui-ci évoquait. Peine perdue. « Je n’ai ni votre ni audition, ni votre vue, je crois… Je ne vois rien du tout, mais je vous crois sur parole. » Devait-elle le tutoyer ? Elle n’en savait foutre rien. « Promis, j’ouvrirai l’œil... Mais d’un autre côté… » son timbre devint soudain plus léger « … est-ce que les dénoncer ne risquerait pas de me les mettre à dos ? Vous avez tellement insisté sur l’importance de me faire ma place parmi eux, je ne voudrais pas tout gâcher par un excès de zèle » le taquina-t-elle, l’ombre d’un sourire flottant sur ses lèvres pleines. Elle avait une dette envers lui, alors bien sûr qu’elle les empêcherait de le faire tourner en bourrique… mais il n’avait pas besoin de le savoir. « Et vous savez… je ne pense pas que vous soyez impopulaire, comme chef d’escouade. Je pense même que c’est l’inverse, en fait. » Ils parvinrent à une nouvelle section des remparts où patientaient trois hommes – les veilleurs qu’ils devaient relever, probablement. « Ce sont les gens qu’on apprécie, qu’on emmerde et qu’on charrie le plus. Les connards suffisants, on se contente en général de les ignorer en leur offrant le respect nécessaire à ce qu’ils nous foutent la paix. » Sa voix avait baissé d’un ton alors qu’ils s’approchaient du trio.
Elide s’arrêta, les observant à son tour. Il n’y avait aucune animosité, dans cet échange de regards – pour eux, juste un intérêt honnête mâtiné d’une forme de convoitise ; pour elle, la curiosité prudente des personnes habituées à se méfier de tout. Le Malakim s’était tu, lui déléguant tacitement la conduite de l’échange. Un premier test, donc.
L’élémentaire s’avança d’un pas faussement tranquille, plaquant sur ses lèvres un sourire agréable – l’une de ces fausses risettes qui ne font ni naître de fossettes ni n’éclairent le fond des yeux. Un observateur attentif aurait cependant pu remarquer la façon dont les épaules de la jeune femme s’étaient légèrement redressées, la manière dont ses bras s’étaient imperceptiblement tendus, ou encore le geste inconscient qu'elle avait esquissé vers l’arrière de sa veste et suspendu à mi-chemin.
« Bonsoir. » Sa voix était étonnement chaleureuse, contrastant avec la retenue qu’elle affichait d’ordinaire. L’un des veilleurs – un homme aux cheveux cuivrés – lui rendit son sourire tandis que son collègue laissait son regard noisette errer sans discrétion sur l’anatomie de la nouvelle venue. Celui-ci, elle l’ignora pour l’instant, se tournant plutôt vers le dernier larron. « Je suis Elide. » Son faux sourire s’élargit alors qu’elle lui tendait la main. « Je viens d’intégrer les veilleurs en tant que recrue. Ravie de faire votre connaissance. » Elle sentait derrière elle la présence rassurante du chef d’escouade, mais également les mires insistantes des deux autres. L’agacement lui piqua le nez alors que son interlocuteur, un sourire de connivence aux lèvres, lui serra la main de ses doigts sombres avec une lenteur délibérée. « Je crois que c’est moi, qui viens vous remplacer pour ce soir. Alors, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, plutôt que de continuer à vous rincer l’œil… » son sourcil s’arqua alors qu’elle jetait un regard moqueur aux fautifs « … peut-être pourriez-vous plutôt me dire ce que je dois savoir sur ce secteur en particulier ? »
« Il l’avait mérité, non ? » Sa voix charriait cette note d’arrogance qui accompagne les menues victoires. La jeune femme haussa les épaules et reporta son attention devant elle. « J’en ai plein d’autres en réserve, si ça l’intéresse. » Le coin de ses lèvres se releva en un petit sourire satisfait avant que son visage ne retrouve tout son sérieux. Quelque chose qu’avait dit le veilleur lui revenait en mémoire. « Mais je ne serai donc pas toujours dans votre escouade ? J’avais cru comprendre que je serai sous vos ordres. » L’appréhension lui noua soudain les tripes. Le Malakim lui avait certes donné sa chance, mais qu’adviendrait-il si un autre gradé l’avait dans le collimateur ? Son expérience de la vie militaire se réduisait aux patrouilles qui sillonnaient parfois son quartier, et à ceux qui les composaient. Des brutes, pour la plupart, principalement motivées par la perspective d’arracher à ceux qui n’avaient déjà plus rien le peu d’espoir qui leur restait. Y avait-il des hommes semblables, dans les rangs de veilleurs ? Bien au chaud dans leurs poches, ses doigts se serrèrent. « Administration, rangement, entraînements, rondes. C’est bien noté… » reprit-elle d’une voix mesurée, la mâchoire encore crispée. Les deux premières tâches ne lui disaient trop rien, mais elle pourrait s’en accommoder. Un doute persistait, cependant. « Est-ce que toutes les recrues s’entraînent uniquement entre elles, ou bien avec également les autres veilleurs ? » questionna-t-elle l’air de rien. Pitié non, pitié non, pitié non, scandait son esprit d’un air paniqué. Comme attirés par un pôle invisible, les yeux d’Elide dérivèrent sur le torse du Malakim et les épaules tout en muscle qui le surplombaient. Et, l’espace d’un cillement, elle surprit son imagination à lui jouer la scène d’un corps à corps bien différent de celui qu’elle évoquait en parole.
La jeune femme s’étouffa et détourna précipitamment le regard, les joues rosies. Feignant une quinte de toux soudaine, elle fut trop heureuse de sauter sur la distraction bienvenue que lui offrait Kaël avec ses stipmons et lui emboîta le pas vers le bord des remparts. Putain, qu’est-ce que qui vient de se passer ? Repoussant résolument au fond de son esprit le fantasme sorti de nulle part que lui avait momentanément inspiré le chef d’escouade, l’élémentaire plissa des yeux pour tenter de repérer les bêtes que celui-ci évoquait. Peine perdue. « Je n’ai ni votre ni audition, ni votre vue, je crois… Je ne vois rien du tout, mais je vous crois sur parole. » Devait-elle le tutoyer ? Elle n’en savait foutre rien. « Promis, j’ouvrirai l’œil... Mais d’un autre côté… » son timbre devint soudain plus léger « … est-ce que les dénoncer ne risquerait pas de me les mettre à dos ? Vous avez tellement insisté sur l’importance de me faire ma place parmi eux, je ne voudrais pas tout gâcher par un excès de zèle » le taquina-t-elle, l’ombre d’un sourire flottant sur ses lèvres pleines. Elle avait une dette envers lui, alors bien sûr qu’elle les empêcherait de le faire tourner en bourrique… mais il n’avait pas besoin de le savoir. « Et vous savez… je ne pense pas que vous soyez impopulaire, comme chef d’escouade. Je pense même que c’est l’inverse, en fait. » Ils parvinrent à une nouvelle section des remparts où patientaient trois hommes – les veilleurs qu’ils devaient relever, probablement. « Ce sont les gens qu’on apprécie, qu’on emmerde et qu’on charrie le plus. Les connards suffisants, on se contente en général de les ignorer en leur offrant le respect nécessaire à ce qu’ils nous foutent la paix. » Sa voix avait baissé d’un ton alors qu’ils s’approchaient du trio.
Elide s’arrêta, les observant à son tour. Il n’y avait aucune animosité, dans cet échange de regards – pour eux, juste un intérêt honnête mâtiné d’une forme de convoitise ; pour elle, la curiosité prudente des personnes habituées à se méfier de tout. Le Malakim s’était tu, lui déléguant tacitement la conduite de l’échange. Un premier test, donc.
L’élémentaire s’avança d’un pas faussement tranquille, plaquant sur ses lèvres un sourire agréable – l’une de ces fausses risettes qui ne font ni naître de fossettes ni n’éclairent le fond des yeux. Un observateur attentif aurait cependant pu remarquer la façon dont les épaules de la jeune femme s’étaient légèrement redressées, la manière dont ses bras s’étaient imperceptiblement tendus, ou encore le geste inconscient qu'elle avait esquissé vers l’arrière de sa veste et suspendu à mi-chemin.
« Bonsoir. » Sa voix était étonnement chaleureuse, contrastant avec la retenue qu’elle affichait d’ordinaire. L’un des veilleurs – un homme aux cheveux cuivrés – lui rendit son sourire tandis que son collègue laissait son regard noisette errer sans discrétion sur l’anatomie de la nouvelle venue. Celui-ci, elle l’ignora pour l’instant, se tournant plutôt vers le dernier larron. « Je suis Elide. » Son faux sourire s’élargit alors qu’elle lui tendait la main. « Je viens d’intégrer les veilleurs en tant que recrue. Ravie de faire votre connaissance. » Elle sentait derrière elle la présence rassurante du chef d’escouade, mais également les mires insistantes des deux autres. L’agacement lui piqua le nez alors que son interlocuteur, un sourire de connivence aux lèvres, lui serra la main de ses doigts sombres avec une lenteur délibérée. « Je crois que c’est moi, qui viens vous remplacer pour ce soir. Alors, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, plutôt que de continuer à vous rincer l’œil… » son sourcil s’arqua alors qu’elle jetait un regard moqueur aux fautifs « … peut-être pourriez-vous plutôt me dire ce que je dois savoir sur ce secteur en particulier ? »
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Même si elle avait reconnu avoir des difficultés à gérer ses émotions, les contrôler et ne pas les subir, Elide n’était pas du genre à prendre la mouche lorsque Kaël évoqua avec un air moqueur son fameux doigt d’honneur. Il hocha la tête, appuyant ses dires : son collègue l’avait bien mérité et de toute façon, à sa manière d’en parler un peu à tout le monde, son ego n’avait pas été atteint, loin de là.
Il nota un mélange de surprise et de déception dans sa voix lorsque l’élémentaire comprit qu’elle ne collera pas toujours aux semelles du chef d’escouade. Il fallait bien la prévenir, alors le veille s’attela à cette tâche :
- J’ai appuyé ta candidature, alors tu feras sans doute la majorité de tes gardes la nuit, à moins que tu demandes le contraire. Mais en tant que recrue, ta formation doit être la plus complète possible, avant que vienne le moment de délibérer sur ta capacité, ou non, à passer au rang de veilleur. Alors oui, tu verras bien d’autres instructeurs, dont tes collègues veilleurs qui te participeront à cette formation. Malheureusement, avec mes responsabilités, je ne peux pas toujours encadrer les recrues et je dois déléguer. Mais tu me verras, ou me croiseras, bien assez pour te lasser de moi, mes ordres et mes grognements.
Lors de leur rencontre, elle avait peut-être un peu cerné le bonhomme, mais que cela serve de mise en garde : malgré tout, il lui arrive bien trop souvent d’être un rabat-joie lors de ses gardes. C’est comme ça et tout le monde finit par s’y faire. Parmi ceux qui ne travaillent que de jour, et donc ne le croise guère, il sait qu’il a le droit a plein de petits surnoms de type « grincheux », « grumpy », ou carrément ironique comme « la joie à l’état pure ».
En balayant ses propres pensées d’un haussement d’épaule, il nota dans le discours d’Elide un soudain changement dans sa manière de s’exprimer. Il arqua un sourcil, surpris et dérangé par ce revirement à 180 degrés, ce qu’il ne manqua pas de lui signaler.
- Je rêve ou bien tu me vouvoies ?
Chef ou pas chef d’escouade, Kaël ne s’est jamais senti au-dessus de ses collègues. Il respecte la hiérarchie au-dessus de lui, vouvoie qui n’accepte pas le tutoiement, mais les veilleurs qu’il connaît depuis dix ans n’ont pas forcément besoin qu’ils mettent une distance protocolaire… Alors lui, sincèrement, il s’en cogne comme de l’an 2000 qu’on lui lustre les poils de son manteau fourré en le vouvoyant.
- Arrête ça, j’en ai horreur. Tout le monde me tutoie, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas respecter la hiérarchie des veilleurs par la même occasion.
Bourru, mal aimable, mais sincère et bienveillant, d’une certaine façon. Kaël dans toute sa splendeur, en somme.
Il ne s’attarda pas sur les différences de sens qui empêchaient Elide de remarquer les spitmons. Bien trop vite, au goût du veilleur, elle pourra constater leur présence bruyante. Il en mettrait sa main à couper !
- Tu peux m’en faire part discrètement. Vraiment. J’insiste, tu me rendrais un grand service. Je préfère perdre du temps au début de ma garde pour ramasser ce qui attire ces bestioles, plutôt que de les subir toute une nuit. Cela ne veut pas dire que je ferai regretter les coupables, la satisfaction que leur plan machiavélique échoue est déjà bien suffisante à mon goût.
Il entendit son avis sur son impopularité, ou plutôt ce qu’elle suspectait d'être finalement une preuve de bonne popularité auprès des veilleurs. Il est vrai qu’il y a le dicton « qui aime bien, châtie bien » et en matière de blaguounettes et autres bizutages, Kaël doit être sacrément apprécié ! Au fond, il le sait, sinon les veilleurs n’accepteraient pas sa position de chef d’escouade, ses ordres et les autres remarques. Juste, certains en profitent quand même pour effectivement disséminer un peu de leur venin par la même occasion.
En rencontrant les trois veilleurs prêts à quitter leur garde et trouver le réconfort du sommeil, Elide favorisa une rencontre en bonne et due forme. Elle se présenta de manière agréable et polie, les regarda et les considéra chacun. En échange, un était assez bien éduqué pour ne pas paraître rustre, un autre se trouvait dans un entre-deux et le troisième, et bien son cas était carrément indécrottable. Son organe de réflexion avait trouvé sa place entre ses deux jambes, à n’en point douter. Le chef d’escouade restait en retrait, laissant l’occasion à l’élémentaire de prendre son indépendance et de fixer ses règles dès le début. En revanche, cela n’empêchait pas Kaël de rouler allègrement des yeux au ciel et de désapprouver cette attitude de son collègue.
C’était sans compter sur le doigt d’honneur verbal de l’élémentaire d’air. Même s’il aurait facilement pu se retenir de rire, Kaël laissa échapper un gloussement discret. Après tout, lui aussi a le droit de s’amuser, ses collègues ne s’en privent jamais. D’ailleurs, celui le plus poli d’entre les trois se permit un coup de coude amusé envers le plus coquin. Ce dernier ne manqua pas de se défendre, le menton haut et l’air hautain, visiblement vexé.
- Si je ne peux pas mater, je ne vois pas pourquoi je devrais aider. Et puis, vu qui se trouve dans ton ombre, t’as déjà bien assez de chance pour ta première garde. Nous, on a n’a pas quitté notre poste de la journée, on en a plein les pattes, donc on s’casse. La prochaine fois qu’on se croisera, t’évitera de nous causer comme ça et, peut-être, qu’on te filera deux trois ficelles du métier.
Prévisible, mais le chef d’escouade ne fit pas de remarque. Ils n’étaient nullement obligés de répondre et de faire du travail supplémentaire. Pour autant, il ne coula pas un regard très tendre vers son collègue, connu pour difficilement tenir sa langue dans sa poche – tout comme ses attributs, qu’il sortait très facilement de son pantalon, si l’on en croit les dires. Le plus réservé se contenta de le suivre en baillant, avec exagération, pour signifier que lui non plus n’avait pas envie de pousser ce soir et de lui donner des conseils. Quant au troisième, il eut la politesse de s’adresser à Elide et leur chef, avant de s’en aller.
- Bonne nuit !
- C’est ça, bonne nuit !
Pas la peine d’en faire, des caisses et de les retenir. Kaël invita d’un geste du menton la nouvelle recrue à le suivre, sous un genre d’auvent installé en haut du rempart pour protéger les veilleurs en cas de pluie ou de neige. Un brasero était installé et des caisses, pour avoir de quoi s’asseoir. Il en désigna une pour qu’Elide puisse prendre place, alors que lui-même scrutait l’horizon. Les spitmons progressaient trop vite à son goût.
- Tu vas avoir toute la nuit pour me demander ce que tu veux, car concrètement, notre rôle se résume à observer et attendre qu’un événement se déclenche pour aviser de la suite.
Il nota un mélange de surprise et de déception dans sa voix lorsque l’élémentaire comprit qu’elle ne collera pas toujours aux semelles du chef d’escouade. Il fallait bien la prévenir, alors le veille s’attela à cette tâche :
Lors de leur rencontre, elle avait peut-être un peu cerné le bonhomme, mais que cela serve de mise en garde : malgré tout, il lui arrive bien trop souvent d’être un rabat-joie lors de ses gardes. C’est comme ça et tout le monde finit par s’y faire. Parmi ceux qui ne travaillent que de jour, et donc ne le croise guère, il sait qu’il a le droit a plein de petits surnoms de type « grincheux », « grumpy », ou carrément ironique comme « la joie à l’état pure ».
En balayant ses propres pensées d’un haussement d’épaule, il nota dans le discours d’Elide un soudain changement dans sa manière de s’exprimer. Il arqua un sourcil, surpris et dérangé par ce revirement à 180 degrés, ce qu’il ne manqua pas de lui signaler.
Chef ou pas chef d’escouade, Kaël ne s’est jamais senti au-dessus de ses collègues. Il respecte la hiérarchie au-dessus de lui, vouvoie qui n’accepte pas le tutoiement, mais les veilleurs qu’il connaît depuis dix ans n’ont pas forcément besoin qu’ils mettent une distance protocolaire… Alors lui, sincèrement, il s’en cogne comme de l’an 2000 qu’on lui lustre les poils de son manteau fourré en le vouvoyant.
Bourru, mal aimable, mais sincère et bienveillant, d’une certaine façon. Kaël dans toute sa splendeur, en somme.
Il ne s’attarda pas sur les différences de sens qui empêchaient Elide de remarquer les spitmons. Bien trop vite, au goût du veilleur, elle pourra constater leur présence bruyante. Il en mettrait sa main à couper !
Il entendit son avis sur son impopularité, ou plutôt ce qu’elle suspectait d'être finalement une preuve de bonne popularité auprès des veilleurs. Il est vrai qu’il y a le dicton « qui aime bien, châtie bien » et en matière de blaguounettes et autres bizutages, Kaël doit être sacrément apprécié ! Au fond, il le sait, sinon les veilleurs n’accepteraient pas sa position de chef d’escouade, ses ordres et les autres remarques. Juste, certains en profitent quand même pour effectivement disséminer un peu de leur venin par la même occasion.
En rencontrant les trois veilleurs prêts à quitter leur garde et trouver le réconfort du sommeil, Elide favorisa une rencontre en bonne et due forme. Elle se présenta de manière agréable et polie, les regarda et les considéra chacun. En échange, un était assez bien éduqué pour ne pas paraître rustre, un autre se trouvait dans un entre-deux et le troisième, et bien son cas était carrément indécrottable. Son organe de réflexion avait trouvé sa place entre ses deux jambes, à n’en point douter. Le chef d’escouade restait en retrait, laissant l’occasion à l’élémentaire de prendre son indépendance et de fixer ses règles dès le début. En revanche, cela n’empêchait pas Kaël de rouler allègrement des yeux au ciel et de désapprouver cette attitude de son collègue.
C’était sans compter sur le doigt d’honneur verbal de l’élémentaire d’air. Même s’il aurait facilement pu se retenir de rire, Kaël laissa échapper un gloussement discret. Après tout, lui aussi a le droit de s’amuser, ses collègues ne s’en privent jamais. D’ailleurs, celui le plus poli d’entre les trois se permit un coup de coude amusé envers le plus coquin. Ce dernier ne manqua pas de se défendre, le menton haut et l’air hautain, visiblement vexé.
- Si je ne peux pas mater, je ne vois pas pourquoi je devrais aider. Et puis, vu qui se trouve dans ton ombre, t’as déjà bien assez de chance pour ta première garde. Nous, on a n’a pas quitté notre poste de la journée, on en a plein les pattes, donc on s’casse. La prochaine fois qu’on se croisera, t’évitera de nous causer comme ça et, peut-être, qu’on te filera deux trois ficelles du métier.
