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Docteur, j'ai mal - Elide [10/11/118]
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
'A la Bonne Aiguille' - 10 novembre de l'an 118
L'aiguille allait et venait à sa guise, avec savoir-faire et précision, perçant délicatement le derme. Ainsi naissaient de délicates perles de sang, échos rougeâtres des billes de sueur dévalant les tempes du patient du jour. Ah, pauvre de lui - Pauvre de nous ! - une 'simple' suture de la cuisse suite à une soi-disant 'mauvaise chute dans les arbres' - Des arbres aux feuilles aussi tranchantes que des rasoirs, je devrais en faire pousser un exemplaire près du cabinet alors. - ne lui avait fait gagner qu'une simple anesthésie locale. Il fallait bien faire avec les moyens du bord, dans ce monde sauvage !
La plaie correctement refermée, non sans les recommandations d'usage, le bonhomme encore vacillant s'en retourna, non sans être suivi par la douce et futile Cassandre, qui trouvait important de vérifier que les patients (elle tenait à ce terme) quittaient le cabinet sur leurs deux jambes. C'est pour dire, Frédéric avait même dû insister pour qu'elle ne les accompagne pas jusque chez eux ! Quelle idée !
"Ô Belle et Splendide Cassandre... clama le médecin se changeant depuis les profondeurs de son cabinet. ... Que voient tes yeux si doux ?
- Je crois bien qu'il s'agit du dernier patient de la matinée, Monsieur LaFleur. répondit simplement la fille. A moins que d'autres vous aient contacté et que vous n'en ayez pas fait mention ?"
Il la devinait penchée à l'entrée de la salle d'attente, guettant le plus longtemps possible le patient. Ah, qu'ils étaient loin les premiers mois où ses propos lui faisaient perdre contenance dès les premiers compliments ! Il me faut en trouver de nouveaux, avec quelles limites vais-je jouer... ? Blouse et gants - en peau d'une créature, bah ! - sautèrent, et ses grandes jambes le portèrent en quelques pas dans sa caverne d'Alibaba.
"Non point, enchanteresse, mon temps est mien désormais ! Clôt le cabinet, à présent... Il inspira profondément à la vue de ses crayons et pages n'attendant plus que sa main. ... Je crée !"
Il ne put voir le léger rose qui monta aux joues de la jeune femme. Ainsi le médecin se perdit-il dans des courbes et des couleurs, dans sa pièce à tissus et à vêtements, tandis que la jeune dryade à la chevelure noir passait distraitement le balai à l'entrée du cabinet, sans le clore encore. A l'inverse d'une partie de la population de la Maison de la Flamme et de l'Ombre, le LaFleur s'était adapté au plus gros de sa clientèle et, s'installant dans le Quartier Central, vivait davantage un rythme diurne. Ainsi, sa secrétaire soufflait un peu, après l'opération, en laissant vadrouiller son esprit à la vue des habitants aux formes et races incroyables vaquant à leurs occupations, non loin des temples et des tavernes. Ses rêveries s'effacèrent bientôt quand une figure parmi les autres attira son attention.
"Ah... Quelqu'un pour vous je crois, Monsieur ! appela-t-elle.
- Déjà ?!"
Sans pour autant lâcher son carnet, le dandy quitta son second bureau pour rejoindre l'entrée grande ouverte où se tenait Cassandre. Grand et svelte, dans sa tenue élégante de tailleur, sa longue chevelure nouée en une interminable natte battant la cadence, il apparut distrait, corrigeant une courbe qui résistait à son crayon.
"Bonjour bonjour... marmonna-t-il, agacé par la ligne, avant de relever les yeux. Alors, des sutures ou une doublure, à refaire aujourd'hui ?"
Certes, il y avait une salle d'attente, qu'il avait même traversé. Certes, la dryade aurait pu amener l'arrivant auprès de lui dans son atelier. Certes, certes, mais que diable, que l'individu se décide, lui était portée par le fil du dessin qui lui tirait le bras comme un poisson par un fil de pêche !
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Ça avait vraiment été une nuit de merde, pensait amèrement l'élémentaire. Et encore, elle pesait ses mots. Tout avait bien commencé, pourtant. Il ne pleuvait pas, elle partageait sa garde avec des collègues qu'elle appréciait, et le Malakim à ailes de chauve-souris qui lui servait de chef d'escouade avait pris sa ronde dans le ciel à peine arrivé, lui épargnant d'écouter ses sempiternelles remontrances. Elle n'avait rien contre Kaël – au contraire, même – mais bon sang, qu'est-ce qu'il pouvait être rébarbatif quand il s'y mettait.
Bref, la soirée s'annonçait tranquille, et ça avait été le cas jusqu'à ce que, aux alentours de cinq heures du matin, un hurlement à vous glacer le sang ne fende la plénitude enténébrée. Sur le coup, la jeune femme avait vraiment cru qu'un homme – ou une femme – se faisait éviscérer avec ce qui ne pouvait être qu'un scalpel émoussé. En bonne veilleuse, et parce qu'elle était du genre à foncer la tête la première vers le danger sans réfléchir, elle s'était donc précipitée avec deux autres collègues en dehors des remparts, direction l'endroit d'où provenait le braillement. Cependant, qu'elle n'avait pas été leur surprise en découvrant, à la place de la scène macabre à laquelle ils s'étaient attendus, une pauvre Biquelly esseulée qui beuglait son désespoir à qui voulait bien l'entendre. Passée la stupéfaction et après un bon fou-rire, les deux autres veilleurs l'avaient gentiment laissée se charger de ramener l'animal à l'intérieur des murs : privilège des recrues, avaient-ils expliqués en ricanant avant de tourner les talons.
Elide était restée alors seule face à l'animal, sans aucune compétence en bergerie ni la moindre idée de comment elle allait bien pouvoir faire. Merde, elle n'avait même jamais eu de chat ! Elle avait donc opté pour la solution qui lui avait semblé la plus simple : empoigner la bête par le col et le ramener, bon gré, mal gré, en sécurité. Et c'était à partir de là que la soirée avait viré à la catastrophe. La Biquelly, paniquée et totalement aveuglée par la cascade de fleurs qui lui tombait sur le yeux, avait visiblement décidé que l'élémentaire ne rentrait pas dans la case « alliée » et l'avait tout bonnement ...attaquée. Avant même de savoir ce qui lui arrivait, Elide avait été renversée par une charge qu'elle n'avait absolument pas vu venir, heurtant violemment le sol. L'animal en furie s'était acharné de précieuses secondes – mordant, martelant la veilleuse de ses sabots – avant que la jeune femme ne parvienne à réagir. Dans un mouvement aussi instinctif qu'affolé, celle-ci avait empoigné à deux mains la corne qui lui vrillait le côté et tiré dessus de toutes ses forces. Sans doute son élément était-il venu à la rescousse, car bientôt un crac sinistre s'était fait entendre. La biquette avait émis un hurlement mi affolé, mi outré, avant de prendre la poudre d'escampette, non sans un dernier coup de sabot, laissant derrière elle sa victime, un morceau de corne brisée entre les mains.
Après de longues minutes à se demander ce que diable il venait de se passer, Elide s'était finalement relevée et, clopin-clopant, avait regagné son poste. Cette foutue chèvre pouvait bien crever, ce n'était plus son problème. L'égo aussi meurtri que sa chair, elle avait soigneusement évité ses collègues pour le reste de la nuit, profitant de l'obscurité pour dissimuler son visage contusionné et son corps meurtri, qu'elle avait pansé rapidement sans vraiment regarder – elle avait connu pire. C'était hors de question que les autres apprennent ce qu'il s'était passé, les moqueries ne finiraient jamais. La jeune femme ne voulait plus qu'une seule chose : rentrer et soigner ses plaies autant que sa fierté. Elle s'était donc éclipsée comme une voleuse au petite matin, et s'était traînée tant bien que mal jusqu'à la maison du Souffle et du Ciel, où elle s'était effondrée sur son lit à peine arrivée. Dormir d'abord, elle se soignerait plus tard. L'élémentaire s'était toutefois réveillée une grosse heure plus tard, tirée de son sommeil par une douleur brûlante qui lui déchirait le flanc et l'impression – à juste titre – de s'être fait rouler dessus par un bulldozer.
Voici la raison pour laquelle elle se trouvait maintenant dans la quartier central, à se traîner misérablement vers une boutique bien précise, emmitouflée dans sa cape dont elle avait rabattu le capuchon et boitant comme un vieux canasson, la main crispée sur son flanc. Son premier réflexe avait été d'aller à l'hôpital central, mais les employés auraient eu tôt fait de rapporter l'incident à ses supérieurs. Outre la honte qui s'ensuivrait immanquablement, ces derniers la mettraient probablement à pied quelques jours afin qu'elle se rétablisse, et ça, c'était ce qu'elle voulait absolument éviter. Pas alors qu'on se rapprochait de cette date si fatidique, pas alors que ses nuits étaient peuplées de cauchemars, pas alors que ses pensées l'entraînaient jour après jour vers cette redoutable spirale qu'elle connaissait si bien. Non, il fallait absolument qu'elle reste occupée, et quoi de mieux pour cela que de passer la nuit à surveiller des remparts pour se donner l'impression d'avoir un but ? Voici pourquoi elle avait décidé de se rendre plutôt chez une personne à la morale questionnable mais qu'elle savait capable de garder ce genre de petit secret.
** Mais elle est où déjà sa foutue boutique ? **
Maudissant son manque d'orientation, l'élémentaire finit cependant par trouver ce qu'elle cherchait. C'est d'abord Cassandre, la dryade et secrétaire de Frédéric, qu'elle aperçut de loin. Comme un chat curieux, celle-ci observait ce qu'il se passait à l'extérieur, un balai entre les main. Lorsqu'elle s'était rendue pour la première – et dernière fois – à la Bonne Aiguille, l'élémentaire s'était franchement demandé comment la jeune femme pouvait supporter un tel énergumène. Elle-même lui aurait depuis longtemps collé son poing dans la figure. De l'autre côté, ces derniers temps, c'était le genre de réaction que lui inspirait à peu près tout le monde, donc elle n'était peut-être pas la mieux placée pour juger. Au moins, cette fois-ci, le tailleur pourrait-il faire toutes les réflexions du monde sur l'uniforme de veilleur qu'elle portait toujours sans qu'elle n'ait envie de l'étrangler.
Frédéric, justement, leur fit l'honneur de sa présence, apparaissant dans l'entrée au moment où elle-même y parvenait. La partie d'elle qui n'était pas encore totalement abrutie par la douleur nota avec une appréciation certaine la physionomie plus qu'avenante du spectre, dont l'incroyable chevelure alla jusqu'à réveiller une note de jalousie toute féminine. Elle-même ne devait ressembler à rien, avec ses yeux cernés par des nuits d'insomnie et sa dernière veille, son visage à la pommette tuméfiée par sa récente mésaventure et son apparence efflanquée. Non que cela soit inhabituel, mais la jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait quand même dans tout cela une réelle injustice.
Le souffle court, elle appuya une épaule contre le mur pour se soutenir. La tête lui tournait. Il était hors de question qu'elle ajoute à sa honte de la nuit dernière celle de s'effondrer aux pieds du tailleur, son égo n'y survivrait pas. C'est pourquoi, à la question de Frédéric, elle esquissa plutôt un sourire en coin, étirant des lèvres blêmes en ce qui apparut en réalité comme un rictus, et, affichant un air bravache qu'elle était loin de ressentir, lui répondit d'une voix ironique... mais déformée par la douleur. Son visage, blafard, était recouvert d'une mince pellicule de sueur.
« Je sais pas doc, à votre avis ? »
Dans le même temps, elle ouvrit sa cape et écarta légèrement les pans de la veste de son uniforme pour révéler une chemise à tel point imbibée de sang qu'elle avait commencé à imprégner le cuir de son pantalon.
Bref, la soirée s'annonçait tranquille, et ça avait été le cas jusqu'à ce que, aux alentours de cinq heures du matin, un hurlement à vous glacer le sang ne fende la plénitude enténébrée. Sur le coup, la jeune femme avait vraiment cru qu'un homme – ou une femme – se faisait éviscérer avec ce qui ne pouvait être qu'un scalpel émoussé. En bonne veilleuse, et parce qu'elle était du genre à foncer la tête la première vers le danger sans réfléchir, elle s'était donc précipitée avec deux autres collègues en dehors des remparts, direction l'endroit d'où provenait le braillement. Cependant, qu'elle n'avait pas été leur surprise en découvrant, à la place de la scène macabre à laquelle ils s'étaient attendus, une pauvre Biquelly esseulée qui beuglait son désespoir à qui voulait bien l'entendre. Passée la stupéfaction et après un bon fou-rire, les deux autres veilleurs l'avaient gentiment laissée se charger de ramener l'animal à l'intérieur des murs : privilège des recrues, avaient-ils expliqués en ricanant avant de tourner les talons.
Elide était restée alors seule face à l'animal, sans aucune compétence en bergerie ni la moindre idée de comment elle allait bien pouvoir faire. Merde, elle n'avait même jamais eu de chat ! Elle avait donc opté pour la solution qui lui avait semblé la plus simple : empoigner la bête par le col et le ramener, bon gré, mal gré, en sécurité. Et c'était à partir de là que la soirée avait viré à la catastrophe. La Biquelly, paniquée et totalement aveuglée par la cascade de fleurs qui lui tombait sur le yeux, avait visiblement décidé que l'élémentaire ne rentrait pas dans la case « alliée » et l'avait tout bonnement ...attaquée. Avant même de savoir ce qui lui arrivait, Elide avait été renversée par une charge qu'elle n'avait absolument pas vu venir, heurtant violemment le sol. L'animal en furie s'était acharné de précieuses secondes – mordant, martelant la veilleuse de ses sabots – avant que la jeune femme ne parvienne à réagir. Dans un mouvement aussi instinctif qu'affolé, celle-ci avait empoigné à deux mains la corne qui lui vrillait le côté et tiré dessus de toutes ses forces. Sans doute son élément était-il venu à la rescousse, car bientôt un crac sinistre s'était fait entendre. La biquette avait émis un hurlement mi affolé, mi outré, avant de prendre la poudre d'escampette, non sans un dernier coup de sabot, laissant derrière elle sa victime, un morceau de corne brisée entre les mains.
Après de longues minutes à se demander ce que diable il venait de se passer, Elide s'était finalement relevée et, clopin-clopant, avait regagné son poste. Cette foutue chèvre pouvait bien crever, ce n'était plus son problème. L'égo aussi meurtri que sa chair, elle avait soigneusement évité ses collègues pour le reste de la nuit, profitant de l'obscurité pour dissimuler son visage contusionné et son corps meurtri, qu'elle avait pansé rapidement sans vraiment regarder – elle avait connu pire. C'était hors de question que les autres apprennent ce qu'il s'était passé, les moqueries ne finiraient jamais. La jeune femme ne voulait plus qu'une seule chose : rentrer et soigner ses plaies autant que sa fierté. Elle s'était donc éclipsée comme une voleuse au petite matin, et s'était traînée tant bien que mal jusqu'à la maison du Souffle et du Ciel, où elle s'était effondrée sur son lit à peine arrivée. Dormir d'abord, elle se soignerait plus tard. L'élémentaire s'était toutefois réveillée une grosse heure plus tard, tirée de son sommeil par une douleur brûlante qui lui déchirait le flanc et l'impression – à juste titre – de s'être fait rouler dessus par un bulldozer.
Voici la raison pour laquelle elle se trouvait maintenant dans la quartier central, à se traîner misérablement vers une boutique bien précise, emmitouflée dans sa cape dont elle avait rabattu le capuchon et boitant comme un vieux canasson, la main crispée sur son flanc. Son premier réflexe avait été d'aller à l'hôpital central, mais les employés auraient eu tôt fait de rapporter l'incident à ses supérieurs. Outre la honte qui s'ensuivrait immanquablement, ces derniers la mettraient probablement à pied quelques jours afin qu'elle se rétablisse, et ça, c'était ce qu'elle voulait absolument éviter. Pas alors qu'on se rapprochait de cette date si fatidique, pas alors que ses nuits étaient peuplées de cauchemars, pas alors que ses pensées l'entraînaient jour après jour vers cette redoutable spirale qu'elle connaissait si bien. Non, il fallait absolument qu'elle reste occupée, et quoi de mieux pour cela que de passer la nuit à surveiller des remparts pour se donner l'impression d'avoir un but ? Voici pourquoi elle avait décidé de se rendre plutôt chez une personne à la morale questionnable mais qu'elle savait capable de garder ce genre de petit secret.
** Mais elle est où déjà sa foutue boutique ? **
Maudissant son manque d'orientation, l'élémentaire finit cependant par trouver ce qu'elle cherchait. C'est d'abord Cassandre, la dryade et secrétaire de Frédéric, qu'elle aperçut de loin. Comme un chat curieux, celle-ci observait ce qu'il se passait à l'extérieur, un balai entre les main. Lorsqu'elle s'était rendue pour la première – et dernière fois – à la Bonne Aiguille, l'élémentaire s'était franchement demandé comment la jeune femme pouvait supporter un tel énergumène. Elle-même lui aurait depuis longtemps collé son poing dans la figure. De l'autre côté, ces derniers temps, c'était le genre de réaction que lui inspirait à peu près tout le monde, donc elle n'était peut-être pas la mieux placée pour juger. Au moins, cette fois-ci, le tailleur pourrait-il faire toutes les réflexions du monde sur l'uniforme de veilleur qu'elle portait toujours sans qu'elle n'ait envie de l'étrangler.
Frédéric, justement, leur fit l'honneur de sa présence, apparaissant dans l'entrée au moment où elle-même y parvenait. La partie d'elle qui n'était pas encore totalement abrutie par la douleur nota avec une appréciation certaine la physionomie plus qu'avenante du spectre, dont l'incroyable chevelure alla jusqu'à réveiller une note de jalousie toute féminine. Elle-même ne devait ressembler à rien, avec ses yeux cernés par des nuits d'insomnie et sa dernière veille, son visage à la pommette tuméfiée par sa récente mésaventure et son apparence efflanquée. Non que cela soit inhabituel, mais la jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait quand même dans tout cela une réelle injustice.
Le souffle court, elle appuya une épaule contre le mur pour se soutenir. La tête lui tournait. Il était hors de question qu'elle ajoute à sa honte de la nuit dernière celle de s'effondrer aux pieds du tailleur, son égo n'y survivrait pas. C'est pourquoi, à la question de Frédéric, elle esquissa plutôt un sourire en coin, étirant des lèvres blêmes en ce qui apparut en réalité comme un rictus, et, affichant un air bravache qu'elle était loin de ressentir, lui répondit d'une voix ironique... mais déformée par la douleur. Son visage, blafard, était recouvert d'une mince pellicule de sueur.
« Je sais pas doc, à votre avis ? »
Dans le même temps, elle ouvrit sa cape et écarta légèrement les pans de la veste de son uniforme pour révéler une chemise à tel point imbibée de sang qu'elle avait commencé à imprégner le cuir de son pantalon.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
L'odeur, reconnaissable entre mille pour qui a dédié une décennie au corps humain, sa chair, ses tripes et son sang, le prit à la gorge. Là où la douce Cassandre ouvrit des yeux ronds et noirs à la vue de la plaie, se précipitant pour assister la nouvelle venue, le médecin, lui, eut une réaction encore plus admirable : un mouvement de recul, et une de ses mains se jeta sur sa figure, en pinçant le nez et en couvrant partiellement le rictus de dégoût. Peste et choléra, cette boucherie... ! L'autre mimine agita son précieux carnet dans l'air comme pour en chasser - vainement - l'odeur et de potentielles mouches.
"Par Enos, femme, il y aurait tout à refaire ! pesta-t-il aussitôt. Votre figure de spectre - ha ! - comme le sac à patates qui vous sert de cache-misère, rien ne va, et vous empest-
- Elle saigne à nouveau, il faut l'inspecter au plus vite... !
- Vous l'avez devinée comme une grande ? L'odeur ne le crie pas assez !?"
D'ordinaire pareille répartie aurait rosi la figure délicate, entre les champignons soulignant les rondeurs du jeune visage de la dryade, et c'est bien qu'il n'en fut rien qui interpela - un peu - le spectre. Un nouveau "Monsieur !" soufflé avec, presque, sévérité, et avec un "Très bien, TRES BIEN. Ah !" agacé, Frédéric ferma la porte derrière la nouvelle venue, avant de les accompagner dans le cabinet silencieux. Ce genre de bêtise ne se réglait pas en un tour d'aiguille, il leur faudrait un peu de tranquillité. Dépassant rapidement les chaises vides, le trio prit place dans la salle d’auscultation, Cassandre installant la Evans avec précaution sur la table après en avoir redressé le dossier, tandis que le LaFleur enfilait prestement sa blouse et ses gants. Il ne manquerait plus qu'il salisse sa chemise ! Il avait passé des semaines sur son design.
"Eh bien mademoiselle Evans, c'est une autre affaire qui vous amène ici. Cette tenue est fichue, vous vous en doutez, nous verrons cela plus tard. Que diriez-vous de nous expliquez ce qu'il s'est passé ?" commença-t-il, son ton narquois cédant peu à peu la place à un timbre plus professionnel.
C'est bien simple, après s'être retourné, vêtu de son tissu blanc, le LaFleur se concentra davantage sur les blessures que la personne qui lui faisait face. La cape avait été retiré, révélant la tenue imbibée de sang. Deux pairs de mains s'empressèrent de découper celle-ci pour libérer le corps meurtri de sa seconde 'peau' collante et infecte, révélant en plus de la plaie et du sang, moult hématomes et quelques lacérations. La pudeur n'avait pas sa place au cabinet, et le moindre geste de résistance serait retenu - avec gentillesse - par Cassandre. De même pour toute gesticulation liée à la douleur.
"Voilà une plaie, comme elle est hideuse. souffla Frédéric sur son tabouret, penché sur la hanche de la jeune femme. Un peu d'herbe du jardin, on dirait ? Et avec votre petite course, la voilà qui est réouverte. Regardons d'abord ce qu'il y a à faire...
- Mangez ceci, cela atténuera un peu la douleur... Dit Cassandre en tendant une gomme à mâcher à la patiente.
- Pas encore. interrompit le LaFleur, qui tentait d'y voir quelque chose malgré la plaie ré-ouverte et le sang coulant. D'abord les explications, après l'apaisement. Épongez cela Cassandre, et Evans, expliquez-moi d'où vient ce trou dans votre flanc et pourquoi une partie du sang sur vos vêtements est sèche ?"
La plaie n'était pas nette, et l'attitude de la jeune femme non plus. Pas une blessure d'entrainement des veilleurs - ils faisaient un minimum attention les uns aux autres, déjà qu'ils n'étaient pas bien nombreux -, ni une blessure de bagarre de rue. A quoi bon s'intéresser aux circonstances ? Dénigreraient certains. Les petites surprises cachées, répondrait le LaFleur. Des drogues consommées, des blessures cachées... Eh oui, à son grand regret, désormais, la communication était plus que nécessaire pour s'occuper au mieux des cli- patients. Même s'ils l'avaient mérité. Déjà que le médecin-tailleur avait trouvé à l'élémentaire des traits bien trop tirés pour son âge - ses lèvres en ressortaient d'autant, tel un fruit trop mûr - lors de leur rencontre pour une amélioration de garde robe, à présent, son air de faible bravoure la lui rendait encore plus agaçante.
"Oh, et au cas où l'idée vous viendrez de me cacher certains détails... Ses mires bleutées fixèrent la blessée avec la fixité d'une lame prête à être plantée. C'est vous qui risquez des complications, en cas d'erreur de ma part. Alors, soyez claire, hmmm ?"
"Par Enos, femme, il y aurait tout à refaire ! pesta-t-il aussitôt. Votre figure de spectre - ha ! - comme le sac à patates qui vous sert de cache-misère, rien ne va, et vous empest-
- Elle saigne à nouveau, il faut l'inspecter au plus vite... !
- Vous l'avez devinée comme une grande ? L'odeur ne le crie pas assez !?"
D'ordinaire pareille répartie aurait rosi la figure délicate, entre les champignons soulignant les rondeurs du jeune visage de la dryade, et c'est bien qu'il n'en fut rien qui interpela - un peu - le spectre. Un nouveau "Monsieur !" soufflé avec, presque, sévérité, et avec un "Très bien, TRES BIEN. Ah !" agacé, Frédéric ferma la porte derrière la nouvelle venue, avant de les accompagner dans le cabinet silencieux. Ce genre de bêtise ne se réglait pas en un tour d'aiguille, il leur faudrait un peu de tranquillité. Dépassant rapidement les chaises vides, le trio prit place dans la salle d’auscultation, Cassandre installant la Evans avec précaution sur la table après en avoir redressé le dossier, tandis que le LaFleur enfilait prestement sa blouse et ses gants. Il ne manquerait plus qu'il salisse sa chemise ! Il avait passé des semaines sur son design.
