20 Décembre 4182

Le givre et la neige se sont emparé de la cité depuis quelques mois, et j'en avait pour ainsi dire assez. Le nez endolori par tant de matières anti-odeurs, les oreilles engoncées dans une capuche à peine assez grande pour les contenir, bottes jusqu'au genoux pour ne pas perdre un orteil et gants pour ne pas éparpiller mon courrier, décidément cette fin d'année voulait ma peau de facteur.

Mais les lettres n'attendent pas, surtout quand les missives sont importantes, et elles le sont souvent. Généralement, on n'écrit pas à un ami que l'on peut trouver facilement dans al ville, sauf en cas de maladie ou de demande officielle. Non, la majorité des écrits étaient de Maisons en Maisons, de conseil en conseil, bref: des gens importants discutant entre eux.
Oh oui, c'était le genre de chose où mon petit nez de rongeur aurait aimé se fourrer mais, pas de bêtises. Pas cette fois. Tenté devant un joli courrier au cachet de cire, je l'enfourne direct dans le sac de postier que la ville m'a donné pour ne pas succomber, mordant ma lèvre inférieur. Tas de riz tenta tas de rats, mais tas de courrier attends un seul rat. Il fallait que je me dépêche.

Alors vite fait bien fait et au seul bruit des crissements de bottes dans la poudreuse, je finis ma tournée, seulement embêté par le froid s'engouffrant dans ma cape fourrée grâce à un vent perfide. Rentrer au chaud dans notre petit nid douillet ne serait pas du luxe. Il faut tout de même plus de deux heures pour en finir, entre les remises en mains propres et les maisons éloignées, en passant par les remparts pour les veilleurs aguerris qui parfois, à par moi, ne voyaient que leur repas arriver à des heures bien précises.

Il est plus vite fait de rentrer chez soi, et les rues défilantes ne m'intéressent moyennement malgré l'engouement que je trouve à badiner généralement. Il fait froid, et mes pauvres mimines n'en supporterais pas de plus pour entendre un potin de rue, surtout pour ne rien en faire. Un moment, j'hésite tout de même à passer au Quartier Général, saluer les membres de la Maison, puis secoue la tête. On ferait la fête plus tard... La cheminée nous attends.

Au détour d'une ruelle particulièrement glissante, je manque de m'engouffrer dans ma propre porte, emporté tout droit par une plaque de verglas particulièrement vicieuse, cachée par la neige tombée il y a peu. Heureusement les réflexes sont bons, et je me raccroche à la poignée en poussant toutefois une exclamation de surprise, et enfonce la clé dans l'énorme porte de bois avant de rentrer, hors d'haleine, dans l'habitacle.

La cheminée avait besoin d'être rallumée, bien que les braises disséminées dans l'âtre produisent encore une chaleur suffisante pour le petit studio. Ce n'était pas une grande maison, en tant que facteur je n'aurais pas pu me le permettre... Mais j'avais acheté la bicoque un an plus tôt, et s'il y avait encore à faire des petits aménagements le gros des travaux de l'ancienne chaumière avait bien avancé.

Je prend un moment pour me déchausser et trouver mes pantoufles fourrées, puis apporte cape et bottes mouillées près du feu avant de m'y pencher tandis que ma fourrure frissonne pour mieux enlever les gouttes figées que la neige a dispersé dessus. Au moins, je devais avoir moins froid que le commun des mortels... Mais quel froid tout de même!

Une bûche et du petit bois plus tard, une belle mèche ambrée se diffuse en travers de la cendre, et je me recule pour m'enfoncer dans mon fauteuil.

"Une bonne chose de faite!"

Ne manque plus qu'une tasse d'une quelconque infusion de plantes séchées d'ici, ou un bon vieux chleucolat chaud et la sieste bien méritée pourrait commencer au coin du feu nouveau... Je laisse mes petit yeux se perdre dans la flamme, le cœur balançant entre dormir ou me lever pour mener à bien mon projet quand un claquement, petit mais sec se fait entendre derrière moi.

"Qu'est-ce que c'est?"

Je me redresse, regarde la porte, la fenêtre de la cuisine, la pièce, mais ne vois rien. Et pourtant, avec de si grands pavillons, impossible que ce son n'ai en rien existé. Je me lève donc, bien réveillé cette fois, et fais un tour d'horizon avant de voir une forme étrange sur le carreau gelé au dessus de l'évier. Comme une forme de trace apposée sur la fenêtre...