Prévisible, mais le chef d’escouade ne fit pas de remarque. Ils n’étaient nullement obligés de répondre et de faire du travail supplémentaire. Pour autant, il ne coula pas un regard très tendre vers son collègue, connu pour difficilement tenir sa langue dans sa poche – tout comme ses attributs, qu’il sortait très facilement de son pantalon, si l’on en croit les dires. Le plus réservé se contenta de le suivre en baillant, avec exagération, pour signifier que lui non plus n’avait pas envie de pousser ce soir et de lui donner des conseils. Quant au troisième, il eut la politesse de s’adresser à Elide et leur chef, avant de s’en aller.
- Bonne nuit !
Pas la peine d’en faire, des caisses et de les retenir. Kaël invita d’un geste du menton la nouvelle recrue à le suivre, sous un genre d’auvent installé en haut du rempart pour protéger les veilleurs en cas de pluie ou de neige. Un brasero était installé et des caisses, pour avoir de quoi s’asseoir. Il en désigna une pour qu’Elide puisse prendre place, alors que lui-même scrutait l’horizon. Les spitmons progressaient trop vite à son goût.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Le veilleur aux yeux charbonneux était un con.
Elide les avait suffisamment côtoyées, ces petites frappes au cerveau simiesque, pour les reconnaître au premier coup d’œil. Elle savait qu’il ne fallait pas espérer tirer d’eux autre chose qu’une agressivité gratuite, dictée par la recherche compensatoire de la moindre once de pouvoir à portée de main. Oui, elle les connaissait bien, ces déchets humains qui prenaient plaisir à écraser les autres, non par besoin mais simplement parce qu’ils le pouvaient. Et cet homme-ci, dont les mires baladeuses la baisaient presque du regard, cochait décidément toutes les cases du pauvre type. C’est sa voix traînante, plus que la grossièreté de ses propos, qui hérissa le poil de l’élémentaire, et si le visage de celle-ci resta de marbre face à l’insulte, ses yeux, eux, s’étrécirent. La chaleur qui, l’espace d’un instant, avait illuminé ses iris de miel disparut, et à la place ne resta qu’un regard froid et calculateur qui suivit les pas du trio qui prenait congé. Doucement, sa main droite se porta une nouvelle fois derrière sa veste, et ses doigts firent discrètement sauter la sécurité du fourreau dans lequel était rangé un poignard soigneusement dissimulé par les pans du vêtement. Prêts à faire payer à l’inconnu le prix de ses insultes.
Le geste avait été de ces réflexes inconscients forgés par des années d’habitude, et ce n’est qu’en sentant la caresse de la soie de l’arme sur sa peau qu’Elide se figea. Son souffle se bloqua dans sa poitrine.
Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ?
La voix de Kaël perça la nuit à côté d’elle, la forçant à décrocher le regard de ses nouveaux collègues. Ce fut comme si la vue du Malakim soufflait les braises de la réminiscence de cette autre vie, lui rappelant où elle était, et ce qu’elle faisait ici. Ses doigts s’ouvrirent, relâchant le manche du couteau, et la jeune femme laissa retomber sa main à ses côtés. Le sifflement guilleret que lâcha l’homme aux cheveux cuivrés lui fit tourner la tête. Le regard goguenard que lui lança l’homme à la peau sombre provoqua dans son nez un picotement de colère. Ils n’étaient plus sur Terre, c’est vrai, car sur Terre elle ne pouvait pas faire ça.
Une bourrasque plus forte que les autres apparut sans prévenir et glissa le long des pavés, venant heurter l’arrière des jambes de celui qui l’avait insultée. Oh, rien de dangereux qui aurait pu risquer de le faire passer par-dessus les remparts, mais suffisamment soudain pour le déséquilibrer. L’homme trébucha avec un juron, s’attirant les moqueries de ses camarades qui, le dos tourné, étaient inconscients du Deus ex machina qui tirait en coulisse les rênes de ce petit jeu. Elide esquissa un sourire mauvais, avant de suivre son chef d’escouade sous l’auvent un peu plus loin.
« Entre ton ami et ces trois-là… Les veilleurs sont tous des gros cons ? » questionna-t-elle d’une voix traînante que l’agacement faisait vibrer. L’élémentaire était passée au tutoiement, comme il le lui avait demandé, mais cette familiarité soudaine lui paraissait encore incongrue. Factice, en quelque sorte, comme si, au fond d’elle, la jeune femme n’était pas encore certaine de mériter cette camaraderie qu’il lui proposait.
Elide s’assit à son tour, se glissant à califourchon sur sa propre caisse. Imitant Kaël, elle vissa son regard sur l’horizon. « Je crois que je vois tes stipmons », lâcha-t-elle au bout de quelques instants de silence. Son timbre, bien qu’un peu bourru, avait retrouvé une certaine tranquillité, mais la ride entre ses deux sourcils témoignait encore de son mécontentement. La perspective de passer une partie de son temps avec le genre de connard qu’elle venait de rencontrer lui glaçait le sang autant qu’elle le faisait bouillir. Ses doigts se mirent à pianoter sur sa cuisse. « Ils ont l’air de venir par ici, pas de chance… » L’un des coins de sa bouche se redressa et elle jeta au Malakim un regard d’œil en coin pour jauger sa réaction. Il ne lui paraissait pas vraiment revêche, à elle. Réservé, oui. Distant, également, mais le gloussement qu’elle l’avait entendu échapper quelques instants plus tôt, ainsi que les rares sourires qui fleurissaient parfois sur ses lèvres sculptées, esquissaient en filigrane une personnalité bien moins austère que celle qui se laisser deviner de prime abord. « Est-ce qu’il y a une vraie différence entre les escouades de jour et de nuit, hormis le nom ? J’imagine que le travail ne doit pas être exactement le même lorsqu’il faut veiller sur le sommeil de la cité que lorsque ses habitants sont réveillés, mais je me trompe peut-être ? » Elle avait toujours trouvé que la nuit revêtait une aura menaçante que balayaient les premières lueurs de l’aube. Tout devenait plus mystérieux, plus dangereux, lorsque vous ne pouviez distinguer des choses que de vagues contours, et que vous ne pouviez juger de la réalité d’une menace que lorsqu’il était potentiellement trop tard pour y faire face. Les yeux de la jeune femme dérivèrent une nouvelle fois vers l’homme à ses côtés, s’arrêtant sur la paire d’ailes dans son dos. Il n’y avait aucun jugement dans son regard, simplement les lueurs d’une curiosité tranquille. « J’ai vu pas mal de Malakims, dans la cour, tout à l’heure. J’imagine qu’avec vos sens surdéveloppés, vous faites de sacrés veilleurs… Ça marche comment, d’ailleurs ? Vous pouvez, je sais pas, choisir quand mieux écouter, voir ou sentir ? » Ses yeux dérivèrent sur les mains du chef d’escouade. « Et ça fonctionne sur le toucher, également ? »
Elide les avait suffisamment côtoyées, ces petites frappes au cerveau simiesque, pour les reconnaître au premier coup d’œil. Elle savait qu’il ne fallait pas espérer tirer d’eux autre chose qu’une agressivité gratuite, dictée par la recherche compensatoire de la moindre once de pouvoir à portée de main. Oui, elle les connaissait bien, ces déchets humains qui prenaient plaisir à écraser les autres, non par besoin mais simplement parce qu’ils le pouvaient. Et cet homme-ci, dont les mires baladeuses la baisaient presque du regard, cochait décidément toutes les cases du pauvre type. C’est sa voix traînante, plus que la grossièreté de ses propos, qui hérissa le poil de l’élémentaire, et si le visage de celle-ci resta de marbre face à l’insulte, ses yeux, eux, s’étrécirent. La chaleur qui, l’espace d’un instant, avait illuminé ses iris de miel disparut, et à la place ne resta qu’un regard froid et calculateur qui suivit les pas du trio qui prenait congé. Doucement, sa main droite se porta une nouvelle fois derrière sa veste, et ses doigts firent discrètement sauter la sécurité du fourreau dans lequel était rangé un poignard soigneusement dissimulé par les pans du vêtement. Prêts à faire payer à l’inconnu le prix de ses insultes.
Le geste avait été de ces réflexes inconscients forgés par des années d’habitude, et ce n’est qu’en sentant la caresse de la soie de l’arme sur sa peau qu’Elide se figea. Son souffle se bloqua dans sa poitrine.
Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ?
La voix de Kaël perça la nuit à côté d’elle, la forçant à décrocher le regard de ses nouveaux collègues. Ce fut comme si la vue du Malakim soufflait les braises de la réminiscence de cette autre vie, lui rappelant où elle était, et ce qu’elle faisait ici. Ses doigts s’ouvrirent, relâchant le manche du couteau, et la jeune femme laissa retomber sa main à ses côtés. Le sifflement guilleret que lâcha l’homme aux cheveux cuivrés lui fit tourner la tête. Le regard goguenard que lui lança l’homme à la peau sombre provoqua dans son nez un picotement de colère. Ils n’étaient plus sur Terre, c’est vrai, car sur Terre elle ne pouvait pas faire ça.
Une bourrasque plus forte que les autres apparut sans prévenir et glissa le long des pavés, venant heurter l’arrière des jambes de celui qui l’avait insultée. Oh, rien de dangereux qui aurait pu risquer de le faire passer par-dessus les remparts, mais suffisamment soudain pour le déséquilibrer. L’homme trébucha avec un juron, s’attirant les moqueries de ses camarades qui, le dos tourné, étaient inconscients du Deus ex machina qui tirait en coulisse les rênes de ce petit jeu. Elide esquissa un sourire mauvais, avant de suivre son chef d’escouade sous l’auvent un peu plus loin.
« Entre ton ami et ces trois-là… Les veilleurs sont tous des gros cons ? » questionna-t-elle d’une voix traînante que l’agacement faisait vibrer. L’élémentaire était passée au tutoiement, comme il le lui avait demandé, mais cette familiarité soudaine lui paraissait encore incongrue. Factice, en quelque sorte, comme si, au fond d’elle, la jeune femme n’était pas encore certaine de mériter cette camaraderie qu’il lui proposait.
Elide s’assit à son tour, se glissant à califourchon sur sa propre caisse. Imitant Kaël, elle vissa son regard sur l’horizon. « Je crois que je vois tes stipmons », lâcha-t-elle au bout de quelques instants de silence. Son timbre, bien qu’un peu bourru, avait retrouvé une certaine tranquillité, mais la ride entre ses deux sourcils témoignait encore de son mécontentement. La perspective de passer une partie de son temps avec le genre de connard qu’elle venait de rencontrer lui glaçait le sang autant qu’elle le faisait bouillir. Ses doigts se mirent à pianoter sur sa cuisse. « Ils ont l’air de venir par ici, pas de chance… » L’un des coins de sa bouche se redressa et elle jeta au Malakim un regard d’œil en coin pour jauger sa réaction. Il ne lui paraissait pas vraiment revêche, à elle. Réservé, oui. Distant, également, mais le gloussement qu’elle l’avait entendu échapper quelques instants plus tôt, ainsi que les rares sourires qui fleurissaient parfois sur ses lèvres sculptées, esquissaient en filigrane une personnalité bien moins austère que celle qui se laisser deviner de prime abord. « Est-ce qu’il y a une vraie différence entre les escouades de jour et de nuit, hormis le nom ? J’imagine que le travail ne doit pas être exactement le même lorsqu’il faut veiller sur le sommeil de la cité que lorsque ses habitants sont réveillés, mais je me trompe peut-être ? » Elle avait toujours trouvé que la nuit revêtait une aura menaçante que balayaient les premières lueurs de l’aube. Tout devenait plus mystérieux, plus dangereux, lorsque vous ne pouviez distinguer des choses que de vagues contours, et que vous ne pouviez juger de la réalité d’une menace que lorsqu’il était potentiellement trop tard pour y faire face. Les yeux de la jeune femme dérivèrent une nouvelle fois vers l’homme à ses côtés, s’arrêtant sur la paire d’ailes dans son dos. Il n’y avait aucun jugement dans son regard, simplement les lueurs d’une curiosité tranquille. « J’ai vu pas mal de Malakims, dans la cour, tout à l’heure. J’imagine qu’avec vos sens surdéveloppés, vous faites de sacrés veilleurs… Ça marche comment, d’ailleurs ? Vous pouvez, je sais pas, choisir quand mieux écouter, voir ou sentir ? » Ses yeux dérivèrent sur les mains du chef d’escouade. « Et ça fonctionne sur le toucher, également ? »
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Si le veilleur n’était pas le plus brillant lorsqu’il s’agissait de lire l’atmosphère et de découvrir quelle est l’ambiance, ses dons de malakim sont une aide essentielle. Un genre de sixième sens lui indiquait qu’Elide était plus affectée par cette rencontre avec ses futurs collègues qu’elle ne le laissait transparaître. Peut-être n’avait-elle pas apprécié qu’il reste en retrait, se contenant de vivre la scène comme un spectateur, sans interférer et calmer les ardeurs du plus virulent dans ses paroles. En même temps, n’avait-elle pas demandé à ce qu’il ne le fasse plus pour qu’elle puisse gérer elle-même et prendre ses marques ? Ah, les relations sociales, quelle difficulté pour lui. Cela lui produisait de vrais nœuds au cerveau !
- Non, ils ne sont pas tous comme ça. Mais disons que tu as eu affaire à des spécimens plutôt misogynes. Il grimaça. Tu m’en vois désolé, mais les luttes sociales de Terre n’ont pas toutes traversé le portail, si tu veux mon avis.
Qu’est-ce qu’il en savait de toute façon ? Lui qui venait d’une secte communautaire avec des idées arriérées et qui vivait dans un genre d’ancien temps. C’était seulement ce qu’il avait appris ici, sur Ozéna, qui lui permettait d’avoir un œil aussi critique sur ses collègues veilleurs, ou sur toute autre personne qu’il est amené à fréquenter.
Toute sa colonne vertébrale lui donna l’impression de se hérisser lorsqu’elle évoqua les spitmons. Créatures des enfers. Il réprima de multiples frissons avant de redonner son attention à des sujets plus intéressants et non à ces affreuses bestioles.
- Tu ne te trompes pas, il y a des différences. Les équipes de jour te diront qu’on n’a pas grand-chose à faire et que la moitié d’entre-nous s’endorment. Et nous, nous pensons que les équipes de jours sont des planqués qui se cachent derrière des « responsabilités » du type ouvrir et fermer les portes aux passants.
Cela faisait longtemps, il avait bien le droit : le veilleur roula des yeux au ciel. Ce n’était pas son avis à lui, il estimait que chaque équipe, chaque membre, avait une importance capitale à jouer dans la protection des remparts et d’Azamyr, quoiqu’on en dise.
- Le jour, il faut gérer tout le flux de passants et s’assurer que ceux qui sortent ont de bonnes raisons, tout comme ceux qui rentrent. Il y a des prédateurs qui ont un cycle circadien, comme nous, alors le danger existe la journée, malgré ce que certains peuvent s’imaginer. Les éclaireurs ont plus tendance à rejoindre les veilleurs de jour.
Il laissa quelques secondes couler, pour qu’Elide puisse digérer ces premières informations. Pendant ce temps, le chef d’escouade se frictionna les mains au-dessus du brasero.
- La nuit, l’afflux de passants est moindre, encore qu’il peut y avoir des retours tardifs d’exploration. Le risque est plutôt du côté des créatures, les plus coriaces préférant nous débusquer aux heures sombres. Les traqueurs sont en principe plus nombreux la nuit, prêts à intervenir, avec les autres veilleurs. On a tendance à être beaucoup de malakims la nuit, nos sens permettant de rendre la tâche moins ardue pour nous. Les conditions de travail sont plus pénibles, évidemment, donc tout le monde n’a pas l’envie, ni le courage de rejoindre l’équipe de nuit.
Une nouvelle fois, le veilleur marqua une pause, pour finalement ajouter :
- Les deux rythmes ont une importance et, l’une sans l’autre, ne pourrait travailler de manière organisée. Il n’est pas rare que l’on se détache aussi pour accompagner des personnes aux alentours, en dehors des remparts.
Il ressentait le regard de l’élémentaire d’air sur sa paire d’elle. Et il sentait également que des questions arrivaient. Après tout, il lui avait donné le feu vert pour rendre cette première nuit productive et instructive.
- Nos sens et nos ailes. On ne va pas se mentir, pour agir vite, faire des rondes efficaces en un temps record, savoir voler est un atout pour la sécurité des remparts. Et puis, en cas de chute, le risque est moindre.
Kaël écouta ses dernières questions en penchant la tête, pas très sûr d’avoir bien compris leur sens.
- Le toucher ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Est-ce qu’on est plus sensibles au moindre contact avec notre peau ? Car si c’est bien ça que tu veux savoir, je n’en ai pas l’impression. En revanche, nos sens étant décuplés, la douleur se manifeste bien plus fortement pour nous.
Il n’y avait jamais vraiment songé, mais son arrivée sur Ozéna lui revint à l’esprit.
- Les deux malakims avec qui je travaille et vis en colocation sont arrivés avec leurs ailes, après avoir passé le portail. Moi, je les ai senties prendre place dans mon dos, déchirer ma peau et pousser. Tout le processus a été épouvantable, je n’ai jamais vécu pire douleur et rien ou presque ne m’a aidé à rendre l’expérience moins effroyable. C’était sûrement un inconvénient malakim. Lorsque je me blesse, il est vrai que cela est tout de suite plus douloureux que sur Terre. Et pourtant, j’ai la peau dure et j’encaissais plutôt pas mal…
Ou alors, c’était l’âge. Non, il refusait qu’approcher la quarantaine le rendît vieux prématurément. Il n’en savait rien, mais il avait la sensation qu’avec les avantages à être un malakim, il vivre bien plus longtemps que s’il était resté sur Terre.
- La vue, l’ouïe, l’odorat… C’est devenu inné pour nous en passant le portail. Sans que l'on ait besoin d’y songer, nos sens sont sans arrêt aux aguets. Cela nous rend plus vigilants que la moyenne, encore un avantage pour les veilleurs. Mais quand c’est l’été et que les ordures s’accumulent en ville, je peux te dire qu’on regrette amèrement d’avoir une truffe aussi performante ! Et puis, les premières nuits peuvent être très difficiles à passer. Ce n’est pas évident de lâcher prise et de s’enfoncer dans le sommeil quand le moindre bruit résonne, percute tes tympans et te tient éveillé. Ajoute à ça l’épreuve des ailes qui poussent et une fièvre éprouvantable… J’ai cru devenir un grand insomniaque en arrivant ici. Mais heureusement, j’ai fini par m’y faire et j’arrive à réguler mes sens, en temps voulu.
Qu’est-ce qu’il en savait de toute façon ? Lui qui venait d’une secte communautaire avec des idées arriérées et qui vivait dans un genre d’ancien temps. C’était seulement ce qu’il avait appris ici, sur Ozéna, qui lui permettait d’avoir un œil aussi critique sur ses collègues veilleurs, ou sur toute autre personne qu’il est amené à fréquenter.
Toute sa colonne vertébrale lui donna l’impression de se hérisser lorsqu’elle évoqua les spitmons. Créatures des enfers. Il réprima de multiples frissons avant de redonner son attention à des sujets plus intéressants et non à ces affreuses bestioles.
Cela faisait longtemps, il avait bien le droit : le veilleur roula des yeux au ciel. Ce n’était pas son avis à lui, il estimait que chaque équipe, chaque membre, avait une importance capitale à jouer dans la protection des remparts et d’Azamyr, quoiqu’on en dise.
Il laissa quelques secondes couler, pour qu’Elide puisse digérer ces premières informations. Pendant ce temps, le chef d’escouade se frictionna les mains au-dessus du brasero.
Une nouvelle fois, le veilleur marqua une pause, pour finalement ajouter :
Il ressentait le regard de l’élémentaire d’air sur sa paire d’elle. Et il sentait également que des questions arrivaient. Après tout, il lui avait donné le feu vert pour rendre cette première nuit productive et instructive.
Kaël écouta ses dernières questions en penchant la tête, pas très sûr d’avoir bien compris leur sens.