"Eh bien mademoiselle Evans, c'est une autre affaire qui vous amène ici. Cette tenue est fichue, vous vous en doutez, nous verrons cela plus tard. Que diriez-vous de nous expliquez ce qu'il s'est passé ?" commença-t-il, son ton narquois cédant peu à peu la place à un timbre plus professionnel.
C'est bien simple, après s'être retourné, vêtu de son tissu blanc, le LaFleur se concentra davantage sur les blessures que la personne qui lui faisait face. La cape avait été retiré, révélant la tenue imbibée de sang. Deux pairs de mains s'empressèrent de découper celle-ci pour libérer le corps meurtri de sa seconde 'peau' collante et infecte, révélant en plus de la plaie et du sang, moult hématomes et quelques lacérations. La pudeur n'avait pas sa place au cabinet, et le moindre geste de résistance serait retenu - avec gentillesse - par Cassandre. De même pour toute gesticulation liée à la douleur.
"Voilà une plaie, comme elle est hideuse. souffla Frédéric sur son tabouret, penché sur la hanche de la jeune femme. Un peu d'herbe du jardin, on dirait ? Et avec votre petite course, la voilà qui est réouverte. Regardons d'abord ce qu'il y a à faire...
- Mangez ceci, cela atténuera un peu la douleur... Dit Cassandre en tendant une gomme à mâcher à la patiente.
- Pas encore. interrompit le LaFleur, qui tentait d'y voir quelque chose malgré la plaie ré-ouverte et le sang coulant. D'abord les explications, après l'apaisement. Épongez cela Cassandre, et Evans, expliquez-moi d'où vient ce trou dans votre flanc et pourquoi une partie du sang sur vos vêtements est sèche ?"
La plaie n'était pas nette, et l'attitude de la jeune femme non plus. Pas une blessure d'entrainement des veilleurs - ils faisaient un minimum attention les uns aux autres, déjà qu'ils n'étaient pas bien nombreux -, ni une blessure de bagarre de rue. A quoi bon s'intéresser aux circonstances ? Dénigreraient certains. Les petites surprises cachées, répondrait le LaFleur. Des drogues consommées, des blessures cachées... Eh oui, à son grand regret, désormais, la communication était plus que nécessaire pour s'occuper au mieux des cli- patients. Même s'ils l'avaient mérité. Déjà que le médecin-tailleur avait trouvé à l'élémentaire des traits bien trop tirés pour son âge - ses lèvres en ressortaient d'autant, tel un fruit trop mûr - lors de leur rencontre pour une amélioration de garde robe, à présent, son air de faible bravoure la lui rendait encore plus agaçante.
"Oh, et au cas où l'idée vous viendrez de me cacher certains détails... Ses mires bleutées fixèrent la blessée avec la fixité d'une lame prête à être plantée. C'est vous qui risquez des complications, en cas d'erreur de ma part. Alors, soyez claire, hmmm ?"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Et voilà. Frédéric avait en tout et pour tout tenu un quart de demi-seconde avant de partir dans l’une de ces bouffonneries dont il avait le secret – à défaut de trouver un terme plus adapté. Elide observa d'un œil noir le médecin affecter un dégoût à ce point appuyé qu'il s'attira le regard intrigué d'un Triton qui passait par là. Pour un peu, elle l'aurait éventé elle-même de peur qu'il ne se pâme, si ça n'avait pas été elle, l'objet de ces cris d'orfraie. L'élémentaire se sentait donc davantage encline à lui réenfoncer ses exclamations outrées dans la gorge mais, par chance - ou par malchance, selon le point de vue duquel on se plaçait – elle était trop groggy pour le faire. En même temps, à quoi s'attendait-elle ? Elle avait eu l'occasion de croiser le personnage, et savait parfaitement comment cela allait finir, comme une fin connue d'avance.
« Pour le sac à patates, je vous laisse voir avec Voss, c'est lui qui a choisi les uniformes des Veilleurs » se contenta-t-elle donc de marmonner en passant à côté de lui, épaulée par une Cassandre aux petits soins. Elle paierait cher pour voir le tailleur annoncer au Commandant des Veilleurs qu'il avait des goûts de chiotte, tiens. « Quant à la tête de spectre... » reprit-elle en s'installant sur la table d'auscultation, même s'il serait plus juste de dire qu'elle se laissa hisser comme un sac par la dryade « ...vous êtes bien placé pour parler, non ? » Bon, d’accord, c’était petit. Et puis, elle était bien obligée de lui accorder ce point : elle avait une mine abominable.
Grimaçante, elle remua faiblement pour trouver une position confortable, mais son effort ne fut récompensé que par une vague de nausée qui la cloua à son dossier et la força à fermer un instant les yeux.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » répéta-t-elle faiblement. Aucune chance qu'elle lui dise la vérité. Elide rouvrit les yeux tandis que Frédéric se préparait, lorgnant d'un œil fatigué le médecin passer blouse et gants. Ça promettait. Elle se creusa les méninges pour trouver quelque chose qui satisfasse la curiosité de son interlocuteur « Une rencontre inamicale en-dehors des remparts, rien d'extraordinaire. »
Elide n'avait pas bronché lorsque le Spectre et son assistante l'avaient débarrassée de sa chemise poisseuse, mais lorsque Frédéric s'approcha de sa blessure, le monstre primal au fond d'elle poussa un feulement courroucé. Avant qu'elle ne sache ce qu'elle faisait, la jeune femme laissa échapper un sifflement menaçant, savant mélange d'avertissement et de douleur et qui, pour beaucoup, pouvait d'ailleurs simplement passer comme tel. Mais la Créature l'avait à l'œil, cet espèce de polichinelle à aiguilles.
« Faites attention ! » lâcha-t-elle d'une voix hargneuse. Elle reposa sa tête – l'effort l'avait vidée. « Et je ne veux pas que vous m'appeliez Evans. Elide. C'est Elide. » Son nom de famille, c'était son secret et son fardeau, et l'entendre prononcé par la bouche d'une autre personne – qui plus est par celle de ce médecin qui ne lui vouait certainement aucun respect – lui donnait l'impression qu'on remuait ses entrailles avec un tison porté au rouge. Quand bien même Frédéric avait une très belle bouche, nota son esprit embrumé. Oui, une gomme contre la douleur, c'était bien, vite. La jeune femme leva la main pour s'emparer de celle que lui tendait Cassandre.
** Il est sérieux ?? **
De dépit autant que de surprise, elle laissa retomber son bras. Visiblement, Frédéric confondait médecine et torture. Cependant, son ton narquois avait peu à peu cédé la place à une intonation plus grave, plus sérieuse, raison pour laquelle elle consentit à répondre à sa question. Quelques précisions en plus ne la tueraient pas, si ? Elle se racla la gorge, mal à l'aise.
« C'est une corne. » Un silence. « Un animal. Un animal m'a chargée, et ça, c'est le trou de sa corne. Je crois. » Ça aurait tout aussi pu être ses dents, à cette saloperie de chèvre, pour ce qu'elle en savait. Elide évita le regard du médecin, comme si le fait de ne pas le regarder dans les yeux pourrait lui éviter d'être la cible du courroux qui, elle le savait, ne manquerait pas de lui tomber dessus à la suite de ses prochaines révélations. « Quant au sang, il est sec, tout simplement parce que j'ai terminé ma garde avant de venir. » Voilà, c’était dit. Et parce qu'elle avait d'abord piqué un somme. Et parce qu'au départ, elle ne comptait tout simplement pas venir. La jeune femme poussa un soupir – un peu – contrit, se sentant obligée d'apporter quelques précisions supplémentaires.
« Je ne pensais pas que c'était sérieux. » Une pointe de douleur particulièrement vicieuse lui fit serrer des dents. Une goutte de sueur s'échappa de son cou et vint mourir entre ses seins. « Autrement, je serai venue plus tôt.» Bon, là aussi c'était faux, mais Frédéric n'avait pas besoin de le savoir. « Mais oui, pas besoin de me le dire, je sais que j'ai merdé » termina-t-elle d'une voix plus dure. Elle avait merdé en ne venant pas plus tôt, mais elle avait aussi merdé sur toute la ligne. Quelle veilleuse ça faisait d'elle, même pas foutue d'attraper une fichue biquette ? Elide sentit la colère lui piquer le nez – contre la Biquelly, mais également et surtout contre elle-même. Son exaspération redoubla d'intensité lorsque les prunelles bleues du tailleur la fixèrent avec une acuité qui semblait dire qu'il n'était pas dupe. Les spectres pouvaient-ils sentir quand on mentait ?
« L'animal m'a attaquée » répéta-t-elle. « Il m'a chargée, je suis tombée. Ça... » elle pointa du doigt sa pommette bleutée et écorchée « ... c'est un coup de sabot. Et ça… » sa main glissa vers une des traces de morsure, sur son épaule « ... ce sont ses dents. » Elle ne rompit pas le contact de leurs deux regards, le miel et l'azur de deux opposants qui se jaugeaient. « Est-ce que ça vous suffit, doc, ou bien vous voulez plus de détails ? » termina-t-elle d'une voix fruitée, espérant de tout cœur que Frédéric ne pousserait pas trop loin et, surtout, ne se rendrait pas compte que les traces de dents correspondaient à celles d'un herbivore.
« Pour le sac à patates, je vous laisse voir avec Voss, c'est lui qui a choisi les uniformes des Veilleurs » se contenta-t-elle donc de marmonner en passant à côté de lui, épaulée par une Cassandre aux petits soins. Elle paierait cher pour voir le tailleur annoncer au Commandant des Veilleurs qu'il avait des goûts de chiotte, tiens. « Quant à la tête de spectre... » reprit-elle en s'installant sur la table d'auscultation, même s'il serait plus juste de dire qu'elle se laissa hisser comme un sac par la dryade « ...vous êtes bien placé pour parler, non ? » Bon, d’accord, c’était petit. Et puis, elle était bien obligée de lui accorder ce point : elle avait une mine abominable.
Grimaçante, elle remua faiblement pour trouver une position confortable, mais son effort ne fut récompensé que par une vague de nausée qui la cloua à son dossier et la força à fermer un instant les yeux.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » répéta-t-elle faiblement. Aucune chance qu'elle lui dise la vérité. Elide rouvrit les yeux tandis que Frédéric se préparait, lorgnant d'un œil fatigué le médecin passer blouse et gants. Ça promettait. Elle se creusa les méninges pour trouver quelque chose qui satisfasse la curiosité de son interlocuteur « Une rencontre inamicale en-dehors des remparts, rien d'extraordinaire. »
Elide n'avait pas bronché lorsque le Spectre et son assistante l'avaient débarrassée de sa chemise poisseuse, mais lorsque Frédéric s'approcha de sa blessure, le monstre primal au fond d'elle poussa un feulement courroucé. Avant qu'elle ne sache ce qu'elle faisait, la jeune femme laissa échapper un sifflement menaçant, savant mélange d'avertissement et de douleur et qui, pour beaucoup, pouvait d'ailleurs simplement passer comme tel. Mais la Créature l'avait à l'œil, cet espèce de polichinelle à aiguilles.
« Faites attention ! » lâcha-t-elle d'une voix hargneuse. Elle reposa sa tête – l'effort l'avait vidée. « Et je ne veux pas que vous m'appeliez Evans. Elide. C'est Elide. » Son nom de famille, c'était son secret et son fardeau, et l'entendre prononcé par la bouche d'une autre personne – qui plus est par celle de ce médecin qui ne lui vouait certainement aucun respect – lui donnait l'impression qu'on remuait ses entrailles avec un tison porté au rouge. Quand bien même Frédéric avait une très belle bouche, nota son esprit embrumé. Oui, une gomme contre la douleur, c'était bien, vite. La jeune femme leva la main pour s'emparer de celle que lui tendait Cassandre.
** Il est sérieux ?? **
De dépit autant que de surprise, elle laissa retomber son bras. Visiblement, Frédéric confondait médecine et torture. Cependant, son ton narquois avait peu à peu cédé la place à une intonation plus grave, plus sérieuse, raison pour laquelle elle consentit à répondre à sa question. Quelques précisions en plus ne la tueraient pas, si ? Elle se racla la gorge, mal à l'aise.
« C'est une corne. » Un silence. « Un animal. Un animal m'a chargée, et ça, c'est le trou de sa corne. Je crois. » Ça aurait tout aussi pu être ses dents, à cette saloperie de chèvre, pour ce qu'elle en savait. Elide évita le regard du médecin, comme si le fait de ne pas le regarder dans les yeux pourrait lui éviter d'être la cible du courroux qui, elle le savait, ne manquerait pas de lui tomber dessus à la suite de ses prochaines révélations. « Quant au sang, il est sec, tout simplement parce que j'ai terminé ma garde avant de venir. » Voilà, c’était dit. Et parce qu'elle avait d'abord piqué un somme. Et parce qu'au départ, elle ne comptait tout simplement pas venir. La jeune femme poussa un soupir – un peu – contrit, se sentant obligée d'apporter quelques précisions supplémentaires.
« Je ne pensais pas que c'était sérieux. » Une pointe de douleur particulièrement vicieuse lui fit serrer des dents. Une goutte de sueur s'échappa de son cou et vint mourir entre ses seins. « Autrement, je serai venue plus tôt.» Bon, là aussi c'était faux, mais Frédéric n'avait pas besoin de le savoir. « Mais oui, pas besoin de me le dire, je sais que j'ai merdé » termina-t-elle d'une voix plus dure. Elle avait merdé en ne venant pas plus tôt, mais elle avait aussi merdé sur toute la ligne. Quelle veilleuse ça faisait d'elle, même pas foutue d'attraper une fichue biquette ? Elide sentit la colère lui piquer le nez – contre la Biquelly, mais également et surtout contre elle-même. Son exaspération redoubla d'intensité lorsque les prunelles bleues du tailleur la fixèrent avec une acuité qui semblait dire qu'il n'était pas dupe. Les spectres pouvaient-ils sentir quand on mentait ?
« L'animal m'a attaquée » répéta-t-elle. « Il m'a chargée, je suis tombée. Ça... » elle pointa du doigt sa pommette bleutée et écorchée « ... c'est un coup de sabot. Et ça… » sa main glissa vers une des traces de morsure, sur son épaule « ... ce sont ses dents. » Elle ne rompit pas le contact de leurs deux regards, le miel et l'azur de deux opposants qui se jaugeaient. « Est-ce que ça vous suffit, doc, ou bien vous voulez plus de détails ? » termina-t-elle d'une voix fruitée, espérant de tout cœur que Frédéric ne pousserait pas trop loin et, surtout, ne se rendrait pas compte que les traces de dents correspondaient à celles d'un herbivore.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
"Eh bien... Du dédain, de l'agacement, il en laissa filtrer le LaFleur, avec son haussement de sourcil, aussi élégant que marqué. Ce sera donc Mademoiselle la Veilleuse Encornée pour vous, si vous préférez."
C'était ironique, bien entendu, mais elle n'en méritait pas moins. D'abord elle montrait les dents comme une bête enragée, puis avouait laborieusement une belle bêtise. Je suis une Veilleuse, même pas mal, je me vide de mon sang à mon poste, et le doc' me recoudra, tout va bien ! Son imitation - qui ne franchit pas les limites de son crâne - était évidemment nasillarde et irritante au possible. Un raclement de gorge ne lui passa pas l'envie d'en dire plus et, lâchant le duel de regard futile avec la malheureuse, il prit un malin plaisir à réaliser l'exposé suivant :
"Merci pour toutes ces précisions, Mademoiselle l'Encornée. Alors, Cassandre, écoutez bien, vous allez voir, c'est édifiant. Et vous Mademoiselle, mordez ce bout de tissu. Sans la moindre considération pour la jeune femme, il entreprit, entre deux coups de tissus pour absorber le sang, de fouiller la plaie avec de fines pinces en métal. Puisque la patiente ne s'est pas effondrée depuis sa ronde, on peut supposer que l'animal... N'avait pas de venin - La faune de ce monde regorge de surprise, on en apprend tous les jours ! Surtout avec les idiots qui les côtoient -.
- Votre analyse, Monsieur. tenta de le rediriger Cassandre, contrite, mais il n'avait pas fini.
- Et avec des sabots... Et une morsure sans points de pénétration, il s'agissait sans doute d'un herbivore. Une attaque de grand prédateur, vous auriez fait plus attention, n'est-ce pas ? Aussi, puisqu'elle n'est pas décédée d'une hémorragie interne ni ne se tord de douleur au point de ne pas pouvoir se trainer jusqu'ici, on déduit que... Les organes internes sont relativement indemnes." Au milieu du rouge, un bout de blanc fut extrait.
Oh la démarche était douloureuse ! Et le médecin, ce grand farceur, énonçait son affaire sans une hésitation, fixé sur son travail de précision, sans un regard de pitié pour le maigre torse nu qui s'agitait, son timbre vibrant d'une émotion forte, quoique maîtrisée. Et à qui eut observé sa figure, son masque de concentration, peut-être son rictus aurait-il donné un nom plus clair à l'émotion qui vibrait dans ses propos : la colère.
N'y tenant plus, Cassandre fit avaler à la patiente la gomme anti-douleur. Un claquement de langue désapprobateur suivi.
"Cassandre, le sang ! Et la Demoiselle n'a pas fini d'entendre, je ne voudrais pas qu'elle perde le fil... !
- A son réveil, Monsieur. Ses mouvements vont vous gêner."
Pester, râler, injurier, de bonnes réactions qui ne lui vinrent pas devant tant de raison et de tempérance. Peste soit de son caractère.
"Vos sens vont s'émousser, ainsi que la douleur, Mademoiselle Elide. Nous nous occupons de tout. clarifia la dryade.
- LE SANG, Cassandre. Arrêtez de la materner et faites votre travail."
Le ton, cinglant, fit perdre un instant contenance à la dryade. Plutôt que de s'attarder devant pareil spectacle, le LaFleur profita de l'effet calmant de la gomme pour faire son travail, nettoyant la plaie des débris. Il aurait bien des questions sur le bon sens dont semblait dénuée l'Elide, mais cela attendrait qu'elle reprenne ses moyens. Il ne voulait pas avoir à se répéter.
Des tissus sanglants, il y en aurait de nombreux à envoyer au nettoyage. Que ne donnerais-je pas pour un bon aspirateur chirurgical ! Travailler dans ces conditions est une aberration. Sur la table, la jeune femme se réveillait doucement, le flanc couvert de bandages protégeant les beaux points de sutures faits par le LaFleur, des baumes appliqués sur ses autres plaies. Une belle au bois dormant amaigrie, marquée de cicatrices et de cales, bien trop mal entretenue à son goût. Ayant enfilé une blouse propre, les mains libérés des gants, le spectre gribouillait avec un air concentré et contrarié, remâchant ce qu'il dirait volontiers à un chef des Veilleurs, aux collègues de la donzelle, et à n'importe quel individu qui lui parlerait d'une manière déplaisante.
"Monsieur, elle reprend connaissance...! signala diligemment la dryade.
Et voilà, quelqu'un avait parlé au spectre !
"Cassandre, sortez je vous prie.
- ... Vous êtes encore contrarié.
- Sortez.
- Monsieur je-
- Il me faut parler avec ma patiente et sans interruption cette fois. Sortez."
Résistant sans peine aux airs de biche triste de son assistante, le LaFleur savoura son départ, observant la porte close, la main posée sur son carnet et son crayon. Que l'élémentaire trahisse sa pleine conscience, par un souffle, un regard, et le médecin avait soudainement disparu. En un clignement de paupière, pouf.
Pour reparaître de l'autre côté de la table, penché sur la jeune femme, les mains dans le dos, l'air songeur.
"Mademoiselle la Veilleuse Encornée, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous vivez encore."
Il n'y avait pas grand chose de plaisant dans sa manière de le dire.
C'était ironique, bien entendu, mais elle n'en méritait pas moins. D'abord elle montrait les dents comme une bête enragée, puis avouait laborieusement une belle bêtise. Je suis une Veilleuse, même pas mal, je me vide de mon sang à mon poste, et le doc' me recoudra, tout va bien ! Son imitation - qui ne franchit pas les limites de son crâne - était évidemment nasillarde et irritante au possible. Un raclement de gorge ne lui passa pas l'envie d'en dire plus et, lâchant le duel de regard futile avec la malheureuse, il prit un malin plaisir à réaliser l'exposé suivant :
"Merci pour toutes ces précisions, Mademoiselle l'Encornée. Alors, Cassandre, écoutez bien, vous allez voir, c'est édifiant. Et vous Mademoiselle, mordez ce bout de tissu. Sans la moindre considération pour la jeune femme, il entreprit, entre deux coups de tissus pour absorber le sang, de fouiller la plaie avec de fines pinces en métal. Puisque la patiente ne s'est pas effondrée depuis sa ronde, on peut supposer que l'animal... N'avait pas de venin - La faune de ce monde regorge de surprise, on en apprend tous les jours ! Surtout avec les idiots qui les côtoient -.
- Votre analyse, Monsieur. tenta de le rediriger Cassandre, contrite, mais il n'avait pas fini.
- Et avec des sabots... Et une morsure sans points de pénétration, il s'agissait sans doute d'un herbivore. Une attaque de grand prédateur, vous auriez fait plus attention, n'est-ce pas ? Aussi, puisqu'elle n'est pas décédée d'une hémorragie interne ni ne se tord de douleur au point de ne pas pouvoir se trainer jusqu'ici, on déduit que... Les organes internes sont relativement indemnes." Au milieu du rouge, un bout de blanc fut extrait.
Oh la démarche était douloureuse ! Et le médecin, ce grand farceur, énonçait son affaire sans une hésitation, fixé sur son travail de précision, sans un regard de pitié pour le maigre torse nu qui s'agitait, son timbre vibrant d'une émotion forte, quoique maîtrisée. Et à qui eut observé sa figure, son masque de concentration, peut-être son rictus aurait-il donné un nom plus clair à l'émotion qui vibrait dans ses propos : la colère.
N'y tenant plus, Cassandre fit avaler à la patiente la gomme anti-douleur. Un claquement de langue désapprobateur suivi.
"Cassandre, le sang ! Et la Demoiselle n'a pas fini d'entendre, je ne voudrais pas qu'elle perde le fil... !
- A son réveil, Monsieur. Ses mouvements vont vous gêner."
Pester, râler, injurier, de bonnes réactions qui ne lui vinrent pas devant tant de raison et de tempérance. Peste soit de son caractère.
"Vos sens vont s'émousser, ainsi que la douleur, Mademoiselle Elide. Nous nous occupons de tout. clarifia la dryade.
- LE SANG, Cassandre. Arrêtez de la materner et faites votre travail."
Le ton, cinglant, fit perdre un instant contenance à la dryade. Plutôt que de s'attarder devant pareil spectacle, le LaFleur profita de l'effet calmant de la gomme pour faire son travail, nettoyant la plaie des débris. Il aurait bien des questions sur le bon sens dont semblait dénuée l'Elide, mais cela attendrait qu'elle reprenne ses moyens. Il ne voulait pas avoir à se répéter.
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Des tissus sanglants, il y en aurait de nombreux à envoyer au nettoyage. Que ne donnerais-je pas pour un bon aspirateur chirurgical ! Travailler dans ces conditions est une aberration. Sur la table, la jeune femme se réveillait doucement, le flanc couvert de bandages protégeant les beaux points de sutures faits par le LaFleur, des baumes appliqués sur ses autres plaies. Une belle au bois dormant amaigrie, marquée de cicatrices et de cales, bien trop mal entretenue à son goût. Ayant enfilé une blouse propre, les mains libérés des gants, le spectre gribouillait avec un air concentré et contrarié, remâchant ce qu'il dirait volontiers à un chef des Veilleurs, aux collègues de la donzelle, et à n'importe quel individu qui lui parlerait d'une manière déplaisante.
"Monsieur, elle reprend connaissance...! signala diligemment la dryade.
Et voilà, quelqu'un avait parlé au spectre !
"Cassandre, sortez je vous prie.
- ... Vous êtes encore contrarié.
- Sortez.
- Monsieur je-
- Il me faut parler avec ma patiente et sans interruption cette fois. Sortez."
Résistant sans peine aux airs de biche triste de son assistante, le LaFleur savoura son départ, observant la porte close, la main posée sur son carnet et son crayon. Que l'élémentaire trahisse sa pleine conscience, par un souffle, un regard, et le médecin avait soudainement disparu. En un clignement de paupière, pouf.
Pour reparaître de l'autre côté de la table, penché sur la jeune femme, les mains dans le dos, l'air songeur.
"Mademoiselle la Veilleuse Encornée, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous vivez encore."