Craignant que ce soit un malandrin ayant osé jeter quelque chose sur le verre, je l'ouvre et regarde les alentours avec un regard froncé: Je n'allais pas me faire embêter avant le Tea Time, tout de même!
Et puis, un petit battement me fais baisser le museau: Une forme aux couleurs verdoyantes, bien éloignée des gris, blancs et bruns du Quartier en hiver, me fait tendre la main. C'est chaud et frissonnant, c'est doux et presque inerte... C'est...

"Un oisillon?"

Pas sûr que ce soit la saison, mais il y a des plumes sur l'animal qui a dû se jeter sur la fenêtre sans faire exprès. Un énième coup de vent me fait rentrer la tête dans la maison et, refermant la fenêtre, je maugréé dans ma moustache avant de regarder de nouveau, à la lueur de la cheminée, la chose dans ma main.

"Pas plus grande qu'un petit doigt... Et bel et bien assommé..."

Je détaille un peu plus la bête tenue entre mes mains, remarquant plumes et pelage, et décide de la poser dans un torchon sec sur le fauteuil.

"Un peu de chaleur te revigorera sûrement..."

Il n'était pas rare que les oiseaux restant de Londres se prennent les fenêtre, et souvent avec un peu de chaleur et du temps, il revenait à la vie. Un peu de patience donc pour le petit individu... Et maintenant qu'il avait pris la place du chef sur le sofa, j'étais bon pour préparer le goûter.

20 Décembre 4182

Je n'étais pas la personne la plus douée en matière animale, malgré mon évidente métamorphose. Enfant, je n'avais jamais eu qu'une monture d'équitation, comme il se devait dans la famille de savoir monter avec prestance, mais d'animal domestique servant seulement de compagnie, aucun. Je ne m'en étais pas plus encombré ensuite, trop occupé à travailler ou fureter sur la moindre bribe d'information qui puisse servir à mes journaux, officiels ou non, pour prendre le temps sur une autre activité.

Pourtant, à regarder le petit être sur le sofa, dos à la cheminée et infusion à la main, il y avait de l'attendrissement dans mon petit cœur. Comment un animal si petit avait pu survivre à ce froid mordant? Je n'avais même aucune idée de s'il était adulte ou non, bien que quelques indices morphologiques pouvait m'indiquer qu'il n'était décidément qu'un bébé de son espèce. Des recherches seraient sûrement être obligatoires, rien que pour ma culture générale.

Car il était évident que la bestiole partirait. Un oiseau (en était-ce vraiment un d'ailleurs?) sauvage ne se laisserai pas vivre en habitation, même avec un froid de canard. Un peu de temps et de chaleur pour ressusciter , et merci au revoir, la première ouverture ferais l'affaire. Cependant, je rechigne à ouvrir avant le moment de l'envol, autant pour le vent mordant que les flocons qui s'amassent sur le rebord.
Alors j'attends, regardant avec curiosité et patience la bête qui semble dormir, et, entre la chaleur et le spectacle bien calme, finis par m'assoupir, la tête contre l'accoudoir de velours.

Mon réveil est accompagné de pépiements assourdissants. J'ouvre les yeux, baille un instant, mais le fauteuil est vide et le bruit ininterrompu du bec minuscule vient de quelques pas de là. La petite bestiole est réveillée, et traine de l'aile sur le plancher en sautillant de ci, de là, sans un réel trajet. La bouche grande ouverte et le gosier en avant, je me rend compte que le soleil a bien baissé... Et que le petit compagnon que voilà doit avoir une faim de tout les diable. Je songe un instant à le remettre dehors, où il trouvera sûrement sa nourriture... Mais son aile étendue n'annonce rien de bon, et je murmure:

"Allons bon, voilà autre chose."

Avec aucune possibilité de voler, je ne donnais pas cher de la peau du zozieau. Je fronce les sourcils, tente de réfléchir, puis attrappe le linge encore dans le fauteuil pour attrapper l'animal qui pépie de plus belle.

"Ma parole, tu me fâcherai en plus!"

Je l'enroule avec délicatesse à l'intérieur, avec une attention redoublée pour le côté de son aile et l'emmène dans la cuisine.

"J'espère que tu manges végétarien, sinon ça va être difficile."