Il n’y avait jamais vraiment songé, mais son arrivée sur Ozéna lui revint à l’esprit.
Ou alors, c’était l’âge. Non, il refusait qu’approcher la quarantaine le rendît vieux prématurément. Il n’en savait rien, mais il avait la sensation qu’avec les avantages à être un malakim, il vivre bien plus longtemps que s’il était resté sur Terre.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
En bonne élève qu’elle n’était pas, l’élémentaire avait écouté Kaël sans l’interrompre, hochant la tête lors des silences qu’il imposait à ses explications. Durant ce laps de temps, ses yeux s’étaient plus d’une fois égarés sur le visage du Veilleur, se rassasiant de la beauté de son profil fier et volontaire. Il s’en dégageait une impression de calme inflexibilité qui, dans un sens, l’apaisait. Peut-être la nuit dissimulait-elle au Malakim les regards dérobés de la jeune femme ; peut-être, au contraire, les lui dévoilait-elle dans toute leur impertinence. L’espace d’un instant, elle n’en eut cure.
« Je vois… » finit-elle pas répondre, profitant de l’une des pauses que marquait Kaël pour reprendre la parole. Elide reporta – un peu à contrecœur – son regard sur l’horizon nimbé de noir. « La nuit n’est tranquille que parce que les habitants ne sont pas dans nos pattes, en fin de compte. Les deux s’équilibrent, à mon sens. En gros, des emmerdeurs le jour, et des bestioles la nuit. Je crois que je sais ce que je préfère… » Ces derniers mots avaient été murmurés plus pour elle-même que pour l’homme à ses côtés. « Mais du coup, personne n’a le droit de sortir de la cité sans notre autorisation ? Ce n’est pas un peu… je sais pas, autoritaire, comme façon de faire ? » Cela lui rappelait les autorisations nécessaires à l’entrée de certains quartiers huppés de Londres – sans laisser-passer, impossible d’y foutre un pied. La caresse du souvenir lui glaça le dos alors qu’un autre affleurait soudain à la surface de sa mémoire.
Non.
Le souvenir, ainsi que les visages qu’il charriait, recula dans les méandres de son inconscient.
Elide poussa un soupir et glissa les mains dans les poches de sa veste, davantage pour se donner une contenance que pour se réchauffer. Rapidement, cependant, l’une de ses jambes commença à tressauter sur place, marqueur de sa nervosité et de l’impatience qui l’agitait. Surveiller, observer, à l’affut du moindre bruit, de la moindre silhouette sortant de l’ordinaire, dans l’attente de quelque chose qui, peut-être, n’arriverait jamais… Tout cela lui rappelait soudain avec une douloureuse acuité un passé dont elle ne voulait pas se souvenir.
« Le fait de toucher, oui. » reprit-elle donc après un nouveau silence, durant lequel elle avait digéré ce que lui avait partagé le Malakim. « Le chaud, le froid, une matière rugueuse, ou au contraire plus douce… Si vous ressentez une douleur décuplée, alors la logique voudrait que vous soyez également plus sensibles au toucher. Qu’il soit ou non synonyme de douleur. Tu n’as jamais… je sais pas... » Elle lui lança un regard dans lequel brillait la curiosité « … eu l’impression qu’un contact était plus agréable qu’il ne l’était dans ton souvenir ? Ou au contraire plus repoussant ? Eu l’impression de mieux… sentir les choses, quand tu les touchais ? » Ses yeux dérivèrent vers la paire d’ailes soigneusement repliées dans le dos du Veilleur. « Je suis désolée qu’elles t’aient fait si mal. » reprit-elle doucement après une poignée de secondes. Elle avait tâché d’effacer de son timbre toute trace de pitié, car elle savait que Kaël en prendrait ombrage. Cela n’enlevait cependant rien à la sincérité de ses paroles. « C’est peut-être elles, qui ont rendu ton corps si sensible à la douleur, qui sait. J’ai entendu dire… » sa langue fourcha légèrement, avalant les mots qu’elle aurait voulu prononcer « …avant… que le corps a une capacité limitée à encaisser la douleur. Que lorsqu’il a trop souffert, on qu’on l’a trop fait souffrir, c’est comme s’il s’en souvenait, et que la moindre souffrance devient plus importante qu’elle ne devrait l’être. Comme une sorte de traumatisme, en quelque sorte. »
En parlant de traumatisme… un bêlement fendit soudain la nuit, lui arrachant un sursaut. Les Spitmons se rapprochaient vraiment. L’élémentaire lança un nouveau coup d’œil au chef d’escouade, ayant noté la tension de son dos lorsqu’il avait évoqué les bestioles un peu plus tôt. « Moi c’est le temps. » avoua-t-elle après un nouveau silence. L’aveu la surprit, d’autant que son intention première n’avait été que de continuer à parler de tout et rien pour distraire le Malakim de ce qui s'apparentait finalement à une véritable phobie. « Il n’y a pas de montres, ou d’horloges, ici, sur Ozéna. Je ne sais jamais quelle heure il est, ni quand je dois manger, ou dormir, ou juste… » Un petit rire s’échappa de sa bouche pincée. « C’est peut-être parce que j’ai toujours vécu un peu en décalé, sur Terre. C’est comme si mon corps n’avait plus aucun repère. Ma nature d’élémentaire… » son ton se fit plus âpre « … y est sans doute pour quelque chose. Mon métabolisme n’est plus le même. Les nuits, les journées… tout est un peu… difficile. » Elle ne lui parla pas de ces rêves qui la tenaient éveillée une partie de la nuit – ça, c’était son secret. La jeune femme se mordit la lèvre, consciente d’en avoir révélé plus qu’elle ne le souhaitait. Elle secoua les épaules, feignant l’indifférence. « Mais rien d’aussi pire que d’entendre ton voisin de palier se gratter les fesses, j’imagine. » Elle n’aurait jamais cru les sens des Malakims aussi aiguisés, et cela lui fit soudain miroiter les derniers événements sous un angle nouveau. L’effroi lui glaça le sang alors que sa mémoire rejouait la scène de leur rencontre – sa colère, qui faisait vibrer sa voix ; sa peur, qui faisait trembler ses doigts ; ses mensonges, qui faisaient briller ses yeux ; le rouge à ses joues, lorsqu’elle le regardait.
« Qu’est-ce que vous pouvez voir, entendre, exactement ? » demanda-t-elle d’une voix blanche. Ses yeux se plissèrent, alors que son cœur accélérait. Attendez, est-ce qu’il pouvait entendre les battements de son cœur ? Est-ce qu’il pouvait comprendre, quand elle lui mentait ? Le traître qui lui servait de palpitant redoubla d’efforts à cette pensée. Elide se sentit pâlir, mais une vie passée à faire semblant la poussa plutôt à se redresser et à ourler ses lèvres en un sourire arrogant. « D’accord, je suis curieuse : dis-moi, qu’est-ce que tu vois – ou entends, ou sens, peu importe – quand tu me regardes ? Qu’est-ce que tu vois qui serait invisible pour les autres ? »
Si elle faisait passer son trouble pour l’excitation du jeu, alors peut-être n’y verrait-il que du feu ?
« Je vois… » finit-elle pas répondre, profitant de l’une des pauses que marquait Kaël pour reprendre la parole. Elide reporta – un peu à contrecœur – son regard sur l’horizon nimbé de noir. « La nuit n’est tranquille que parce que les habitants ne sont pas dans nos pattes, en fin de compte. Les deux s’équilibrent, à mon sens. En gros, des emmerdeurs le jour, et des bestioles la nuit. Je crois que je sais ce que je préfère… » Ces derniers mots avaient été murmurés plus pour elle-même que pour l’homme à ses côtés. « Mais du coup, personne n’a le droit de sortir de la cité sans notre autorisation ? Ce n’est pas un peu… je sais pas, autoritaire, comme façon de faire ? » Cela lui rappelait les autorisations nécessaires à l’entrée de certains quartiers huppés de Londres – sans laisser-passer, impossible d’y foutre un pied. La caresse du souvenir lui glaça le dos alors qu’un autre affleurait soudain à la surface de sa mémoire.
Non.
Le souvenir, ainsi que les visages qu’il charriait, recula dans les méandres de son inconscient.
Elide poussa un soupir et glissa les mains dans les poches de sa veste, davantage pour se donner une contenance que pour se réchauffer. Rapidement, cependant, l’une de ses jambes commença à tressauter sur place, marqueur de sa nervosité et de l’impatience qui l’agitait. Surveiller, observer, à l’affut du moindre bruit, de la moindre silhouette sortant de l’ordinaire, dans l’attente de quelque chose qui, peut-être, n’arriverait jamais… Tout cela lui rappelait soudain avec une douloureuse acuité un passé dont elle ne voulait pas se souvenir.
« Le fait de toucher, oui. » reprit-elle donc après un nouveau silence, durant lequel elle avait digéré ce que lui avait partagé le Malakim. « Le chaud, le froid, une matière rugueuse, ou au contraire plus douce… Si vous ressentez une douleur décuplée, alors la logique voudrait que vous soyez également plus sensibles au toucher. Qu’il soit ou non synonyme de douleur. Tu n’as jamais… je sais pas... » Elle lui lança un regard dans lequel brillait la curiosité « … eu l’impression qu’un contact était plus agréable qu’il ne l’était dans ton souvenir ? Ou au contraire plus repoussant ? Eu l’impression de mieux… sentir les choses, quand tu les touchais ? » Ses yeux dérivèrent vers la paire d’ailes soigneusement repliées dans le dos du Veilleur. « Je suis désolée qu’elles t’aient fait si mal. » reprit-elle doucement après une poignée de secondes. Elle avait tâché d’effacer de son timbre toute trace de pitié, car elle savait que Kaël en prendrait ombrage. Cela n’enlevait cependant rien à la sincérité de ses paroles. « C’est peut-être elles, qui ont rendu ton corps si sensible à la douleur, qui sait. J’ai entendu dire… » sa langue fourcha légèrement, avalant les mots qu’elle aurait voulu prononcer « …avant… que le corps a une capacité limitée à encaisser la douleur. Que lorsqu’il a trop souffert, on qu’on l’a trop fait souffrir, c’est comme s’il s’en souvenait, et que la moindre souffrance devient plus importante qu’elle ne devrait l’être. Comme une sorte de traumatisme, en quelque sorte. »
En parlant de traumatisme… un bêlement fendit soudain la nuit, lui arrachant un sursaut. Les Spitmons se rapprochaient vraiment. L’élémentaire lança un nouveau coup d’œil au chef d’escouade, ayant noté la tension de son dos lorsqu’il avait évoqué les bestioles un peu plus tôt. « Moi c’est le temps. » avoua-t-elle après un nouveau silence. L’aveu la surprit, d’autant que son intention première n’avait été que de continuer à parler de tout et rien pour distraire le Malakim de ce qui s'apparentait finalement à une véritable phobie. « Il n’y a pas de montres, ou d’horloges, ici, sur Ozéna. Je ne sais jamais quelle heure il est, ni quand je dois manger, ou dormir, ou juste… » Un petit rire s’échappa de sa bouche pincée. « C’est peut-être parce que j’ai toujours vécu un peu en décalé, sur Terre. C’est comme si mon corps n’avait plus aucun repère. Ma nature d’élémentaire… » son ton se fit plus âpre « … y est sans doute pour quelque chose. Mon métabolisme n’est plus le même. Les nuits, les journées… tout est un peu… difficile. » Elle ne lui parla pas de ces rêves qui la tenaient éveillée une partie de la nuit – ça, c’était son secret. La jeune femme se mordit la lèvre, consciente d’en avoir révélé plus qu’elle ne le souhaitait. Elle secoua les épaules, feignant l’indifférence. « Mais rien d’aussi pire que d’entendre ton voisin de palier se gratter les fesses, j’imagine. » Elle n’aurait jamais cru les sens des Malakims aussi aiguisés, et cela lui fit soudain miroiter les derniers événements sous un angle nouveau. L’effroi lui glaça le sang alors que sa mémoire rejouait la scène de leur rencontre – sa colère, qui faisait vibrer sa voix ; sa peur, qui faisait trembler ses doigts ; ses mensonges, qui faisaient briller ses yeux ; le rouge à ses joues, lorsqu’elle le regardait.
« Qu’est-ce que vous pouvez voir, entendre, exactement ? » demanda-t-elle d’une voix blanche. Ses yeux se plissèrent, alors que son cœur accélérait. Attendez, est-ce qu’il pouvait entendre les battements de son cœur ? Est-ce qu’il pouvait comprendre, quand elle lui mentait ? Le traître qui lui servait de palpitant redoubla d’efforts à cette pensée. Elide se sentit pâlir, mais une vie passée à faire semblant la poussa plutôt à se redresser et à ourler ses lèvres en un sourire arrogant. « D’accord, je suis curieuse : dis-moi, qu’est-ce que tu vois – ou entends, ou sens, peu importe – quand tu me regardes ? Qu’est-ce que tu vois qui serait invisible pour les autres ? »
Si elle faisait passer son trouble pour l’excitation du jeu, alors peut-être n’y verrait-il que du feu ?
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Les emmerdeurs le jour, les bestioles la nuit… C’était simpliste, mais l’idée était là, si bien qu’il pouffait légèrement en inclinant la tête. La prochaine fois qu’on lui demandera la différence entre les équipes de jour et de nuit chez les veilleurs, peut-être qu’il citera Elide.
- Autoritaire, c’est une façon de voir les choses. C’est surtout pour faciliter une sécurisation optimale. Je viens d’un endroit sur Terre où il n’était pas envisageable de s’approcher de remparts similaires, alors crois-moi si je te dis qu’ici ce n’est pas si terrible. C’est simplement pour éviter des sorties inopinées qui permettraient à des créatures de trouver plus facilement des brèches, des manques de vigilance, pour pénétrer dans la cité. Et puis ce monde est trop dangereux pour la plupart des habitants. L’appel de la nature et de l’exploration, c’est bien, ne pas mourir pour avoir reniflé une plante en apparence innocente, en réalité extra-vénéneuse, c’est mieux. Il y a bien sûr des cas spécifiques, les agriculteurs, les guildes, les explorateurs, qui ont des passe-droits naturels au vu de leur labeur. On verra comment la vie à Azamyr évoluera, si la population connaît un boum, si les explorateurs sécurisent un plus grand périmètre, s’ils découvrent des cités potentielles ailleurs… Tout ça changera, probablement. En attendant, mieux vaut vivre en sécurité entre les murs, bien que j’entende la frustration de certains.
Trouver un équilibre entre liberté et sécurité, un éternel débat. Lui, plutôt du genre à suivre les règles et rester loyal, ne voyait pas (pour le moment) d’inconvénient à ainsi protéger les habitants. Il sera temps de questionner le système et les habitudes lorsque la cité ne pourra plus contenir ses protégés. Et puis, pour un type ayant la liberté de voler où bon lui semble, c’était bien plus aisé d’accepter cette « autorité ».
Le malakim plissa les yeux, alors qu’il voyait parfaitement bien. C’était un genre de tic, lorsqu’il se plongeait dans ses souvenirs, pour chercher une information en particulier. Le toucher, donc… Ce qui lui vint à l’esprit, c’était surtout qu’il n’est pas un type tactile, qu’il fuit globalement les interactions et donc que les contacts se font plus rares que pour la plupart des personnes… Kaël ne se voyait pas le lui dire, il fallait trouver une alternative.
- J’ai toujours été un manuel, alors mes mains sont assez calleuses. Et puis je passe tellement de temps dans mon uniforme que… Ah si, peut-être. Effectivement. Je suis rapidement agacé ou gêné lorsque l’on s’approche de mes ailes et se permet de les toucher.
Il acquiesça en silence, réalisant combien il avait en horreur qu’on ose les tripoter. Une fois un spitmon avait eu l’audace de bousculer une de ses ailes, enfer et damnation…
- Globalement, je n’apprécie pas le moindre contact avec mes ailes, mais c’est peut-être plus psychologique qu’autre chose. Pour moi, elles sont synonymes de liberté, alors qu’un autre que moi les tripote, ça m’agace passablement.
Il haussa les épaules lorsqu’elle évoqua une certaine peine en ayant appris sa souffrance. Il avait bien cru mourir, mais pour rien au monde, il ne regrettait cette épreuve. La joie et les possibilités qu’elles lui apportent aujourd’hui sont la meilleure des consolations.
L’analyse d’Elide avait du sens, pour lui aussi. Le corps est un livre qui collecte le moindre détail et le retient entre ses pages. Une douleur intense et insupportable laisse une marque, un traumatisme. La mémoire du corps existe, il le pense aussi.
- Peut-être que j’en ai tellement bavé avec mes ailes, qu’elles sont maintenant mon épée de Damoclès. Toute la sensibilité accrue de malakim se localise dans mon dos, qui sait. Je n’y avais pas songé avant.
Il coula un regard vers la nouvelle recrue, quelque peu impressionné par la tournure de cette conversation. Elle s’intéressait sincèrement à lui, à ses spécificités. Elle ne cherchait probablement pas à collecter le maximum d’informations sur Kaël en particulier, ou sur « le chef d’escouade ». Elide démontrait un intérêt pour le monde dans lequel elle vivait maintenant, c’était un bon pour elle et sa progression, il en était persuadé. Contrairement à d’autres veilleurs qui s’étonnent encore de l’aspect des ailes du malakim, Elide ne portait aucun jugement. C’était rafraîchissant, d’une certaine façon. Et puis il avait noté les nombreux regards qu’elle jetait vers lui, il n’avait pas l’impression d’être épié de manière négative.
- Le temps ?
Il la fit répéter, avant qu’elle ne développe. Le malakim pencha la tête sur le côté. Cela ne l’avait jamais turlupiné, probablement parce qu’il avait toujours vécu la nuit, sur Terre comme sur Ozéna et que le temps était différent pendant cette période. Elle évoqua ses difficultés, sa perte de repère. Il imagina qu’elle venait d’un monde bien plus rapide et bourré de technologies, alors forcément, traverser le portail en direction d’Azamyr, c’était un peu comme revenir aux temps des cavernes. Lui n’avait pas eu ce problème, sur Terre, son mode de vie était très rustique.
- Tu finiras par t’habituer et te créer des nouveaux repères. Pour ce qui est du temps, tu vas te rendre compte qu’ici aussi, tout est très précis et instinctif. En vivant avec les autres, tu assimileras un nouveau rythme.
Le visage de Kaël se fendit d’un sourire à la blague de la recrue. Plutôt à l’aise, il se permit une blague assez personnelle, bien qu’elle concerne surtout ceux qu’il considère comme des frères.
- Je vis avec deux obsédés sexuels. Je ne vais pas te mentir, il y a des fois, j’aimerais mieux entendre des pets.
Dommage qu’à l’autre extrémité des remparts, l’un des malakims ne puissent pas l’entendre…
S’il ria à sa petite révélation, il perdit vite son sourire en constatant qu’une vague d’effroi traversa le visage de l’élémentaire. Aie, misère, elle venait d’avoir une épiphanie. Devait-il être parfaitement franc ? Devait-il maquiller la vérité ? Devait-il simplement mentir ? Kaël a horreur de déformer la vérité, alors…
- Tout ce qui est à notre portée, concrètement… Il lui laissa digérer ce qu’impliquait une telle réponse. Nous entendons les battements de cœur, les reniflements même les plus discrets, les déglutitions liées à de fortes émotions. Nous sentons les parfums agréables et déplaisants, les suées les plus soudaines, les lâchés de gaz supposés être discret. Et nous voyons les joues devenir écarlates, alors même qu’une simple bougie éclaire la pièce, ou encore les spitmons au loin qui débaroulent pour profiter d’un buffet gratuit.
Il voulait rester vague dans ses précisions, mais Elide souhaitait savoir, alors autant être honnête.
- Quand tu attendais qu’on te dise quoi faire, avant que je vienne à ta rencontre ce soir, ton cœur tambourinait si fort et tous les malakims l’ont constaté sans peine. Et au vu de la moue que tu avais, aucun ne doutait de l'appréhension qui t’envahissait, moi le premier.