Il n'y avait pas grand chose de plaisant dans sa manière de le dire.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Elide fusilla le spectre du regard. Pourquoi ressentait-il le besoin d'être si exaspérant ? Et, comme si cela ne suffisait pas, voici qu'il osait la congédier du regard, comme une enfant, se détournant d'elle avec un dédain frôlant l'irrespect. L'élémentaire sentit l'irritation lui piquer le nez. Mais, alors qu'elle ouvrait la bouche pour dire à cette peau de vache le fond de sa pensée, un éclair blanc remplit son champ de vision, la figeant sur place... et sa répartie avec. Son esprit n'était plus concentré que sur une seule chose : cette douleur acérée, aveuglante, qui lui lacérait soudain le côté, et dont les ramifications aiguisées semblaient s'étirer dans chaque recoin de son corps. Sa première réaction, instinctive – outre celle de pousser un cri à mi-chemin entre le grondement et le râle – fut de tenter de se redresser pour repousser le responsable de sa souffrance, mais deux mains fermes appuyèrent alors sur le haut de ses bras, la clouant au dossier et l'empêchant de bouger. La voix de Frédéric lui parvenait de loin, de même que le contenu de l'exposé qu'il se faisait visiblement un plaisir de dérouler à ses oreilles. Le salopard ! pensa-t-elle, furibonde. Et il se prétendait médecin ? La jeune femme remua pour essayer de libérer ses bras, mais Cassandre tint bon, raffermissant même sa prise avec une force qu'on ne lui soupçonnait pas. Une nouvelle exploration des pinces chirurgicales, un nouvel éclair de douleur, un gémissement haletant. C'était une torture absolue, d'avoir son corps ainsi immobilisé alors qu'on lui faisait vivre un tel outrage. Elide se concentra donc sur les deux seules choses à sa portée : la voix du Spectre, qui continuait son exposé, imperturbable, ainsi que sur la litanie qui tournait en parallèle dans son esprit : Je vais le tuer. Je vais le tuer. Je vais le tuer. Je vais le tuer. Un râle de douleur sanglotant se mêlait à chacune de ses inspirations tremblantes. Elle réalisa qu'elle avait cessé de se débattre, son torse et ses hanches tressautant à chaque attaque des instruments de Frédéric. Lorsque celui-ci, cependant, ôta de sa chair maltraitée un petit bout d'os, le bassin de l'élémentaire s'arqua tout entier dans une vaine tentative de fuir son bourreau, tandis qu'elle-même poussait un long cri guttural et furieux en partie étouffé par le tissu entre ses dents – qui l'avait mis là, et quand ? Elle entendit le timbre cinglant du médecin – pourquoi semblait-il en colère, se demanda-t-elle confusément – et la voix douce de la dryade, incapable cependant de comprendre ce qu'ils se disaient. Le tissu glissa de sa bouche, remplacé par quelque chose de mou dont l'amertume se répandit sur sa langue, son palais, sa gorge, son estomac. Une chaleur intense la remplaça bientôt, remplaça également la douleur. La tête lui tourna, et Elide se sentit partir.
Ce fut l'odeur qui la tira du sommeil de plomb dans lequel elle avait glissé. Une odeur qui lui rappelait celle du camphre, fraîche et piquante. Puis la douleur, ensuite, vive et lancinante. Elide remua doucement. Des voix s'élevèrent à côté d'elle, la tirant un peu plus des bras de Morphée. Elle entrouvrit les yeux, apercevant un homme grand, aux cheveux de jais, avec un visage de statue grecque et un regard d'un bleu perçant. Son cœur manqua un battement : ce visage, elle le connaissait !
« ... Oslo ? ... » Marmonna-t-elle d'une voix endormie, dans laquelle perçait nettement une pointe de stupéfaction – et d'espoir. Ses yeux papillonnèrent, se refermèrent, se rouvrirent. L'homme avait disparu. La panique s'empara d'elle. Où était-il passé, où était son frère ? Une voix s'éleva alors à côté d'elle, lui arrachant un sursaut de surprise ainsi qu'un grognement de douleur lorsqu'elle tira sur ses points. Elide tourna la tête.
« Monsieur Lafleur ? » L'incompréhension marquait les traits de l'élémentaire, son esprit peinant visiblement à s'extirper des limbes comateux dans lesquelles la gomme anesthésiante l'avait plongée. Preuve en était, sans doute, de la douceur avec laquelle elle prononça ces quelques mots, comme si cette perplexité temporaire avait mis au placard son mordant et son agressivité habituels, révélant une facette dissimulée de sa personnalité, plus douce, plus innocente, et étonnamment... affable ? Mais la réalité, comme toujours, reprit ses droits, et les souvenirs de la jeune femme retrouvèrent rapidement leur place : Oslo – mort –, les Veilleurs, la Biquelly, l'opération, la blessure. Un éclair de chagrin indicible balaya son visage le temps d'un battement de cœur, rapidement remplacé, lorsque Frédéric s'adressa à elle, par un froncement de sourcils bien plus en accord avec son comportement habituel. Quelque chose dans l'attitude du Spectre lui semblait, il faut bien l'avouer, un brin inquiétant.
« Je... » Très doucement, Elide palpa les bandages qui recouvraient son flanc. Les derniers effets de l'anesthésie se dissipaient, réveillant la conscience d'un corps meurtri de douleur. La fatigue, tant physique qu'émotionnelle, la heurta de plein fouet, raison pour laquelle elle laissa passer – pour cette fois – le sobriquet dont l'affublait le tailleur. Elle ravala également la colère naissante que provoquait le souvenir du traitement chirurgical qu'il lui avait infligé, l'alarme clignotante au fond de son esprit l'informant que ce n'était pas le bon moment pour lui rentrer dedans. « Merci ? » Elle releva les yeux vers Frédéric, notant son air songeur en même temps que l'emploi étrange de certains mots. Comme un animal qui se saurait l'objet de l'attention indésirable d'un prédateur, elle reprit la parole d'une voix prudente, ne pouvant se départir de la désagréable sensation de marcher sur des œufs.
« Encore ? Est-ce qu'il y a eu... une complication ? » Elle tenta de se redresser sur un coude et échoua lamentablement, ses bras encore trop faibles pour la soutenir. Le rouge de la honte lui monta aux joues, réveillant le souvenir d'une autre situation embarrassante. Inspirant profondément, à la fois pour lutter contre la vague de douleur que son mouvement avait réveillée, mais également pour se donner du courage, elle tâcha de composer son visage en une expression neutre.
« À propos de tout ça, d'ailleurs ... » commença-t-elle d'une voix un peu rauque. « J’apprécierais si cet incident pouvait rester, disons.... entre vous et moi. » Elle détourna le regard, qu'elle braqua résolument devant elle. « Bien entendu, je vous dédommagerai pour votre silence. » Si sa vie sur Terre lui avait appris quelque chose, c'était bien que la discrétion se monnayait. Il fallait juste espérer que l'excentrique médecin n'en demanderait pas un prix trop élevé, puisqu’entre son arrivée récente et son poste chez les Veilleurs, on ne peut pas dire que l'élémentaire roulait sur les Azys.
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Ce fut l'odeur qui la tira du sommeil de plomb dans lequel elle avait glissé. Une odeur qui lui rappelait celle du camphre, fraîche et piquante. Puis la douleur, ensuite, vive et lancinante. Elide remua doucement. Des voix s'élevèrent à côté d'elle, la tirant un peu plus des bras de Morphée. Elle entrouvrit les yeux, apercevant un homme grand, aux cheveux de jais, avec un visage de statue grecque et un regard d'un bleu perçant. Son cœur manqua un battement : ce visage, elle le connaissait !
« ... Oslo ? ... » Marmonna-t-elle d'une voix endormie, dans laquelle perçait nettement une pointe de stupéfaction – et d'espoir. Ses yeux papillonnèrent, se refermèrent, se rouvrirent. L'homme avait disparu. La panique s'empara d'elle. Où était-il passé, où était son frère ? Une voix s'éleva alors à côté d'elle, lui arrachant un sursaut de surprise ainsi qu'un grognement de douleur lorsqu'elle tira sur ses points. Elide tourna la tête.
« Monsieur Lafleur ? » L'incompréhension marquait les traits de l'élémentaire, son esprit peinant visiblement à s'extirper des limbes comateux dans lesquelles la gomme anesthésiante l'avait plongée. Preuve en était, sans doute, de la douceur avec laquelle elle prononça ces quelques mots, comme si cette perplexité temporaire avait mis au placard son mordant et son agressivité habituels, révélant une facette dissimulée de sa personnalité, plus douce, plus innocente, et étonnamment... affable ? Mais la réalité, comme toujours, reprit ses droits, et les souvenirs de la jeune femme retrouvèrent rapidement leur place : Oslo – mort –, les Veilleurs, la Biquelly, l'opération, la blessure. Un éclair de chagrin indicible balaya son visage le temps d'un battement de cœur, rapidement remplacé, lorsque Frédéric s'adressa à elle, par un froncement de sourcils bien plus en accord avec son comportement habituel. Quelque chose dans l'attitude du Spectre lui semblait, il faut bien l'avouer, un brin inquiétant.
« Je... » Très doucement, Elide palpa les bandages qui recouvraient son flanc. Les derniers effets de l'anesthésie se dissipaient, réveillant la conscience d'un corps meurtri de douleur. La fatigue, tant physique qu'émotionnelle, la heurta de plein fouet, raison pour laquelle elle laissa passer – pour cette fois – le sobriquet dont l'affublait le tailleur. Elle ravala également la colère naissante que provoquait le souvenir du traitement chirurgical qu'il lui avait infligé, l'alarme clignotante au fond de son esprit l'informant que ce n'était pas le bon moment pour lui rentrer dedans. « Merci ? » Elle releva les yeux vers Frédéric, notant son air songeur en même temps que l'emploi étrange de certains mots. Comme un animal qui se saurait l'objet de l'attention indésirable d'un prédateur, elle reprit la parole d'une voix prudente, ne pouvant se départir de la désagréable sensation de marcher sur des œufs.
« Encore ? Est-ce qu'il y a eu... une complication ? » Elle tenta de se redresser sur un coude et échoua lamentablement, ses bras encore trop faibles pour la soutenir. Le rouge de la honte lui monta aux joues, réveillant le souvenir d'une autre situation embarrassante. Inspirant profondément, à la fois pour lutter contre la vague de douleur que son mouvement avait réveillée, mais également pour se donner du courage, elle tâcha de composer son visage en une expression neutre.
« À propos de tout ça, d'ailleurs ... » commença-t-elle d'une voix un peu rauque. « J’apprécierais si cet incident pouvait rester, disons.... entre vous et moi. » Elle détourna le regard, qu'elle braqua résolument devant elle. « Bien entendu, je vous dédommagerai pour votre silence. » Si sa vie sur Terre lui avait appris quelque chose, c'était bien que la discrétion se monnayait. Il fallait juste espérer que l'excentrique médecin n'en demanderait pas un prix trop élevé, puisqu’entre son arrivée récente et son poste chez les Veilleurs, on ne peut pas dire que l'élémentaire roulait sur les Azys.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
Oslo, a-t-elle dit ? Ah, qu'ils étaient intéressants, ces moments de vulnérabilité. Quand les blessures, les soins et la bétise vous laissaient aussi pantelant qu'un nouveau-né, malgré tous vos efforts pour faire de vous un adulte digne de son nom, vaillant et en bonne santé. Après les mimiques de grandes fi-filles braves et les grimaces de douleur, le visage reprenant conscience de l'élémentaire donnait des échos de douceur et d'innocence d'une adolescente balbutiante. Une simple inclinaison du buste supplémentaire et d'un baiser, le LaFleur aurait pu faire disparaître sa douleur... Diraient les contes du vieux monde. Ah ! Quelles aberrations !
Tel un veilleur stoïque, le médecin observa sa patiente reprendre connaissance des réalités physiques - douloureuses - du monde. Enfin, stoïque, cela dura jusqu'à un mot malheureux de l'élémentaire, faisant tiquer sans ménagement un sourcil sombre du grand spectre. En d'autres salles il l'aurait ménagée, se serait montré patient et compréhensif, prenant le temps d'expliquer avec pédagogie et tempérance. Pas celle-ci. Pas dans ce monde. Il était chez lui, et son ressenti, eh bien... Il lui laissait libre cours, n'en déplaise aux bonnes gens raccommodées.
"Une complication, pensez-vous... ? commença Frédéric avec une fausse douceur, son regard glacé jaugeant, son pas lent donnant la mesure alors qu'il venait se placer aux pieds de la jeune femme. Une complication, une complication... Laissez-moi réfléchir ? Ah ! Peut-être parlez-vous de celle-ci."
D'un coup de menton, il indiqua dans un coin une pile de linge rouges sombres, ainsi que les vêtements dans un état encore plus piteux, découpés et raidis de vieux sang.
"Pour votre gouverne, Mademoiselle la Veilleuse Encornée, le corps humain contient une quantité limité de fluide. Savez-vous ce qu'il arrive à un ballon plein d'eau... Que l'on perce ? Il articulait avec un doigté acide. Ce qui aurait pu vous arrivez, si la coagulation et vos guêtres n'avaient pas fait office de grossier bouchon. Vous êtes chanceuse ! La complication d'un décès prématuré nous a été épargné. Enos, dans sa grande bonté, vous aura gardée dans les tréfonds de sa salle d'attente. Fort aimable de sa part, n'est-ce pas ?"
Sans douleur, ses oreilles sont ouvertes... Mais il en faut bien un peu, pour retenir ce qui est important. Le sourire sans joie qui lui était venu retomba prestement.
"Je ne parlerais pas bien sûr de votre chance d'avoir échappé à des blessures internes plus désagréables qui auraient pu vous valoir une longue et lente agonie, mais la douleur aurait mis rapidement un terme à votre cirque, donc en vérité, il n'est pas nécessaire d'en parler, non, vraiment pas. Ah, un soupçon de colère se fit entendre dans ces derniers mots. Oups. Vos supérieurs vous ont-ils jamais appris les bases des premiers soins ? Il faudra que je leur en touche quelques mots je crois. Cela nous épargnera peut-être d'autres désagréments de ce niveau de ridicule."
N'y tenant plus, il se mis à faire les cent pas. Monter d'un ton aurait sans doute fait rappliquer la tendre Cassandre - elle était si permissive avec son prochain, s'en était navrant -, et pour l'instant, il y avait encore matière à échanger avec la jeune femme. Sa longue tresse tressautait à un rythme désordonné, secouée par son pas raide de jouet mécanique rouillé, mesuré mais claquant exagérément.
"Mon silence ? Connaissez-vous le secret médical ? Bien qu'aucun grand regroupement de médecin ne viendrait me tanner le cuir si je venais à me gausser de votre attaque de ruminant à la taverne, il est vrai ! Il me faudra y songer ! Mais, pensez donc plutôt... C'est à votre corps qu'il faut demander cela, avec les litres que vous avez perdu, vous pouvez oublier toute ronde, toute activité physique pour les jours à venir ! Sous peine de vous effondrer lamentablement sous les yeux ébahis de vos confrères ! Cela serait dérangeant, si je comprend bien ?"
Dans un claquement de talon théâtral, Frédéric se tourna vers elle pour mieux la fixer intensément, attendant ce qu'elle avait à dire, guettant si une once de bon sens sortirait de son bec de Veilleuse à moitié crevée.
Tel un veilleur stoïque, le médecin observa sa patiente reprendre connaissance des réalités physiques - douloureuses - du monde. Enfin, stoïque, cela dura jusqu'à un mot malheureux de l'élémentaire, faisant tiquer sans ménagement un sourcil sombre du grand spectre. En d'autres salles il l'aurait ménagée, se serait montré patient et compréhensif, prenant le temps d'expliquer avec pédagogie et tempérance. Pas celle-ci. Pas dans ce monde. Il était chez lui, et son ressenti, eh bien... Il lui laissait libre cours, n'en déplaise aux bonnes gens raccommodées.
"Une complication, pensez-vous... ? commença Frédéric avec une fausse douceur, son regard glacé jaugeant, son pas lent donnant la mesure alors qu'il venait se placer aux pieds de la jeune femme. Une complication, une complication... Laissez-moi réfléchir ? Ah ! Peut-être parlez-vous de celle-ci."
D'un coup de menton, il indiqua dans un coin une pile de linge rouges sombres, ainsi que les vêtements dans un état encore plus piteux, découpés et raidis de vieux sang.
"Pour votre gouverne, Mademoiselle la Veilleuse Encornée, le corps humain contient une quantité limité de fluide. Savez-vous ce qu'il arrive à un ballon plein d'eau... Que l'on perce ? Il articulait avec un doigté acide. Ce qui aurait pu vous arrivez, si la coagulation et vos guêtres n'avaient pas fait office de grossier bouchon. Vous êtes chanceuse ! La complication d'un décès prématuré nous a été épargné. Enos, dans sa grande bonté, vous aura gardée dans les tréfonds de sa salle d'attente. Fort aimable de sa part, n'est-ce pas ?"
Sans douleur, ses oreilles sont ouvertes... Mais il en faut bien un peu, pour retenir ce qui est important. Le sourire sans joie qui lui était venu retomba prestement.
"Je ne parlerais pas bien sûr de votre chance d'avoir échappé à des blessures internes plus désagréables qui auraient pu vous valoir une longue et lente agonie, mais la douleur aurait mis rapidement un terme à votre cirque, donc en vérité, il n'est pas nécessaire d'en parler, non, vraiment pas. Ah, un soupçon de colère se fit entendre dans ces derniers mots. Oups. Vos supérieurs vous ont-ils jamais appris les bases des premiers soins ? Il faudra que je leur en touche quelques mots je crois. Cela nous épargnera peut-être d'autres désagréments de ce niveau de ridicule."
N'y tenant plus, il se mis à faire les cent pas. Monter d'un ton aurait sans doute fait rappliquer la tendre Cassandre - elle était si permissive avec son prochain, s'en était navrant -, et pour l'instant, il y avait encore matière à échanger avec la jeune femme. Sa longue tresse tressautait à un rythme désordonné, secouée par son pas raide de jouet mécanique rouillé, mesuré mais claquant exagérément.
"Mon silence ? Connaissez-vous le secret médical ? Bien qu'aucun grand regroupement de médecin ne viendrait me tanner le cuir si je venais à me gausser de votre attaque de ruminant à la taverne, il est vrai ! Il me faudra y songer ! Mais, pensez donc plutôt... C'est à votre corps qu'il faut demander cela, avec les litres que vous avez perdu, vous pouvez oublier toute ronde, toute activité physique pour les jours à venir ! Sous peine de vous effondrer lamentablement sous les yeux ébahis de vos confrères ! Cela serait dérangeant, si je comprend bien ?"
Dans un claquement de talon théâtral, Frédéric se tourna vers elle pour mieux la fixer intensément, attendant ce qu'elle avait à dire, guettant si une once de bon sens sortirait de son bec de Veilleuse à moitié crevée.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Un peu décontenancée, pour ne pas dire franchement ahurie, Elide écouta le Spectre lui passer un savon à la manière dont on enguirlanderait un enfant un peu crétin. Elle avait bien senti, quelques minutes plus tôt, que quelque chose clochait dans cette stature savamment étudiée, dans cette nonchalance affectée. C'étaient ses yeux. Les yeux ne mentaient jamais, et si elle devait en juger par la paire glacée qui la fixaient actuellement avec l'acuité d'un rapace prêt à fondre sur sa proie... ben Frédéric était sacrément en rogne. Pourquoi ? Elle n'en savait foutrement rien. C'est donc – bien malgré elle – un peu penaude qu'elle écouta la diatribe du médecin, avec l'air d'un gamin pris la main dans le sac. Certaines personnes avaient cet effet-là : un regard de travers, un claquement de langue agacé, un mouvement d'humeur, et vous vous retrouviez tout de suite dans la peau d'un enfant de dix ans, persuadé d'avoir fait la connerie du siècle et à deux doigts de pleurer sans trop savoir pourquoi.
Les choses auraient donc pu en rester là : une Elide presque honteuse, sans même en connaître vraiment la raison, et un LaFleur persuadé d'avoir fait entrer un peu de plomb dans la cervelle de ce qu'il considérait probablement comme une tête de mule – et pas des plus finaudes, la mule. Mais, manque de chance pour lui, il avait distillé dans sa verve suffisamment de venin et de tournures assassines pour que l'amour-propre de la jeune femme, aussi bécasse puisse-t-elle être, soit tout de même touché à vif par la tournure injurieuse d'un phrasé qui enroulait ses insultes comme une friandise dans du miel. Mademoiselle la Veilleuse Encornée. Encore. Quand bien même sa colère était réelle, et peut-être, peut-être, justifiée, le salopard se délectait un peu trop de la situation. C'est pourquoi, au fur et à mesure que celui-ci exposait son raisonnement, le visage de la jeune femme passa de l'étonnement à une stupéfaction un peu outrée, puis à l'agacement. Elle plissa les yeux, suivant les aller-retours d'un Frédéric dont la natte, tressautant dans son dos au rythme de ses pas, lui faisait furieusement penser à la queue oscillante d'un lion courroucé.
« Attendez, je vous arrête tout de suite » jeta-t-elle d'une voix sidérée lorsque, enfin, monsieur-je-donne-des-leçons daigna la fermer, se tournant vers elle à la façon d'un sergent major. Joli, le claquement de talons, mais totalement futile à calmer une situation déjà explosive. « Vous croyez que je n'ai pas conscience de tout ça ? » Elle lui jeta un regard interdit, du genre qu'on jette à une personne qui vient de vous avouer préférer les haricots aux frites. « Que j'ai, en quelques sortes ... fait exprès ? »
L'élémentaire tenta une nouvelle fois de se redresser et, par miracle, y parvint. Ne dit-on pas, après tout, que la colère donne des ailes ? Elle drapa un bras pudique sur sa poitrine, faisant cette fois-ci attention à ménager ses sutures – vous voyez, Frédéric, elle apprend.
« À mon tour de mettre les choses au clair. » Elle allait sans doute le regretter, se prendre dans les dents un retour de flammes tel qu'elle serait abonnée à l'écran solaire pour les six prochains mois, mais il était hors de question qu'elle laisse ce pantin tricoteur continuer à la prendre pour une attardée. « Je sais parfaitement comment fonctionne le corps humain, tout du moins suffisamment pour savoir que j'ai frôlé le pire. Mais, contrairement à ce que vous semblez imaginer ... » elle pointa un doigt accusateur vers son interlocuteur « ... je n'ai pas volontairement fait preuve d'inconscience. Je n'ai simplement pas réalisé tout de suite la gravité de ma blessure. »
Le mensonge lui venait si facilement qu'elle n'avait même pas conscience d'en proférer. Cependant, tout en clamant à hauts cris son innocence, la jeune femme eut une hésitation. Était-ce vrai ? Avait-elle été inconsciente ? Absolument pas, clama sa voix intérieure d'un air scandalisé. Preuve en est, elle les avait appliqués, ces foutus premiers secours dont parlait Frédéric, chose qu'elle se fit d'ailleurs un plaisir de lui rappeler avec agacement.
« J'ai appliqué un bandage dès que je suis retournée aux remparts. Alors oui, il n'était sans doute pas aussi bien fait qu'il aurait fallu, mais je ne suis pas médecin. Aucun des veilleurs ne l'est, d'ailleurs, ce qui explique sans doute le niveau ridicule de nos connaissances en la matière. Mais je vous en prie, Frédéric, montrez-nous donc comment faire ! » Un mouvement du plat de la main, comme on invite quelqu'un à entrer. « Dispensez-là nous, cette formation aux gestes élémentaires, puisque vous y tenez tant ! »
Bon sang, qu'il était insupportable, avec ses airs de grande tige donneuse de leçon ! L'élémentaire ferma les yeux et inspira par le nez pour se calmer, tâchant d'effacer de son esprit l'image étrangement satisfaisante de son poing s'écrasant sur les hautes pommettes de l'homme en face d'elle. Que croyait-il, qu'elle avait voulu en finir et s'était ravisée au dernier moment ? C'était ridicule et limite vexant : si elle avait eu ce genre d'intention, elle se serait débrouillée pour faire les choses de façon efficace, pas en se faisant piétiner par une biquette mal lunée. Si ?
« Je vous le redis : je ne pensais pas que c'était sérieux, une grosse entaille, tout au plus » expliqua-t-elle plus posément, avec la nette impression de s'adresser à un demeuré. « Qu'est-ce que j'aurais dû faire de plus ? Qu'est-ce que vous auriez voulu que je fasse ? Tout plaquer et venir tambouriner à votre porte en pleine milieu de la nuit ? Soyez honnête, vous m'auriez probablement fait une scène pour être venue trop tôt, n'importe quoi pour me faire payer d'interrompre vos travaux d'aiguille ! » finit-elle par cracher d'une voix venimeuse. Aux latrines l'apaisement du conflit, visiblement. « Oui, j'ai probablement attendu trop longtemps avant de venir, mais contrairement à ce que vous semblez penser, je n'avais pas envie de vous déranger. » Elle secoua doucement la tête. « Je ne vous comprend pas. Pourquoi est-ce que ça vous met tellement en rogne ? Vous ne m'appréciez même pas. »
Vidée, un peu tremblante, la jeune femme se rallongea, l'avant-bras toujours posé en travers de sa poitrine. Elle déglutit, tâchant de ravaler sa colère et l'amertume naissante.
