10 janvier 118

Mes alvéoles pulmonaires crient de détresse tandis que le liquide invisible prend possession de mon système respiratoire. Je me noie, littéralement, dans le vide.
Un moment, me débattant pour trouver un souffle d'air, je pense avoir fait le mauvais choix: Et si le nouveau monde n'existait pas? Et si c'était un piège à cons, à désespérés, comme un nettoyage ethnique que personne ne verrait? Car après tout, personne ne savait qui était les agents de TLC, personne n'avait jamais vu le portail, personne n'avait de nouvelles des gens derrière...
Je vais mourir.  

C'est avec cette hypothèse effroyable que la toile se crève sans bruit et mes poumons inspirent à grands bruits après cette apnée éternelle. J'allais mourir... Et je vis. J'inspire, j'expire, je recommence, d'abord fort, puis plus lentement, respirant un air tellement pur qu'il me brulerait presque plus la gorge que ma pollution habituelle. Autour de moi, des murmures doux et une lumière d'un soleil pâle se collent comme ma première vision du nouveau monde. C'est flou... Mais rapidement le focus se fait. On me fait asseoir, on me regarde presque fixement et, passé l'effroi d'avoir cru mourir, je finis par rire, d'un rire de soulagement. Je suis en vie, et je suis dans le nouveau monde!

Mon rire semble estomaquer les gens présents, et je m'excuse avant qu'on ne me lève. C'est là que je m’aperçoit que les silhouettes autour de moi sont bien éclectiques, et si les formes humaines me sont facilement reconnaissables, les autres me surprennent puis me rende tout à fait curieux. Je pose des questions, on me réponds aisément, et c'est avec un dialogue plutôt chaleureux qu'on m'amène à une chambre certes neutre mais préparée tout à fait bien pour un nouveau venu. Je m'habille d'un complet chaud, et à la vue d'un miroir regarde mon reflet.

Nul ailes, pas de cornes ou de bois, je me reconnais quasiment parfaitement à quelques exceptions près. Mes yeux sont plus bleutés qu'à ma naissance, et au creux de mes clavicules brillent de petites écailles finement sculptées dans ma chair, presque invisible comme ça. Des reflets dans mes cheveux semblent s'être aussi rajoutés, et lorsque je pose de nouvelles questions à une femme ailée qui passe me donner un verre d'eau, elle me répond seulement ceci: Nymphe. Je suis... Une nymphe. Une sourire se fige sur mes traits, et je la remercie, content tout à fait de sa réponse. Puis elle m'indique que puisque je me sens bien, mon mentor va venir me faire les présentations d'Azamyr et, enthousiaste, je remercie de nouveau ma visiteuse. Un mentor donc? La vie était si différente ici pour se faire guider? Cela dit, j'oubliais vite qu'être entouré de personnes portant plumes ou écailles étaient de l'ordre du fantasme là d'où je venais, et si pour le moment tout se passe comme dans un rêve il fallait que je me rende à la vérité: Le nouveau monde était loin, très loin d'être l'ancien, et j'avais beaucoup à apprendre.

Assis dans mon lit de fortune, j'attends donc mon guide du nouveau monde, certainement plus d'une heure, mais impossible de savoir dans ces murs sans horloge, jusqu'à ce qu'on toque à ma porte que j'ouvre avec un sourire doux.

"Bonjour, entrez je vous en prie! J'imagine que vous êtes mon mentor... Je m'appelle Eos."

10 janvier 118

Ce n'est pas comme je prévoyais que l'entrée se ferait. Déjà parce que je n'imaginais pas la désagréable sensation du passage qui me fige encore un peu, mais aussi parce que je ne m'étais pas figuré que l'on pouvais changer. Nouveau monde, nouveau corps, que j'ausculte avec intérêt. Cela dit... Je me ressemble, et mon reflet m'offre un sourire un peu rassuré, passant tout de même un doigt sur les fascinantes écailles nacrées qui offrent leurs plus belles iridescences au contact.