Trouver un équilibre entre liberté et sécurité, un éternel débat. Lui, plutôt du genre à suivre les règles et rester loyal, ne voyait pas (pour le moment) d’inconvénient à ainsi protéger les habitants. Il sera temps de questionner le système et les habitudes lorsque la cité ne pourra plus contenir ses protégés. Et puis, pour un type ayant la liberté de voler où bon lui semble, c’était bien plus aisé d’accepter cette « autorité ».
Le malakim plissa les yeux, alors qu’il voyait parfaitement bien. C’était un genre de tic, lorsqu’il se plongeait dans ses souvenirs, pour chercher une information en particulier. Le toucher, donc… Ce qui lui vint à l’esprit, c’était surtout qu’il n’est pas un type tactile, qu’il fuit globalement les interactions et donc que les contacts se font plus rares que pour la plupart des personnes… Kaël ne se voyait pas le lui dire, il fallait trouver une alternative.
Il acquiesça en silence, réalisant combien il avait en horreur qu’on ose les tripoter. Une fois un spitmon avait eu l’audace de bousculer une de ses ailes, enfer et damnation…
Il haussa les épaules lorsqu’elle évoqua une certaine peine en ayant appris sa souffrance. Il avait bien cru mourir, mais pour rien au monde, il ne regrettait cette épreuve. La joie et les possibilités qu’elles lui apportent aujourd’hui sont la meilleure des consolations.
L’analyse d’Elide avait du sens, pour lui aussi. Le corps est un livre qui collecte le moindre détail et le retient entre ses pages. Une douleur intense et insupportable laisse une marque, un traumatisme. La mémoire du corps existe, il le pense aussi.
Il coula un regard vers la nouvelle recrue, quelque peu impressionné par la tournure de cette conversation. Elle s’intéressait sincèrement à lui, à ses spécificités. Elle ne cherchait probablement pas à collecter le maximum d’informations sur Kaël en particulier, ou sur « le chef d’escouade ». Elide démontrait un intérêt pour le monde dans lequel elle vivait maintenant, c’était un bon pour elle et sa progression, il en était persuadé. Contrairement à d’autres veilleurs qui s’étonnent encore de l’aspect des ailes du malakim, Elide ne portait aucun jugement. C’était rafraîchissant, d’une certaine façon. Et puis il avait noté les nombreux regards qu’elle jetait vers lui, il n’avait pas l’impression d’être épié de manière négative.
Il la fit répéter, avant qu’elle ne développe. Le malakim pencha la tête sur le côté. Cela ne l’avait jamais turlupiné, probablement parce qu’il avait toujours vécu la nuit, sur Terre comme sur Ozéna et que le temps était différent pendant cette période. Elle évoqua ses difficultés, sa perte de repère. Il imagina qu’elle venait d’un monde bien plus rapide et bourré de technologies, alors forcément, traverser le portail en direction d’Azamyr, c’était un peu comme revenir aux temps des cavernes. Lui n’avait pas eu ce problème, sur Terre, son mode de vie était très rustique.
Le visage de Kaël se fendit d’un sourire à la blague de la recrue. Plutôt à l’aise, il se permit une blague assez personnelle, bien qu’elle concerne surtout ceux qu’il considère comme des frères.
Dommage qu’à l’autre extrémité des remparts, l’un des malakims ne puissent pas l’entendre…
S’il ria à sa petite révélation, il perdit vite son sourire en constatant qu’une vague d’effroi traversa le visage de l’élémentaire. Aie, misère, elle venait d’avoir une épiphanie. Devait-il être parfaitement franc ? Devait-il maquiller la vérité ? Devait-il simplement mentir ? Kaël a horreur de déformer la vérité, alors…
Il voulait rester vague dans ses précisions, mais Elide souhaitait savoir, alors autant être honnête.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Le problème, lorsqu’on demande à quelqu’un de faire preuve de franchise, c’est qu’il y a une chance sur deux pour que la réponse ne nous plaise pas. Dans le cas d’Elide, dire que les révélations du Malakim lui firent l’effet d’une douche froide eut été un euphémisme. Ce fut plutôt une gigantesque cascade glacée de honte mâtinée d’une bonne dose d’angoisse qui lui dégoulina sur le coin de la gueule.
Sa première réaction fut, bien entendu, de rougir furieusement.
Sa deuxième, lorsqu’elle sentit sur ses joues la brûlure de la gêne, fut de détourner son visage par ailleurs devenu très pâle.
La troisième fut d’essayer de calmer les bonds désordonnés de son cœur – ce petit salaud tambourinait si fort au creux de sa poitrine qu’il transformait sa respiration en un souffle haletant.
Ses mains tremblèrent. Elle tenta de déglutir, mais sa gorge serrée l’en empêcha.
Elle aurait aussi bien pu beugler à tout le monde l’intimité de ses pensées.
La jeune femme poussa un gémissement et enfouit son visage cramoisi dans le creux de ses mains.
Calme-toi, putain, calme-toi ! Expi-non, inspire. Un. Deux. Trois. Merde, je commence à transpirer, il va le sentir. Merde, merde, MERDE !
« Mais pourquoi j’ai demandé… » marmonna-t-elle d’une voix étouffée suintante de désespoir. La panique lui hérissa le dos et lui déroba le reste du souffle que son cœur palpitant n’était pas parvenu à subtiliser. N’y tenant plus, l’élémentaire se leva et avala de quelques enjambées brusques la distance qui la séparait du bord des remparts. Ses mains sortirent de ses poches et agrippèrent le rebord de pierre à s’en blanchir les phalanges. Elle prit une profonde inspiration.
Tout. Il pouvait tout entendre, tout sentir, tout voir. Tout deviner.
Elle avait envie de disparaître.
Aux yeux de beaucoup, sa réaction pouvait sembler disproportionnée. Mais Elide faisait partie de ces gens pour qui la dissimulation était à tel point devenue une seconde nature qu’elle n’imaginait plus vivre sans cacher aux yeux du monde ce qui se tapissait dans les profondeurs de son esprit. Si les gens autour d’elle commençaient à pouvoir sentir ce qui la dévorait – cette douleur, cette tristesse, cette colère – alors ils en viendraient forcément aux questions. Ils en viendraient à creuser, et ils sauraient.
La vérité lui laissait dans la bouche un goût de cendres. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine.
« Je n’aimerais pas qu’on touche mes ailes sans permission, si j’en avais » finit-elle par lâcher dans un souffle, sans transition, dans une pathétique tentative pour faire diversion. « C’est une partie de toi – personne ne s'arrogerait le droit de te toucher le cul sans ton consentement. Mais les gens se comportement bizarrement, quand quelque chose sort de l’ordinaire. »
Elide ferma les yeux – son cœur résonnait jusque dans ses os. Le vent autour d’eux forcit légèrement, comme miroitant l’état émotionnel de l’élémentaire. Elle tâtonna à la recherche de la Créature, qu’elle trouva, à son grand soulagement, profondément endormie. Elle leva ses mains encore tremblantes et les bloqua sous ses aisselles pour les dissimuler à la vue du chef d’escouade. Elle aurait été à poil qu’elle ne se serait pas sentie plus vulnérable.
« Les deux obsédés dont tu parles… Laissez-moi deviner, ce sont les deux autres Malakims ? Celui avec les yeux violets, et l’autre avec les cheveux mi-longs ? » Évidemment. C'était limpide comme de l'eau de roche.
Une idée aussi soudaine que malvenue la percuta alors, faisant naître un terrible doute. Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Luttant contre son instinct qui la poussait à faire volte-face, elle se contenta de tourner légèrement la tête, n’offrant au chef d’escouade que son profil aux traits tendus – une surface moindre pour une analyse minimale. « Dis moi que tout ça n’est pas un coup monté. Quand... je ne sais plus son nom… quand il m’a dit de venir aujourd’hui, à cette heure précise ? Et quand l’autre… » une grande inspiration « … est venu te chercher, dans la tour. Ses blagues, votre dispute… Tout ça, ce n’était pas prévu, n’est-ce pas ? » Sa gorge laissa échapper un rire étranglé. « Dis-moi que ce n’était pas une humiliation pour une autre, pour celle que je t’ai infligée dans la cour. Que ce n’était pas une façon de se jouer de mes réactions, derrière mon dos ? Pour connaître ... » ses poings se serrèrent alors qu'une grimace de dégoût agitait ses traits « … ce que je ressentais, et ensuite mieux s'en servir ? Dis-moi que je me trompe, et qu’ils ne m'ont pas fait ça. » Que vous ne m'avez pas fait ça, aurait-elle voulu dire. Sa voix s’était réduite à un filet, étouffée par la déception qui faisait déjà fondre ce courage qu’elle avait eu tant de mal à trouver. Ce n’était plus au chef d’escouade qu’elle s’adressait, mais à l’homme.
Quelle conne.
Ses mains remontèrent sur ses épaules et les enserrèrent. Elle n’aurait jamais dû demander.
Ses yeux balayèrent l’horizon et s’arrêtèrent sur une étendue pelucheuse, à plusieurs dizaines de mètres de là. Même elle pouvait apercevoir les Spitmons, désormais, et leurs bêlements lui parvenaient aux oreilles en une vague étouffée. Si ses mains avaient cessé de trembler, son cœur battait toujours aussi fort – de colère et de déception, cette fois-ci.
« On devrait aller voir si personne n’a laissé d’appât pour les Stipmons » lâcha-t-elle au bout d’une poignée de secondes, une note de supplique au fond de la voix.
Sa première réaction fut, bien entendu, de rougir furieusement.
Sa deuxième, lorsqu’elle sentit sur ses joues la brûlure de la gêne, fut de détourner son visage par ailleurs devenu très pâle.
La troisième fut d’essayer de calmer les bonds désordonnés de son cœur – ce petit salaud tambourinait si fort au creux de sa poitrine qu’il transformait sa respiration en un souffle haletant.
Ses mains tremblèrent. Elle tenta de déglutir, mais sa gorge serrée l’en empêcha.
Elle aurait aussi bien pu beugler à tout le monde l’intimité de ses pensées.
La jeune femme poussa un gémissement et enfouit son visage cramoisi dans le creux de ses mains.
Calme-toi, putain, calme-toi ! Expi-non, inspire. Un. Deux. Trois. Merde, je commence à transpirer, il va le sentir. Merde, merde, MERDE !
« Mais pourquoi j’ai demandé… » marmonna-t-elle d’une voix étouffée suintante de désespoir. La panique lui hérissa le dos et lui déroba le reste du souffle que son cœur palpitant n’était pas parvenu à subtiliser. N’y tenant plus, l’élémentaire se leva et avala de quelques enjambées brusques la distance qui la séparait du bord des remparts. Ses mains sortirent de ses poches et agrippèrent le rebord de pierre à s’en blanchir les phalanges. Elle prit une profonde inspiration.
Tout. Il pouvait tout entendre, tout sentir, tout voir. Tout deviner.
Elle avait envie de disparaître.
Aux yeux de beaucoup, sa réaction pouvait sembler disproportionnée. Mais Elide faisait partie de ces gens pour qui la dissimulation était à tel point devenue une seconde nature qu’elle n’imaginait plus vivre sans cacher aux yeux du monde ce qui se tapissait dans les profondeurs de son esprit. Si les gens autour d’elle commençaient à pouvoir sentir ce qui la dévorait – cette douleur, cette tristesse, cette colère – alors ils en viendraient forcément aux questions. Ils en viendraient à creuser, et ils sauraient.
La vérité lui laissait dans la bouche un goût de cendres. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine.
« Je n’aimerais pas qu’on touche mes ailes sans permission, si j’en avais » finit-elle par lâcher dans un souffle, sans transition, dans une pathétique tentative pour faire diversion. « C’est une partie de toi – personne ne s'arrogerait le droit de te toucher le cul sans ton consentement. Mais les gens se comportement bizarrement, quand quelque chose sort de l’ordinaire. »
Elide ferma les yeux – son cœur résonnait jusque dans ses os. Le vent autour d’eux forcit légèrement, comme miroitant l’état émotionnel de l’élémentaire. Elle tâtonna à la recherche de la Créature, qu’elle trouva, à son grand soulagement, profondément endormie. Elle leva ses mains encore tremblantes et les bloqua sous ses aisselles pour les dissimuler à la vue du chef d’escouade. Elle aurait été à poil qu’elle ne se serait pas sentie plus vulnérable.
« Les deux obsédés dont tu parles… Laissez-moi deviner, ce sont les deux autres Malakims ? Celui avec les yeux violets, et l’autre avec les cheveux mi-longs ? » Évidemment. C'était limpide comme de l'eau de roche.
Une idée aussi soudaine que malvenue la percuta alors, faisant naître un terrible doute. Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Luttant contre son instinct qui la poussait à faire volte-face, elle se contenta de tourner légèrement la tête, n’offrant au chef d’escouade que son profil aux traits tendus – une surface moindre pour une analyse minimale. « Dis moi que tout ça n’est pas un coup monté. Quand... je ne sais plus son nom… quand il m’a dit de venir aujourd’hui, à cette heure précise ? Et quand l’autre… » une grande inspiration « … est venu te chercher, dans la tour. Ses blagues, votre dispute… Tout ça, ce n’était pas prévu, n’est-ce pas ? » Sa gorge laissa échapper un rire étranglé. « Dis-moi que ce n’était pas une humiliation pour une autre, pour celle que je t’ai infligée dans la cour. Que ce n’était pas une façon de se jouer de mes réactions, derrière mon dos ? Pour connaître ... » ses poings se serrèrent alors qu'une grimace de dégoût agitait ses traits « … ce que je ressentais, et ensuite mieux s'en servir ? Dis-moi que je me trompe, et qu’ils ne m'ont pas fait ça. » Que vous ne m'avez pas fait ça, aurait-elle voulu dire. Sa voix s’était réduite à un filet, étouffée par la déception qui faisait déjà fondre ce courage qu’elle avait eu tant de mal à trouver. Ce n’était plus au chef d’escouade qu’elle s’adressait, mais à l’homme.
Quelle conne.
Ses mains remontèrent sur ses épaules et les enserrèrent. Elle n’aurait jamais dû demander.
Ses yeux balayèrent l’horizon et s’arrêtèrent sur une étendue pelucheuse, à plusieurs dizaines de mètres de là. Même elle pouvait apercevoir les Spitmons, désormais, et leurs bêlements lui parvenaient aux oreilles en une vague étouffée. Si ses mains avaient cessé de trembler, son cœur battait toujours aussi fort – de colère et de déception, cette fois-ci.
« On devrait aller voir si personne n’a laissé d’appât pour les Stipmons » lâcha-t-elle au bout d’une poignée de secondes, une note de supplique au fond de la voix.
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Il ne tirait aucun plaisir dans cette situation. La réaction d’Elide, assez épidermique, en comprenant que seules ses pensées restaient secrètes auprès de malakim – encore que, selon les émotions qu’elle trahie… -, le fit nullement sourire. La pauvre se décomposait, rougissait et lui donna la vague impression qu’elle n’avait qu’une envie à ce moment précis : disparaître. Loin. Se faire oublier. À jamais. Le chef d’escouade avait un sourire sans émotion, pincé, compatissant. Il avait joué franc jeu, pour son plus grand malheur. Mais ne vaut-il pas mieux qu’elle sache le plus tôt possible que ses émotions n’ont pas de secret pour bon nombre de ses collègues ? Certains prétendront que Kaël était malveillant, lui pensait sincèrement faire preuve de bienveillance en tirant une petite sonnette d’alarme.
- Navré.
Il n’allait pas se confondre en excuses. Aussi malheureux cela soit-il, ce n’était pas sa faute. Il n’avait pas non plus choisi de devenir un malakim et d’avoir un accès beaucoup trop direct et intime sur les réactions des personnes l’entourant. Personne ne peut se douter combien les crises d’angoisse et les trémolos dans la voix des autres peuvent vite devenir envahissants, oppressant et déstabilisant. Mais bon, la nouvelle recrue n’avait certainement pas envie que son chef passe pour une victime de ses propres dons, alors il n’en rajouta pas une couche. C’est une histoire pour une autre garde, à la rigueur.
L’élémentaire pris le large, si bien sûr, on peut dire cela ainsi tout en haut des remparts. Elle avait besoin de distance et, comme rien n’indiquait dans sa posture qu’elle souhaitait passer par-dessus bord – tiens, cela lui rappela une certaine vampyre -, il ne s’en inquiéta pas. Bien évidemment, il ne la lâcha pas du regard, dans une attitude purement protectrice. Si elle voulait se faire petite et oubliée, c’était le mouvement le pire dont elle pouvait faire preuve !
La tentative d’Elide pour changer de sujet avait le mérité d’exister. C’était tout. Pas besoin d’être un génie, un mentaliste ou un brillant psychologue pour comprendre qu’elle ressassait en boucle toutes leurs interactions pour jauger si elle avait été trop émotive ou démonstrative. Même Kaël pouvait s’en douter.
- Sauf qu’ici, tout sort de l’ordinaire. Même ceux qui ne deviennent pas des élémentaires, des vampyres, ou que sais-je, en sortant du portail, sont déjà extraordinaires dans le paysage d’Ozéna. Pourtant, ça n’empêche pas qu’on se regarde tous avec curiosité, malveillance ou de travers.
Le changement s’était fait subtilement, mais il ressentit le vent se lever. Et sachant combien Elide se sentait mal à l’aise – pourquoi cacher de la sorte ses mains ? – il eut la nette impression qu’elle en était pour quelque chose. Lui faire remarquer ne fera probablement que se déchaîner son pouvoir, mieux vaut garder le silence, tant que cela ne créé pas de danger.
- C'est bien eux, tout juste.
Était-ce sa réponse qui lui provoqua ce trouble dans le regard ? La suite lui parut d’un premier abord lunaire, quoi que… Lui-même pouvait comprendre et entendre les doutes de l’élémentaire. Sans virer parano, Elide avait légitimement de quoi se poser des questions. Le chef d’escouade la laissa aller jusqu’au bout de sa réflexion, de sa petite hypothèse, avant de tenter de remettre l’église au milieu du village.
- Je ne suis pas responsable de leurs actes, en tout cas pas de leur comportement en matière de bizutage. S’ils vont trop loin et que ça te met dans pareil état, je peux les reprendre à l’ordre. Je n’ai pas pour désir de te voir fuir sans faire tes preuves chez les veilleurs. Ils sont souvent très cons, très mesquins, moi-même, j’en paye le prix, comme n’importe où, avec n’importe quels collègues plus ou moins bien attentionnés. Tu viens d’exprimer un mal-être que je ne laisserai pas prendre plus d’ampleur. C’est intolérable.
C’était un début, mais il hallucina en croyant comprendre qu’il chercherait à se venger. Lui. Il avait compris de travers, n’est-ce pas ? Aussi stupide et égocentrique que cela puisse paraître, que l’on pense cela de lui, c’était bien plus blessant que d’être moqué dans son dos pour ses grognements, ses comportements inadaptés, ses rougeurs inexpliquées ou sa sauvagerie.
- Que l’on soit bien clair, je n’ai rien souhaité, rien commandité, rien anticipé. Si tu penses encore que je t’en veux pour le petit numéro à ton arrivée, alors même que j’admets être coupable dans cette affaire ridicule, née d’un manque de communication… Et bien, c’est mal me connaître. Il m’en faut plus pour être rancunier, en tant qu’homme. Et je n’ai pas été nommé chef d’escouade pour mon sadisme, mon malin plaisir à décourager les nouvelles recrues et un cruel manque de pédagogie.
Il était vexé. Même si son ton était à la limite de la neutralité, son langage non-verbal ne laissait que peu de doute : le veilleur venait de croiser les bras sur son torse et, malgré ses tentatives pour être distant, son regard cachait difficilement sa déception. Il voulait bien encaisser tout un tas de sobriquets ou de rumeurs, mais que l’on pense qu’il soit assez petit pour une telle fourberie, c’était humiliant.
- Je suis navré que tu sois jeune, jolie et d’apparence fragile. Je suis désolé que certains singes apprécient ces mêmes qualités pour ressentir du plaisir. Mais je ne suis pas désolé d’avoir tout mis en œuvre pour que ton arrivée soit source de malaise, je n’en suis pas le coupable.