« Évidemment que je ne veux pas que ça se sache, évidemment que ce serait dérangeant, vous croyez quoi ? » reprit-elle amèrement en lui lançant un coup d'œil sidéré. « Vous aimeriez, vous, que vos collègues soient témoin de vos erreurs ? Ou alors vous feriez tout pour la leur cacher et redoubler d'efforts pour que ça n'arrive plus ? » Tel qu'elle le connaissait, le Spectre éradiquerait comme un maniaque toute race de son infamie, et tant pis si les témoins partaient en même temps que l'eau du bain. Oups, dommage collatéral, pouvait-presque l'entendre ricaner de sa voix distinguée. « Je suis une recrue, ce qui veut dire que je dois faire mes preuves. » La douleur et la fatigue lui déliaient la langue sans qu'elle n'en ait vraiment conscience. Dans le cas contraire, elle se serait probablement baffée pour cette marque d'inconscience qui la voyait se confesser à un homme qui aurait tôt fait de moquer ses confidences et de les fouler au pied à la première occasion.
Les dernières paroles prononcées par Frédéric sonnèrent comme un glas dans son esprit. Son visage, si c'est possible, pâlit encore davantage. Oublier toute activité physique durant les prochains jours ? C'était tout bonnement impossible. Son entraînement chez les Veilleurs, les rondes, les surveillances, c'était tout ce qui la retenait de sombrer. Elide comptait les minutes comme d'autres comptent les jours ; comme un funèbre métronome, elle égrainait les secondes avant la date fatidique. La perspective de rester seule avec ses pensées durant ces interminables battements lui nouait l'estomac d'une terreur presque débilitante. Ses yeux s'agrandirent, son cœur s'emballa légèrement. Elle sentit au creux de sa poitrine la désagréable piqûre de l'angoisse.
« Non », souffla-t-elle, toute morgue momentanément disparue. « Non », s'emporta-t-elle, secouant la tête comme si ce simple mouvement pouvait démentir ce qu'affirmait le Spectre, qu'elle ne regardait pour l'instant plus, concentrée sur un point invisible devant elle. « Vous ne comprenez pas, il faut que je retourne prendre ma garde, dès ce soir. » Elle releva les yeux, agrippant rapidement le regard implacable de l'homme en blouse devant elle. « Je n'ai pas le choix. Alors donnez-moi n'importe quoi, faites ce que vous voulez, mais il faut que je tienne. » La jeune femme ferma les yeux une seconde, le temps pour elle de prendre sa fierté à bras le corps et de la balancer dans un coin de la pièce. « S'il vous plaît. » Ces mots lui arrachèrent la bouche, et les suivants plus encore. « Je ferai ce que vous voudrez » ajouta-t-elle entre ses dents serrées. Pas une supplication, non, mais une affirmation. À ce stade, elle danserait même la gigue en claquettes, pour peu que cela lui permette de retourner sur les remparts.
Les choses auraient donc pu en rester là : une Elide presque honteuse, sans même en connaître vraiment la raison, et un LaFleur persuadé d'avoir fait entrer un peu de plomb dans la cervelle de ce qu'il considérait probablement comme une tête de mule – et pas des plus finaudes, la mule. Mais, manque de chance pour lui, il avait distillé dans sa verve suffisamment de venin et de tournures assassines pour que l'amour-propre de la jeune femme, aussi bécasse puisse-t-elle être, soit tout de même touché à vif par la tournure injurieuse d'un phrasé qui enroulait ses insultes comme une friandise dans du miel. Mademoiselle la Veilleuse Encornée. Encore. Quand bien même sa colère était réelle, et peut-être, peut-être, justifiée, le salopard se délectait un peu trop de la situation. C'est pourquoi, au fur et à mesure que celui-ci exposait son raisonnement, le visage de la jeune femme passa de l'étonnement à une stupéfaction un peu outrée, puis à l'agacement. Elle plissa les yeux, suivant les aller-retours d'un Frédéric dont la natte, tressautant dans son dos au rythme de ses pas, lui faisait furieusement penser à la queue oscillante d'un lion courroucé.
« Attendez, je vous arrête tout de suite » jeta-t-elle d'une voix sidérée lorsque, enfin, monsieur-je-donne-des-leçons daigna la fermer, se tournant vers elle à la façon d'un sergent major. Joli, le claquement de talons, mais totalement futile à calmer une situation déjà explosive. « Vous croyez que je n'ai pas conscience de tout ça ? » Elle lui jeta un regard interdit, du genre qu'on jette à une personne qui vient de vous avouer préférer les haricots aux frites. « Que j'ai, en quelques sortes ... fait exprès ? »
L'élémentaire tenta une nouvelle fois de se redresser et, par miracle, y parvint. Ne dit-on pas, après tout, que la colère donne des ailes ? Elle drapa un bras pudique sur sa poitrine, faisant cette fois-ci attention à ménager ses sutures – vous voyez, Frédéric, elle apprend.
« À mon tour de mettre les choses au clair. » Elle allait sans doute le regretter, se prendre dans les dents un retour de flammes tel qu'elle serait abonnée à l'écran solaire pour les six prochains mois, mais il était hors de question qu'elle laisse ce pantin tricoteur continuer à la prendre pour une attardée. « Je sais parfaitement comment fonctionne le corps humain, tout du moins suffisamment pour savoir que j'ai frôlé le pire. Mais, contrairement à ce que vous semblez imaginer ... » elle pointa un doigt accusateur vers son interlocuteur « ... je n'ai pas volontairement fait preuve d'inconscience. Je n'ai simplement pas réalisé tout de suite la gravité de ma blessure. »
Le mensonge lui venait si facilement qu'elle n'avait même pas conscience d'en proférer. Cependant, tout en clamant à hauts cris son innocence, la jeune femme eut une hésitation. Était-ce vrai ? Avait-elle été inconsciente ? Absolument pas, clama sa voix intérieure d'un air scandalisé. Preuve en est, elle les avait appliqués, ces foutus premiers secours dont parlait Frédéric, chose qu'elle se fit d'ailleurs un plaisir de lui rappeler avec agacement.
« J'ai appliqué un bandage dès que je suis retournée aux remparts. Alors oui, il n'était sans doute pas aussi bien fait qu'il aurait fallu, mais je ne suis pas médecin. Aucun des veilleurs ne l'est, d'ailleurs, ce qui explique sans doute le niveau ridicule de nos connaissances en la matière. Mais je vous en prie, Frédéric, montrez-nous donc comment faire ! » Un mouvement du plat de la main, comme on invite quelqu'un à entrer. « Dispensez-là nous, cette formation aux gestes élémentaires, puisque vous y tenez tant ! »
Bon sang, qu'il était insupportable, avec ses airs de grande tige donneuse de leçon ! L'élémentaire ferma les yeux et inspira par le nez pour se calmer, tâchant d'effacer de son esprit l'image étrangement satisfaisante de son poing s'écrasant sur les hautes pommettes de l'homme en face d'elle. Que croyait-il, qu'elle avait voulu en finir et s'était ravisée au dernier moment ? C'était ridicule et limite vexant : si elle avait eu ce genre d'intention, elle se serait débrouillée pour faire les choses de façon efficace, pas en se faisant piétiner par une biquette mal lunée. Si ?
« Je vous le redis : je ne pensais pas que c'était sérieux, une grosse entaille, tout au plus » expliqua-t-elle plus posément, avec la nette impression de s'adresser à un demeuré. « Qu'est-ce que j'aurais dû faire de plus ? Qu'est-ce que vous auriez voulu que je fasse ? Tout plaquer et venir tambouriner à votre porte en pleine milieu de la nuit ? Soyez honnête, vous m'auriez probablement fait une scène pour être venue trop tôt, n'importe quoi pour me faire payer d'interrompre vos travaux d'aiguille ! » finit-elle par cracher d'une voix venimeuse. Aux latrines l'apaisement du conflit, visiblement. « Oui, j'ai probablement attendu trop longtemps avant de venir, mais contrairement à ce que vous semblez penser, je n'avais pas envie de vous déranger. » Elle secoua doucement la tête. « Je ne vous comprend pas. Pourquoi est-ce que ça vous met tellement en rogne ? Vous ne m'appréciez même pas. »
Vidée, un peu tremblante, la jeune femme se rallongea, l'avant-bras toujours posé en travers de sa poitrine. Elle déglutit, tâchant de ravaler sa colère et l'amertume naissante.
« Évidemment que je ne veux pas que ça se sache, évidemment que ce serait dérangeant, vous croyez quoi ? » reprit-elle amèrement en lui lançant un coup d'œil sidéré. « Vous aimeriez, vous, que vos collègues soient témoin de vos erreurs ? Ou alors vous feriez tout pour la leur cacher et redoubler d'efforts pour que ça n'arrive plus ? » Tel qu'elle le connaissait, le Spectre éradiquerait comme un maniaque toute race de son infamie, et tant pis si les témoins partaient en même temps que l'eau du bain. Oups, dommage collatéral, pouvait-presque l'entendre ricaner de sa voix distinguée. « Je suis une recrue, ce qui veut dire que je dois faire mes preuves. » La douleur et la fatigue lui déliaient la langue sans qu'elle n'en ait vraiment conscience. Dans le cas contraire, elle se serait probablement baffée pour cette marque d'inconscience qui la voyait se confesser à un homme qui aurait tôt fait de moquer ses confidences et de les fouler au pied à la première occasion.
Les dernières paroles prononcées par Frédéric sonnèrent comme un glas dans son esprit. Son visage, si c'est possible, pâlit encore davantage. Oublier toute activité physique durant les prochains jours ? C'était tout bonnement impossible. Son entraînement chez les Veilleurs, les rondes, les surveillances, c'était tout ce qui la retenait de sombrer. Elide comptait les minutes comme d'autres comptent les jours ; comme un funèbre métronome, elle égrainait les secondes avant la date fatidique. La perspective de rester seule avec ses pensées durant ces interminables battements lui nouait l'estomac d'une terreur presque débilitante. Ses yeux s'agrandirent, son cœur s'emballa légèrement. Elle sentit au creux de sa poitrine la désagréable piqûre de l'angoisse.
« Non », souffla-t-elle, toute morgue momentanément disparue. « Non », s'emporta-t-elle, secouant la tête comme si ce simple mouvement pouvait démentir ce qu'affirmait le Spectre, qu'elle ne regardait pour l'instant plus, concentrée sur un point invisible devant elle. « Vous ne comprenez pas, il faut que je retourne prendre ma garde, dès ce soir. » Elle releva les yeux, agrippant rapidement le regard implacable de l'homme en blouse devant elle. « Je n'ai pas le choix. Alors donnez-moi n'importe quoi, faites ce que vous voulez, mais il faut que je tienne. » La jeune femme ferma les yeux une seconde, le temps pour elle de prendre sa fierté à bras le corps et de la balancer dans un coin de la pièce. « S'il vous plaît. » Ces mots lui arrachèrent la bouche, et les suivants plus encore. « Je ferai ce que vous voudrez » ajouta-t-elle entre ses dents serrées. Pas une supplication, non, mais une affirmation. À ce stade, elle danserait même la gigue en claquettes, pour peu que cela lui permette de retourner sur les remparts.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
Etait-ce un peu de respect pour sa condition ? Son émotion ? L'importance de son engagement auprès des Veilleurs ? En tout cas, le LaFleur daigna la laisser parler sans interruption, son masque facial de fureur divine se muant bientôt en de nombreuses variations d'une même émotion : l'épouvante. Devant les larmes qui ne franchirent pas les paupières, les tentatives boiteuses de justifications, la supplication, Frédéric sembla comme battre en retraite, se détournant un temps du piteux tableau de la frêle blessée quémandant de quoi cacher ses fautes. Un pied bâtit nerveusement la mesure alors qu'il marmonnait avec un agacement las : "Une adolescente..." Inconsciente ? Pathétique ? A la bravoure mal placée ? Les adjectifs s'empressaient à la queue-leu-leu en son esprit, mais seul ce terrible mot parvenait à atteindre sa bouche. "Une enfant dont les charmes pointent tout juste et dont la cervelle est encore immature... Ha... HA." Comme se rappelant que 'l'enfant' en question était encore dans la pièce, le médecin - ayant davantage des airs d'adolescent désemparé se demandant s'il devait se remémorer comment être adulte ou juste claquer la porte - se tourna à nouveau vers sa patiente. Ouvrit la bouche. La referma. La rouvrit encore.
"Tenir, hein ? Lâcha-t-il finalement après quelques secondes à faire le poisson rouge. Je pourrais - je ne sais - par exemple, vous donnez de ces drogues des anciennes guerres qui furent donner aux soldats... De quoi en faire de vraies machines de guerre ! Un faux sourire, alors qu'il avançait dans son histoire, s'installant presque en bondissant sur un tabouret, regardant tantôt les yeux, tantôt l'épaule de la fille ou encore le plafond, alors qu'une autre partie de son cerveau piaffait d'exaspération devant la situation, le rendant quelque peu nerveux. Qui n'avaient pas besoin de dormir des jours durant, qui marchaient sur l'ennemi tout ce temps ! Et puis, et puis les médecins notèrent quelques problèmes secondaires : des insomnies, des tendances paranoïaques, des accès de rage incontrôlés, sans parler des envies de suicide. De petits effets secondaires, non ? Il lui fit un sourire, de ces sourires cousins des grimaces mais qui ne se l'avouent pas. La colère était encore un petit peu là. Ou bien vous voyez le problème ? Même mieux, j'en vois un autre : ces drogues sont restées dans l'ancien monde ! Je ne sais pas si vous avez remarqué mais on manque de laboratoires pharmaceutiques et autres ustensiles permettant de créer les composants chimiques les plus artificiels pour notre petite expérimentation. Donc non, désolé, oubliez LSD, héroïne, cocaïne et tous les excitants extrêmes qui pourraient vous aider à tenir."
Peut-être la jeune femme sentit-elle que, pour le spectre aussi, certains sujets étaient glissants. Sans le savoir, sans qu'il ne l'ait prévu, le Frédéric se retrouvait à s'étaler dans une de ces pentes de l'esprit que savonnent les peurs irrésolues. Sans y faire attention, le LaFleur s'était plongé dans la contemplation de ses doigts sautillant sur un genou de la fille. Réalisant son geste, il le claqua comme une croupe de cheval et eut une mou gênée, un bref instant, pour son interlocutrice. Mais, telle une locomotive, il n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.
"Je vais toucher un mot à qui de droit en ce qui concerne une formation des premiers gestes de secours pour les Veilleurs car, ne vous en déplaise, avec les bonnes connaissances, vous auriez sans doute réfléchi autrement à votre problème. Voyez-vous... Croiser les bras était une bonne idée pour que ses mains arrêtent de se balader n'importe où. D'un collègue - si j'en avais un pour me relayer -, j'attendrais qu'il me prévienne en cas de danger, pour qu'il ne commette pas d'erreur médical qui pourrait coûter la vie de quelqu'un. Injecter une dose mortelle parce que les dizaines de café ne suffisent pas à compenser les nuits blanches, ce serait dommage non ? Il ne s'agit pas de tenir et de cacher ses erreurs, Elide. Et pendant ce bref moment, il se concentra pour la regarder dans les yeux. Sans crier. Sans la gifler. Sans cracher. Un regard d'une attention purement... Quelque chose. Si vous flanchez sans que vos collègues ne soient au courant, c'est une faille que vous ouvrez dans la protection de la cité. Ils ne pourront pas vous soutenir parce qu'ils ne sauront pas. Vous chuterez seule, au risque de les entraîner avec vous."
Il aurait pu ajouter beaucoup de chose, pour souligner l'importance du travail d'équipe, parler d'ancienne stratégie militaire avec des boucliers mais le moment ne lui sembla pas opportun. A la réflexion, il avait déjà beaucoup parlé, et sans avoir l'impression d'être bien compris par la gamine. Qui l'avait poussé à se répéter, fichtre ! Bien plus calme, ses yeux fuirent le triste spectacle d'une gamine trop maigre et blessée, cachant ses blessures pour mieux avancer... S'étant relevé, dos à elle, il leva soudain un doigt.
"De plus ! Jauger correctement vos erreurs vous permettra d'y parer au mieux ! Par exemple, en étant sous équipé, je peux vous indiquer d'aller voir une sorcière blanche pour un prompte rétablissement ! Si vous en avez les moyens... !"
"Tenir, hein ? Lâcha-t-il finalement après quelques secondes à faire le poisson rouge. Je pourrais - je ne sais - par exemple, vous donnez de ces drogues des anciennes guerres qui furent donner aux soldats... De quoi en faire de vraies machines de guerre ! Un faux sourire, alors qu'il avançait dans son histoire, s'installant presque en bondissant sur un tabouret, regardant tantôt les yeux, tantôt l'épaule de la fille ou encore le plafond, alors qu'une autre partie de son cerveau piaffait d'exaspération devant la situation, le rendant quelque peu nerveux. Qui n'avaient pas besoin de dormir des jours durant, qui marchaient sur l'ennemi tout ce temps ! Et puis, et puis les médecins notèrent quelques problèmes secondaires : des insomnies, des tendances paranoïaques, des accès de rage incontrôlés, sans parler des envies de suicide. De petits effets secondaires, non ? Il lui fit un sourire, de ces sourires cousins des grimaces mais qui ne se l'avouent pas. La colère était encore un petit peu là. Ou bien vous voyez le problème ? Même mieux, j'en vois un autre : ces drogues sont restées dans l'ancien monde ! Je ne sais pas si vous avez remarqué mais on manque de laboratoires pharmaceutiques et autres ustensiles permettant de créer les composants chimiques les plus artificiels pour notre petite expérimentation. Donc non, désolé, oubliez LSD, héroïne, cocaïne et tous les excitants extrêmes qui pourraient vous aider à tenir."
Peut-être la jeune femme sentit-elle que, pour le spectre aussi, certains sujets étaient glissants. Sans le savoir, sans qu'il ne l'ait prévu, le Frédéric se retrouvait à s'étaler dans une de ces pentes de l'esprit que savonnent les peurs irrésolues. Sans y faire attention, le LaFleur s'était plongé dans la contemplation de ses doigts sautillant sur un genou de la fille. Réalisant son geste, il le claqua comme une croupe de cheval et eut une mou gênée, un bref instant, pour son interlocutrice. Mais, telle une locomotive, il n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.
"Je vais toucher un mot à qui de droit en ce qui concerne une formation des premiers gestes de secours pour les Veilleurs car, ne vous en déplaise, avec les bonnes connaissances, vous auriez sans doute réfléchi autrement à votre problème. Voyez-vous... Croiser les bras était une bonne idée pour que ses mains arrêtent de se balader n'importe où. D'un collègue - si j'en avais un pour me relayer -, j'attendrais qu'il me prévienne en cas de danger, pour qu'il ne commette pas d'erreur médical qui pourrait coûter la vie de quelqu'un. Injecter une dose mortelle parce que les dizaines de café ne suffisent pas à compenser les nuits blanches, ce serait dommage non ? Il ne s'agit pas de tenir et de cacher ses erreurs, Elide. Et pendant ce bref moment, il se concentra pour la regarder dans les yeux. Sans crier. Sans la gifler. Sans cracher. Un regard d'une attention purement... Quelque chose. Si vous flanchez sans que vos collègues ne soient au courant, c'est une faille que vous ouvrez dans la protection de la cité. Ils ne pourront pas vous soutenir parce qu'ils ne sauront pas. Vous chuterez seule, au risque de les entraîner avec vous."
Il aurait pu ajouter beaucoup de chose, pour souligner l'importance du travail d'équipe, parler d'ancienne stratégie militaire avec des boucliers mais le moment ne lui sembla pas opportun. A la réflexion, il avait déjà beaucoup parlé, et sans avoir l'impression d'être bien compris par la gamine. Qui l'avait poussé à se répéter, fichtre ! Bien plus calme, ses yeux fuirent le triste spectacle d'une gamine trop maigre et blessée, cachant ses blessures pour mieux avancer... S'étant relevé, dos à elle, il leva soudain un doigt.
"De plus ! Jauger correctement vos erreurs vous permettra d'y parer au mieux ! Par exemple, en étant sous équipé, je peux vous indiquer d'aller voir une sorcière blanche pour un prompte rétablissement ! Si vous en avez les moyens... !"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Alors qu'Elide était persuadée qu'elle allait se prendre dans les dents une nouvelle remarque assenée avec la délicatesse d'une division ce panzers, il n'en fut étonnement rien. Au fur et à mesure qu'elle s'expliquait, l'attitude du Spectre sembla s'adoucir, ses épaules se détendre, ses traits allant même jusqu'à s'affaisser dans une expression à mi-chemin entre la stupéfaction et l'horreur. Il se détourna d'elle, marmonnant dans sa barbe absente, et la jeune femme se retrouva à fixer bêtement son pied qui battait la mesure d'un mélopée inaudible, se demandant s'il n'égrainait pas les secondes avant l'hallali. Des mots grommelés ne lui parvinrent que quelques bribes – adolescente, cervelle et immature – qu'elle jugea plus sage de ne pas chercher à assembler. L'élémentaire se creusa plutôt furieusement les méninges afin de trouver ce qu'elle avait bien pu dire pour mettre le tailleur dans cet état. Ses sourcils, qu'elle avait froncé dans une (vaine) tentative pour comprendre quelque chose à ce comportement quelque peu schizophrène, se dressèrent de surprise lorsque ce dernier se retourna vers elle, une expression d'intense désemparement sur son beau visage. Les deux se regardèrent un instant avec des airs de merlans frits – lui, parce qu'il se demandait comment gérer la situation, elle parce qu'elle n'y comprenait rien – avant que le médecin ne rompe enfin le silence.
Ce fut à son tour de l'écouter en silence, malgré elle un peu fascinée par ce nouveau revirement d'attitude en même temps que par ses talents de comédien. Elle l'observa prendre sa place, capter l'attention de son auditoire à la façon d'un saltimbanque, nota son regard erratique. Ses yeux s'agrandirent de surprise lorsque la main du Spectre se posa sur son genou et que ses doigts marquèrent à nouveau le rythme d'une danse invisible ... et esquissa un rictus de douleur lorsque Frédéric y déposa une claque qui résonna jusque dans sa hanche blessée. Elle lui lança un regard scandalisé, que celui-ci balaya d'une grimace gênée – oups, navré. Mais la jeune femme n'y prêtait déjà plus attention, l'esprit tout à ce que lui avait raconté – avoué ? – l'homme devant elle. Elle cilla.
« Je suis désolée... » murmura-t-elle « ... pour ce que vous avez vécu, pour ce que – qui – vous avez perdu. Je sais que ça ne changera rien, mais je suis désolée quand même. »
Peut-être se trompait-elle, mais son histoire lui semblait trop précise, trop viscérale, pour qu'il n'en soit qu'un simple narrateur. Avait-il vécu ces choses lors de sa vie sur Terre ? Assis ainsi à son chevet, celui-ci ressemblait d'ailleurs pour la première fois à vrai médecin, tel que ses souvenirs le lui dépeignaient. Mais cette proximité, se rendit-elle compte avec une certaine gêne, était à double tranchant, faisant naître en elle un soudain et malvenu sentiment de vulnérabilité, comme si le Spectre avait pénétré sans le vouloir dans la bulle où elle gardait jalousement ses pensées, et qu'il n'avait qu'à tendre la main pour se saisir de l'une d'entre elles. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que la jeune femme ouvrit un peu la porte de cette boîte de Pandore qui lui servait de conscience. Même le plus robuste des barrages peut se fissurer lorsqu'il est trop plein.
« Les insomnies, la colère, les envies... que ça s'arrête, juste un moment... Je connais déjà tout ça, ces drogues ne changeraient pas grand-chose, de toute façon... » murmura-t-elle sans oser le regarder, instantanément mortifiée par cet aveu qu'elle n'avait, dans un élan inexplicable, pas tant réussi à retenir que souhaité partager. Mais ce fut la suite, surtout, qui fit vaciller ses dernières réticences. Dans ce climat propice aux confidences, et globalement déstabilisée par les récents événements, la jeune femme sentit quelque chose céder lorsque les yeux de Frédéric agrippèrent les siens. Elle eut soudain l'impression d'être nue, totalement nue, mais, plus important, elle eut l'impression d'être vue. Elle prit une brusque inspiration. Ça allait plus loin que de son histoire avec la Biquelly, n'est-ce pas ? Le Spectre, réalisa-t-elle, avait très nettement compris ce qui se dissimulait derrière ses pas de côté et ses mensonges tissés de semi-vérités. Cacher. Tenir. Deux mots qui résumaient si tristement sa vie. Sous ce regard qui perçait son âme autant que ses résolutions, elle se sentit vaciller. Sa gorge se serra, luttant pour contenir les sanglots qui menaçaient de sortir – une petite voix lui soufflait que Frédéric n'apprécierait pas. Alors, lorsque celui-ci se redressa, passant derrière elle, Elide ramena plutôt ses genoux contre elle et, après avoir tiré sur son torse le drap qui la recouvrait, entoura ses jambes de ses bras et y posa le front.