Et puis je finis par m'installer sagement sur le lit, attendant comme convenu mon mentor, la personne qui m'aiderai à m'intégrer. Étrange sensation, de revenir au rang de débutant. Il y avait des années que je n'avais pas débuté quelque chose... Cette pensée me ravi, et me donne davantage encore le sourire. Comment sera-t-il? Ou elle d'ailleurs? J'en suis là de mes réflexions quand la porte laisse échapper un bruit de frappe, et je m'en vais accueillir comme il se doit mon mentor quand je reconnais la frimousse
à l'encadrement, en plein milieu de ma phrase.

Les explications ne sont pas très claires, et le malheureusement me fait hausser un sourcil. Mon mentor (où plutôt ma mentor, il faut croire!) serait si terrible que ça? Au signe, je ne me fait pas prier et suis docilement la silhouette, curieux et intrigué que déjà les choses ne se passent pas comme prévu. Comme quoi, même dans un nouveau monde où tout avait pu être fait différemment pour éviter nos erreurs d'antan, on arrivait tout de même à l'imprévu!
"Attention à ne pas glisser." Me conseille mon guide, et en effet le sol semble presque gelé. C'est vrai que, je n'y ai pas songé avant, trop occupé comme j'étais à ... respirer?, il fait vraiment froid ici... Cela dit, en janvier, s'aurait pu être attendu.

Une voix plus vive se fait entendre au bout du couloir et je tend le cou pour voir au dessus de l'épaule de la silhouette ce qui se passe. Un homme sermonne une jeune femme en larme, et si je ne sais pas vraiment ce qui se passe, je prend immédiatement en pitié la jeune créature, grondée comme une enfant.
Nous nous rapprochons, et petit à petit les traits se font plus précis, montrant des cornes d'ébènes, un joli œuf de pigeon entre les deux à peine caché par une épaisse crinière noire.  

J'ouvre de grands yeux quand nous nous rapprochons tout à fait, et la silhouette se dissipe, sa tâche achevée avant même que je soit sûr de savoir ce qui se passe exactement devant mes yeux. Je n'imaginais pas que parmi ce groupe serait mon mentor et qu'elle serait sermonnée avant même qu'on ne puisse se présenter!
N'en déplaise, Je me rapproche et, avec un petit geste de la main gauche, tandis que je range dans mon dos la droite, je salue poliment le prêtre: "Excusez moi de vous interrompre... On m'a emmené ici chercher mon mentor... Je suppose que c'est l'un d'entre vous... Vous, j'imagine." Je tourne les yeux vers la femme encore à terre et propose ma main pour la remettre debout.

Le prêtre semble encore ronchon mais, voyant que la situation est en cours de contrôle, il finit lui aussi par disparaître, sûrement maugréant que de nos jours, les jeunes ne font attention à rien et toute sorte de grommellements quand je me tourne tout à fait vers la demoiselle que je ne peux m'empêcher de qualifier de jolie. Dans mon esprit, bien sûr! "Je crois que j'ai interrompu quelque chose... Mais ça n'avais pas l'air d'aller dans votre sens. Je m'appelle Eos, je suis... Je suis le petit nouveau. Et... vous?" Je fais un petit sourire sympathique, espérant que la jeune femme encornée maintenant trois fois ne soit pas trop mal à l'aise de tout ça.

10 janvier 118

Situation délicate que de vous se faire houspiller la jeune femme qui doit me servir de guide. Elle a l'air jeune, c'est vrai, mais à terre comme ça, les yeux gonflés de larmes, ne la prendrait-il pas en pitié? Je ne peux m'empêcher de penser Si elle a fait quelque chose de mal, ce ne doit pas être bien grave... Mais je ne me mêle pas de la discussion, préférant l'interrompre en me présentant.