Et ces putains de spitmons qui bêlaient à tue-tête, il avait envie d’en prendre un pour taper sur l’autre. C’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, pourtant le malakim prit sur lui pour ne pas donner davantage d’indices sur son état de colère. Il hocha simplement la tête, prenant la tentative d’Elide pour changer une nouvelle fois de sujet, comme une proposition assez pertinente. D’un simple mouvement de tête, il désigna les escaliers qu’ils devront descendre pour rejoindre le bétail. Il était le premier à cavaler pour avaler les marches. Et, oh quelle surprise, il découvrit des épluchures de légumes, du grain et même du foin dans une mangeoire, le tout installé comme un buffet pour les bestioles.
- Eh bah mes cochons, impossible de vous déloger tant qu’il en restera dans vos auges…
Une garde merveilleuse s’annonçait.
Il n’allait pas se confondre en excuses. Aussi malheureux cela soit-il, ce n’était pas sa faute. Il n’avait pas non plus choisi de devenir un malakim et d’avoir un accès beaucoup trop direct et intime sur les réactions des personnes l’entourant. Personne ne peut se douter combien les crises d’angoisse et les trémolos dans la voix des autres peuvent vite devenir envahissants, oppressant et déstabilisant. Mais bon, la nouvelle recrue n’avait certainement pas envie que son chef passe pour une victime de ses propres dons, alors il n’en rajouta pas une couche. C’est une histoire pour une autre garde, à la rigueur.
L’élémentaire pris le large, si bien sûr, on peut dire cela ainsi tout en haut des remparts. Elle avait besoin de distance et, comme rien n’indiquait dans sa posture qu’elle souhaitait passer par-dessus bord – tiens, cela lui rappela une certaine vampyre -, il ne s’en inquiéta pas. Bien évidemment, il ne la lâcha pas du regard, dans une attitude purement protectrice. Si elle voulait se faire petite et oubliée, c’était le mouvement le pire dont elle pouvait faire preuve !
La tentative d’Elide pour changer de sujet avait le mérité d’exister. C’était tout. Pas besoin d’être un génie, un mentaliste ou un brillant psychologue pour comprendre qu’elle ressassait en boucle toutes leurs interactions pour jauger si elle avait été trop émotive ou démonstrative. Même Kaël pouvait s’en douter.
Le changement s’était fait subtilement, mais il ressentit le vent se lever. Et sachant combien Elide se sentait mal à l’aise – pourquoi cacher de la sorte ses mains ? – il eut la nette impression qu’elle en était pour quelque chose. Lui faire remarquer ne fera probablement que se déchaîner son pouvoir, mieux vaut garder le silence, tant que cela ne créé pas de danger.
Était-ce sa réponse qui lui provoqua ce trouble dans le regard ? La suite lui parut d’un premier abord lunaire, quoi que… Lui-même pouvait comprendre et entendre les doutes de l’élémentaire. Sans virer parano, Elide avait légitimement de quoi se poser des questions. Le chef d’escouade la laissa aller jusqu’au bout de sa réflexion, de sa petite hypothèse, avant de tenter de remettre l’église au milieu du village.
C’était un début, mais il hallucina en croyant comprendre qu’il chercherait à se venger. Lui. Il avait compris de travers, n’est-ce pas ? Aussi stupide et égocentrique que cela puisse paraître, que l’on pense cela de lui, c’était bien plus blessant que d’être moqué dans son dos pour ses grognements, ses comportements inadaptés, ses rougeurs inexpliquées ou sa sauvagerie.
Il était vexé. Même si son ton était à la limite de la neutralité, son langage non-verbal ne laissait que peu de doute : le veilleur venait de croiser les bras sur son torse et, malgré ses tentatives pour être distant, son regard cachait difficilement sa déception. Il voulait bien encaisser tout un tas de sobriquets ou de rumeurs, mais que l’on pense qu’il soit assez petit pour une telle fourberie, c’était humiliant.
Et ces putains de spitmons qui bêlaient à tue-tête, il avait envie d’en prendre un pour taper sur l’autre. C’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase, pourtant le malakim prit sur lui pour ne pas donner davantage d’indices sur son état de colère. Il hocha simplement la tête, prenant la tentative d’Elide pour changer une nouvelle fois de sujet, comme une proposition assez pertinente. D’un simple mouvement de tête, il désigna les escaliers qu’ils devront descendre pour rejoindre le bétail. Il était le premier à cavaler pour avaler les marches. Et, oh quelle surprise, il découvrit des épluchures de légumes, du grain et même du foin dans une mangeoire, le tout installé comme un buffet pour les bestioles.
Une garde merveilleuse s’annonçait.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
« Je ne demande aucun traitement de faveur. » Les mots étaient sortis plus sèchement qu’elle n’en avait eu l’intention, miroitant malgré eux la vexation qui, à son tour, lui serrait le ventre. Le portrait qu’avait dressé d’elle le Malakim, aussi juste soit-il, l’avait percutée avec toute la délicatesse d’un coup de poing. Dans sa bouche, tout sonnait étrangement… vulnérable – l’une de ces vérités que l’élémentaire avait toujours refusé d’accepter. Sa fierté, piquée elle-aussi, lui avait d’abord fait serrer les mains en même temps que la mâchoire, avant que la jeune femme ne relâche les épaules ainsi qu’un soupir. À quoi bon essayer de se cacher ? Kaël s’était de toute façon déjà probablement rendu compte du trouble qui l’agitait, et même peut-être avant qu’elle-même n’en ai conscience. Elle était passée au détecteur de mensonges, une fois. L’expérience, en comparaison, lui semblait désormais presque agréable, car au moins, alors, il y avait eu une chance qu’elle puisse tromper l’appareil. « Je suis capable de me défendre seule. » reprit-elle d’un ton rendu âpre par l’amertume. Aucune chance, en revanche, de parvenir à tromper Kaël – pas quand son agacement était tel qu’il lui piquait le nez. « La seule chose que je veux, c’est être au courant des règles du jeu, pour pouvoir me battre sur un pied d’égalité. Que je sache à quoi m’attendre. Que je sache que je dois … qu’ils risquent de … qu’ils peuvent… » Les mots refusaient de sortir. Frustrée, la jeune femme secoua la tête, les lèvres pincées en une ligne sévère. Ses bras se resserrèrent autour d’elle dans une étreinte protectrice.
Fragile. Est-ce vraiment l’impression qu’elle donnait ? Est-ce ainsi qu'il la voyait, lui et tous les autres ?
Une vague de colère serra la gorge de l’élémentaire, décuplée par le calme mesuré qu’affichait son chef d’escouade – le dos tourné, elle ne pouvait voir ni l’éclat de déception dans ses yeux, ni les bras qu’il avait croisés sur son torse pour contenir son agacement. Une colère qui la poussa à faire volte-face, la bouche ouverte, les yeux brûlants… pour voir Kaël, le visage fermé, passer devant-elle à grands pas et lui désigner d’un geste du menton les escaliers dans lesquels il s’engouffra sans un regard en arrière.
Ah.
L’espace d’un instant, Elide envisagea de rester là, seule sur ce rempart, et de le laisser se démerder. Injustement, c’était à lui qu’elle en voulait plutôt qu’aux deux absents. Probablement parce que c’était à lui, qu’elle avait offert ce filament de confiance qu’elle avait un court instant imaginée trahie. Une confiance aveugle et accordée un peu sottement, jugea-t-elle avec cette mauvaise foi des égos blessés. Même si, finalement, personne ne l’avait dupée – si ce n’est sa propre ignorance.
Toutefois, il est toujours plus facile de blâmer les autres pour ses propres manquements que de les affronter en face. Et, pour l’heure, l’élémentaire n’était pas dans la disposition d’esprit adéquate pour accepter de n’avoir personne d’autre qu’elle-même à pointer du doigt. Avec un claquement de langue agacé, elle s’engouffra à la suite de Kaël, jurant entre ses dents serrées alors qu’elle forçait l’allure pour le rattraper. Elle déboula à sa suite aux pieds des remparts une dizaine de secondes plus tard, hors d’haleine et les cuisses brûlantes. Une cacophonie de bêlements l’accueillit, qui lui fit grincer les dents.
« Mais quel bordel… » grogna-t-elle. Inutile de se demander pourquoi le Malakim détestait les Spitmons – ils lui brisaient les tympans, et elle n’avait pas de sens décuplés. Bon gré mal gré, elle tenta de se frayer un chemin dans la marée de dos hirsutes, mais les Spitmons étaient aussi stupides que bruyants. Plutôt que de s’écarter, ils resserrèrent au contraire leurs rangs face à ce qu’ils considéraient – à juste titre – comme une intrusion malvenue au gueuleton qui se profilait à l’horizon. Plaçant dès lors la mangeoire, et par extension Kaël, totalement hors d’atteinte.
N’étant pas de ces personnes qui apprécient de se montrer particulièrement violente envers les animaux, la jeune femme tenta d’abord une approche pacifiste, se servant de ses mains et de ses genoux pour repousser doucement les têtes laineuses qui lui bouchaient le passage.
« Allez, bouge », commença-t-elle d’une voix cajoleuse « tu… Ah mais MERDE ! »
L’exclamation, venue droit du cœur, lui fut tirée par la rencontre de l’arrière de sa cuisse avec les dents d’un Stipmon particulièrement affamé – ou belliqueux. Ou les deux. L’élémentaire fit volte-face et, dans un mouvement que la surprise transforma en réflexe, balaya le museau du coupable d’un revers de la main. Celui-ci, reculant d’un pas et bousculant au passage joyeusement l’un de ses compères, fit entendre un bêlement outré avant de revenir à la charge. Il était donc du type belliqueux. Sans réfléchir, Elide tendit une main devant elle et repoussa le Stipmon… qui, sous la puissance d’un coup de vent aussi soudain qu’inattendu, alla valdinguer deux mètres plus loin, entraînant avec lui deux de ses camarades. La triste bande se retrouva au sol, sur le flanc, leurs hurlements lamentables pour seule consolation à la cuisse endolorie de l’élémentaire.
« Tu vas voir, si je suis fragile, saloperie de bestiole à la con ! » siffla celle-ci entre ses dents serrées. Ses yeux brillants de colère se posèrent une fraction de seconde sur Kaël avant de se concentrer sur la nouvelle source de son ire. La jeune femme leva les deux mains. Ses cheveux furent les premiers à onduler, balayés par une brise invisible, avant que sa veste, repoussée par le baiser d’un souffle soudain, ne rejoigne la danse, se plaquant langoureusement contre son corps. Le Vent s’enroula doucement autour d’elle – autour de ses doigts, d’abord, puis de ses poignets, et de ses bras. Elide sourit, de ces sourires tellement rares qu’ils restent gravés dans la mémoire de ceux qui ont la chance d’en être témoins. Un sourire, qui un bref instant, éclaira son visage défait d’une lueur de joie tellement pure qu’elle en frôlait la candeur.
Fragile, avait-il dit ?
Non. En, cet instant, elle était puissante.
Au loin, les branches craquèrent. Le Vent grossit, siffla… et heurta de plein fouet le mur de Spitmons qui se dressaient entre elle et le Malakim aux cheveux d’ébène. Contrairement à la première fois, cependant, les bêtes ne reculèrent que de quelques pas – l’exercice était rendu plus ardu par le nombre et la concentration de toutes ces petites têtes laineuses prêtes à défendre leur position pour le plaisir de goûter au délice de quelques épluchures.
L’élémentaire serra les dents, frustrée.
Qu’à cela ne tienne.
Ses yeux se fermèrent un instant avant de se rouvrir. Le miel en était devenu d’or, et au fond s’y devinait les prémices d’un éclat opalin.
Le Vent forcit, siffla encore et percuta de nouveau le mur de Stimons, avec cette fois-ci une puissance décuplée par la colère qui abreuvait les veines de l’élémentaire autant qu’elle déformait ses traits.
Fragile. Est-ce vraiment l’impression qu’elle donnait ? Est-ce ainsi qu'il la voyait, lui et tous les autres ?
Une vague de colère serra la gorge de l’élémentaire, décuplée par le calme mesuré qu’affichait son chef d’escouade – le dos tourné, elle ne pouvait voir ni l’éclat de déception dans ses yeux, ni les bras qu’il avait croisés sur son torse pour contenir son agacement. Une colère qui la poussa à faire volte-face, la bouche ouverte, les yeux brûlants… pour voir Kaël, le visage fermé, passer devant-elle à grands pas et lui désigner d’un geste du menton les escaliers dans lesquels il s’engouffra sans un regard en arrière.
Ah.
L’espace d’un instant, Elide envisagea de rester là, seule sur ce rempart, et de le laisser se démerder. Injustement, c’était à lui qu’elle en voulait plutôt qu’aux deux absents. Probablement parce que c’était à lui, qu’elle avait offert ce filament de confiance qu’elle avait un court instant imaginée trahie. Une confiance aveugle et accordée un peu sottement, jugea-t-elle avec cette mauvaise foi des égos blessés. Même si, finalement, personne ne l’avait dupée – si ce n’est sa propre ignorance.
Toutefois, il est toujours plus facile de blâmer les autres pour ses propres manquements que de les affronter en face. Et, pour l’heure, l’élémentaire n’était pas dans la disposition d’esprit adéquate pour accepter de n’avoir personne d’autre qu’elle-même à pointer du doigt. Avec un claquement de langue agacé, elle s’engouffra à la suite de Kaël, jurant entre ses dents serrées alors qu’elle forçait l’allure pour le rattraper. Elle déboula à sa suite aux pieds des remparts une dizaine de secondes plus tard, hors d’haleine et les cuisses brûlantes. Une cacophonie de bêlements l’accueillit, qui lui fit grincer les dents.
« Mais quel bordel… » grogna-t-elle. Inutile de se demander pourquoi le Malakim détestait les Spitmons – ils lui brisaient les tympans, et elle n’avait pas de sens décuplés. Bon gré mal gré, elle tenta de se frayer un chemin dans la marée de dos hirsutes, mais les Spitmons étaient aussi stupides que bruyants. Plutôt que de s’écarter, ils resserrèrent au contraire leurs rangs face à ce qu’ils considéraient – à juste titre – comme une intrusion malvenue au gueuleton qui se profilait à l’horizon. Plaçant dès lors la mangeoire, et par extension Kaël, totalement hors d’atteinte.
N’étant pas de ces personnes qui apprécient de se montrer particulièrement violente envers les animaux, la jeune femme tenta d’abord une approche pacifiste, se servant de ses mains et de ses genoux pour repousser doucement les têtes laineuses qui lui bouchaient le passage.
« Allez, bouge », commença-t-elle d’une voix cajoleuse « tu… Ah mais MERDE ! »
L’exclamation, venue droit du cœur, lui fut tirée par la rencontre de l’arrière de sa cuisse avec les dents d’un Stipmon particulièrement affamé – ou belliqueux. Ou les deux. L’élémentaire fit volte-face et, dans un mouvement que la surprise transforma en réflexe, balaya le museau du coupable d’un revers de la main. Celui-ci, reculant d’un pas et bousculant au passage joyeusement l’un de ses compères, fit entendre un bêlement outré avant de revenir à la charge. Il était donc du type belliqueux. Sans réfléchir, Elide tendit une main devant elle et repoussa le Stipmon… qui, sous la puissance d’un coup de vent aussi soudain qu’inattendu, alla valdinguer deux mètres plus loin, entraînant avec lui deux de ses camarades. La triste bande se retrouva au sol, sur le flanc, leurs hurlements lamentables pour seule consolation à la cuisse endolorie de l’élémentaire.
« Tu vas voir, si je suis fragile, saloperie de bestiole à la con ! » siffla celle-ci entre ses dents serrées. Ses yeux brillants de colère se posèrent une fraction de seconde sur Kaël avant de se concentrer sur la nouvelle source de son ire. La jeune femme leva les deux mains. Ses cheveux furent les premiers à onduler, balayés par une brise invisible, avant que sa veste, repoussée par le baiser d’un souffle soudain, ne rejoigne la danse, se plaquant langoureusement contre son corps. Le Vent s’enroula doucement autour d’elle – autour de ses doigts, d’abord, puis de ses poignets, et de ses bras. Elide sourit, de ces sourires tellement rares qu’ils restent gravés dans la mémoire de ceux qui ont la chance d’en être témoins. Un sourire, qui un bref instant, éclaira son visage défait d’une lueur de joie tellement pure qu’elle en frôlait la candeur.
Fragile, avait-il dit ?
Non. En, cet instant, elle était puissante.
Au loin, les branches craquèrent. Le Vent grossit, siffla… et heurta de plein fouet le mur de Spitmons qui se dressaient entre elle et le Malakim aux cheveux d’ébène. Contrairement à la première fois, cependant, les bêtes ne reculèrent que de quelques pas – l’exercice était rendu plus ardu par le nombre et la concentration de toutes ces petites têtes laineuses prêtes à défendre leur position pour le plaisir de goûter au délice de quelques épluchures.
L’élémentaire serra les dents, frustrée.
Qu’à cela ne tienne.
Ses yeux se fermèrent un instant avant de se rouvrir. Le miel en était devenu d’or, et au fond s’y devinait les prémices d’un éclat opalin.
Le Vent forcit, siffla encore et percuta de nouveau le mur de Stimons, avec cette fois-ci une puissance décuplée par la colère qui abreuvait les veines de l’élémentaire autant qu’elle déformait ses traits.
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Malgré sa propre colère, il comprenait qu’elle veuille connaître les « règles du jeu ». Néanmoins, ne devrait-il pas lui souligner qu’il ne connaît aucune situation, aucun milieu, dans lequel des règles bien précises sont dictées ? C’était sans compter sur la nature humaine, son caractère imprévisible, mais soit. Si Elide souhaitait connaître les règles, et bien, il allait les lui révéler :
- Il n’y a pas de règle. Ils sont cons et se défoulent sur qui ils ont dans le viseur, à un moment précis. Je n’ai rien de plus à t’apporter, moi ça fait onze ans que je compose avec ce genre de comportements. Ignore-les, ils se lasseront.
Pour un type en colère, il n’était pas si rancunier. Et puis surtout, ses soupçons, ce qu’elle avait sous-entendu, ne valait pas qu’il se déchaîne outre mesure. Kaël affichait déjà bien suffisamment son agacement à son goût. Et puis, comme il l’avait dit plutôt, il n’avait pas atteint le rang de chef d’escouade en étant connu pour être un sale type qui cède à ses petits bobos de l’ego. Droit dans ses bottes, probablement trop tolérant, trop bienveillant et trop patient selon certains veilleurs, le malakim désire surtout laisser sa chance à chacun, qu’ils soient égaux. D’autres avaient fait bien pire que l’élémentaire d’air et pourtant, il avait tourné la page.
En découvrant le troupeau de spitmons, hurlant, beuglant, se goinfrant avec appétit, l’élémentaire s’exclama, et cette fois-ci le malakim ne comprit pas de travers ses propos en entendant le mot « bordel ». Même si son ouïe était fortement préoccupée par tous ces bêlements assourdissants, il perçut au loin Elide, qui essayait tant bien que mal de se frayer un chemin. Kaël, lui, était complètement acculé, si bien qu’il dut déployer ses ailes le plus possible vers le ciel, pour que les têtes de bétail ne les lui arrachent pas. Il avait horreur qu’on les touche, mais alors que ce soient ces bestioles qui le bousculent, c’était pire que tout. Particulièrement agacé par la situation, le chef d’escouade réussit, tant bien que mal, à se frayer un chemin vers l’auge principale. Cette dernière pesait une tonne et, il le comprit, il ne risquait pas de s’envoler avec pour attirer ailleurs les spitmons.
L’enfer, c'est les autres, mais c’est surtout la faune d’Ozéna. D’apparence inoffensive, ces bêtes affamées sont particulièrement désagréables. Il en surprit plusieurs qui le repoussaient sans vergogne pour pouvoir accéder à la becquetance. Il aurait aimé être un élémentaire de feu et offrir un festin aux veilleurs… Au diable son passé de paysan, il n’hésita pas à donner un coup de pied à un mâle revêche quand il entendit Elide perdre aussi les pédales, accusant le coup d’avoir été qualifiée de « fragile ». Il aurait dit vulnérable, qu’elle se serait probablement vexée de la même façon. Ce n’est pourtant qu’un état passager et les veilleurs l’aideront à se forger une carapace, mais soit, sa colère se transforma en un véritable moteur.