« Je ne sais pas faire autrement... Je ne sais pas comment faire pour ne plus cacher... tout ça. » souffla-t-elle d'une voix étranglée. « Personne ne peut m'aider, personne ne peut comprendre, et je n'ai plus personne à qui parler. Alors la seule solution qui me reste, c'est de tenir, en espérant que ça passe. » Elle avait l'impression d'étouffer. Sa main droite quitta ses genoux et vint se poser, poing fermé, sur sa poitrine. Peut-être qu'en y plongeant les doigts, elle pourrait en extraire tout ce chagrin qui la suffoquait ? « Mais je n'ai jamais voulu mettre la ville en danger, ou les autres Veilleurs. » Elle secoua la tête. Des larmes traîtresses débordèrent des yeux qu'elle avait fermés et qu'elle serrait pourtant si fort. « La dernière chose que je veux, c'est que quelqu'un d'autre meurt à cause de moi. Je suis désolée. » Sa main gauche vint se perdre dans ses cheveux, qu'elle agrippa de toutes ses forces de ses doigts crispés. « Je ne sais pas faire autrement que de tout garder. Mais je n'arrive plus à tenir, et... je n'arrive même plus à prononcer leurs noms » confessa-t-elle de façon décousue, éperdue. Sa voix vacilla sur ce dernier aveu, et ses épaules tremblèrent, secouées par les sanglots que la jeune femme tentait désespérément d'étouffer. Frédéric devait probablement ne rien comprendre à ce qu'elle racontait, et la dernière chose qu'elle voulait était de faire une scène qui les mettrait tous les deux mal à l'aise. Mais, plus elle essayait de se reprendre, plus sa peine enflait – elle ne parvenait même plus à respirer. Elle se recroquevilla davantage, remontant encore les jambes, cherchant à se cacher autant qu'à avaler sa peine... à moins que ce ne soit l'inverse ?
« Pardonnez-moi... » sanglota-t-elle rageusement entre ses dents serrées, sans qu'elle-même ne puisse dire si elle s'adressait à Frédéric ou à l'un des fantômes de son passé.
Ce fut à son tour de l'écouter en silence, malgré elle un peu fascinée par ce nouveau revirement d'attitude en même temps que par ses talents de comédien. Elle l'observa prendre sa place, capter l'attention de son auditoire à la façon d'un saltimbanque, nota son regard erratique. Ses yeux s'agrandirent de surprise lorsque la main du Spectre se posa sur son genou et que ses doigts marquèrent à nouveau le rythme d'une danse invisible ... et esquissa un rictus de douleur lorsque Frédéric y déposa une claque qui résonna jusque dans sa hanche blessée. Elle lui lança un regard scandalisé, que celui-ci balaya d'une grimace gênée – oups, navré. Mais la jeune femme n'y prêtait déjà plus attention, l'esprit tout à ce que lui avait raconté – avoué ? – l'homme devant elle. Elle cilla.
« Je suis désolée... » murmura-t-elle « ... pour ce que vous avez vécu, pour ce que – qui – vous avez perdu. Je sais que ça ne changera rien, mais je suis désolée quand même. »
Peut-être se trompait-elle, mais son histoire lui semblait trop précise, trop viscérale, pour qu'il n'en soit qu'un simple narrateur. Avait-il vécu ces choses lors de sa vie sur Terre ? Assis ainsi à son chevet, celui-ci ressemblait d'ailleurs pour la première fois à vrai médecin, tel que ses souvenirs le lui dépeignaient. Mais cette proximité, se rendit-elle compte avec une certaine gêne, était à double tranchant, faisant naître en elle un soudain et malvenu sentiment de vulnérabilité, comme si le Spectre avait pénétré sans le vouloir dans la bulle où elle gardait jalousement ses pensées, et qu'il n'avait qu'à tendre la main pour se saisir de l'une d'entre elles. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que la jeune femme ouvrit un peu la porte de cette boîte de Pandore qui lui servait de conscience. Même le plus robuste des barrages peut se fissurer lorsqu'il est trop plein.
« Les insomnies, la colère, les envies... que ça s'arrête, juste un moment... Je connais déjà tout ça, ces drogues ne changeraient pas grand-chose, de toute façon... » murmura-t-elle sans oser le regarder, instantanément mortifiée par cet aveu qu'elle n'avait, dans un élan inexplicable, pas tant réussi à retenir que souhaité partager. Mais ce fut la suite, surtout, qui fit vaciller ses dernières réticences. Dans ce climat propice aux confidences, et globalement déstabilisée par les récents événements, la jeune femme sentit quelque chose céder lorsque les yeux de Frédéric agrippèrent les siens. Elle eut soudain l'impression d'être nue, totalement nue, mais, plus important, elle eut l'impression d'être vue. Elle prit une brusque inspiration. Ça allait plus loin que de son histoire avec la Biquelly, n'est-ce pas ? Le Spectre, réalisa-t-elle, avait très nettement compris ce qui se dissimulait derrière ses pas de côté et ses mensonges tissés de semi-vérités. Cacher. Tenir. Deux mots qui résumaient si tristement sa vie. Sous ce regard qui perçait son âme autant que ses résolutions, elle se sentit vaciller. Sa gorge se serra, luttant pour contenir les sanglots qui menaçaient de sortir – une petite voix lui soufflait que Frédéric n'apprécierait pas. Alors, lorsque celui-ci se redressa, passant derrière elle, Elide ramena plutôt ses genoux contre elle et, après avoir tiré sur son torse le drap qui la recouvrait, entoura ses jambes de ses bras et y posa le front.
« Je ne sais pas faire autrement... Je ne sais pas comment faire pour ne plus cacher... tout ça. » souffla-t-elle d'une voix étranglée. « Personne ne peut m'aider, personne ne peut comprendre, et je n'ai plus personne à qui parler. Alors la seule solution qui me reste, c'est de tenir, en espérant que ça passe. » Elle avait l'impression d'étouffer. Sa main droite quitta ses genoux et vint se poser, poing fermé, sur sa poitrine. Peut-être qu'en y plongeant les doigts, elle pourrait en extraire tout ce chagrin qui la suffoquait ? « Mais je n'ai jamais voulu mettre la ville en danger, ou les autres Veilleurs. » Elle secoua la tête. Des larmes traîtresses débordèrent des yeux qu'elle avait fermés et qu'elle serrait pourtant si fort. « La dernière chose que je veux, c'est que quelqu'un d'autre meurt à cause de moi. Je suis désolée. » Sa main gauche vint se perdre dans ses cheveux, qu'elle agrippa de toutes ses forces de ses doigts crispés. « Je ne sais pas faire autrement que de tout garder. Mais je n'arrive plus à tenir, et... je n'arrive même plus à prononcer leurs noms » confessa-t-elle de façon décousue, éperdue. Sa voix vacilla sur ce dernier aveu, et ses épaules tremblèrent, secouées par les sanglots que la jeune femme tentait désespérément d'étouffer. Frédéric devait probablement ne rien comprendre à ce qu'elle racontait, et la dernière chose qu'elle voulait était de faire une scène qui les mettrait tous les deux mal à l'aise. Mais, plus elle essayait de se reprendre, plus sa peine enflait – elle ne parvenait même plus à respirer. Elle se recroquevilla davantage, remontant encore les jambes, cherchant à se cacher autant qu'à avaler sa peine... à moins que ce ne soit l'inverse ?
« Pardonnez-moi... » sanglota-t-elle rageusement entre ses dents serrées, sans qu'elle-même ne puisse dire si elle s'adressait à Frédéric ou à l'un des fantômes de son passé.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
Des sanglots, des aveux larmoyants d'une vulnérabilité toute humaine, épuisée... Le possible théâtre d'un grand moment d'humanité se présentait au LaFleur qui, dans l'intimité dans son cabinet, ne pouvait qu'entendre chaque révélation confuse, chaque souffle étranglé. Dans sa blouse austère de médecin, il y avait un coeur battant et vibrant, que pareilles émotions ne laissaient pas de marbre, le rendant de plus en plus fébrile. D'un mouvement lent et pesé, il se retourna, posant sur la jeune femme un regard lourd. Tremblantes, ses lèvres s'entrouvrirent et libérèrent l'expression de son trouble le plus profond :
"CASSANDRE !" s'exclama le médecin.
Presque aussitôt la porte fut ouverte, comme si la dryade n'attendait que cela - Voir écoutait à la porte... ? -. Les mires douces découvrirent avec stupeur la jeune femme recroquevillée sur la table d'opération. Que pouvait donc avoir fait le spectre ?!
"Très chère Cassandre, je crois que notre cliente est particulièrement fatiguée suite à son opération. Son métier. Sa vie. Sa... fut-il expliqué avec un détachement forcé, de l'ordre du grand-parent désolé annonçant avec ennui que le chien de la famille agonise dans son salon. Un thé et un gâteau me parait de rigueur. Ainsi qu'une recommandation auprès de notre apprécié collègue le Docteur... Hmmm... Truc...
- Eos, Monsieur ? répondit sans hésitation la dryade, venue naturellement envelopper d'une couverture la jeune femme, tout en lui frottant doucement les épaules.
- Ah ! Que ferions-nous sans votre mémoire ! C'est cela, le Docteur Eos. s'enthousiasma Frédéric, en griffonnant un papier. Et pour un rétablissement prompt, un passage chez la sorcière - Laquelle ? Ah ! Pourquoi pas - Galatéa, elle aura sans doute une potion ou quelque chose qui fera l'affaire pour votre petite fatigue, Mlle Evans."
Autour du cocon de douceur que déployait la Cassandre aux yeux doux, le LaFleur s'affairait comme un oiseau nerveux, rassemblant les affaires de la patiente, avant de donner à celle-ci une tenue quelconque, un peu grande, pour lui permettre un retour dans de bonnes conditions, ainsi que le papier avec les noms et métiers mentionnés, avec ses recommandations et sa signature. Et puis, il fut temps de l'encourager à se lever, n'en déplaise à la dryade et aux sillons de morves tristes de la gamine.
"Du repos, évitez toute activité physique une bonne semaine - A moins que vous n'obteniez une potion de Madame Galatéa, je vous laisse voir avec elle comment procéder en ce cas -, et voilà, vous devriez vous remettre convenablement.
- Monsieur.
- Pour votre mal-ê- Vos tristes pens- Votre fatigue, je ne peux que vous recommandez à mon collègue. Il aura de bons conseils, je n'en doute pas.
- Monsieur !
- Oui, Cassandre ! Et bien ? J'ai d'autres patients à voir, n'est-ce pas ?"
L'injonction avait freiné le spectre dans son avalanche de suggestions médicales on ne peut plus réfléchies, les deux êtres aux intentions bien distinctes se faisant un instant face telle une lionne face au lion brute avec leur lionceau. Aussi hautain pouvait-il être d'ordinaire, Frédéric ne se tenait pas sur un bon pied pour tenir tête à la jeune femme et, après un instant, il s'ébroua en détournant la tête, fuyant le regard sombre. Celui de la blessée, il en faisait complètement abstraction.
"Elle est encore faible bien sûr, je vous en prie, faites comme vous le devez. En salle d'attente." conclut-il avec une irritation grandissante.
Cassandre s’exécuta, aux petits soins avec la patiente, tendit que Frédéric se tournait pour appeler quelqu'un d'autre. Une tape sur l'épaule et un gâteau, et la Veilleuse Toute Trouée pourrait partir chercher des solutions à ses problèmes ailleurs. Ses plaies, il s'en était occupé. Pour le reste, ce n'était pas son métier.
Une gamine en larmes, parbleu... ! Quelle idée !
"CASSANDRE !" s'exclama le médecin.
Presque aussitôt la porte fut ouverte, comme si la dryade n'attendait que cela - Voir écoutait à la porte... ? -. Les mires douces découvrirent avec stupeur la jeune femme recroquevillée sur la table d'opération. Que pouvait donc avoir fait le spectre ?!
"Très chère Cassandre, je crois que notre cliente est particulièrement fatiguée suite à son opération. Son métier. Sa vie. Sa... fut-il expliqué avec un détachement forcé, de l'ordre du grand-parent désolé annonçant avec ennui que le chien de la famille agonise dans son salon. Un thé et un gâteau me parait de rigueur. Ainsi qu'une recommandation auprès de notre apprécié collègue le Docteur... Hmmm... Truc...
- Eos, Monsieur ? répondit sans hésitation la dryade, venue naturellement envelopper d'une couverture la jeune femme, tout en lui frottant doucement les épaules.
- Ah ! Que ferions-nous sans votre mémoire ! C'est cela, le Docteur Eos. s'enthousiasma Frédéric, en griffonnant un papier. Et pour un rétablissement prompt, un passage chez la sorcière - Laquelle ? Ah ! Pourquoi pas - Galatéa, elle aura sans doute une potion ou quelque chose qui fera l'affaire pour votre petite fatigue, Mlle Evans."
Autour du cocon de douceur que déployait la Cassandre aux yeux doux, le LaFleur s'affairait comme un oiseau nerveux, rassemblant les affaires de la patiente, avant de donner à celle-ci une tenue quelconque, un peu grande, pour lui permettre un retour dans de bonnes conditions, ainsi que le papier avec les noms et métiers mentionnés, avec ses recommandations et sa signature. Et puis, il fut temps de l'encourager à se lever, n'en déplaise à la dryade et aux sillons de morves tristes de la gamine.
"Du repos, évitez toute activité physique une bonne semaine - A moins que vous n'obteniez une potion de Madame Galatéa, je vous laisse voir avec elle comment procéder en ce cas -, et voilà, vous devriez vous remettre convenablement.
- Monsieur.
- Pour votre mal-ê- Vos tristes pens- Votre fatigue, je ne peux que vous recommandez à mon collègue. Il aura de bons conseils, je n'en doute pas.
- Monsieur !
- Oui, Cassandre ! Et bien ? J'ai d'autres patients à voir, n'est-ce pas ?"
L'injonction avait freiné le spectre dans son avalanche de suggestions médicales on ne peut plus réfléchies, les deux êtres aux intentions bien distinctes se faisant un instant face telle une lionne face au lion brute avec leur lionceau. Aussi hautain pouvait-il être d'ordinaire, Frédéric ne se tenait pas sur un bon pied pour tenir tête à la jeune femme et, après un instant, il s'ébroua en détournant la tête, fuyant le regard sombre. Celui de la blessée, il en faisait complètement abstraction.
"Elle est encore faible bien sûr, je vous en prie, faites comme vous le devez. En salle d'attente." conclut-il avec une irritation grandissante.
Cassandre s’exécuta, aux petits soins avec la patiente, tendit que Frédéric se tournait pour appeler quelqu'un d'autre. Une tape sur l'épaule et un gâteau, et la Veilleuse Toute Trouée pourrait partir chercher des solutions à ses problèmes ailleurs. Ses plaies, il s'en était occupé. Pour le reste, ce n'était pas son métier.
Une gamine en larmes, parbleu... ! Quelle idée !
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Le Spectre n’aime pas les effusions sentimentales.
Tout, dans son attitude, de son visage défait à ses lèvres tremblotantes, le lui jetait à la gueule comme un nouveau coup à sa fierté déjà piétinée.
Non, il ne les aimait pas. Pas plus qu’elle.
Ses propres lèvres apprêtées en une ligne dure, ses doigts maigrichons convulsivement serrés autour du drap remonté, Elide luttait contre l’affectivité traîtresse qui menaçait de la submerger – qui débordait déjà, à vrai dire, au travers de ces larmes lamentables et de cette voix noyée de pathétiques sanglots. Les yeux toujours furieusement clos, elle entendit la porte s’ouvrir à l’injonction presque terrorisée de Frédéric, et les pas précipités de la dryade qui s’approchaient du lit. En moins d’une poignée de secondes, elle se retrouva enroulée dans une couverture alors que des mains chaleureuses caressaient ses épaules frissonnantes – quand avait-elle commencé à greloter ? Les mots échangés entre le médecin et son assistante voletèrent autour d’elle sans qu’elle ne cherche à les attraper. Il n’y avait plus qu’elle, et les murs de ce tourment indéfinissable qui se resserraient inexorablement autour d’elle, prêts à la broyer. Sa mâchoire se contracta, sa gorge se serra, ses lèvres se pincèrent alors que l’élémentaire ravalait de force son chagrin. Elle manqua s’étouffer, la poitrine dans un étau. Son souffle s’arrêta, alors qu’elle hochait automatiquement la tête aux paroles encourageantes de Cassandre, qui l’aida doucement à descendre et à passer la tunique informe que lui avait presque jetée le médecin. Mais, au moins, ses larmes se tarirent-elles, violemment ravalées par une détermination colérique. La jeune femme sortit du cabinet, évitant le regard du LaFleur autant que celui-ci évitait le sien. L’équilibre des terreurs, comme dans une sorte de règle tacite que ni l’un ni l’autre n’avait besoin de formuler.
Cacher, surtout. Tenir, ensuite.
Avec des gestes intentionnés, la dryade installa précautionneusement Elide dans la salle d’attente du cabinet, au centre d’une énorme bergère rembourrée – le trône de Frédéric, à n’en pas douter. Fallait-il y voir, chez la douce assistante, une tentative détournée de faire savoir à son employeur tout le bien qu’elle pensait de ses manières ? L’élémentaire ferma les yeux, le cœur au bord des lèvres, la douleur de son flanc blessé pulsant jusque dans son épaule. Elle imagina vaguement l’air horrifié du Spectre s’il venait à découvrir qu’elle avait vomi sur son fauteuil préféré. Un sourire amer – pas tout à fait joyeux, plus tout à fait triste – lui tordit la bouche. Fatiguée. Oui, elle était tellement fatiguée.
« Tenez, mademoiselle Elide, buvez ça. »
L’élémentaire ouvrit péniblement les yeux, rivant sur la ravissante assistante un regard éteint. Elle baissa le regard, lorgnant le petit plateau que la jeune femme avait déposé sur une table basse non loin et que décoraient une tasse fumante et une part de… cake ?
« Ça vous fera du bien. C’est un thé antalgique. Il agit également sur le système nerveux. » ajouta doucement la dryade. Elle prit elle-même la tasse et la fourra entre les mains de l’élémentaire. « Allez, buvez » ordonna-t-elle d’un ton maternel, ses jolies lèvres étirées en un sourire réconfortant. Elide obtempéra – elle n’avait plus la force d’argumenter – et avala le breuvage d’une traite avant de reposer la tasse sur sa soucoupe délicate. « Laissez-moi cinq minutes, et je m’en vais » annonça-t-elle d’une voix épaisse. Une douce torpeur fondit sur elle, et la jeune femme se cala plus confortablement dans le grand fauteuil. Les paupières lourdes, elle lutta quelques instants contre la fatigue écrasante qui la submergeait soudain. Le combat était perdu d'avance. Ses yeux papillonnèrent un moment avant de se fermer tout à fait. Cassandre n’avait même pas rejoint son poste d’observation que l’élémentaire dormait déjà.
L’après-midi touchait à sa fin lorsqu’elle émergea enfin d’un sommeil de plomb. Le cabinet était calme, plongé dans ce silence suspendu des fins de journées. La lumière, quant à elle, avait déjà commencé à céder la place aux lueurs flamboyantes du crépuscule. Elide remua doucement, savourant la chaleur de la couverture que quelqu’un – Cassandre, sûrement – avait réarrangée autour d’elle. L’esprit embrumé, elle mit quelques secondes à émerger. Elle ne connaissait pas cet endroit. Ses souvenirs se réveillèrent à leur tour, et ses sourcils se froncèrent doucement. La Biquelly. La blessure. La Fleur. Ses yeux s’entrouvrirent, ses paupières clignèrent à plusieurs reprises pour se réacclimater à ce qui l’entourait. Les choses reprenaient doucement leur place.
Une paire de mirettes bleues la fixaient avec sévérité.
Elide esquissa un mouvement de recul, sa tête heurtant le fauteuil avec un bruit mat, lui arrachant une grimace. Elle laissa échapper un soupir rendu tremblant par les battements affolés de son cœur.
« Merde, Frédéric, on vous a jamais dit que vous étiez flippant quand vous faisiez ça ? »
Tout, dans son attitude, de son visage défait à ses lèvres tremblotantes, le lui jetait à la gueule comme un nouveau coup à sa fierté déjà piétinée.
Non, il ne les aimait pas. Pas plus qu’elle.
Ses propres lèvres apprêtées en une ligne dure, ses doigts maigrichons convulsivement serrés autour du drap remonté, Elide luttait contre l’affectivité traîtresse qui menaçait de la submerger – qui débordait déjà, à vrai dire, au travers de ces larmes lamentables et de cette voix noyée de pathétiques sanglots. Les yeux toujours furieusement clos, elle entendit la porte s’ouvrir à l’injonction presque terrorisée de Frédéric, et les pas précipités de la dryade qui s’approchaient du lit. En moins d’une poignée de secondes, elle se retrouva enroulée dans une couverture alors que des mains chaleureuses caressaient ses épaules frissonnantes – quand avait-elle commencé à greloter ? Les mots échangés entre le médecin et son assistante voletèrent autour d’elle sans qu’elle ne cherche à les attraper. Il n’y avait plus qu’elle, et les murs de ce tourment indéfinissable qui se resserraient inexorablement autour d’elle, prêts à la broyer. Sa mâchoire se contracta, sa gorge se serra, ses lèvres se pincèrent alors que l’élémentaire ravalait de force son chagrin. Elle manqua s’étouffer, la poitrine dans un étau. Son souffle s’arrêta, alors qu’elle hochait automatiquement la tête aux paroles encourageantes de Cassandre, qui l’aida doucement à descendre et à passer la tunique informe que lui avait presque jetée le médecin. Mais, au moins, ses larmes se tarirent-elles, violemment ravalées par une détermination colérique. La jeune femme sortit du cabinet, évitant le regard du LaFleur autant que celui-ci évitait le sien. L’équilibre des terreurs, comme dans une sorte de règle tacite que ni l’un ni l’autre n’avait besoin de formuler.
Cacher, surtout. Tenir, ensuite.
Avec des gestes intentionnés, la dryade installa précautionneusement Elide dans la salle d’attente du cabinet, au centre d’une énorme bergère rembourrée – le trône de Frédéric, à n’en pas douter. Fallait-il y voir, chez la douce assistante, une tentative détournée de faire savoir à son employeur tout le bien qu’elle pensait de ses manières ? L’élémentaire ferma les yeux, le cœur au bord des lèvres, la douleur de son flanc blessé pulsant jusque dans son épaule. Elle imagina vaguement l’air horrifié du Spectre s’il venait à découvrir qu’elle avait vomi sur son fauteuil préféré. Un sourire amer – pas tout à fait joyeux, plus tout à fait triste – lui tordit la bouche. Fatiguée. Oui, elle était tellement fatiguée.
« Tenez, mademoiselle Elide, buvez ça. »
L’élémentaire ouvrit péniblement les yeux, rivant sur la ravissante assistante un regard éteint. Elle baissa le regard, lorgnant le petit plateau que la jeune femme avait déposé sur une table basse non loin et que décoraient une tasse fumante et une part de… cake ?
« Ça vous fera du bien. C’est un thé antalgique. Il agit également sur le système nerveux. » ajouta doucement la dryade. Elle prit elle-même la tasse et la fourra entre les mains de l’élémentaire. « Allez, buvez » ordonna-t-elle d’un ton maternel, ses jolies lèvres étirées en un sourire réconfortant. Elide obtempéra – elle n’avait plus la force d’argumenter – et avala le breuvage d’une traite avant de reposer la tasse sur sa soucoupe délicate. « Laissez-moi cinq minutes, et je m’en vais » annonça-t-elle d’une voix épaisse. Une douce torpeur fondit sur elle, et la jeune femme se cala plus confortablement dans le grand fauteuil. Les paupières lourdes, elle lutta quelques instants contre la fatigue écrasante qui la submergeait soudain. Le combat était perdu d'avance. Ses yeux papillonnèrent un moment avant de se fermer tout à fait. Cassandre n’avait même pas rejoint son poste d’observation que l’élémentaire dormait déjà.
L’après-midi touchait à sa fin lorsqu’elle émergea enfin d’un sommeil de plomb. Le cabinet était calme, plongé dans ce silence suspendu des fins de journées. La lumière, quant à elle, avait déjà commencé à céder la place aux lueurs flamboyantes du crépuscule. Elide remua doucement, savourant la chaleur de la couverture que quelqu’un – Cassandre, sûrement – avait réarrangée autour d’elle. L’esprit embrumé, elle mit quelques secondes à émerger. Elle ne connaissait pas cet endroit. Ses souvenirs se réveillèrent à leur tour, et ses sourcils se froncèrent doucement. La Biquelly. La blessure. La Fleur. Ses yeux s’entrouvrirent, ses paupières clignèrent à plusieurs reprises pour se réacclimater à ce qui l’entourait. Les choses reprenaient doucement leur place.