Depuis que j'étais devenu rongeur, impossible de passer devant les stands de viandes sans un haut le cœur. Moi qui appréciait tant les menus carnassiers, je m'étais pris à me ravir de graines et de fruits, redoublant d'inventivité pour en faire des plats convenables. Je sors donc des étagères des noix, des graines et des petites baies séchées, avant de les couper en plus petits bouts encore pour que ça passe dans la minuscule ouverture de l'animal qui semble bien plus silencieux à me regarder m'affairer ainsi. Puis, peut-être à cause de l'odeur ou de la faim grandissante, il se débat dans le tissu, pépie d'autant plus fort, et finis par se défaire du linge pour arriver sur le comptoir, sautillant vers tout ce qui était à sa portée. Il chipe un morceau de graine, puis un petit bout de baie, et pique ma main pour passer à travers, mangeant entre mes pattes sous ma surprise.

"Et bien! Quel empressement!"

D'un autre côté, s'il était dehors depuis un moment... La végétation n'offrait plus vraiment ce genre de mets. Je laisse donc mes mains rejoindre mon corps avant d'être piqué à nouveau, et, attendris derechef, laisse le gourmet manger son repas d'hiver.

21 Décembre 4182
La fin de journée avait donc été dédié au petit animal de quelques phalanges de haut, qui après son repas c'était contenté... De s'endormir sur le comptoir, l'aile mi-étendue. J'avais pensé un moment à l'emmener à la guilde d'Ozénys qui l'aurait pris en charge avec plus de savoir-faire et moins de difficultés que moi, mais le vent sifflant contre les fenêtres et une nouvelle vague de froid m'avaient fortement déconseillés de mettre pattes et museau dehors. Au coin du feu ce serait, ce soir le petit animal était en sécurité, et pour ne pas le laisser dormir sur la pierre refroidie je fouille un peu dans mes affaires avant de trouver une petite caissette de bois, sensée renfermer des denrées alimentaires depuis longtemps terminées, et à la place y fourre le tissu puis y glisse bien plus délicatement le petit corps tellement endormi qu'il ne semble même pas broncher. Une bonne nuit de sommeil le rendra peut-être plus capable et la météo pourrait s'améliorer?


Lorsque je me réveille sous les pépiements affamés, le froid n'a toujours pas renoncé à taper aux carreaux. La journée postale du jour pourrais même sembler compromise... Mais les missives urgentes avaient besoin de moi. Alors je me lève du lit mezzanine sous le toit de la petite maison, glisse de l'échelle comme un rituel immuable du matin et passe à l'entretien de la cheminée qui a commencé à s'éteindre avant d'allumer le fourneau pour un petit breakfast.

Il faut dire cependant que la routine de la veille si silencieuse était tout de même perturbée par les cris stridents d'un si petit être, et bien vite je prend le temps de trouver graines et baies pour sustenter la bête affamée. Portant ensuite la caisse d'où il n'a pas bougé, je le vois s'ébattre à la vue de son repas tandis que moi, horrifié, je regarde le fond de la boîte. Fallait-il que je sois devenu père de substitution pour nettoyer... ça?

"Vous êtes un malpoli, de faire vos besoins dans votre lit!"

Cela dit, c'était de bien bonne foi que je le réprimandais, n'ayant rien pris comme disposition pour qu'il en soit autrement. Je réfléchis donc un instant puis capitule:

"Nous corrigerons ça plus tard. J'ai besoin d'un enca... Ou d'un thé."

Pour l'enca, ce serait plus tard: N'ayant pas d'aquarium à café à domicile il serait difficile de faire autrement. Mais en faisant ma tournée, il n'était pas rare que les membre de la Maison m'en fasse cadeau, et avec le temps plus que maussade je ne rechignais jamais à m'arrêter au chaud. Je fais chauffer l'eau distraitement, regardant le volatil à fourrure faire son petit déjeuner, puis regardant le jour pointer me décide à finir de préparer l'infusion avant de chausser bottes fourrées et cape. Laisser l'animal de la taille d'un doigt seul ne me plait pas forcément, mais avec le froid, il n'était pas une bonne idée non plus de le jeter dehors. Dernière solution... Le traîner dans ma besace, histoire de voir s'il appréciait l'hiver ou se cachait confortablement au fond pour se reposer. Tant qu'il n'y faisait pas ses besoins.