Le vol de spitmon allait peut-être devenir un sport national, qui sait ? En tout cas, il y en a un qui subit la création officielle de ce loisir. L’image était assez drôle, le son beaucoup moins : la créature des enfers beuglait de peur à présent. Évidemment, les bestiaux les plus proches, qui avaient assisté à la scène et interrompu leur festin, firent de même. Il n’y avait que les plus gloutons qui s’en contrecarraient et profitaient des mets.
S’en suivit une belle démonstration de l’étendue des pouvoirs de la nouvelle recrue. Il lui avait fallu s’y prendre à deux fois, faire preuve d’un effort considérable, mais suite à son appel et ses ordres, un terrible vent lui vint en aide. Fauchant une grande partie des bestioles, les faisant voltiger quelques mètres plus loin ou les forçant à galoper, entraînés par une pression puissante, Elide était parvenue à un exploit : maintenant, les animaux étaient dispersés et il y avait de la place pour circuler. Ni une, ni deux, avant que l’attroupement ne reprenne forme avec les rescapés ou ceux capables de se relever, le malakim attrapa les deux bottes de foin, soit une partie du festin, puis prit son envol pour les rejeter, plus loin qu’aux pieds du rempart. Complètement affolés à l’idée de perdre de vue cette source de nourriture, il entendit les bêlements le poursuivre. Le reste des mets avaient voltigé avec les bestiaux, dans tous les sens.
Délesté des ballots de paille, il fit le chemin inverse pour revenir près de la recrue. Les animaux se dispersaient, n’ayant plus guère de motivation à rester sur place. Certains prirent le temps de donner des coups de cornes aux deux humains, par rancœur. Des hématomes parsèmeront les zones touchées, c’était certain.
- Saletés, vous mériteriez d’être rôtis !
Il attendit que les bêtes se dispersent définitivement pour couler un regard vers Elide, qui devait sans doute ressentir une certaine fatigue après son exploit. Le chef d’escouade n’avait aucune idée du niveau de contrôle de l’élémentaire sur son pouvoir, mais s’il se référait à la première conversation qu’ils avaient eu, elle n’était pas présente à Azamyr depuis assez longtemps. Et puis, il y avait les difficultés liées à ses émotions. Il savait qu’elle avait agi sous le coup de la colère, accumulée suite aux comportements de tous les veilleurs croisés, à commencer par le chef d’escouade revenu à ses côtés. Ce dernier leva le nez vers le sommet des remparts, certains avaient observé la scène et commentaient déjà la prestation de la nouvelle recrue. Le sixième sens de Kaël lui chuchota qu’elle venait de gagner des points d’aura, mais il n’en dit rien. Elle voulait se débrouiller seule, elle le découvrira tôt ou tard.
- Fragile et puissante, effectivement. Se rendre compte de sa vulnérabilité ne devrait pas te mettre en colère, c’est très humble et c’est un moyen de contrôler tes émotions. Certes, l’ego en prend un coup, mais ça ne t’a pas empêché d’improviser avec ton pouvoir. Tu viens de trouver une solution très originale pour nous débarrasser d’une source de problèmes, dès ta première garde. Car il ne s’agit pas de la paix des oreilles de tous les malakims, mais bien d’un problème de taille : autant de spitmons agglutinés si près de la ville, c’était la garantie d’attirer des prédateurs. Bien joué Elide.
Pour un type en colère, il n’était pas si rancunier. Et puis surtout, ses soupçons, ce qu’elle avait sous-entendu, ne valait pas qu’il se déchaîne outre mesure. Kaël affichait déjà bien suffisamment son agacement à son goût. Et puis, comme il l’avait dit plutôt, il n’avait pas atteint le rang de chef d’escouade en étant connu pour être un sale type qui cède à ses petits bobos de l’ego. Droit dans ses bottes, probablement trop tolérant, trop bienveillant et trop patient selon certains veilleurs, le malakim désire surtout laisser sa chance à chacun, qu’ils soient égaux. D’autres avaient fait bien pire que l’élémentaire d’air et pourtant, il avait tourné la page.
En découvrant le troupeau de spitmons, hurlant, beuglant, se goinfrant avec appétit, l’élémentaire s’exclama, et cette fois-ci le malakim ne comprit pas de travers ses propos en entendant le mot « bordel ». Même si son ouïe était fortement préoccupée par tous ces bêlements assourdissants, il perçut au loin Elide, qui essayait tant bien que mal de se frayer un chemin. Kaël, lui, était complètement acculé, si bien qu’il dut déployer ses ailes le plus possible vers le ciel, pour que les têtes de bétail ne les lui arrachent pas. Il avait horreur qu’on les touche, mais alors que ce soient ces bestioles qui le bousculent, c’était pire que tout. Particulièrement agacé par la situation, le chef d’escouade réussit, tant bien que mal, à se frayer un chemin vers l’auge principale. Cette dernière pesait une tonne et, il le comprit, il ne risquait pas de s’envoler avec pour attirer ailleurs les spitmons.
L’enfer, c'est les autres, mais c’est surtout la faune d’Ozéna. D’apparence inoffensive, ces bêtes affamées sont particulièrement désagréables. Il en surprit plusieurs qui le repoussaient sans vergogne pour pouvoir accéder à la becquetance. Il aurait aimé être un élémentaire de feu et offrir un festin aux veilleurs… Au diable son passé de paysan, il n’hésita pas à donner un coup de pied à un mâle revêche quand il entendit Elide perdre aussi les pédales, accusant le coup d’avoir été qualifiée de « fragile ». Il aurait dit vulnérable, qu’elle se serait probablement vexée de la même façon. Ce n’est pourtant qu’un état passager et les veilleurs l’aideront à se forger une carapace, mais soit, sa colère se transforma en un véritable moteur.
Le vol de spitmon allait peut-être devenir un sport national, qui sait ? En tout cas, il y en a un qui subit la création officielle de ce loisir. L’image était assez drôle, le son beaucoup moins : la créature des enfers beuglait de peur à présent. Évidemment, les bestiaux les plus proches, qui avaient assisté à la scène et interrompu leur festin, firent de même. Il n’y avait que les plus gloutons qui s’en contrecarraient et profitaient des mets.
S’en suivit une belle démonstration de l’étendue des pouvoirs de la nouvelle recrue. Il lui avait fallu s’y prendre à deux fois, faire preuve d’un effort considérable, mais suite à son appel et ses ordres, un terrible vent lui vint en aide. Fauchant une grande partie des bestioles, les faisant voltiger quelques mètres plus loin ou les forçant à galoper, entraînés par une pression puissante, Elide était parvenue à un exploit : maintenant, les animaux étaient dispersés et il y avait de la place pour circuler. Ni une, ni deux, avant que l’attroupement ne reprenne forme avec les rescapés ou ceux capables de se relever, le malakim attrapa les deux bottes de foin, soit une partie du festin, puis prit son envol pour les rejeter, plus loin qu’aux pieds du rempart. Complètement affolés à l’idée de perdre de vue cette source de nourriture, il entendit les bêlements le poursuivre. Le reste des mets avaient voltigé avec les bestiaux, dans tous les sens.
Délesté des ballots de paille, il fit le chemin inverse pour revenir près de la recrue. Les animaux se dispersaient, n’ayant plus guère de motivation à rester sur place. Certains prirent le temps de donner des coups de cornes aux deux humains, par rancœur. Des hématomes parsèmeront les zones touchées, c’était certain.
Il attendit que les bêtes se dispersent définitivement pour couler un regard vers Elide, qui devait sans doute ressentir une certaine fatigue après son exploit. Le chef d’escouade n’avait aucune idée du niveau de contrôle de l’élémentaire sur son pouvoir, mais s’il se référait à la première conversation qu’ils avaient eu, elle n’était pas présente à Azamyr depuis assez longtemps. Et puis, il y avait les difficultés liées à ses émotions. Il savait qu’elle avait agi sous le coup de la colère, accumulée suite aux comportements de tous les veilleurs croisés, à commencer par le chef d’escouade revenu à ses côtés. Ce dernier leva le nez vers le sommet des remparts, certains avaient observé la scène et commentaient déjà la prestation de la nouvelle recrue. Le sixième sens de Kaël lui chuchota qu’elle venait de gagner des points d’aura, mais il n’en dit rien. Elle voulait se débrouiller seule, elle le découvrira tôt ou tard.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Il y avait quelque chose d’extrêmement grisant, dans le fait de susciter la terreur.
Même si ce n’était que chez une bande de Spitmons.
Elide ne put retenir l’expression de surprise qui étira son visage à la vue de son propre pouvoir. Jusqu’alors, elle n'était parvenue à invoquer que de légères brises, au mieux quelques bourrasques bien senties – le veilleur aux yeux charbonneux pouvait en témoigner. Mais ça… c’était autre chose. Durant les jours qui avaient suivi l’incident avec Vex, l’élémentaire de feu aux yeux améthyste, la jeune femme avait fini par se convaincre que la puissance qu’elle avait alors déployée et dont elle avait, dans une moindre mesure, fait les frais, n’avait finalement été qu’un vaste coup de bol engendré par la fusion de leurs deux éléments. Car, malgré ses tentatives ultérieures, certes rendues timides par une forme d’appréhension un peu légitime, elle n’était jamais parvenue à reproduire ne serait-ce que la moitié de cette force brute qu’elle avait sentie lui embraser les veines. Alors elle avait fini par abandonner, convaincue de sa médiocrité.
Ce qu’elle ne savait pas, cependant, était que son corps, encore secoué par sa récente mésaventure, était alors tout simplement en train de reconstituer ses réserves – réserves qui, aujourd'hui, étaient plus que pleines.
Elide aurait juré avoir entendu le Vent rire à ses oreilles avant qu’il ne percute la ligne de Spitmons. Les pauvres bêtes, malmenées et, surtout, terrifiées, ne demandèrent pas leur reste et prirent leurs petites jambes à leur cou, leur fuite accompagnée de leurs bêlements terrifiés. Du coin de l’œil, la jeune femme avisa une forme ailée qui prenait son envol avant que son attention ne soit attirée par un mouvement à la limite de sa périphérie. Se tournant, elle para de justesse le coup de corne d’une mâle particulièrement agacé, se vengeant d’une bourrasque bien sentie qui l’envoya bouler un peu plus loin. Mais à peine commençait-elle à savourer sa maigre victoire qu’une douleur lui vrilla le côté du genou, détournant son attention vers un autre ruminant qui, profitant de sa distraction momentanée, avait décidé de lui faire connaître à sa façon toute l’étendue de sa rancœur. Ce premier coup de corne fut suivi d'un deuxième – à l’arrière de la cuisse – et d'un troisième – au niveau du tibia, cette fois-ci. À chaque pic de douleur, l’élémentaire sentait sa colère enfler encore un peu plus.
« Saloperie de merde ! » finit-elle par jurer d’une voix grondante. « Je vais vous en mettre moi, des putain de coups de corne ! » Son timbre, un instant, sembla rouler comme le tonnerre. Les dents serrés par l’effort, la jeune femme écarta brutalement les bras et fit appel au Vent une nouvelle fois. Celui-ci s’empressa de répondre – il paraissait bondir joyeusement, à ses yeux – et envoya définitivement valdinguer ses trois agresseurs.
Bon débarras.
Elide baissa les bras, et le sourire qui avait commencé à relever la commissure de ses lèvres se figea à mi-chemin.
Oh. Oh.
Le Vent avait faiblit, mais il était toujours là.
La voix de Kaël surgit de derrière elle, mais l'élémentaire ne se retourna pas. S’il voyait son visage, il risquait de comprendre que quelque chose clochait. Les poings serrés, elle tenta de rappeler les derniers filaments d’air qu’elle sentait onduler tout autour d’elle et qui jouaient avec les longues mèches de ses cheveux, les faisant doucement voltiger autour de son visage.
Elles ne l’écoutèrent pas.
Une peur glacée lui serra soudain les tripes.
Non, non, non, non, non.
Le Malakim cessa de parler, et si la jeune femme ne l’avait écouté que d’une oreille distraite, elle avait cependant saisi la teneur principale de son propos. Ne pouvant s’empêcher de noter l’ironie de ce compliment qui arrivait au moment précis où elle était non seulement incapable d’y répondre, mais de surcroît en passe de le lui faire regretter, elle ferma momentanément les yeux.
Il suffisait qu’elle donne le change assez longtemps pour lui permettre de se reprendre et éviter ainsi qu’il ne se rende compte qu’elle marchait sur la corde raide.
« Merci, mais c’était un travail d’équipe… » répondit-elle entre ses dents serrées. L’élémentaire semblait ailleurs, cependant – sa prononciation était trop légère, son timbre trop morne.
Car, entre-temps, le Vent avait commencé à fredonner.
Elide sentit ses yeux s’écarquiller sous l’assaut d’une vague de terreur si brutale qu’elle lui en arracha un hoquet.
Ça allait recommencer.
Le cœur de l’élémentaire s’emballa violemment, son front se couvrit de sueur. Et, avant qu’elle ne réalise ce qu’elle faisait, elle fit volte-face, braquant un regard paniqué sur l’homme en face d’elle.
« OK, Kaël, j’ai un problème. » Les mots sortaient précipitamment, poussés par l’affolement qui la gagnait tout entière. Ses yeux luisaient étrangement, sous les rayons des trois lunes, oscillant entre leur couleur naturelle et un blanc laiteux qui recouvrait ses iris comme un voile. « Je… je n’arrive pas à relâcher mon pouvoir. » Ses mains tremblèrent, puis ses bras, sans qu’il soit possible de savoir si c’était de peur ou d’autre chose. Sa voix résonnait bizarrement, dans le calme revenu de la nuit, et semblait charrier dans son sillage des échos d'autrefois.« Il… il ne veut pas partir. Je le sens tout autour de moi, il n’est pas méchant, mais il… » La jeune femme déglutit, le visage livide. Elle avait conscience que ses explications sonnaient enfantines, mais en cet instant où la panique menaçait de la submerger, elle ne parvenait pas à faire autrement.
Se rendre compte de sa vulnérabilité est un moyen de contrôler ses émotions.
« Kaël, je n’arrive pas à le rappeler, et…. » Un sanglot s’échappa de la gorge de l’élémentaire, poussé par la terreur viscérale que revêtait la perspective de perdre le contrôle. Ce n’était pas comme la première fois, cependant – le Vent se contentait d’être là, autour d’elle, l'entourant de sa présence et s’accrochant à elle comme un amant qui refuserait d’être éconduit par la venue du jour nouveau. Mais sa présence était suffisamment entêtante, ses murmures trop assourdissants, et ses caresses trop électrisantes pour qu'une part d'elle ne ressente pas la tentation de basculer à nouveau. Elide avait la sensation de se trouver au bord d’un précipice au fond duquel le moindre faux pas pourrait l’envoyer s’écraser. Ses dents trouvèrent sa lèvre, qu’elles mordirent jusqu’au sang. Elle ne s’en rendit même pas compte. Une bourrasque particulièrement coquine lui envoya dans les yeux une partie de ses cheveux. « … Je ne veux pas me transformer, je…j’ai…Kaël, j’ai peur… et… et je ne sais pas comment faire pour… » Le retenir. Y faire face. Elle ne termina pas, se contentant de braquer sur le veilleur son regard dévasté.
Exit, l’air bravache et les faux semblants. Ne restait plus devant le Malakim qu’une vérité dans son plus simple appareil : celle d’une gamine malmenée par la vie et terrorisée par ce qu’elle était tout au fond d'elle.
Même si ce n’était que chez une bande de Spitmons.
Elide ne put retenir l’expression de surprise qui étira son visage à la vue de son propre pouvoir. Jusqu’alors, elle n'était parvenue à invoquer que de légères brises, au mieux quelques bourrasques bien senties – le veilleur aux yeux charbonneux pouvait en témoigner. Mais ça… c’était autre chose. Durant les jours qui avaient suivi l’incident avec Vex, l’élémentaire de feu aux yeux améthyste, la jeune femme avait fini par se convaincre que la puissance qu’elle avait alors déployée et dont elle avait, dans une moindre mesure, fait les frais, n’avait finalement été qu’un vaste coup de bol engendré par la fusion de leurs deux éléments. Car, malgré ses tentatives ultérieures, certes rendues timides par une forme d’appréhension un peu légitime, elle n’était jamais parvenue à reproduire ne serait-ce que la moitié de cette force brute qu’elle avait sentie lui embraser les veines. Alors elle avait fini par abandonner, convaincue de sa médiocrité.
Ce qu’elle ne savait pas, cependant, était que son corps, encore secoué par sa récente mésaventure, était alors tout simplement en train de reconstituer ses réserves – réserves qui, aujourd'hui, étaient plus que pleines.
Elide aurait juré avoir entendu le Vent rire à ses oreilles avant qu’il ne percute la ligne de Spitmons. Les pauvres bêtes, malmenées et, surtout, terrifiées, ne demandèrent pas leur reste et prirent leurs petites jambes à leur cou, leur fuite accompagnée de leurs bêlements terrifiés. Du coin de l’œil, la jeune femme avisa une forme ailée qui prenait son envol avant que son attention ne soit attirée par un mouvement à la limite de sa périphérie. Se tournant, elle para de justesse le coup de corne d’une mâle particulièrement agacé, se vengeant d’une bourrasque bien sentie qui l’envoya bouler un peu plus loin. Mais à peine commençait-elle à savourer sa maigre victoire qu’une douleur lui vrilla le côté du genou, détournant son attention vers un autre ruminant qui, profitant de sa distraction momentanée, avait décidé de lui faire connaître à sa façon toute l’étendue de sa rancœur. Ce premier coup de corne fut suivi d'un deuxième – à l’arrière de la cuisse – et d'un troisième – au niveau du tibia, cette fois-ci. À chaque pic de douleur, l’élémentaire sentait sa colère enfler encore un peu plus.
« Saloperie de merde ! » finit-elle par jurer d’une voix grondante. « Je vais vous en mettre moi, des putain de coups de corne ! » Son timbre, un instant, sembla rouler comme le tonnerre. Les dents serrés par l’effort, la jeune femme écarta brutalement les bras et fit appel au Vent une nouvelle fois. Celui-ci s’empressa de répondre – il paraissait bondir joyeusement, à ses yeux – et envoya définitivement valdinguer ses trois agresseurs.
Bon débarras.
Elide baissa les bras, et le sourire qui avait commencé à relever la commissure de ses lèvres se figea à mi-chemin.
Oh. Oh.
Le Vent avait faiblit, mais il était toujours là.
La voix de Kaël surgit de derrière elle, mais l'élémentaire ne se retourna pas. S’il voyait son visage, il risquait de comprendre que quelque chose clochait. Les poings serrés, elle tenta de rappeler les derniers filaments d’air qu’elle sentait onduler tout autour d’elle et qui jouaient avec les longues mèches de ses cheveux, les faisant doucement voltiger autour de son visage.
Elles ne l’écoutèrent pas.
Une peur glacée lui serra soudain les tripes.
Non, non, non, non, non.
Le Malakim cessa de parler, et si la jeune femme ne l’avait écouté que d’une oreille distraite, elle avait cependant saisi la teneur principale de son propos. Ne pouvant s’empêcher de noter l’ironie de ce compliment qui arrivait au moment précis où elle était non seulement incapable d’y répondre, mais de surcroît en passe de le lui faire regretter, elle ferma momentanément les yeux.
Il suffisait qu’elle donne le change assez longtemps pour lui permettre de se reprendre et éviter ainsi qu’il ne se rende compte qu’elle marchait sur la corde raide.
« Merci, mais c’était un travail d’équipe… » répondit-elle entre ses dents serrées. L’élémentaire semblait ailleurs, cependant – sa prononciation était trop légère, son timbre trop morne.