Les iris d'or se figent sur moi, avec une intensité qui m'hypnotise. Elle a de beaux yeux... Embués. Et ses cils sont si longs et si noirs! Je baisse le regard un moment pour me reconcentrer quand même le prêtre ronchon dis de ne pas fixer. Ce n'était qu'un instant...
Je fais un sourire à la demoiselle et lui tends la main, qu'elle prend pour mieux se hisser sur une paire de sabots tout à fait impressionnante. Elle est grande, presque autant que moi, et je regarde la ligne de ses cheveux de jais tandis que son ronchonneur finit par disparaître et qu'elle s'exclame des mots que je ne comprend pas. C'est vrai ça... On parle une langue différente? Y a-t-il une langue à apprendre? Je me fais un peu moins confiant, avant de me rappeler que mes autres discussions étaient tout à fait compréhensibles et que, sauf si le nouveau monde parlait laotien ce qui serait hautement improbable, nous avions une langue commune. Ouf!

Nos yeux se croisent de nouveau et elle m'offre un sourire des plus solaires. En miroir je lui souris aussi avant de me présenter, mes pensées s'exclamant seulement: Mignonne! Je lui demande son prénom, sa voix balbutie un peu et mes yeux s'ouvrent grands et ronds de surprise. Parfait? Comment ça? Pas d'explications, mais un mot revient: Gwennic. Ce n'est donc pas une langue étrangère mais bel et bien un prénom, bien loin de ma culture et de mes connaissances mais qu'importe. Gwennic donc.

"Enchanté Gwennic, je_" Sa main à peine tendue et pas encore touchée, son corps s'élance vers moi et s’agrippe avec un mélange de joie et d'excitation, telle une enfant, encore une fois. D'instinct, mes bras se referment sur sa taille pour ne pas qu'elle tombe et  la relâche quand son buste se décolle la seconde ensuite. Un rougissement soudain me prend et je bredouille à mon tour: "Il... Il n'y a pas de mal!" Surprenante créature cela dit.
Ses confidences me font glousser doucement, et sa façon d'être excentrique m'amuse et me met tout de suite à l'aise. Mon arrivée allait être bien plus sympathique, guidée par Gwennic!

Tandis que le bâtiment semble vidé petit à petit des gens qui m'ont accueilli, la jeune femme me pose pleins de questions d'un coup, et je tente de calmer son rythme par un geste lent: "Je vois ça! Les nouveaux ne sont pas nombreux alors? " Je lui fait un petit regard curieux, puis met mes mains dans mon dos en regardant les colonnes géantes et les lianes dénudées de leurs feuilles, comme un hiver terrien. "On pourrait... Boire quelque chose de chaud en discutant? J'iamgine que j'ai des questions oui..." Sur Elle, déjà. Gwennic l'étoile filante. Aussi lumineuse et rapide qu'une étoile filante... "Excuse moi, mais... Qu'est ce que tu es, exactement?" Je pointe ses cornes, puis ses sabots avec un sourire intéressé. "Je veux tout savoir, et j'imagine que ça va prendre un moment. Mettons nous au chaud, si un tel lieu existe!"

10 janvier 118

Une fois la stupeur du câlin express passée, mes pensées valdinguent avant de se fixer quand la jeune femme parle des gens qui arrivent de la Terre, comme moi. Un instant, l'image de ma dernière patiente ayant obtenu une clef me revient, une femme dépressive malgré son jeune âge, qui se savait incapable de vivre dans ce monde pollué, avançant inéluctablement à sa perte. Ses yeux noisettes remplit d'espoir lorsqu'elle m'a dit qu'elle partait, qu'elle avait déjà activé sa clef avant de me la montrer tel le Graal. Les clefs se faisaient sûrement plus rares... Ou mieux cachées. "Je ne sais pas quand tu es arrivée ici, mais la Terre est toujours ce qu'elle est depuis des centaines d'années."
Les yeux presque vitreux de ma mentor reviennent de leur voyage de pensée et je me contente de sourire. Effectivement, il ne devait pas y avoir qu'un mentor pour tous les arrivants, c'est logique...