Une paire de mirettes bleues la fixaient avec sévérité.
Elide esquissa un mouvement de recul, sa tête heurtant le fauteuil avec un bruit mat, lui arrachant une grimace. Elle laissa échapper un soupir rendu tremblant par les battements affolés de son cœur.
« Merde, Frédéric, on vous a jamais dit que vous étiez flippant quand vous faisiez ça ? »
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
Un patient était passé.
Elle était encore là.
Un autre patient.
Toujours là.
Une patiente.
Là.
Un ballet ridicule qui s'était étalé tout l'après-midi, entre le médecin constatant la présence tenace d'une patiente traitée qui n'avait plus rien à faire dans son cabinet, et du regard durement sûr de son fait de la dryade secrétaire. Enfin, la jeune femme prenait de la place ! Enfin, elle devais rentrer chez elle pour se reposer correctement ! Enfin, les patients ne voyaient qu'elle ! Dans la méridienne du spectre, par Enos, que Cassandre, dans sa grande compassion - peste soit de ses excès ! - avait tiré de son atelier pour l'Apprentie Veilleuse. Malgré les moults protestations - le plus souvent seulement pensées, cette-fois - Cassandre n'en avait pas démordu, et le LaFleur avait souffert l'affront sans se rebiffer, exécutant sa besogne avec la résignation du condamné, sous les regards curieux des autres patients. Ce n'était pas tous les jours que dans cette joute entre les deux esprits, c'était la dryade qui remportait tour sur tour !
Et à chaque passage dans la salle d'attente, il voyait encore la tignasse et la figure triste et pâle de la bienheureuse le narguant par sa simple présence endormie. Peste des pauvres petites choses !
Alors, quand le coeur de l'endormie se réveillant, rata un battement à sa vue, il en ressentit une bien méchante satisfaction. Après un après-midi bien occupé, sa secrétaire se chargeait de ranger son bureau, salle de consultation et salle d'opération. Ainsi, il profitait d'un instant de paix pour s'occuper à sa façon de la jeune blessée.
"Docteur LaFleur, pour vous, Mademoiselle Evans. corrigea-t-il, avec une politesse de façade. Et, ne vous en déplaise, je suis ici dans mon cabinet. Si vous vous y trouvez, c'est bien pour que je vous inspecte, n'est-ce pas ?"
Et, comme pour mieux pousser la provocation, le grand dandy dans sa blouse se pencha sur sa patiente, prenant sa température de la main, soulevant la couverture comme pour vérifier qu'elle ne cachait pas une tâche de sang qui aurait ruiné son mobilité. Son contact sans rudesse abusive ne cachait qu'à peine une hostilité latente, suintant de son regard dénué du moindre humour. Une donzelle émoustillée aurait pu se pâmer devant la 'violence contenue du fauve' mais, pour une blessée encore bien faible, l'expérience n'était pas aussi charmante. Même quand il lui demanda de retrousser son vêtement pour qu'il puisse vérifier son travail.
"Bien, les points ont tenu, et nulle infection n'a l'air de de s'installer pour l'instant. Quelle veine. lâcha-t-il, avant de l'inviter à se relever avec précautions. Du repos, de bons repas, et surtout, pas d'activité physique pendant quelques jours, si vous ne souhaitez pas que cela s'ouvre comme un fruit trop mûr."
Un regard bleu froid balaya la salle d'attente vide, que n'habitait que le chantonnement de Cassandre dans la pièce d'à côté, qui s'activait à la rendre de nouveau fonctionnelle et agréable. Pris d'une inspiration, le LaFleur délaissa un instant la blessée, abandonnant sa blouse sur une chaise pour aller chercher à grands pas un ample manteau à lui dans l'atelier d'à côté. Au milieu des tissus fantasques, d'aiguilles et de patrons, du chaos de l'artiste papillonnant d'une oeuvre textile à une autre, il tira l'une de ses créations et revint tout pimpant auprès de la blessé misérable, sa longue chevelure tenue dans une tresse battant la cadence.
"Allons, le grand air me fera bien. Et, avec un sourire un tantinet tordu, fripon et - presque - méchant, il ajouta. Eh bien, Mlle Evans ? Rassemblez vos affaires et vos idées. Je vais vous raccompagner."
Elle était encore là.
Un autre patient.
Toujours là.
Une patiente.
Là.
Un ballet ridicule qui s'était étalé tout l'après-midi, entre le médecin constatant la présence tenace d'une patiente traitée qui n'avait plus rien à faire dans son cabinet, et du regard durement sûr de son fait de la dryade secrétaire. Enfin, la jeune femme prenait de la place ! Enfin, elle devais rentrer chez elle pour se reposer correctement ! Enfin, les patients ne voyaient qu'elle ! Dans la méridienne du spectre, par Enos, que Cassandre, dans sa grande compassion - peste soit de ses excès ! - avait tiré de son atelier pour l'Apprentie Veilleuse. Malgré les moults protestations - le plus souvent seulement pensées, cette-fois - Cassandre n'en avait pas démordu, et le LaFleur avait souffert l'affront sans se rebiffer, exécutant sa besogne avec la résignation du condamné, sous les regards curieux des autres patients. Ce n'était pas tous les jours que dans cette joute entre les deux esprits, c'était la dryade qui remportait tour sur tour !
Et à chaque passage dans la salle d'attente, il voyait encore la tignasse et la figure triste et pâle de la bienheureuse le narguant par sa simple présence endormie. Peste des pauvres petites choses !
Alors, quand le coeur de l'endormie se réveillant, rata un battement à sa vue, il en ressentit une bien méchante satisfaction. Après un après-midi bien occupé, sa secrétaire se chargeait de ranger son bureau, salle de consultation et salle d'opération. Ainsi, il profitait d'un instant de paix pour s'occuper à sa façon de la jeune blessée.
"Docteur LaFleur, pour vous, Mademoiselle Evans. corrigea-t-il, avec une politesse de façade. Et, ne vous en déplaise, je suis ici dans mon cabinet. Si vous vous y trouvez, c'est bien pour que je vous inspecte, n'est-ce pas ?"
Et, comme pour mieux pousser la provocation, le grand dandy dans sa blouse se pencha sur sa patiente, prenant sa température de la main, soulevant la couverture comme pour vérifier qu'elle ne cachait pas une tâche de sang qui aurait ruiné son mobilité. Son contact sans rudesse abusive ne cachait qu'à peine une hostilité latente, suintant de son regard dénué du moindre humour. Une donzelle émoustillée aurait pu se pâmer devant la 'violence contenue du fauve' mais, pour une blessée encore bien faible, l'expérience n'était pas aussi charmante. Même quand il lui demanda de retrousser son vêtement pour qu'il puisse vérifier son travail.
"Bien, les points ont tenu, et nulle infection n'a l'air de de s'installer pour l'instant. Quelle veine. lâcha-t-il, avant de l'inviter à se relever avec précautions. Du repos, de bons repas, et surtout, pas d'activité physique pendant quelques jours, si vous ne souhaitez pas que cela s'ouvre comme un fruit trop mûr."
Un regard bleu froid balaya la salle d'attente vide, que n'habitait que le chantonnement de Cassandre dans la pièce d'à côté, qui s'activait à la rendre de nouveau fonctionnelle et agréable. Pris d'une inspiration, le LaFleur délaissa un instant la blessée, abandonnant sa blouse sur une chaise pour aller chercher à grands pas un ample manteau à lui dans l'atelier d'à côté. Au milieu des tissus fantasques, d'aiguilles et de patrons, du chaos de l'artiste papillonnant d'une oeuvre textile à une autre, il tira l'une de ses créations et revint tout pimpant auprès de la blessé misérable, sa longue chevelure tenue dans une tresse battant la cadence.
"Allons, le grand air me fera bien. Et, avec un sourire un tantinet tordu, fripon et - presque - méchant, il ajouta. Eh bien, Mlle Evans ? Rassemblez vos affaires et vos idées. Je vais vous raccompagner."
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Elide plissa les yeux, piquée au vif par la remarque du Spectre qui mettait à mal sa fierté convalescente. Quand bien même celui-ci avait factuellement raison – elle était venue chez lui, oui, dans le but de se faire soigner, d’accord – elle ne goûtait pas vraiment la sécheresse avec laquelle il le lui fit remarquer.
« Et pour vous, je vous ai dit que c’était Elide. Juste Elide. » rétorqua-t-elle d’un ton qui se voulait acerbe mais qui manquait de piquant – elle était trop épuisée pour insuffler dans son timbre autre chose que les notes d’une bougonnerie frustrée. « Mais c’est bien noté, docteur LaFleur. Loin de moi l’idée d’être familière », ajouta-t-elle d’une voix lasse. En dépit de cette morgue de façade, la jeune femme sembla se ratatiner un peu plus au fond de la méridienne lorsque Frédéric se pencha pour l’ausculter. Elle gigota, mal à l’aise, quand il lui saisit le poignet, et ses yeux brillèrent d’agacement lorsqu’il lui ordonna de soulever sa tunique pour observer son travail. Rien que des conneries. Il l’avait eue sur le billard quelques heures auparavant, il savait parfaitement ce qu’il allait trouver. Qu’est-ce qu’il voulait ? Lui faire payer son émotivité ?
« C’est votre secrétaire, qui a jugé utile de me donner quelque chose pour dormir. Croyez-moi que si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais mis les voiles dès que possible », se sentit-elle obligée de préciser pour rompre le silence gênant qui s’installait alors que le tailleur examinait ses blessures. Le ton était un peu hargneux, car une part d’elle était blessée du peu d’estime que celui-ci semblait lui porter. C’était une chose, d’avoir peu de considération pour soi-même ; une autre, de voir ce même dégoût danser dans les yeux de quelqu’un d’autre alors qu’il vous observait. Une répugnance à ce point prononcée que Frédéric n’avait pas hésité un seul instant avant de la jeter dehors. La jeune femme détourna le regard et ravala son amertume. Les lèvres serrées, elle hocha mécaniquement la tête aux conseils que le tailleur lui prodiguait, l’esprit ailleurs. Rester seule, dans cet appartement aux allures de cellule qu’elle occupait sur les remparts ? Plutôt mourir – une pensée dont l’ironie ne lui échappa pas.
Elide se redressa. Elle n’avait passé que trop de temps dans cet endroit, sous le joug de ces deux billes glacées qui la jaugeaient – non, qui la jugeaient. Mais alors qu’elle posait les pieds au sol, un violent vertige la força à reconsidérer l’imminence de son départ. Les yeux fermés et le visage recouvert d’une fine pellicule de sueur, elle n’entendit pas Frédéric quitter la pièce, toute son attention concentrée sur le fait de ne pas tourner de l’œil. Ce n’est que lorsque celui-ci refit son apparition qu’elle rouvrit les paupières, dardant sur le Spectre un regard que la panique écarquillait.
« Qu.. Quoi ? » croassa-t-elle. Elle le fixa, ahurie, se demandant un instant s’il plaisantait. « N… non, ce n’est pas la peine, vraiment. Je peux rentrer seule. » L’élémentaire referma la bouche devant son regard insistant. Fronça les sourcils en avisant son sourire polisson. Fit mine de reprendre la parole en voyant son air moqueur. Mais secoua finalement la tête, vaincue. « Je ne comprends pas. » finit-elle par avouer, les épaules basses. « Vous m’avez clairement fait comprendre que vous vouliez que je dégage, hors de votre vue. Pourquoi me raccompagner ? » Le regard de l’élémentaire se fit calculateur, avant qu’un frisson de terreur ne vienne lui caresser le dos, lui glaçant les entrailles. Elle amorça un mouvement de recul. « Vous allez me dénoncer, c’est ça votre plan ? » demanda-t-elle d’une voix blanche. Le goût de la trahison – acide, écœurant – lui piqua la langue.
Il aurait raison, lui chuchota une petite voix. La jeune femme sentit la fureur lui piquer le nez.
Si la colère ne donne pas d’ailes, au moins offrit-elle à l'élémentaire la motivation nécessaire pour s’extirper du fauteuil et attraper d’un geste brutal le sac en tissu dans lequel Cassandre – la douce Cassandre – avait empaqueté ce qu’il restait de ses vêtements. Il voulait la dénoncer ? Très bien. Elle aussi pouvait jouer au con. « Très bien, allons-y, alors, docteur LaFleur » susurra-t-elle d’une voix polaire. Elide jeta un coup d’œil au bagage. Sa veste était foutue, lacérée et raidie de sang séché. Quant à sa cape, la seule perspective de l’extirper du fond du sac où elle était soigneusement pliée lui donnait envie de retourner s’affaler sur le divan. Non, elle irait dans cette tenue informe – et peut-être ainsi Frédéric aurait-il suffisamment honte d’elle pour regretter un instant sa dernière mesquinerie. Les lèvres de la jeune femme se tordirent d’un sourire, mais même la perspective de faire chier le Spectre n’était soudainement plus attrayante, ternie par l’optique moins réjouissante de voir ses supérieurs apprendre toute l’étendue de son inaptitude. La jeune femme sentit le découragement grignoter les dernières bribes de son courage.
Fatiguée. Elle était tellement fatiguée.
« Vous savez quoi ? » Elle fit volte-face et planta son regard dans les mirettes bleutées du docteur. Les secondes s’égrainèrent, tendues. « Je leur dirai. » L’aveu, prononcé d’une voix résolue, lui brûla la gorge. Elle ferma momentanément les yeux. « Vous avez gagné. Je leur dirai. » Tout, pour qu'il lui foute la paix. Pour qu'ils lui foutent tous la paix. Sans attendre sa réponse, la jeune femme sortit de la boutique d’un pas clopinant et patienta le temps que Frédéric la rejoigne. Elle pointa la direction des remparts du menton. « C’est par là. »
« Et pour vous, je vous ai dit que c’était Elide. Juste Elide. » rétorqua-t-elle d’un ton qui se voulait acerbe mais qui manquait de piquant – elle était trop épuisée pour insuffler dans son timbre autre chose que les notes d’une bougonnerie frustrée. « Mais c’est bien noté, docteur LaFleur. Loin de moi l’idée d’être familière », ajouta-t-elle d’une voix lasse. En dépit de cette morgue de façade, la jeune femme sembla se ratatiner un peu plus au fond de la méridienne lorsque Frédéric se pencha pour l’ausculter. Elle gigota, mal à l’aise, quand il lui saisit le poignet, et ses yeux brillèrent d’agacement lorsqu’il lui ordonna de soulever sa tunique pour observer son travail. Rien que des conneries. Il l’avait eue sur le billard quelques heures auparavant, il savait parfaitement ce qu’il allait trouver. Qu’est-ce qu’il voulait ? Lui faire payer son émotivité ?
« C’est votre secrétaire, qui a jugé utile de me donner quelque chose pour dormir. Croyez-moi que si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais mis les voiles dès que possible », se sentit-elle obligée de préciser pour rompre le silence gênant qui s’installait alors que le tailleur examinait ses blessures. Le ton était un peu hargneux, car une part d’elle était blessée du peu d’estime que celui-ci semblait lui porter. C’était une chose, d’avoir peu de considération pour soi-même ; une autre, de voir ce même dégoût danser dans les yeux de quelqu’un d’autre alors qu’il vous observait. Une répugnance à ce point prononcée que Frédéric n’avait pas hésité un seul instant avant de la jeter dehors. La jeune femme détourna le regard et ravala son amertume. Les lèvres serrées, elle hocha mécaniquement la tête aux conseils que le tailleur lui prodiguait, l’esprit ailleurs. Rester seule, dans cet appartement aux allures de cellule qu’elle occupait sur les remparts ? Plutôt mourir – une pensée dont l’ironie ne lui échappa pas.
Elide se redressa. Elle n’avait passé que trop de temps dans cet endroit, sous le joug de ces deux billes glacées qui la jaugeaient – non, qui la jugeaient. Mais alors qu’elle posait les pieds au sol, un violent vertige la força à reconsidérer l’imminence de son départ. Les yeux fermés et le visage recouvert d’une fine pellicule de sueur, elle n’entendit pas Frédéric quitter la pièce, toute son attention concentrée sur le fait de ne pas tourner de l’œil. Ce n’est que lorsque celui-ci refit son apparition qu’elle rouvrit les paupières, dardant sur le Spectre un regard que la panique écarquillait.
« Qu.. Quoi ? » croassa-t-elle. Elle le fixa, ahurie, se demandant un instant s’il plaisantait. « N… non, ce n’est pas la peine, vraiment. Je peux rentrer seule. » L’élémentaire referma la bouche devant son regard insistant. Fronça les sourcils en avisant son sourire polisson. Fit mine de reprendre la parole en voyant son air moqueur. Mais secoua finalement la tête, vaincue. « Je ne comprends pas. » finit-elle par avouer, les épaules basses. « Vous m’avez clairement fait comprendre que vous vouliez que je dégage, hors de votre vue. Pourquoi me raccompagner ? » Le regard de l’élémentaire se fit calculateur, avant qu’un frisson de terreur ne vienne lui caresser le dos, lui glaçant les entrailles. Elle amorça un mouvement de recul. « Vous allez me dénoncer, c’est ça votre plan ? » demanda-t-elle d’une voix blanche. Le goût de la trahison – acide, écœurant – lui piqua la langue.
Il aurait raison, lui chuchota une petite voix. La jeune femme sentit la fureur lui piquer le nez.
Si la colère ne donne pas d’ailes, au moins offrit-elle à l'élémentaire la motivation nécessaire pour s’extirper du fauteuil et attraper d’un geste brutal le sac en tissu dans lequel Cassandre – la douce Cassandre – avait empaqueté ce qu’il restait de ses vêtements. Il voulait la dénoncer ? Très bien. Elle aussi pouvait jouer au con. « Très bien, allons-y, alors, docteur LaFleur » susurra-t-elle d’une voix polaire. Elide jeta un coup d’œil au bagage. Sa veste était foutue, lacérée et raidie de sang séché. Quant à sa cape, la seule perspective de l’extirper du fond du sac où elle était soigneusement pliée lui donnait envie de retourner s’affaler sur le divan. Non, elle irait dans cette tenue informe – et peut-être ainsi Frédéric aurait-il suffisamment honte d’elle pour regretter un instant sa dernière mesquinerie. Les lèvres de la jeune femme se tordirent d’un sourire, mais même la perspective de faire chier le Spectre n’était soudainement plus attrayante, ternie par l’optique moins réjouissante de voir ses supérieurs apprendre toute l’étendue de son inaptitude. La jeune femme sentit le découragement grignoter les dernières bribes de son courage.
Fatiguée. Elle était tellement fatiguée.
« Vous savez quoi ? » Elle fit volte-face et planta son regard dans les mirettes bleutées du docteur. Les secondes s’égrainèrent, tendues. « Je leur dirai. » L’aveu, prononcé d’une voix résolue, lui brûla la gorge. Elle ferma momentanément les yeux. « Vous avez gagné. Je leur dirai. » Tout, pour qu'il lui foute la paix. Pour qu'ils lui foutent tous la paix. Sans attendre sa réponse, la jeune femme sortit de la boutique d’un pas clopinant et patienta le temps que Frédéric la rejoigne. Elle pointa la direction des remparts du menton. « C’est par là. »
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
De patience, il pouvait en manquer avec autrui, cela est vrai. Il en avait conscience, l'assumait même. Après tout, une fois mort, à quoi bon s'épuiser encore à prendre des gants et à prendre sur soi ? Pour le bien d'autrui ? Par les pustules d'un mourant pesteux, n'en faisait-il déjà pas assez chaque jour durant, à s'occuper des âmes assez folles et optimistes pour délaisser corruption et - surtout ! - tout confort technologique pour ce monde vierge et sauvage ? Oui, il lui arrivait de manquer de patience. Avec les individus les plus stupides, les plus geignards, les plus inconscients des conséquences de leur acte. Et pourtant...
Ebola et batraciens, Cassandre ne fut pas là pour admirer le teint livide du LaFleur après l'accusation de la faiblarde. Il avait cru pouvoir l'écouter geindre un peu avant de se mettre - enfin ! - en route mais ses propos ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. Quand, après il ne savait - et ne voulait savoir - quel énième tourment intérieur elle se décida enfin à prendre la direction de la sortie, avec toutes ses belles résolutions aussi vacillantes que ses guibolles, elle se heurta à un mur. Celui constitué par un médecin au long manteau, et au au faciès aussi souriant qu'un masque mortuaire. Pour être sûr qu'elle n'en manqua pas un morceau, il se pencha un peu, emplissant son champ de vu, de ses grands yeux bleus glacés.
"Je vais faire comme si je n'avais rien entendu. C'était dit affreusement doucement. Comme si vous n'aviez-pas remis en question le secret professionnel de ma profession. Savez-vous pourquoi ? Pourquoi je n'irai pas faire ce que vous n'avez pas sous-entendu ? D'autres mettraient en avance leur conscience professionnelle, mais c'est bien trop générique et fade. Pourquoi donc s'embétait-il avec cette fille ? Non. Mes raisons sont tout autre : en dehors de ce cabinet, de votre statut de patiente, je n'ai que faire de vous. Vous, et vos erreurs d'enfant incapable de faire confiance à vos propres collègues. A moins que ce ne soit une question de fierté peut-être ? Vous êtes capable de tout faire toute seule comme une grande, hmmm ? Ha. Sa bouche se tordit. Demandez-leur, à vos camarades, s'ils sont arrivés où ils en sont par eux-même. Ceux qui vous répondront que 'oui' sont au mieux de piètre menteur, au pire... De vaniteux ingrats."
Faites que Cassandre n'ait rien entendu. Elle me rabattrait les oreilles avec cela toute la semaine. Une part de lui aurait volontiers jeter la Elide sur ses genoux pour une bonne fessée après tant d'émotions superflues, mais l'autre partie lui rappela que les points pouvaient encore céder et ruiner sa tenue. Se redressant, il s'épousseta et eut un raclement de gorge propret, rangeant derrière une façade à peu près agréable la hargne qu'il avait laissé respirer.
"Ne vous attribuez pas trop d'importance, Elide. Ma journée fut longue, et une sieste ne vous aura pas donner pas l'énergie pour parcourir en sautillant comme un bouquetin le chemin jusqu'à votre maison. J'ai jugé utile que nous faisions un peu de marche ensemble afin que l'on ne vous ramène pas dans l'heure parce que vous vous serez effondrée dans une ruelle.
- Monsieur, voyons ! pesta depuis le fond du cabinet une Cassandre passant prestement, un bac plein de tissus sanglants dans les bras. Mademoiselle Elide a eu une longue journée, soyez un peu plus -
- Compréhensif ? Mais je le suis voyons ! sourit Frédéric, tout en offrant son bras à la jeune femme. Eh bien ? Votre lit vous attend. Je vous laisserai à une distance respectant votre désir de discrétion... Comme votre capacité à l'atteindre sur vos deux jambes."
Et marcher lui fit du bien. Dans la grande cité, que se partageaient si peu d'âmes, ils purent en parcourir les routes dans une certaine tranquillité. A la manière de montagnes lointaines toujours à votre vue, les remparts, leur destination, semblaient toujours se rapprocher, mais jamais tout à fait. Grand, le spectre n'en adapta pas moins son pas à la blessée, s'occupant à son gré en appréciant l'architecture comme la vue d'un peu de verdure, après une journée passée dans une pièce fermée, à se pencher sur les bobos des uns et des autres. Mieux ! Il passa même devant un étal où il peut s'acheter quelques fruits frais. Un frottement sur sa manche, et le premier fruit, il croqua. Un second, il le proposa à la Veilleuse Tout Recousue.
"Un petit creux ?" dit-il avec légèreté.
Ebola et batraciens, Cassandre ne fut pas là pour admirer le teint livide du LaFleur après l'accusation de la faiblarde. Il avait cru pouvoir l'écouter geindre un peu avant de se mettre - enfin ! - en route mais ses propos ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. Quand, après il ne savait - et ne voulait savoir - quel énième tourment intérieur elle se décida enfin à prendre la direction de la sortie, avec toutes ses belles résolutions aussi vacillantes que ses guibolles, elle se heurta à un mur. Celui constitué par un médecin au long manteau, et au au faciès aussi souriant qu'un masque mortuaire. Pour être sûr qu'elle n'en manqua pas un morceau, il se pencha un peu, emplissant son champ de vu, de ses grands yeux bleus glacés.