Car, entre-temps, le Vent avait commencé à fredonner.
Elide sentit ses yeux s’écarquiller sous l’assaut d’une vague de terreur si brutale qu’elle lui en arracha un hoquet.
Ça allait recommencer.
Le cœur de l’élémentaire s’emballa violemment, son front se couvrit de sueur. Et, avant qu’elle ne réalise ce qu’elle faisait, elle fit volte-face, braquant un regard paniqué sur l’homme en face d’elle.
« OK, Kaël, j’ai un problème. » Les mots sortaient précipitamment, poussés par l’affolement qui la gagnait tout entière. Ses yeux luisaient étrangement, sous les rayons des trois lunes, oscillant entre leur couleur naturelle et un blanc laiteux qui recouvrait ses iris comme un voile. « Je… je n’arrive pas à relâcher mon pouvoir. » Ses mains tremblèrent, puis ses bras, sans qu’il soit possible de savoir si c’était de peur ou d’autre chose. Sa voix résonnait bizarrement, dans le calme revenu de la nuit, et semblait charrier dans son sillage des échos d'autrefois.« Il… il ne veut pas partir. Je le sens tout autour de moi, il n’est pas méchant, mais il… » La jeune femme déglutit, le visage livide. Elle avait conscience que ses explications sonnaient enfantines, mais en cet instant où la panique menaçait de la submerger, elle ne parvenait pas à faire autrement.
Se rendre compte de sa vulnérabilité est un moyen de contrôler ses émotions.
« Kaël, je n’arrive pas à le rappeler, et…. » Un sanglot s’échappa de la gorge de l’élémentaire, poussé par la terreur viscérale que revêtait la perspective de perdre le contrôle. Ce n’était pas comme la première fois, cependant – le Vent se contentait d’être là, autour d’elle, l'entourant de sa présence et s’accrochant à elle comme un amant qui refuserait d’être éconduit par la venue du jour nouveau. Mais sa présence était suffisamment entêtante, ses murmures trop assourdissants, et ses caresses trop électrisantes pour qu'une part d'elle ne ressente pas la tentation de basculer à nouveau. Elide avait la sensation de se trouver au bord d’un précipice au fond duquel le moindre faux pas pourrait l’envoyer s’écraser. Ses dents trouvèrent sa lèvre, qu’elles mordirent jusqu’au sang. Elle ne s’en rendit même pas compte. Une bourrasque particulièrement coquine lui envoya dans les yeux une partie de ses cheveux. « … Je ne veux pas me transformer, je…j’ai…Kaël, j’ai peur… et… et je ne sais pas comment faire pour… » Le retenir. Y faire face. Elle ne termina pas, se contentant de braquer sur le veilleur son regard dévasté.
Exit, l’air bravache et les faux semblants. Ne restait plus devant le Malakim qu’une vérité dans son plus simple appareil : celle d’une gamine malmenée par la vie et terrorisée par ce qu’elle était tout au fond d'elle.
- Jet de dés:
- Maîtrise de sa forme élémentaire : 38
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Est-ce parce qu’elle était encore vexée qu’elle ne sembla pas réagir positivement aux commentaires du veilleur ? Est-ce parce qu’elle s’était épuisée en repoussant les spitmons, à coups de grands renforts de son élément ? Tout dans l’attitude dans son corps fit comprendre à Kaël qu’elle était tendue, un peu fuyante également. Elide semblait mettre un point d’honneur à ne pas croiser le regard de son chef. Ce dernier fronça très légèrement les sourcils, inquiet pour la suite.
- Un travail d’équipe, certes, mais tu as de toi-même dénoué une situation délicate…
La flatterie n’avait pas beaucoup d’effet. Les femmes sont vraiment d’un compliqué, il essayait de se repentir, alors que c’était lui qui était en colère dans cette histoire. Note pour lui-même : abandonner les femmes, ne pas essayer de marchander avec elles, ne plus croiser leur regard, il ne sait pas se comporter en leur présence, définitivement. Le célibat sera donc son compagnon jusqu’à son dernier soupir.
- Quoi donc ?
Son visage s’était très soudainement fermé en constatant la pellicule de sueur sur le minois d’Elide. La tension dans son corps ne l’avait pas quittée, pire encore, elle avait redoublé. Et son palpitant, bon sang, il faisait un marathon ? Le malakim imaginait sans peine que l’effort y était pour quelque chose, mais effectivement, l’élémentaire d’air devait souffrir, couver un truc, ou carrément perdre les pédales et le contrôle de ses émotions. Sans vouloir être alarmiste, Kaël fit un pas en arrière, pour mieux la voir dans sa globalité. Ses cheveux étaient comme possédés et il aurait juré qu’un vent sournois les entourait. Autrement dit : cette histoire, ça pue.
- Dis-moi tout.
Il avait fait en sorte que sa voix soit encourageante et non trop rauque. Lui donner un ordre impérieux, il avait le sentiment que cela n’arrangerait pas la situation, quelle qu'elle soit. La pédagogie, c’est plutôt son truc, alors il usa de cette voix d’instructeur patient et à l’écoute pour encourager Elide à formuler son problème. Avec les secondes qui s’égrenaient, le malakim avait la ferme intuition qu’il ne s’agissait pas simplement d’un contre-coup après l’usage de son pouvoir d’élémentaire.
Un instant, il croyait rêver… Mais non, l’expérience se réitéra. Les yeux de la nouvelle recrue étaient changeants et c’était assez troublant à constater. Quant au reste du corps d’Elide, il était pris de frissons et de soubresauts. C’était presque comme si elle manifestait avoir de la fièvre, d’autant plus étrange avec le discours qu’elle tenait, personnifiant un mal qui l’entourait, avec des intentions plus ou moins bonnes. Bien évidemment, comme il ne voyait personne d’autre qu’eux deux, Kaël songea à un genre de bouffée délirante, ou à une manifestation propre aux élémentaires, soit quelque chose qui lui échappait complètement. La prendre pour une folle n’était pas une solution envisageable. Avec sa fragilité, sa vulnérabilité, ou toute idée signifiant la même chose et provoquant une vague de vexation chez Elide, cette dernière était à prendre avec des pincettes, pour le bien de tous. Les spitmons ayant subi les foudres, ou plutôt les vents de l’élémentaire, et le malakim en ayant été témoin, il avait moyennement envie d’être sa prochaine cible.
- Rappeler qui ?
Il supposait que cela avait un lien avec sa forme d’élémentaire d’air, mais comment en être certain ? Les explications de la recrue étaient bancales, entrecoupées de soubresauts, de soupirs, d’un soupçon de peur et d’anxiété, et même de sanglots. Le désespoir dans son regard troubla le malakim, quand enfin, l’élémentaire lui fit face. Elle était acculée, comme un animal apeuré. L’esprit fier et rebelle dont elle avait fait preuve avant était complètement laissé de côté. Elle s’en remettait à lui, faute de mieux, faute d’une solution à son problème, faut de savoir gérer ses émotions et cette part d’elle-même qui lui provoquait bien des soucis.
- En quoi as-tu peur de te transformer ?
Il arrêta net sa question, ne voyant pas l’utilité à faire de l’humour servant à dédramatiser la situation. Lui dire qu’au pire elle deviendrait une tornade qui raserait Azamyr, il avait comme l’impression que ce serait anti-productif. Elide était confuse, appelée par une entité dont elle seule avait conscience, avec qui elle seule pouvait discuter et négocier. Kaël ne pouvait rien pour elle en l’état, si ce n’est l’apaiser, lui donner de la confiance en elle et essayer, au travers de l’esprit d’Elide à qui il allait s’adresser, faire passer un message à cette chose. L’entité qui l’obsédait. Celle qui l’effrayait au point qu’elle prenne son contrôle.
- Je ne sais pas de quoi il s’agit, j’essaye de comprendre Elide, je t’assure… Tu as l’air de te sentir piégée avec cette chose. Qu’est-ce que c’est au juste ?
Le chef d’escouade plissait les paupières, se concentrant sur la vision de l’élémentaire, complètement perdue et effrayée. Il tenta quelques pas vers l’avant, vers elle, pour apporter une aura bienveillante, peut-être déstabiliser cette chose invisible aux yeux de Kaël. Il lui montra les paumes de ses mains, vides, faces vers elle, pour qu’elle comprenne ses intentions, qui n’étaient en rien mauvaises. Il voulait simplement comprendre, tenter de la guider, peut-être l’aider.
- Si cette chose veut s’exprimer, tu ne dois pas complètement la brimer. Je vois ta peur, ça ne doit donc pas être la première fois qu’elle se manifeste ? C’est une partie de toi, de ton pouvoir, de qui tu es maintenant. Qu’est-ce que tu crains en lui laissant un peu de place ? Je suis là, je reste à te veiller si ça peut te rassurer…
Il songea au spectacle que, peut-être, ils donnaient aux autres veilleurs. Si ça se trouve, on la catégorisait déjà parmi les fous, les aliens, les parias. Ou alors, personne ne leur portait attention. Dans tous les cas, si un mal rongeait Elide, le chef d’escouade n’avait pas pour intention d’en faire un petit numéro étrange ou drôle. Pas plus qu’il n’avait envie de la voir imploser, puis exploser, et que les remparts prennent cher par la même occasion.
- Suis-moi, allons marcher, éloignons-nous pour que tu respires un bon coup. Je reste avec toi, d’accord ?
La flatterie n’avait pas beaucoup d’effet. Les femmes sont vraiment d’un compliqué, il essayait de se repentir, alors que c’était lui qui était en colère dans cette histoire. Note pour lui-même : abandonner les femmes, ne pas essayer de marchander avec elles, ne plus croiser leur regard, il ne sait pas se comporter en leur présence, définitivement. Le célibat sera donc son compagnon jusqu’à son dernier soupir.
Son visage s’était très soudainement fermé en constatant la pellicule de sueur sur le minois d’Elide. La tension dans son corps ne l’avait pas quittée, pire encore, elle avait redoublé. Et son palpitant, bon sang, il faisait un marathon ? Le malakim imaginait sans peine que l’effort y était pour quelque chose, mais effectivement, l’élémentaire d’air devait souffrir, couver un truc, ou carrément perdre les pédales et le contrôle de ses émotions. Sans vouloir être alarmiste, Kaël fit un pas en arrière, pour mieux la voir dans sa globalité. Ses cheveux étaient comme possédés et il aurait juré qu’un vent sournois les entourait. Autrement dit : cette histoire, ça pue.
Il avait fait en sorte que sa voix soit encourageante et non trop rauque. Lui donner un ordre impérieux, il avait le sentiment que cela n’arrangerait pas la situation, quelle qu'elle soit. La pédagogie, c’est plutôt son truc, alors il usa de cette voix d’instructeur patient et à l’écoute pour encourager Elide à formuler son problème. Avec les secondes qui s’égrenaient, le malakim avait la ferme intuition qu’il ne s’agissait pas simplement d’un contre-coup après l’usage de son pouvoir d’élémentaire.
Un instant, il croyait rêver… Mais non, l’expérience se réitéra. Les yeux de la nouvelle recrue étaient changeants et c’était assez troublant à constater. Quant au reste du corps d’Elide, il était pris de frissons et de soubresauts. C’était presque comme si elle manifestait avoir de la fièvre, d’autant plus étrange avec le discours qu’elle tenait, personnifiant un mal qui l’entourait, avec des intentions plus ou moins bonnes. Bien évidemment, comme il ne voyait personne d’autre qu’eux deux, Kaël songea à un genre de bouffée délirante, ou à une manifestation propre aux élémentaires, soit quelque chose qui lui échappait complètement. La prendre pour une folle n’était pas une solution envisageable. Avec sa fragilité, sa vulnérabilité, ou toute idée signifiant la même chose et provoquant une vague de vexation chez Elide, cette dernière était à prendre avec des pincettes, pour le bien de tous. Les spitmons ayant subi les foudres, ou plutôt les vents de l’élémentaire, et le malakim en ayant été témoin, il avait moyennement envie d’être sa prochaine cible.
Il supposait que cela avait un lien avec sa forme d’élémentaire d’air, mais comment en être certain ? Les explications de la recrue étaient bancales, entrecoupées de soubresauts, de soupirs, d’un soupçon de peur et d’anxiété, et même de sanglots. Le désespoir dans son regard troubla le malakim, quand enfin, l’élémentaire lui fit face. Elle était acculée, comme un animal apeuré. L’esprit fier et rebelle dont elle avait fait preuve avant était complètement laissé de côté. Elle s’en remettait à lui, faute de mieux, faute d’une solution à son problème, faut de savoir gérer ses émotions et cette part d’elle-même qui lui provoquait bien des soucis.
Il arrêta net sa question, ne voyant pas l’utilité à faire de l’humour servant à dédramatiser la situation. Lui dire qu’au pire elle deviendrait une tornade qui raserait Azamyr, il avait comme l’impression que ce serait anti-productif. Elide était confuse, appelée par une entité dont elle seule avait conscience, avec qui elle seule pouvait discuter et négocier. Kaël ne pouvait rien pour elle en l’état, si ce n’est l’apaiser, lui donner de la confiance en elle et essayer, au travers de l’esprit d’Elide à qui il allait s’adresser, faire passer un message à cette chose. L’entité qui l’obsédait. Celle qui l’effrayait au point qu’elle prenne son contrôle.
Le chef d’escouade plissait les paupières, se concentrant sur la vision de l’élémentaire, complètement perdue et effrayée. Il tenta quelques pas vers l’avant, vers elle, pour apporter une aura bienveillante, peut-être déstabiliser cette chose invisible aux yeux de Kaël. Il lui montra les paumes de ses mains, vides, faces vers elle, pour qu’elle comprenne ses intentions, qui n’étaient en rien mauvaises. Il voulait simplement comprendre, tenter de la guider, peut-être l’aider.
Il songea au spectacle que, peut-être, ils donnaient aux autres veilleurs. Si ça se trouve, on la catégorisait déjà parmi les fous, les aliens, les parias. Ou alors, personne ne leur portait attention. Dans tous les cas, si un mal rongeait Elide, le chef d’escouade n’avait pas pour intention d’en faire un petit numéro étrange ou drôle. Pas plus qu’il n’avait envie de la voir imploser, puis exploser, et que les remparts prennent cher par la même occasion.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
La jeune femme acquiesça frénétiquement à la proposition de Kaël – c’était tout ce qu’elle était capable de faire, pour l’instant. La terreur, couplée à l’effort déployé pour se maintenir entière, lui avait, semble-t-il, momentanément ôté la capacité de parler. La mâchoire serrée à s’en fissurer les dents, elle emboîta le pas au Malakim. Sa respiration saccadée laissait entendre un sifflement à chaque fois qu’il lui fallait forcer son passage au travers de sa gorge serrée. Lorsqu’ils s’arrêtèrent enfin après plusieurs minutes de marche, suffisamment loin des remparts pour se mettre à l’abri des sens indiscrets, Elide empoigna ses épaules de ses mains tremblantes et y enfonça violemment ses ongles.
« Je… » commença-t-elle d’une voix étranglée. Les mots ne sortaient pas. Elle ferma les yeux.
Un. Deux. Trois. Inspire – INSPIRE BORDEL ! Stop. Un. Deux. Trois. Expire. Encore.
Le Vent voletait autour d’elle, curieux.
Au bout d’interminables secondes cependant, la respiration de l’élémentaire parut enfin ralentir. Une ultime expiration s’échappa de ses lèvres serrées avant qu’elle ne reprenne la parole. « J’ai peur… » elle se forçait à articuler chaque mot, comme si les prononcer lui était pénible « … de me transformer en elle. Cette Créature au fond de moi, cette… chose qui me donne mon pouvoir. Je ne veux pas… » elle secoua la tête avec une violence tout enfantine. « … je ne veux pas prendre sa forme – je ne veux pas perdre la mienne. Je veux rester moi. » Un courant d’air s’enroula langoureusement autour de son bras et le souleva doucement vers le haut. Il voulait l’emmener courir au vent et rejoindre le ciel. « Mon pouvoir… » continua-t-elle dans un chuchotement « … il est toujours là. Je le sens, autour de moi, en moi. Je n’arrive pas à le renvoyer. J’ai essayé, mais… je n’arrive pas. Il veut rester. Regarde. » L’élémentaire agita doucement les doigts, et une volute gazeuse suivit paresseusement le mouvement, s’entortillant autour de ses phalanges. L'air autour d'elle était saturé de centaines de ces petites arabesques. Le Malakim, avec ses sens aiguisés, ne pouvait pas les rater. « Tu vois ? » Son timbre se fissura une nouvelle fois. « Il ne veut pas disparaître. »
Elle non plus, elle ne voulait pas disparaître – pas tant parce qu’elle craignait de se perdre que parce qu’elle redoutait ce qu’elle ressentirait en redevenant elle-même. Sa précédente élévation avait tant frôlé la perfection qu’elle n’en avait rendu sa chute que plus mortelle.
« La dernière fois, quand je me suis transformée, c’était la première fois que j’étais consciente. Je… je n’ai gardé aucun souvenir de mes précédentes expériences – je me contentais de me réveiller sur le sol du temple. Mais là… » Elide ferma les yeux alors que la percutaient des souvenirs si pleins de sensations qu’elle sentit son cœur recommencer à s’emballer. « … c’était incroyable, Kaël », avoua-t-elle dans un souffle si ténu qu’un simple mortel n’aurait sans doute pas pu l’entendre. « Je dansais avec le Vent, et j’avais le monde à portée de doigts. Mais mon esprit… n’était plus non plus à fait le mien. J’étais là, mais ailleurs en même temps. C’était comme si le monde terrestre n’avait plus d’importance. Dieux, Kaël, je voyais, je ressentais tellement de choses… » La jeune femme se tut un instant. Elle finit par rouvrir les yeux, au fond desquels dansait toujours la promesse des tempêtes. « C’est uniquement grâce à Vex – une élémentaire de feu aux yeux violets, tu vois peut-être de qui il s’agit ? – que j’ai pu revenir. Que j’ai pu rentrer. Mais alors, à ce moment-là, je… je… » Elle leva la main pour essuyer les larmes rageuses qui avaient débordé ses yeux et glissaient le long de ses joues. « Je n’avais plus qu’une envie : mourir. Parce que tout ce que j’avais ressenti, tout ce putain de bonheur… c’est comme s’il s’était transformé en l’exact opposé. C’était… tout simplement insupportable. Cette saloperie de créature, cette saloperie de pouvoir… ils m’ont laissée vide, seule, à deux doigts de crever de tristesse et de douleur sur le sol de ce putain de champ. Parce que j'ai fait la connerie de leur dire "oui". »
Est-ce qu’on pouvait mourir de chagrin ? Sans Vex, peut-être l’aurait-elle découvert. Elide se souvenait dans le moindre détail de la chaleur de l’élémentaire autour d’elle, de sa main dans ses cheveux, et de la douceur de sa voix qui, doucement, l’avait peu à peu rappelée. Ancrée. Sauvée. Comme s’il se le rappelait, lui aussi, le Vent autour d’elle forcit. Il s’agaçait du souvenir de cette femme qui l’avait repoussé, alors que son seul désir, à lui, n’avait toujours été que de jouer. La Créature, étrangement, restait sagement endormie, comme si elle se désintéressait de cette querelle entre ses enfants. Mais l’élémentaire sentait son pouvoir enfler, saturer ses veines. Elle avait l’impression de vibrer.
« Si je lui laisse de la place, comme tu dis… qui me dit qu’elle ne recommencera pas ? » Son timbre, qu’elle cherchait pourtant à garder sous contrôle, vibrait des échos de l’orage. « Si j'accepte de relâcher mon pouvoir et que, ce faisant, je me transforme, qui me dit qu’elle ne prendra pas toute la place, comme la dernière fois ? Je ne veux pas… » Elide laissa échapper un grondement, luttant pour repousser les assauts d’un Vent qui se faisait de plus en plus impatient. « … je ne veux pas revivre une nouvelle fois l’horreur de son départ – de son absence. Je ne veux pas connaître de nouveau cette félicité si c’est pour qu’elle me soit encore arrachée. »
Elide essuya ses larmes d’un brusque revers de manche. Ses oreilles tintaient de l'hymne des ouragans « Mais mon pouvoir, là… il ne veut rien entendre. Je n’arrive pas à le ramener, à l'éteindre, je le sens griffer pour sortir, pour… » Son visage se contracta en un masque de douleur, et ses lèvres s’ouvrirent sur un cri inarticulé qui avala le reste de ses paroles. Le Vent tempêtait pour être relâché.