Et maintenant j'étais ici aussi, en tant qu'homme neuf. Et dans cet endroit inconnu, face à la proposition de choisir la suite de notre entrevue, je propose un endroit calme et une activité qui nous laisse tout le loisir de discuter, et il n'en faut pas plus pour que la grande dame cornue s'élance sur ses pattes animales sans me laisser le temps de réagir. Elle traverse le grand couloir aux colonnes impressionnante et je regarde sa course gracieux et agile... Jusqu'à ce que son sabot ripe de nouveau, faisant un bruit de glissade sur la pierre sans que son corps ne s'étale cette fois, et le retour se fait en trottinant, les bras encombrés d'un manteau qu'elle me donne. En entendant les mots que je n'ai pas prononcés, je lance un regard surpris mais n'en dit rien. Une coïncidence? En tout cas, j'enfile la veste qui ressemble étrangement aux habits d'hiver terrestre et hoche la tête à l'explication: "Je vois! Je me disais aussi que ça faisait très... commun."

Je lance ma première interrogation avec curiosité tandis que mes yeux se portent à ses caractéristiques physiques bien plus visibles que celles qui m'ont été affublées, et ceux malgré la longue et épaisse jupe qu'elle porte (effectivement, l'avoir vu les fer en l'air aide pas mal à savoir la chose). Et telle l'étoile filante qu'elle continue d'être, elle me répond d'abord par moi (je note: nymphe, écailles, respire sous l'eau, besoin d'eau salé.), puis par son espèce à elle: Sang-mélé. Dit comme ça, ça ne m'aide aps beaucoup, mais sa façon de montrer ses muscles me font glousser... Jusqu'à ce qu'elle me disent qu'elle lis dans les pensées.
"Oh." Ne rien penser. Ne rien penser, ne rien penser, ne rien penser...
J'essaye d'imaginer sr que j'ai pu dire dans mon esprit, mais tout semble gênants alors je me concentre sur elle, qui touche sa bosse tel Einstein pour mieux gémir...

Heureusement, Gwennic ne semble pas s'en rendre compte et lorsqu'elle parle de ce qu'on peut faire je hoche la tête. On dirait qu'elle pense à voix haute et c'est autant amusant que mignon. Elle se retourne comme si on était observé, mais dans la végétation dormante personne ne semble nous espionner. Nous sommes bien seuls dans ce pan du temple, et il faut regarder un peu plus loin pour distinguer quelques ombres religieuses. Cela ne semble pas rassurer la gente Dame parce qu'elle prend le pas pour sortir, et je la suis donc sans rechigner. Après tout, j'avais demandé un chocolat chaud, et le monde m'appelle!

Nous nous approchons donc d'une porte immense dont les arabesque me laisse admiratif. "Est-ce que tout est aussi joli?" On est loin du village en tôle que je viens de quitter: l'architecture semble... Occidentale. Enfin, si je me souviens de mes cours d'histoire. Nous passons la porte et la lumière m'éblouit, en réverbération sur... "De la... Neige?" Je reste interdit devant le manteau immaculé que je n'ai jamais foulé même en rêve. Puis je jette un coup d'oeil à Gwennic, pointe du doigt la matière et demande, intimidé: "On peut... marcher la dessus?" Après tout, je n'ai aucune idée de comment ça fonctionne, surtout quand on tient en équilibre sur des sabots.

Après quelques minutes, je m'aventure sur le sol blanchi et au crounch de mes bottes je frémis. "C'est... C'est extraordinaire!" Je pousse un cri de joie et prend la main de ma mentor avant de marcher encore. crounch crounch crounch, ça fait, et je vais plus vite avant de former une ronde en tenant l'autre main de la sang mélé. "C'est incroyable, incroyable! Gwennic, as tu déjà vu pareil spectacle?!" Un gosse, un gosse vivant sa première classe de neige.