"Je vais faire comme si je n'avais rien entendu. C'était dit affreusement doucement. Comme si vous n'aviez-pas remis en question le secret professionnel de ma profession. Savez-vous pourquoi ? Pourquoi je n'irai pas faire ce que vous n'avez pas sous-entendu ? D'autres mettraient en avance leur conscience professionnelle, mais c'est bien trop générique et fade. Pourquoi donc s'embétait-il avec cette fille ? Non. Mes raisons sont tout autre : en dehors de ce cabinet, de votre statut de patiente, je n'ai que faire de vous. Vous, et vos erreurs d'enfant incapable de faire confiance à vos propres collègues. A moins que ce ne soit une question de fierté peut-être ? Vous êtes capable de tout faire toute seule comme une grande, hmmm ? Ha. Sa bouche se tordit. Demandez-leur, à vos camarades, s'ils sont arrivés où ils en sont par eux-même. Ceux qui vous répondront que 'oui' sont au mieux de piètre menteur, au pire... De vaniteux ingrats."
Faites que Cassandre n'ait rien entendu. Elle me rabattrait les oreilles avec cela toute la semaine. Une part de lui aurait volontiers jeter la Elide sur ses genoux pour une bonne fessée après tant d'émotions superflues, mais l'autre partie lui rappela que les points pouvaient encore céder et ruiner sa tenue. Se redressant, il s'épousseta et eut un raclement de gorge propret, rangeant derrière une façade à peu près agréable la hargne qu'il avait laissé respirer.
"Ne vous attribuez pas trop d'importance, Elide. Ma journée fut longue, et une sieste ne vous aura pas donner pas l'énergie pour parcourir en sautillant comme un bouquetin le chemin jusqu'à votre maison. J'ai jugé utile que nous faisions un peu de marche ensemble afin que l'on ne vous ramène pas dans l'heure parce que vous vous serez effondrée dans une ruelle.
- Monsieur, voyons ! pesta depuis le fond du cabinet une Cassandre passant prestement, un bac plein de tissus sanglants dans les bras. Mademoiselle Elide a eu une longue journée, soyez un peu plus -
- Compréhensif ? Mais je le suis voyons ! sourit Frédéric, tout en offrant son bras à la jeune femme. Eh bien ? Votre lit vous attend. Je vous laisserai à une distance respectant votre désir de discrétion... Comme votre capacité à l'atteindre sur vos deux jambes."
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Et marcher lui fit du bien. Dans la grande cité, que se partageaient si peu d'âmes, ils purent en parcourir les routes dans une certaine tranquillité. A la manière de montagnes lointaines toujours à votre vue, les remparts, leur destination, semblaient toujours se rapprocher, mais jamais tout à fait. Grand, le spectre n'en adapta pas moins son pas à la blessée, s'occupant à son gré en appréciant l'architecture comme la vue d'un peu de verdure, après une journée passée dans une pièce fermée, à se pencher sur les bobos des uns et des autres. Mieux ! Il passa même devant un étal où il peut s'acheter quelques fruits frais. Un frottement sur sa manche, et le premier fruit, il croqua. Un second, il le proposa à la Veilleuse Tout Recousue.
"Un petit creux ?" dit-il avec légèreté.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Elide leva un sourcil surpris lorsque la voix du Spectre vint rompre la chappe de silence aux relents de plomb qui les enveloppait depuis qu’ils avaient quitté le cabinet. Il faut dire que la jeune femme n’avait pas prononcé un mot de tout le trajet, encore sous le choc – et profondément vexée, avouons-le – du savon qu'il lui avait passé. Elle n’avait pas l’habitude d’être ainsi remise à sa place, et encore moins avec tant de franchise. À chacun des mots prononcés avec cette douceur trompeuse des colères le plus furieuses, le visage de l’élémentaire s’était un peu plus décomposé. Chacun de ces mots assénés avec la froideur polaire de l’objectivité lui avait donné l’impression d’une gigantesque baffe balayant tour à tour sa morgue, son orgueil, son courage et, pire encore, sa fierté.
Parce que c’était un peu le problème, avec les vérités trop longtemps passées sous silence : elles finissaient systématiquement par vous exploser à la gueule avec une violence inversement proportionnelle à votre capacité à y faire face.
La jeune femme avait donc encaissé tant bien que mal (et plutôt mal que bien) ses quatre vérités, partagée entre la très forte envie de faire taire cette vilaine bouche à coup de phalanges, et celle de se rouler en boule en se bouchant les oreilles pour ne plus l'entendre. Mais elle n’en avait rien fait, puisque quitte à parler de vérité, c’était celle-ci qu’il fallait finalement retenir : les paroles de Frédéric, en plus de lui clouer le bec, l’avaient profondément heurtée parce qu’elles résonnaient trop justes. Aurait-elle réagi autrement si elle n’avait pas été aussi mal en point, avec cette vulnérabilité à fleur de peau ? Probablement. Mais, sonnée par la véhémence de cet aveu, et peu habituée à se voir tenir tête, c’est donc avec une étrange docilité qu’elle avait passé son bras sous celui du docteur, la gorge serrée sous le coup d’une émotion qui n’avait pas entièrement à voir avec la colère, ni tout à fait avec la honte.
Elide lorgna la main de Frédéric d’un air sceptique. Fruit défendu ou offrande de paix ? Il s’était conduit avec élégance, durant leur marche, calant son pas sur le sien et s’abstenant de tout commentaire les trois fois où elle avait dû s’arrêter, à bout de souffle, le cœur au bord des lèvres. À son grand soulagement, il avait lui aussi gardé le silence, se contentant d’observer les alentours d’un air curieux. Aurait-elle été affublée d’un caractère autre que celui d’un chien, l’élémentaire aurait même pu reconnaître qu’elle appréciait l’aide qu’il lui avait imposée.
Plusieurs secondes s’écoulèrent donc, durant lesquelles – au plus grand déplaisir du docteur, qui n’appréciait visiblement pas les rouages de ses méninges – la jeune femme observa le fruit tendu, pesant le pour et le contre. Continuer à bouder, ou faire preuve de maturité ?
« Pourquoi pas. » Elle n’avait pas vraiment faim. À vrai dire, elle avait rarement faim, ces derniers temps. Mais, à sa plus grande surprise, elle se rendit compte qu’à l’image d’une enfant qui craint l’adulte qui vient de l’enguirlander, elle appréhendait véritablement la perspective d’une nouvelle semonce de la part du Spectre. Elle s’empara docilement du fruit. « Merci. » Lança un coup d’œil à l’homme devant elle, et détourna le regard. Un soupir frustré lui échappa, et elle dansa d’un pied à l’autre. Son comportement la déstabilisait. Il était furieux, elle l’avait vu dans son regard glacé, alors pourquoi était-il toujours là ? Pourquoi agissait-il si normalement ?
C’était une chose impossible à appréhender, pour elle qui ne connaissait des relations humaines que la brutalité du survivant et la violence désespérée de ceux à qui l'on a tout pris. Mais, même sans les comprendre, les manières civilisées du docteur-tailleur éveillèrent en elle une émotion qui, bien que familière, s’était rarement appliquée à autre chose qu’à une tendance marquée à l’autodestruction : la culpabilité. Celle-ci sinua doucement au fond de sa poitrine et étala ses tentacules au creux de son estomac, qui émit un sursaut indigné face à cette déplaisante intrusion.
Voyez-vous, c’est le problème, avec l’ingratitude. Vous ne la reconnaissez pour ce qu'elle est que lorsque quelqu'un trouve enfin le courage de vous renvoyer dans la gueule le reflet de votre propre médiocrité.
Elide se sentait merdique.
« Je… » commença-t-elle d’une voix incertaine. Elle tourna le fruit entre ses doigts. Se racla la gorge. Prit une grande inspiration. « Je suis désolée d’avoir insinué que vous… » étiez un connard fini ? Un immonde fils de pute sans honneur ? « … n’aviez aucune parole. » On regarde la personne dans les yeux quand on s’excuse, lui rappela avec sévérité une voix fantomatique. L'élémentaire s’exécuta. « Je vous présente mes excuses. » Une poignée de seconde s’écoula avant qu’elle ne baisse de nouveau la tête, concentrée sur son ongle qui grattait doucement la peau du fruit. « Ce n’est pas une question de fierté, vous savez », lança-t-elle au bout d’un moment. Sa voix était étonnement calme, presque assurée, en dépit de l’effort que lui coûtait cet aveu. « C’est plutôt… l’habitude. D’être seule. De se débrouiller. Et de savoir qu’on ne peut pas compter sur les autres. Ça finit toujours par se retourner contre nous, et on se retrouve trahis. Ou mort. » Son timbre perdit un peu de son assurance sur ce dernier mot, et la jeune femme se racla la gorge. « De là d’où je viens… compter sur les autres, c’est dangereux. Ici… C’est tout nouveau pour moi, tout ça. Avoir des gens autour de moi, qui me voient, pour qui… j’existe ? Qui me protègent, ou veulent le faire, sans rien attendre en retour ? C’est quelque chose que j’ai… oublié. Auquel je n’arrive pas à croire. » Elide imprima au pédoncule encore vert plusieurs rotations. « Je n’ai plus personne à qui faire confiance, depuis des années. Je sais, vous allez me dire qu’on est toujours seul, dans la vie. Croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir. » Elle secoua la tête, la gorge serrée. « Ce n’est pas une question de fierté, c’est juste que… je ne sais plus faire. » La tige céda avec un crac timide. « Et que j’ai peur, de le faire. J’ai vraiment peur, Docteur LaFleur. » Le titre, cette fois-ci, n’était pas moqueur. Simplement factuel, comme tout ce qu’elle venait d’avouer.
Parce que c’était un peu le problème, avec les vérités trop longtemps passées sous silence : elles finissaient systématiquement par vous exploser à la gueule avec une violence inversement proportionnelle à votre capacité à y faire face.
La jeune femme avait donc encaissé tant bien que mal (et plutôt mal que bien) ses quatre vérités, partagée entre la très forte envie de faire taire cette vilaine bouche à coup de phalanges, et celle de se rouler en boule en se bouchant les oreilles pour ne plus l'entendre. Mais elle n’en avait rien fait, puisque quitte à parler de vérité, c’était celle-ci qu’il fallait finalement retenir : les paroles de Frédéric, en plus de lui clouer le bec, l’avaient profondément heurtée parce qu’elles résonnaient trop justes. Aurait-elle réagi autrement si elle n’avait pas été aussi mal en point, avec cette vulnérabilité à fleur de peau ? Probablement. Mais, sonnée par la véhémence de cet aveu, et peu habituée à se voir tenir tête, c’est donc avec une étrange docilité qu’elle avait passé son bras sous celui du docteur, la gorge serrée sous le coup d’une émotion qui n’avait pas entièrement à voir avec la colère, ni tout à fait avec la honte.
Elide lorgna la main de Frédéric d’un air sceptique. Fruit défendu ou offrande de paix ? Il s’était conduit avec élégance, durant leur marche, calant son pas sur le sien et s’abstenant de tout commentaire les trois fois où elle avait dû s’arrêter, à bout de souffle, le cœur au bord des lèvres. À son grand soulagement, il avait lui aussi gardé le silence, se contentant d’observer les alentours d’un air curieux. Aurait-elle été affublée d’un caractère autre que celui d’un chien, l’élémentaire aurait même pu reconnaître qu’elle appréciait l’aide qu’il lui avait imposée.
Plusieurs secondes s’écoulèrent donc, durant lesquelles – au plus grand déplaisir du docteur, qui n’appréciait visiblement pas les rouages de ses méninges – la jeune femme observa le fruit tendu, pesant le pour et le contre. Continuer à bouder, ou faire preuve de maturité ?
« Pourquoi pas. » Elle n’avait pas vraiment faim. À vrai dire, elle avait rarement faim, ces derniers temps. Mais, à sa plus grande surprise, elle se rendit compte qu’à l’image d’une enfant qui craint l’adulte qui vient de l’enguirlander, elle appréhendait véritablement la perspective d’une nouvelle semonce de la part du Spectre. Elle s’empara docilement du fruit. « Merci. » Lança un coup d’œil à l’homme devant elle, et détourna le regard. Un soupir frustré lui échappa, et elle dansa d’un pied à l’autre. Son comportement la déstabilisait. Il était furieux, elle l’avait vu dans son regard glacé, alors pourquoi était-il toujours là ? Pourquoi agissait-il si normalement ?
C’était une chose impossible à appréhender, pour elle qui ne connaissait des relations humaines que la brutalité du survivant et la violence désespérée de ceux à qui l'on a tout pris. Mais, même sans les comprendre, les manières civilisées du docteur-tailleur éveillèrent en elle une émotion qui, bien que familière, s’était rarement appliquée à autre chose qu’à une tendance marquée à l’autodestruction : la culpabilité. Celle-ci sinua doucement au fond de sa poitrine et étala ses tentacules au creux de son estomac, qui émit un sursaut indigné face à cette déplaisante intrusion.
Voyez-vous, c’est le problème, avec l’ingratitude. Vous ne la reconnaissez pour ce qu'elle est que lorsque quelqu'un trouve enfin le courage de vous renvoyer dans la gueule le reflet de votre propre médiocrité.
Elide se sentait merdique.
« Je… » commença-t-elle d’une voix incertaine. Elle tourna le fruit entre ses doigts. Se racla la gorge. Prit une grande inspiration. « Je suis désolée d’avoir insinué que vous… » étiez un connard fini ? Un immonde fils de pute sans honneur ? « … n’aviez aucune parole. » On regarde la personne dans les yeux quand on s’excuse, lui rappela avec sévérité une voix fantomatique. L'élémentaire s’exécuta. « Je vous présente mes excuses. » Une poignée de seconde s’écoula avant qu’elle ne baisse de nouveau la tête, concentrée sur son ongle qui grattait doucement la peau du fruit. « Ce n’est pas une question de fierté, vous savez », lança-t-elle au bout d’un moment. Sa voix était étonnement calme, presque assurée, en dépit de l’effort que lui coûtait cet aveu. « C’est plutôt… l’habitude. D’être seule. De se débrouiller. Et de savoir qu’on ne peut pas compter sur les autres. Ça finit toujours par se retourner contre nous, et on se retrouve trahis. Ou mort. » Son timbre perdit un peu de son assurance sur ce dernier mot, et la jeune femme se racla la gorge. « De là d’où je viens… compter sur les autres, c’est dangereux. Ici… C’est tout nouveau pour moi, tout ça. Avoir des gens autour de moi, qui me voient, pour qui… j’existe ? Qui me protègent, ou veulent le faire, sans rien attendre en retour ? C’est quelque chose que j’ai… oublié. Auquel je n’arrive pas à croire. » Elide imprima au pédoncule encore vert plusieurs rotations. « Je n’ai plus personne à qui faire confiance, depuis des années. Je sais, vous allez me dire qu’on est toujours seul, dans la vie. Croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir. » Elle secoua la tête, la gorge serrée. « Ce n’est pas une question de fierté, c’est juste que… je ne sais plus faire. » La tige céda avec un crac timide. « Et que j’ai peur, de le faire. J’ai vraiment peur, Docteur LaFleur. » Le titre, cette fois-ci, n’était pas moqueur. Simplement factuel, comme tout ce qu’elle venait d’avouer.
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
"Par les dieux, Elide... souffla le spectre, qui avait pris sur lui de la laisser finir. Vous recommencez. Avec toutes ces... Ah... Émotions ! C'est... Hmmm..."
En désespoir de cause, le médecin limita l'expression de son déplaisir à un vague geste de la main la désignant, ainsi qu'une mimique partagée entre la pitié et l'agacement. Indubitablement, la jeune femme avait besoin de parler. De choses douloureuses, visiblement. De sujets sensibles, sans aucun doute. Mais par toutes les âmes perdues dans ce monde hostile, pourquoi choisissait-elle de s'ouvrir auprès de lui ? Il aurait dû laisser le rôle d'accompagnant à Cassandre. Elle savait très bien... Très... Est-ce pour cela qu'elle tient tant à raccompagner certains patients ? Tant pour vérifier qu'ils ne finissent pas écroulés dans un recoin que pour les laisser lui tenir la jambe ? Non sans un soupir de découragement, il croqua dans son fruit. Pour être secoué par sa légère acidité. Pour y planter toutes ses dents.
"Et telle une petite souris, vous voyez en chacun un chat prêt à jouer et à tuer. Les habitudes sont tenaces, n'est-ce pas ? lâcha-t-il non sans une certaines lassitudes, léchant la goutte de jus s'écoulant vers son menton. Enfin, je ne sais d'où vous venez, ni votre histoire - et ne tiens pas à le savoir plus que cela, le passé a un goût de pain rassi -, mais je peux entendre que le changement soit compliqué mais... Un portail. La mort. Des créatures de mythes qui vous disent bonjour après la première visite du cabinet matinale. Avez-vous besoin de plus pour vous dire que vous êtes ailleurs ? Sans retour en arrière, pour le meilleur comme le pire ? Le fruit croqué virevolta dans les airs. Vous avez peur ? La belle affaire. Enterrez-vous dans un coin aussi longtemps que la peur vous tiendra les tripes, jusqu'à ce que la mort passe et que vos os prennent la poussière. Avoir peur, ah ah ! Quelle idée. Il leva un doigt. Pensez-y : un lapin a peur que le renard le croque; un pauvre sur Terre a peur de ce que la seule eau qu'il puisse boire lui fasse; ici... De quoi voulez-vous avoir peur, Elide ? Un air pur, une communauté assez désespérée pour compter sur le moindre de ses membres te les accueillir avec leur propre chambre, un nouveau corps qui a laissé derrière-lui les corruptions de l'ancien monde... ? A quoi vous sert la peur, si ce n'est à vous empêcher d'essayer ? Seule, vous le serez si vous n'approchez personne, ne laissez personne vous approchez, et si vous accrochez à la solitude comme à une vieille couverture trouée qui gratte, dont le seule charme est qu'elle vous soit familière. Lieu différent, gens différents, situation différente. Je vous en prie, pétez un coup s'il le faut et osez. Tout le monde n'a pas droit à une deuxième vie, voulez-vous vraiment la vivre comme la première ?"
Malgré-lui il s'était retrouvé emporté par ses propos, et il s'en rendit compte quand il conclut en levant brusquement les bras en un signe d'interrogation devant l'absurdité d'une telle idée, attirant l'attention d'une délicate sylphe qui passait par là. Non sans un clin d'oeil à son encontre, ne rougissant nullement d'avoir pareil public, il se racla la gorge, tout en tirant sur les bords de son manteau, qui n'avait nul besoin d'être remis en place. Déposer la demoiselle, s'en retourner, faire un détour pour s'aérer davantage l'esprit peut-être, il n'avait pas à s'embêter davantage. Sauf si... Il regardait le problème sous un autre angle. D'un doigt, il se tapota les lèvres, avant de jeter un regard en coin à la jeune femme à la tenue informe.
"Dites-moi, Elide... Dit-il avec une lenteur songeuse. Racontez-moi... Qu'est-ce que la peur, cette rabat-joie, vous a empêché de faire jusqu'à aujourd'hui, hmmm ? Il ajouta, après un instant. Faire un compliment, un cadeau à un inconnu ? Raconter vos déboires à un étrang- Oh, pardon, vous venez de le faire ! Vous allonger au milieu d'une rue bondée pour voir qui serait poli et qui n'hésitez pas à vous fouler du pied ? Demander de l'aide pour rien, avant d'avouer que vous souhaitiez seulement avoir de la compagnie ? Une énième suggestion, alors que son air fripon était à moitié dissimulé derrière sa main. Embrasser quelqu'un ?"
En désespoir de cause, le médecin limita l'expression de son déplaisir à un vague geste de la main la désignant, ainsi qu'une mimique partagée entre la pitié et l'agacement. Indubitablement, la jeune femme avait besoin de parler. De choses douloureuses, visiblement. De sujets sensibles, sans aucun doute. Mais par toutes les âmes perdues dans ce monde hostile, pourquoi choisissait-elle de s'ouvrir auprès de lui ? Il aurait dû laisser le rôle d'accompagnant à Cassandre. Elle savait très bien... Très... Est-ce pour cela qu'elle tient tant à raccompagner certains patients ? Tant pour vérifier qu'ils ne finissent pas écroulés dans un recoin que pour les laisser lui tenir la jambe ? Non sans un soupir de découragement, il croqua dans son fruit. Pour être secoué par sa légère acidité. Pour y planter toutes ses dents.
"Et telle une petite souris, vous voyez en chacun un chat prêt à jouer et à tuer. Les habitudes sont tenaces, n'est-ce pas ? lâcha-t-il non sans une certaines lassitudes, léchant la goutte de jus s'écoulant vers son menton. Enfin, je ne sais d'où vous venez, ni votre histoire - et ne tiens pas à le savoir plus que cela, le passé a un goût de pain rassi -, mais je peux entendre que le changement soit compliqué mais... Un portail. La mort. Des créatures de mythes qui vous disent bonjour après la première visite du cabinet matinale. Avez-vous besoin de plus pour vous dire que vous êtes ailleurs ? Sans retour en arrière, pour le meilleur comme le pire ? Le fruit croqué virevolta dans les airs. Vous avez peur ? La belle affaire. Enterrez-vous dans un coin aussi longtemps que la peur vous tiendra les tripes, jusqu'à ce que la mort passe et que vos os prennent la poussière. Avoir peur, ah ah ! Quelle idée. Il leva un doigt. Pensez-y : un lapin a peur que le renard le croque; un pauvre sur Terre a peur de ce que la seule eau qu'il puisse boire lui fasse; ici... De quoi voulez-vous avoir peur, Elide ? Un air pur, une communauté assez désespérée pour compter sur le moindre de ses membres te les accueillir avec leur propre chambre, un nouveau corps qui a laissé derrière-lui les corruptions de l'ancien monde... ? A quoi vous sert la peur, si ce n'est à vous empêcher d'essayer ? Seule, vous le serez si vous n'approchez personne, ne laissez personne vous approchez, et si vous accrochez à la solitude comme à une vieille couverture trouée qui gratte, dont le seule charme est qu'elle vous soit familière. Lieu différent, gens différents, situation différente. Je vous en prie, pétez un coup s'il le faut et osez. Tout le monde n'a pas droit à une deuxième vie, voulez-vous vraiment la vivre comme la première ?"
Malgré-lui il s'était retrouvé emporté par ses propos, et il s'en rendit compte quand il conclut en levant brusquement les bras en un signe d'interrogation devant l'absurdité d'une telle idée, attirant l'attention d'une délicate sylphe qui passait par là. Non sans un clin d'oeil à son encontre, ne rougissant nullement d'avoir pareil public, il se racla la gorge, tout en tirant sur les bords de son manteau, qui n'avait nul besoin d'être remis en place. Déposer la demoiselle, s'en retourner, faire un détour pour s'aérer davantage l'esprit peut-être, il n'avait pas à s'embêter davantage. Sauf si... Il regardait le problème sous un autre angle. D'un doigt, il se tapota les lèvres, avant de jeter un regard en coin à la jeune femme à la tenue informe.
"Dites-moi, Elide... Dit-il avec une lenteur songeuse. Racontez-moi... Qu'est-ce que la peur, cette rabat-joie, vous a empêché de faire jusqu'à aujourd'hui, hmmm ? Il ajouta, après un instant. Faire un compliment, un cadeau à un inconnu ? Raconter vos déboires à un étrang- Oh, pardon, vous venez de le faire ! Vous allonger au milieu d'une rue bondée pour voir qui serait poli et qui n'hésitez pas à vous fouler du pied ? Demander de l'aide pour rien, avant d'avouer que vous souhaitiez seulement avoir de la compagnie ? Une énième suggestion, alors que son air fripon était à moitié dissimulé derrière sa main. Embrasser quelqu'un ?"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
De quoi avait-elle peur ?
De rien.
De tout ?
Des autres, principalement, et de ces fausses promesses d’éternité que leur simple existence fait souvent miroiter aux âmes solitaires.
De l’espoir qu’ils vous inspirent, et à cause duquel vous vous retrouvez à désirer l'impossible toujours plus et plus fort.
De l’espérance qu’ils font naître, aussi, et de la Chute qui l'accompagne comme s’il s’agissait du seul dénouement acceptable.
Mais d’elle, surtout, parce que malgré tout, malgré les déceptions, malgré les épreuves, malgré la souffrance, une part d’elle voulait encore y croire.
La jeune femme ne dit rien de tout cela à Frédéric : il est des vérités difficiles à s’avouer, sans parler de les partager. Et quand bien même une partie d’elle, probablement un peu masochiste, aurait caressé l’idée de cette confession, la mine répugnée du Spectre acheva de la dissuader de pousser plus loin l’introspection. Elide écouta donc en silence la nouvelle salve de remontrances du tailleur-médecin – cela devenait décidément une habitude –, encaissant son sarcasme avec tout l’aplomb qui lui restait, à savoir pas grand-chose. Mais, rapidement, son expression renfrognée vacilla, laissant la place à la stupéfaction, puis à la gêne. Elle croisa les bras pour dissimuler son trouble.
Car, une fois encore, le salopard visait juste.