L’élémentaire était saturée de pouvoir, et celui-ci avait besoin d’un exutoire.
« Je… » commença-t-elle d’une voix étranglée. Les mots ne sortaient pas. Elle ferma les yeux.
Un. Deux. Trois. Inspire – INSPIRE BORDEL ! Stop. Un. Deux. Trois. Expire. Encore.
Le Vent voletait autour d’elle, curieux.
Au bout d’interminables secondes cependant, la respiration de l’élémentaire parut enfin ralentir. Une ultime expiration s’échappa de ses lèvres serrées avant qu’elle ne reprenne la parole. « J’ai peur… » elle se forçait à articuler chaque mot, comme si les prononcer lui était pénible « … de me transformer en elle. Cette Créature au fond de moi, cette… chose qui me donne mon pouvoir. Je ne veux pas… » elle secoua la tête avec une violence tout enfantine. « … je ne veux pas prendre sa forme – je ne veux pas perdre la mienne. Je veux rester moi. » Un courant d’air s’enroula langoureusement autour de son bras et le souleva doucement vers le haut. Il voulait l’emmener courir au vent et rejoindre le ciel. « Mon pouvoir… » continua-t-elle dans un chuchotement « … il est toujours là. Je le sens, autour de moi, en moi. Je n’arrive pas à le renvoyer. J’ai essayé, mais… je n’arrive pas. Il veut rester. Regarde. » L’élémentaire agita doucement les doigts, et une volute gazeuse suivit paresseusement le mouvement, s’entortillant autour de ses phalanges. L'air autour d'elle était saturé de centaines de ces petites arabesques. Le Malakim, avec ses sens aiguisés, ne pouvait pas les rater. « Tu vois ? » Son timbre se fissura une nouvelle fois. « Il ne veut pas disparaître. »
Elle non plus, elle ne voulait pas disparaître – pas tant parce qu’elle craignait de se perdre que parce qu’elle redoutait ce qu’elle ressentirait en redevenant elle-même. Sa précédente élévation avait tant frôlé la perfection qu’elle n’en avait rendu sa chute que plus mortelle.
« La dernière fois, quand je me suis transformée, c’était la première fois que j’étais consciente. Je… je n’ai gardé aucun souvenir de mes précédentes expériences – je me contentais de me réveiller sur le sol du temple. Mais là… » Elide ferma les yeux alors que la percutaient des souvenirs si pleins de sensations qu’elle sentit son cœur recommencer à s’emballer. « … c’était incroyable, Kaël », avoua-t-elle dans un souffle si ténu qu’un simple mortel n’aurait sans doute pas pu l’entendre. « Je dansais avec le Vent, et j’avais le monde à portée de doigts. Mais mon esprit… n’était plus non plus à fait le mien. J’étais là, mais ailleurs en même temps. C’était comme si le monde terrestre n’avait plus d’importance. Dieux, Kaël, je voyais, je ressentais tellement de choses… » La jeune femme se tut un instant. Elle finit par rouvrir les yeux, au fond desquels dansait toujours la promesse des tempêtes. « C’est uniquement grâce à Vex – une élémentaire de feu aux yeux violets, tu vois peut-être de qui il s’agit ? – que j’ai pu revenir. Que j’ai pu rentrer. Mais alors, à ce moment-là, je… je… » Elle leva la main pour essuyer les larmes rageuses qui avaient débordé ses yeux et glissaient le long de ses joues. « Je n’avais plus qu’une envie : mourir. Parce que tout ce que j’avais ressenti, tout ce putain de bonheur… c’est comme s’il s’était transformé en l’exact opposé. C’était… tout simplement insupportable. Cette saloperie de créature, cette saloperie de pouvoir… ils m’ont laissée vide, seule, à deux doigts de crever de tristesse et de douleur sur le sol de ce putain de champ. Parce que j'ai fait la connerie de leur dire "oui". »
Est-ce qu’on pouvait mourir de chagrin ? Sans Vex, peut-être l’aurait-elle découvert. Elide se souvenait dans le moindre détail de la chaleur de l’élémentaire autour d’elle, de sa main dans ses cheveux, et de la douceur de sa voix qui, doucement, l’avait peu à peu rappelée. Ancrée. Sauvée. Comme s’il se le rappelait, lui aussi, le Vent autour d’elle forcit. Il s’agaçait du souvenir de cette femme qui l’avait repoussé, alors que son seul désir, à lui, n’avait toujours été que de jouer. La Créature, étrangement, restait sagement endormie, comme si elle se désintéressait de cette querelle entre ses enfants. Mais l’élémentaire sentait son pouvoir enfler, saturer ses veines. Elle avait l’impression de vibrer.
« Si je lui laisse de la place, comme tu dis… qui me dit qu’elle ne recommencera pas ? » Son timbre, qu’elle cherchait pourtant à garder sous contrôle, vibrait des échos de l’orage. « Si j'accepte de relâcher mon pouvoir et que, ce faisant, je me transforme, qui me dit qu’elle ne prendra pas toute la place, comme la dernière fois ? Je ne veux pas… » Elide laissa échapper un grondement, luttant pour repousser les assauts d’un Vent qui se faisait de plus en plus impatient. « … je ne veux pas revivre une nouvelle fois l’horreur de son départ – de son absence. Je ne veux pas connaître de nouveau cette félicité si c’est pour qu’elle me soit encore arrachée. »
Elide essuya ses larmes d’un brusque revers de manche. Ses oreilles tintaient de l'hymne des ouragans « Mais mon pouvoir, là… il ne veut rien entendre. Je n’arrive pas à le ramener, à l'éteindre, je le sens griffer pour sortir, pour… » Son visage se contracta en un masque de douleur, et ses lèvres s’ouvrirent sur un cri inarticulé qui avala le reste de ses paroles. Le Vent tempêtait pour être relâché.
L’élémentaire était saturée de pouvoir, et celui-ci avait besoin d’un exutoire.
Kaël
Maison du Ciel et du Souffle
Dans un silence inquiétant, la nouvelle recrue acceptait de le suivre, pour s’éloigner des remparts et de leurs paires d’yeux. Tout en gardant une distance de deux enjambées de malakim entre eux deux, côtes à côtes, ils marchèrent sans but, si ce n’est pour donner une chance à Elide de trouver un peu d’apaisement. Sur leur chemin d’errance, ils croisèrent un spitmon, pour le coup silencieux. Est-ce qu’il se sentait menacé par la présence de l’élémentaire d’air et préférait donc se la jouer discret pour éviter son courroux ? Était-ce le regard haineux que venait de poser Kaël sur sa tête touffue de laine ?
Une bonne centaine de mètres les séparaient des remparts. Le veilleur fit en sorte qu’ils marchent à présent autour des remparts, sans s’en éloigner davantage. Car la nuit est sombre et pleine de terreur sur Ozéna. Une partie de ses sens était en alerte, prêts à écouter un prédateur qui tenterait de les débusquer. Une chance qu’il n’y avait que quelques spitmons isolés. Le reste de ses sens se préoccupaient d’Elide, de sa condition. Son souffle était toujours saccadé et ce n’était pas la faute de cette minuscule randonnée. Sa voix se bloquait très régulièrement, prisonnière de sa gorge ou de cette créature qui ne lui laissait que peu de libertés pour s’exprimer. Elle avait régulièrement besoin de s’arrêter, parfois en pleine phrase, pour trouver ses mots, contrer une tension qui paralysait peu à peu son corps et son esprit. Dans quelle merde se trouvait-elle au juste ?
Elle exprima sa peur et les explications qui suivirent permettaient enfin au malakim de comprendre un peu plus la situation. Cette créature était bien la personnification de son élément. Elle était donc une partie d’elle-même, depuis qu’elle avait passé le portail pour arriver sur Ozéna. Kaël n’avait aucune idée si cette créature était monnaie courante chez les élémentaires. Il ne les fréquentait pas assez pour poser ce genre de questions. Chaque race à ses avantages, comme ses inconvénients. Et, comme lui avec ses ailes, il avait compris qu’une race n’avait pas une ligne de conduite précise. D’un individu à un autre, bien des choses prenaient un aspect différent.
Elide craignait donc qu’en laissant de la place à sa créature, elle perdrait sa légitimité et son emprise sur son corps. Plissant les yeux, concentré sur les lèvres de la recrue, Kaël reconnut un changement dans l’atmosphère. Il semblait voir comme des ombres, des mouvements invisibles, autour de l’élémentaire. Le vent jouait, sa créature se manifestait. Elle n’avait pas de couleur, pas de forme, aux yeux du malakim. C’était simplement sa vue et son sixième sens qui détectaient un quelque chose, qui passait, un peu comme une entité, sur un autre plan astrale. Il ne pourrait ni la toucher, ni réellement la voir. Il la devinait, tout simplement, aidé par les paroles d’Elide lui permettant d’y croire.
- Je le vois, oui.
Ce n’était pas exact, mais c’était un résumé de ce qu’il percevait. Et puis, pour ne pas la contrarier en expliquant qu’il la devinait, plus qu’il ne la voyait, il voulait mettre en confiance Elide. Ne pas lui donner l’impression que son discours n’avait ni queue, ni tête. Ne pas lui renvoyer l’image d’une folle à lier. Établir un lien de confiance, voilà la stratégie du malakim face à cette situation inédite.
Elle finit par lui répondre à sa question : que craignait-elle en la laissant prendre un peu le dessus ? Maintenant, il y voyait plus clair. Laisser la créature conduire le corps d’Elide, c’était une expérience incroyable, qui devait grandement plaire à l’élémentaire. C’était peut-être atteindre un niveau d’extase et de liberté que lui-même ne pouvait pas concevoir. Mais c’était également faire preuve d’irresponsabilité, de laisser libre cours à cette entité enfouie en elle, en s’absentant et lui laissant carte blanche. Le monde autour du corps d’Elide n’avait plus aucun sens, elle se détachait de cette vie remplie de souffrances et de malheur, pour ne plus ressentir que légèreté et plaisir sans fin.
Elle mentionna une élémentaire de feu, qu’il avait déjà vu, certes. De loin, zonant autour des remparts, ou parfois d’un peu plus près, dans une tenue si légère que plus aucun vêtement ne la recouvrait. Il savait très peu de choses de cette Vex, mais il connaissait un peu trop son anatomie à son goût. Ce qui n’était pas pour déplaire aux autres veilleurs de son escouade, qui se demandaient parfois si leur garde allait être bénie par la vue de ses seins rebondis et de fesses qu’ils désirent caresser. Kaël se contenta de hocher la tête à la mention de l’alchimiste.
Elle lui décrivit sa lente agonie, cette descente aux enfers lorsque le bonheur ultime s’en alla. La souffrance de retrouver la vie autour d’elle, le contrôle de son corps et la perte de cette créature, retournée se terrer au fond de son âme, avec la promesse de revenir. De lui faire de nouveau ressentir toute cette jouissance, avant de la lui arracher, pour qu’elle espère mourir et ne plus subir cette séparation brutale. Il ressentit une vague de tristesse pour Elide, car son empathie est ainsi, très puissante et tournée vers les autres. S’il n’avait pas peur de la brusquer, il aurait posé une main sur son épaule, pour lui assurer son soutien.
Les larmes affluaient et la recrue n’eut d’autres solutions que de les laisser couler sur son visage. Peiné par cette vision, le chef d’escouade glissa une main vers l’intérieur de son manteau. Il dénicha dans sa poche interne, un mouchoir de coton pour le proposer à Elide. Elle pouvait en disposer comme bon lui semblait, et même le garder. Si, à l’avenir, elle devait de nouveau pleurer de la sorte, il aimerait qu’elle puisse trouver le réconfort d’un mouchoir confié pour sécher ses larmes et lui apporter un peu de tendresse. Elle n’était pas seule. Non, elle n’était plus seule. Même si ce n’était que sa première garde, même si leurs rapports étaient houleux et, même si elle avait encore bien des obstacles à venir sur le chemin pour devenir une veilleuse, Elide avait dorénavant une famille d’adoption sur qui compter.
Sa tristesse évolua en rage. Elle ne parvenait plus à rien contenir. Ni ses émotions, ni la créature. Il sentait qu’elle était là, présente dans le dos d’Elide, un peu moqueuse, un peu narquoise. Elle devait lui chuchoter moult promesses, mais aussi bon nombre de menaces, car l’élémentaire se refusait à lui céder sa place. Jusqu’au moment où l’âme de la recrue se fractura. La créature, avide de profiter de ses faiblesses, ayant trouvé la faille en elle, venait se presser pour l’acculer et la contraindre à plier face à sa force brutale. Un cri s’étouffa dans la gorge de l’élémentaire. Elle était rouge, cramoisie. La créature devait prendre le dessus, l’empêcher de s’exprimer, de penser, et même de vivre. C’était sans compter sur la présence de Kaël, chevalier blanc à ses heures perdues, chef d’escouade, instructeur et protecteur des nouvelles recrues. Il attrapa le col du manteau d’une Elide complètement absente, pour planter son regard dans ceux dorénavant de la créature. Comment il le savait ? Ils étaient laiteux, étranges, à la fois vides et habités, le tout en même temps.
- Si tu veux prendre le dessus, tu devras m’affronter.
Une bonne centaine de mètres les séparaient des remparts. Le veilleur fit en sorte qu’ils marchent à présent autour des remparts, sans s’en éloigner davantage. Car la nuit est sombre et pleine de terreur sur Ozéna. Une partie de ses sens était en alerte, prêts à écouter un prédateur qui tenterait de les débusquer. Une chance qu’il n’y avait que quelques spitmons isolés. Le reste de ses sens se préoccupaient d’Elide, de sa condition. Son souffle était toujours saccadé et ce n’était pas la faute de cette minuscule randonnée. Sa voix se bloquait très régulièrement, prisonnière de sa gorge ou de cette créature qui ne lui laissait que peu de libertés pour s’exprimer. Elle avait régulièrement besoin de s’arrêter, parfois en pleine phrase, pour trouver ses mots, contrer une tension qui paralysait peu à peu son corps et son esprit. Dans quelle merde se trouvait-elle au juste ?
Elle exprima sa peur et les explications qui suivirent permettaient enfin au malakim de comprendre un peu plus la situation. Cette créature était bien la personnification de son élément. Elle était donc une partie d’elle-même, depuis qu’elle avait passé le portail pour arriver sur Ozéna. Kaël n’avait aucune idée si cette créature était monnaie courante chez les élémentaires. Il ne les fréquentait pas assez pour poser ce genre de questions. Chaque race à ses avantages, comme ses inconvénients. Et, comme lui avec ses ailes, il avait compris qu’une race n’avait pas une ligne de conduite précise. D’un individu à un autre, bien des choses prenaient un aspect différent.
Elide craignait donc qu’en laissant de la place à sa créature, elle perdrait sa légitimité et son emprise sur son corps. Plissant les yeux, concentré sur les lèvres de la recrue, Kaël reconnut un changement dans l’atmosphère. Il semblait voir comme des ombres, des mouvements invisibles, autour de l’élémentaire. Le vent jouait, sa créature se manifestait. Elle n’avait pas de couleur, pas de forme, aux yeux du malakim. C’était simplement sa vue et son sixième sens qui détectaient un quelque chose, qui passait, un peu comme une entité, sur un autre plan astrale. Il ne pourrait ni la toucher, ni réellement la voir. Il la devinait, tout simplement, aidé par les paroles d’Elide lui permettant d’y croire.
Ce n’était pas exact, mais c’était un résumé de ce qu’il percevait. Et puis, pour ne pas la contrarier en expliquant qu’il la devinait, plus qu’il ne la voyait, il voulait mettre en confiance Elide. Ne pas lui donner l’impression que son discours n’avait ni queue, ni tête. Ne pas lui renvoyer l’image d’une folle à lier. Établir un lien de confiance, voilà la stratégie du malakim face à cette situation inédite.
Elle finit par lui répondre à sa question : que craignait-elle en la laissant prendre un peu le dessus ? Maintenant, il y voyait plus clair. Laisser la créature conduire le corps d’Elide, c’était une expérience incroyable, qui devait grandement plaire à l’élémentaire. C’était peut-être atteindre un niveau d’extase et de liberté que lui-même ne pouvait pas concevoir. Mais c’était également faire preuve d’irresponsabilité, de laisser libre cours à cette entité enfouie en elle, en s’absentant et lui laissant carte blanche. Le monde autour du corps d’Elide n’avait plus aucun sens, elle se détachait de cette vie remplie de souffrances et de malheur, pour ne plus ressentir que légèreté et plaisir sans fin.
Elle mentionna une élémentaire de feu, qu’il avait déjà vu, certes. De loin, zonant autour des remparts, ou parfois d’un peu plus près, dans une tenue si légère que plus aucun vêtement ne la recouvrait. Il savait très peu de choses de cette Vex, mais il connaissait un peu trop son anatomie à son goût. Ce qui n’était pas pour déplaire aux autres veilleurs de son escouade, qui se demandaient parfois si leur garde allait être bénie par la vue de ses seins rebondis et de fesses qu’ils désirent caresser. Kaël se contenta de hocher la tête à la mention de l’alchimiste.
Elle lui décrivit sa lente agonie, cette descente aux enfers lorsque le bonheur ultime s’en alla. La souffrance de retrouver la vie autour d’elle, le contrôle de son corps et la perte de cette créature, retournée se terrer au fond de son âme, avec la promesse de revenir. De lui faire de nouveau ressentir toute cette jouissance, avant de la lui arracher, pour qu’elle espère mourir et ne plus subir cette séparation brutale. Il ressentit une vague de tristesse pour Elide, car son empathie est ainsi, très puissante et tournée vers les autres. S’il n’avait pas peur de la brusquer, il aurait posé une main sur son épaule, pour lui assurer son soutien.
Les larmes affluaient et la recrue n’eut d’autres solutions que de les laisser couler sur son visage. Peiné par cette vision, le chef d’escouade glissa une main vers l’intérieur de son manteau. Il dénicha dans sa poche interne, un mouchoir de coton pour le proposer à Elide. Elle pouvait en disposer comme bon lui semblait, et même le garder. Si, à l’avenir, elle devait de nouveau pleurer de la sorte, il aimerait qu’elle puisse trouver le réconfort d’un mouchoir confié pour sécher ses larmes et lui apporter un peu de tendresse. Elle n’était pas seule. Non, elle n’était plus seule. Même si ce n’était que sa première garde, même si leurs rapports étaient houleux et, même si elle avait encore bien des obstacles à venir sur le chemin pour devenir une veilleuse, Elide avait dorénavant une famille d’adoption sur qui compter.
Sa tristesse évolua en rage. Elle ne parvenait plus à rien contenir. Ni ses émotions, ni la créature. Il sentait qu’elle était là, présente dans le dos d’Elide, un peu moqueuse, un peu narquoise. Elle devait lui chuchoter moult promesses, mais aussi bon nombre de menaces, car l’élémentaire se refusait à lui céder sa place. Jusqu’au moment où l’âme de la recrue se fractura. La créature, avide de profiter de ses faiblesses, ayant trouvé la faille en elle, venait se presser pour l’acculer et la contraindre à plier face à sa force brutale. Un cri s’étouffa dans la gorge de l’élémentaire. Elle était rouge, cramoisie. La créature devait prendre le dessus, l’empêcher de s’exprimer, de penser, et même de vivre. C’était sans compter sur la présence de Kaël, chevalier blanc à ses heures perdues, chef d’escouade, instructeur et protecteur des nouvelles recrues. Il attrapa le col du manteau d’une Elide complètement absente, pour planter son regard dans ceux dorénavant de la créature. Comment il le savait ? Ils étaient laiteux, étranges, à la fois vides et habités, le tout en même temps.
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