L’élémentaire détourna le regard, la gorge serrée. Elle ne répondit rien durant un temps, trop occupée à juguler la salve de ces vilaines émotions qui menaçaient de l’étouffer une nouvelle fois. Saloperie de blessure, et saloperie d’antidouleur, ou quoi que lui aient refilé Frédéric et Cassandre dans ce foutu cabinet et qui lui octroyait la résistance émotionnelle d’une enfant de cinq ans. Les yeux de la jeune femme s’embuèrent d’un mélange de colère et de frustration, avant qu’elle ne décide de les fermer pour leur épargner à tous deux la gêne d’un nouveau débordement. Elle prit une grande inspiration, serra les poings jusqu’à sentir ses ongles mordre sa peau et compta jusqu’à dix.
« Parfois, docteur LaFleur, le passé est tout ce qui nous reste. Et la familiarité, c’est simplement la seule chose que les gens comme moi ont trouvé pour éviter de se rendre coupables de la pire des trahisons : l’oubli. » répondit-elle d’une voix – trop – monocorde. « Mais ça n’a pas d’importance. » Son timbre se voulut plus affirmé. « Je voulais juste vous expliquer, que vous compreniez que je ne m’en foutais pas. Pour que vous n’ayez pas une mauvaise opinion de moi, que vous… je sais pas. Vous fassiez des idées ? Mais après tout, vous avez raison : en quoi ça vous intéresse, tout ça ? Et ça ne devrait pas m’importer non plus. »
Elle mentait. De façon éhontée. Car, en réalité, tout ce qu’il venait de dire lui importait tellement qu’elle en ressentait la morsure jusqu’au fond de ses tripes. Tu n’es qu’une lâche, lui susurra une petite voix. Faible. Pathétique. Sa mâchoire se contracta. Elle ne savait pas comment faire, voulait-elle hurler à la gueule du monde, voulait-elle jeter à cet homme qui la toisait avec tant de mépris. La poitrine de l’élémentaire se serra, et il lui sembla que son esprit se rétrécissait à une unique et minuscule ligne droite au-delà de laquelle elle voyait défiler toutes ces possibilités qu’avait évoquées son bourreau. Inatteignables. Insaisissables. Trop, il y en avait trop, et elle ne savait pas par où commencer. Ses oreilles bourdonnèrent et son souffle se bloqua dans sa gorge obstruée par une angoisse trop grande. Une détresse viscérale, abrasive, lui fit tourner la tête. Elle n’y arriverait jamais.
Tu ne mérites pas de deuxième vie, continua le murmure vipérin.
Il avait raison.
Le désespoir vrilla le cœur de l’élémentaire.
Il aurait mieux valu que ce soit elle.
La jeune femme ferma les yeux et, durant d’infinies secondes, le monde autour d’elle parut s’écrouler. La voix de Frédéric lui parvint de très loin, et elle s’y accrocha comme à un rocher au cœur de la tempête. « La peur m’empêche rarement de faire quelque chose » avoua-t-elle sans réfléchir d’une voix creuse, absente. Une semi-vérité, balancée pour lui permettre de reprendre pied. En réalité, la peur lui faisait sans doute faire tout un paquet de belles conneries. « Et tout ce dont vous parlez… » Elle rouvrit les yeux et fronça les sourcils, le cœur encore chancelant « Ce n’est pas de la peur. La première ? C’est de l’impertinence. Ou une familiarité mal placée. La deuxième… » Elle le foudroya du regard « … est clairement un instant d’égarement. La troisième, de la stupidité. La quatrième de la faiblesse, ou de la manipulation. Et la cinquième… » ses joues rosirent alors qu’elle évitait son regard « … n’a jamais été un problème. » Mensonges. Bravade. Mauvaise foi. Elide haussa les épaules. Du coin de l’œil, elle avisa la jolie sylphe qui les observait toujours, un air de ravissement béat sur son délicat visage alors qu’elle dévorait Frédéric du regard. L’élémentaire se retint de lever les yeux au ciel – c’était au moins la troisième à se retourner sur le passage du Spectre depuis qu’ils avaient quitté la boutique. Elle reporta son attention sur celui-ci et s’appuya contre un mur, grimaçante. « Je ne vois pas ce que la peur vient faire là-dedans. Mais peut-être est-ce vous, en fait, qui avez peur de toutes ces choses ? »
De rien.
De tout ?
Des autres, principalement, et de ces fausses promesses d’éternité que leur simple existence fait souvent miroiter aux âmes solitaires.
De l’espoir qu’ils vous inspirent, et à cause duquel vous vous retrouvez à désirer l'impossible toujours plus et plus fort.
De l’espérance qu’ils font naître, aussi, et de la Chute qui l'accompagne comme s’il s’agissait du seul dénouement acceptable.
Mais d’elle, surtout, parce que malgré tout, malgré les déceptions, malgré les épreuves, malgré la souffrance, une part d’elle voulait encore y croire.
La jeune femme ne dit rien de tout cela à Frédéric : il est des vérités difficiles à s’avouer, sans parler de les partager. Et quand bien même une partie d’elle, probablement un peu masochiste, aurait caressé l’idée de cette confession, la mine répugnée du Spectre acheva de la dissuader de pousser plus loin l’introspection. Elide écouta donc en silence la nouvelle salve de remontrances du tailleur-médecin – cela devenait décidément une habitude –, encaissant son sarcasme avec tout l’aplomb qui lui restait, à savoir pas grand-chose. Mais, rapidement, son expression renfrognée vacilla, laissant la place à la stupéfaction, puis à la gêne. Elle croisa les bras pour dissimuler son trouble.
Car, une fois encore, le salopard visait juste.
L’élémentaire détourna le regard, la gorge serrée. Elle ne répondit rien durant un temps, trop occupée à juguler la salve de ces vilaines émotions qui menaçaient de l’étouffer une nouvelle fois. Saloperie de blessure, et saloperie d’antidouleur, ou quoi que lui aient refilé Frédéric et Cassandre dans ce foutu cabinet et qui lui octroyait la résistance émotionnelle d’une enfant de cinq ans. Les yeux de la jeune femme s’embuèrent d’un mélange de colère et de frustration, avant qu’elle ne décide de les fermer pour leur épargner à tous deux la gêne d’un nouveau débordement. Elle prit une grande inspiration, serra les poings jusqu’à sentir ses ongles mordre sa peau et compta jusqu’à dix.
« Parfois, docteur LaFleur, le passé est tout ce qui nous reste. Et la familiarité, c’est simplement la seule chose que les gens comme moi ont trouvé pour éviter de se rendre coupables de la pire des trahisons : l’oubli. » répondit-elle d’une voix – trop – monocorde. « Mais ça n’a pas d’importance. » Son timbre se voulut plus affirmé. « Je voulais juste vous expliquer, que vous compreniez que je ne m’en foutais pas. Pour que vous n’ayez pas une mauvaise opinion de moi, que vous… je sais pas. Vous fassiez des idées ? Mais après tout, vous avez raison : en quoi ça vous intéresse, tout ça ? Et ça ne devrait pas m’importer non plus. »
Elle mentait. De façon éhontée. Car, en réalité, tout ce qu’il venait de dire lui importait tellement qu’elle en ressentait la morsure jusqu’au fond de ses tripes. Tu n’es qu’une lâche, lui susurra une petite voix. Faible. Pathétique. Sa mâchoire se contracta. Elle ne savait pas comment faire, voulait-elle hurler à la gueule du monde, voulait-elle jeter à cet homme qui la toisait avec tant de mépris. La poitrine de l’élémentaire se serra, et il lui sembla que son esprit se rétrécissait à une unique et minuscule ligne droite au-delà de laquelle elle voyait défiler toutes ces possibilités qu’avait évoquées son bourreau. Inatteignables. Insaisissables. Trop, il y en avait trop, et elle ne savait pas par où commencer. Ses oreilles bourdonnèrent et son souffle se bloqua dans sa gorge obstruée par une angoisse trop grande. Une détresse viscérale, abrasive, lui fit tourner la tête. Elle n’y arriverait jamais.
Tu ne mérites pas de deuxième vie, continua le murmure vipérin.
Il avait raison.
Le désespoir vrilla le cœur de l’élémentaire.
Il aurait mieux valu que ce soit elle.
La jeune femme ferma les yeux et, durant d’infinies secondes, le monde autour d’elle parut s’écrouler. La voix de Frédéric lui parvint de très loin, et elle s’y accrocha comme à un rocher au cœur de la tempête. « La peur m’empêche rarement de faire quelque chose » avoua-t-elle sans réfléchir d’une voix creuse, absente. Une semi-vérité, balancée pour lui permettre de reprendre pied. En réalité, la peur lui faisait sans doute faire tout un paquet de belles conneries. « Et tout ce dont vous parlez… » Elle rouvrit les yeux et fronça les sourcils, le cœur encore chancelant « Ce n’est pas de la peur. La première ? C’est de l’impertinence. Ou une familiarité mal placée. La deuxième… » Elle le foudroya du regard « … est clairement un instant d’égarement. La troisième, de la stupidité. La quatrième de la faiblesse, ou de la manipulation. Et la cinquième… » ses joues rosirent alors qu’elle évitait son regard « … n’a jamais été un problème. » Mensonges. Bravade. Mauvaise foi. Elide haussa les épaules. Du coin de l’œil, elle avisa la jolie sylphe qui les observait toujours, un air de ravissement béat sur son délicat visage alors qu’elle dévorait Frédéric du regard. L’élémentaire se retint de lever les yeux au ciel – c’était au moins la troisième à se retourner sur le passage du Spectre depuis qu’ils avaient quitté la boutique. Elle reporta son attention sur celui-ci et s’appuya contre un mur, grimaçante. « Je ne vois pas ce que la peur vient faire là-dedans. Mais peut-être est-ce vous, en fait, qui avez peur de toutes ces choses ? »
Frédéric LaFleur
Maison de la Flamme et de l'Ombre
Que pouvait-il répondre à cela ? Si ce n'est un rire. Un rire charmant, pétillant, de ceux qui font fondre les cœurs des amants, réchauffent ceux des amis, et transpercent ceux des détracteurs. Car il n'a rien de grinçant, c'était une pure expression de ravissement et de fascination. La sylphe, spectatrice curieuse, eut pu croire y voir là un ami qui veut remonter le moral d'une amie dans une mauvaise passe. Ce qu'elle ne pouvait voir, alors que le LaFleur remettait une mèche de ses cheveux obscurs en place, c'est le pli de bouche mesquin qui lui resta sur les lèvres... Et la perle de moquerie dans ses yeux bleus.
"Mademoiselle Evans, mademoiselle Evans ! s'amusa-t-il encore, à ses dépends. Cela aussi, je devrais l'enseigner aux Veilleurs, c'est cela ? Vraiment... ! Allons... ! Mademoiselle...! Tant de sérieux pour cela...! Il croqua une nouvel fois dans son fruit et reprit, un peu plus bas. Deux choses, très chère : si vous voulez que vos mensonges prennent, mettez-y un peu de conviction. Vous fuyez mon propos comme vos yeux les miens. Et puis... Une touche de vérité les rend toujours plus plausible. Cela vous aide justement a leur donner un peu de matière, plutôt que du vent."
A nouveau, il croqua, et cette fois prit le temps de faire entendre le supplice de la chair sucrée cédant, des sacs de sucs éclatant sous ses dents. 'Gloup', ce fut avalé, et tranquillement, le LaFleur vint se pencher, faire de l'ombre, à sa patiente si renfrognée. La distance polie qu'il avait maintenu jusque-là s'évanouit peu à peu, ne laissant plus guère de place à la fuite des regards. Les traits tirés de la jeune femme, son regard si dur et flanchant... Il lui renvoyait un cruel reflet, lui tout pimpant de vie et d'un intérêt soudainement trop intense, avec ses grandes mires pâles qui la fixaient sans honte ni timidité aucune. De baiser, il avait été question ? Il eut pu lui en voler un en inclinant la tête. Que pensait la sylphe maintenant ?
"Vous ne comprenez pas l'intérêt de mes propositions, Mademoiselle Evans, et cela m'en dit long. Votre petite vie semble vous avoir méchamment marquée. Comme cela est navrant. Vraiment. Pour que vous ne voyez pas l'attrait de titiller votre voisin, ce frisson innocent que peut avoir un enfant qui ne sait pas encore, qui n'ose pas encore, simplement, dire 'J'aime passer du temps avec toi.' Il en faut du courage, pour exposer ses sentiments, sa vulnérabilité. Mais... Si vous vous inquiétez plutôt des couteaux, cela ne me surprend pas. Ma chère assistante vous maternerait sans doute si elle avait ouï une once de tout cela. Moi, c'est tout autre chose qui m'intéresse... Il parvint à s'approcher encore, se courbant tel un grand corbeau en manteau, aussi élégant qu'inquiétant. Souffrez-vous assez, Mademoiselle Evans ? Un ton sec, puis amusé d'adolescent qui a trouvé une bête blessée à taquiner avec un bâton. Cet oubli, cette trahison que vous voulez éviter... Pour quel crime ? Quelle atrocité au nom de votre survie ? Avez-vous tué ? Avez-vous abandonné quelqu'un ? Et si vous m'en disiez plus, Mademoiselle Evans. Car après-tout, si vous vous refusez ces plaisirs innocents de la vie... Accepteriez-vous que je vous aide à vous flageller ? Vous savez... ! Comme ces religieux qui se lacéraient la peau, pour se punir des fautes de l'humanité entière ! Une peine perdue je dois dire, et, je vous rassure, cela n'est pas à mon goût. Par contre, si je peux vous aider à vous faire souffrir assez, pour qu'ensuite vous acceptiez de vivre, je vous y aiderais bien volontiers !"
La demande, aussi tordue soit-elle, le surprenait lui aussi, à vrai dire. Mais, il en avait tant entendu déjà, à son corps défendant, que pousser le bouchon, encore plus loin, lui semblait une solution bien plus intéressante que faire bêtement la sourde oreille. C'est qu'elle était agaçante à la fin, cette martyre silencieuse aux mimiques d'enfants !
Et lentement, une goûte de jus sucré lui glissait des lèvres, cherchant son point de chute, où se jeter dans le vide du monde...
"Mademoiselle Evans, mademoiselle Evans ! s'amusa-t-il encore, à ses dépends. Cela aussi, je devrais l'enseigner aux Veilleurs, c'est cela ? Vraiment... ! Allons... ! Mademoiselle...! Tant de sérieux pour cela...! Il croqua une nouvel fois dans son fruit et reprit, un peu plus bas. Deux choses, très chère : si vous voulez que vos mensonges prennent, mettez-y un peu de conviction. Vous fuyez mon propos comme vos yeux les miens. Et puis... Une touche de vérité les rend toujours plus plausible. Cela vous aide justement a leur donner un peu de matière, plutôt que du vent."
A nouveau, il croqua, et cette fois prit le temps de faire entendre le supplice de la chair sucrée cédant, des sacs de sucs éclatant sous ses dents. 'Gloup', ce fut avalé, et tranquillement, le LaFleur vint se pencher, faire de l'ombre, à sa patiente si renfrognée. La distance polie qu'il avait maintenu jusque-là s'évanouit peu à peu, ne laissant plus guère de place à la fuite des regards. Les traits tirés de la jeune femme, son regard si dur et flanchant... Il lui renvoyait un cruel reflet, lui tout pimpant de vie et d'un intérêt soudainement trop intense, avec ses grandes mires pâles qui la fixaient sans honte ni timidité aucune. De baiser, il avait été question ? Il eut pu lui en voler un en inclinant la tête. Que pensait la sylphe maintenant ?
"Vous ne comprenez pas l'intérêt de mes propositions, Mademoiselle Evans, et cela m'en dit long. Votre petite vie semble vous avoir méchamment marquée. Comme cela est navrant. Vraiment. Pour que vous ne voyez pas l'attrait de titiller votre voisin, ce frisson innocent que peut avoir un enfant qui ne sait pas encore, qui n'ose pas encore, simplement, dire 'J'aime passer du temps avec toi.' Il en faut du courage, pour exposer ses sentiments, sa vulnérabilité. Mais... Si vous vous inquiétez plutôt des couteaux, cela ne me surprend pas. Ma chère assistante vous maternerait sans doute si elle avait ouï une once de tout cela. Moi, c'est tout autre chose qui m'intéresse... Il parvint à s'approcher encore, se courbant tel un grand corbeau en manteau, aussi élégant qu'inquiétant. Souffrez-vous assez, Mademoiselle Evans ? Un ton sec, puis amusé d'adolescent qui a trouvé une bête blessée à taquiner avec un bâton. Cet oubli, cette trahison que vous voulez éviter... Pour quel crime ? Quelle atrocité au nom de votre survie ? Avez-vous tué ? Avez-vous abandonné quelqu'un ? Et si vous m'en disiez plus, Mademoiselle Evans. Car après-tout, si vous vous refusez ces plaisirs innocents de la vie... Accepteriez-vous que je vous aide à vous flageller ? Vous savez... ! Comme ces religieux qui se lacéraient la peau, pour se punir des fautes de l'humanité entière ! Une peine perdue je dois dire, et, je vous rassure, cela n'est pas à mon goût. Par contre, si je peux vous aider à vous faire souffrir assez, pour qu'ensuite vous acceptiez de vivre, je vous y aiderais bien volontiers !"
La demande, aussi tordue soit-elle, le surprenait lui aussi, à vrai dire. Mais, il en avait tant entendu déjà, à son corps défendant, que pousser le bouchon, encore plus loin, lui semblait une solution bien plus intéressante que faire bêtement la sourde oreille. C'est qu'elle était agaçante à la fin, cette martyre silencieuse aux mimiques d'enfants !
Et lentement, une goûte de jus sucré lui glissait des lèvres, cherchant son point de chute, où se jeter dans le vide du monde...
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
[TW – Deuil]
Une moue dubitative. Un regard sceptique. Un reniflement méprisant. De toutes ces réactions qu’elle avait imaginées, jamais la jeune femme n’aurait pensé que le rire en ferait partie. C’est pourquoi, lorsque le Spectre laissa glisser hors de sa gorge ce délicieux son cristallin, c’est tout d’abord une profonde stupéfaction qui anima les traits amaigris de la jeune femme. Puis, lorsqu’elle comprit que Frédéric se foutait d’elle, ses joues se colorèrent sous la morsure acérée d’une émotion bien différente : la honte. Sa tête recula, comme s’il l’avait frappée, et ses lèvres s’entrouvrirent sur une expiration dépitée. Mais quel connard… pensa-t-elle, désabusée. Son visage perdit le peu d’aménité qu’il avait gagné les minutes précédentes, et elle riva sur son interlocuteur un regard assassin – blessé, d’aucuns argueraient – alors que celui-ci lui débitait une nouvelle salve de saloperies.
Mademoiselle Evans.
Mademoiselle Evans.
Elide tressaillit – ce nom, il lui entaillait la poitrine à chaque fois qu’elle l’entendait.
« Ne m’appelez pas comme ça ! » gronda-t-elle d’une voix furieuse avant de fuir, une fois encore, le regard de son interlocuteur. Elle ne se soucia pas, ce faisant, de lui donner raison – elle préférait encore endurer ses moqueries plutôt que lui laisser entrevoir les ravages qu’engendraient ses provocations, qui profanaient un secret parmi ses plus précieux. L’élémentaire serra les dents, encaissant ces mots qui la martelaient avec la puissance des vérités trop brutes et qui, à chaque seconde, fendillaient un peu plus le masque de mépris qu’elle arborait tant bien que mal comme une armure.
Une amure qui se fissura brusquement lorsque le Spectre s’avança si près d’elle que la jeune femme sentit son souffle fruité lui caresser la joue. Elle ne l’avait pas vu approcher, tout occupée qu’elle était à justement l’éviter, et sa première réaction, tout à la fois logique et instinctive, fut de se reculer… contre le mur. Acculée, Elide n’eut d’autre choix que de lever les yeux et de les plonger – enfin ! – dans ceux du tailleur. Elle sentit son cœur bondir. Non pas parce qu’elle avait peur de lui, mais parce qu’elle craignait ce qu’il risquait de découvrir au fond de ses yeux. Son visage devint livide alors que la submergeait une détresse suffocante.
« Arrêtez, avec ce nom… » supplia-t-elle dans un souffle tandis que le Spectre reprenait son réquisitoire. Son cœur se serra davantage, broyé par l’étreinte d’une main invisible. « Je ne veux pas l’entendre. S’il vous plaît. » Evans. Evans. Evans. Son cœur se fracturait un peu plus à chaque syllabe prononcée par cette bouche vipérine. Mais Frédéric ne parut pas l’entendre et continua sur sa lancée. Il se baissa davantage, les enfermant tous deux dans une intimité étouffante. La jeune femme se plaqua contre le mur – elle aurait voulu pouvoir s’y fondre. « Arrêtez… » souffla-t-elle de nouveau en fermant momentanément les yeux. Elle voulait le fuir, lui et son regard par trop perçant. Mais, plus encore, elle ne voulait pas qu’il la voie. Elle ne voulait pas qu’il les voie, tous ces fantômes qui se devinaient en filigrane de chacun de ses mensonges. C’était les siens.
Est-ce que vous souffrez assez, Mademoiselle Evans ?
La rudesse de cette question lui fit rouvrir grand les yeux, harponnés instantanément par ceux de Frédéric. Captive de ces prunelles glacées, collée au mur comme un animal acculé par un prédateur dix fois plus gros, la jeune femme assista, impuissante, à sa propre crucifixion. Son cœur s’emballa et son ventre se tordit sous le supplice de ces coups qui enfonçaient à chaque fois un peu plus les clous de son Calvaire. Pas une seule fois, cependant, elle ne cligna des paupières, comme hypnotisée par le feu qui couvait derrière ce regard bleuté.
Car le serpent avait ferré la petite souris.
« Chaque jour » l’aveu sorti de lui-même, les réserves qu’affichait jusqu’alors l’élémentaire anéanties par la verve empoisonnée que distillait l’homme en face d’elle. Souffrez-vous assez, Mademoiselle Evans ? « Chaque nuit. Tout le temps. » Elle voulut détourner le regard, mais qu’importe où se posaient ses yeux, il était là. Sa poitrine frémit, comme prise dans un étau. « À chaque fois que je pense au fait que moi, je suis là, et eux non. À chaque fois que je revois leurs visages, que j’entends leurs voix. À chaque fois que j’entends ce nom de famille qui ne veut plus rien dire. Est-ce que vous savez, Docteur Lafleur… » ses yeux brillèrent, ses mâchoires se serrèrent « … que le plus gros mensonge qu’on nous ai jamais fait croire, c’est que le temps efface tout ? C’est faux, il n’efface jamais rien. Je les revois, tous, dans le moindre détail. De la teinte exacte de leurs cheveux à la couleur de leur cadavre. Je connais par cœur le timbre de leurs voix, et j’entends l’exactitude de leur rire au fond de mes rêves. Et puisque nous en sommes aux confidences, vous voulez savoir pourquoi je ne dors pas ? » Des larmes de rage coulaient silencieusement le long de ses joues creusées. « Parce qu’à chaque fois que je ferme les yeux, je les retrouve, comme s’ils étaient vivants. Mais que, quand je me réveille, sans eux, c’est comme s’ils mouraient une nouvelle fois. Alors je préfère ne plus jamais les revoir que devoir leur dire tous les jours adieu. Vous m’avez demandé quel était mon crime ? » Son cœur tambourinait jusque dans sa gorge, faisant trembler sa voix. « C’est de leur avoir survécu. À tous. À mes frères – Oslo, Liam, Kal, Fenris –, à mes parents. À tous. » Sa voix se fit sifflante, entre ses dents serrées. « Aujourd’hui, ils ne vivent plus que dans mes souvenirs. Si j’accepte de passer à autre chose, si leurs visages deviennent flous, si je ne me souviens plus de leur voix… Si je les oublie, si je les trahis … » Une fureur désespérée animait chacun de ses mots « … alors cela voudra dire qu’ils seront définitivement morts, et que c’est moi, qui les aurais tués. » Elle s’étrangla sur ces derniers mots. Pas une seule fois elle n’avait cherché à détourner son regard, au fond duquel dansait pourtant cette étincelle de folie traîtresse qu’engendrent des chagrins trop sauvages. Les yeux de la jeune femme se plissèrent alors que, sur la pointe des pieds, elle avançait son visage vers celui du Spectre dans une attitude affirmée de défi – leurs lèvres auraient pu se toucher, s’ils l’avaient voulu. La sylphe avait depuis longtemps décampé, déconfite par ce que la scène lui avait laissé supposer de leur relation. « Est-ce que c’est suffisant pour vous, docteur LaFleur ? » cracha Elide d’une voix qu’elle voulait venimeuse mais qui, même à ses propres oreilles, lui parut terriblement vulnérable. « Est-ce que c’est suffisant, à votre avis, pour que vous m’aidiez à souffrir ? Est-ce que c’est suffisant, pour que vous me flagelliez ? » Un unique sanglot remonta du fond de sa poitrine et déforma son timbre. « Sachez juste que, quoi que vous fassiez, vous ne le ferez jamais aussi fort que ce que, moi, je me fais déjà. »
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