Une rature. Le bruit désagréable d’une plume qui raye le papier, presque avec frustration. Les mots sont barrés, cette phrase n’aura jamais de fin. Un long soupir se fait entendre, dans une profonde frustration, ta réflexion semble aboutir à… Rien… Tu n’arrivais pas à trouver de suite, tu n’arrivais plus à écrire. Même si le désir était là, il y avait trop d’idées qui se perdaient, tout se confondait dans ta tête et tu n’arrivais pas à être satisfait. L’écriture était une passion chez toi, mais, écrire n’est pas toujours aisé, il y avait toujours ses moments où l’inspiration n’arrivait pas à prendre forme. C’est là le malheur de tout écrivain, même si c’était quelque peu irritant, tu étais habitué et dans ces moments-là, s’acharner ne servait à rien.

Sortir te ferait peut-être du bien ?

Tu posais ton regard sur la fenêtre, observant l’extérieur, apercevant ce temps si ensoleillé. Tu te levais de ta chaise, rangeais tes affaires parfaitement avant de te préparer à sortir. À ce mois de l’année, les températures restent assez élevées, mais tu portais malgré tout une tenue qui ne dévoilait que peu ta peau… Tu n’arrivais pas à laisser trop à découvert ton corps… La honte s’emparait, la peur de laisser toutes ces cicatrices visibles aux yeux de tous… Non, tu ne pouvais pas.

Tu ne voulais pas.

D’un pas élégant et lent, tu sortais de chez toi, la chaleur te frappant immédiatement. Ce n’était pas insupportable en soit, tu eus juste rapidement le réflexe d’ouvrir un peu plus le col de ta chemise... Mais bon, les rayons de soleil t’apportaient toujours un certain réconfort, caressant ton visage si pâle, rendant toujours plus éclatant, ta longue chevelure blanche. Tu entames alors une petite balade, même si rapidement, l’envie de boire un verre te saisit. Quelque chose de frais… Un petit plaisir, pour te rafraîchir les idées. C’est donc naturellement que tes pas te guident vers une taverne.

Le Shenjat.

Ce n’était point la première fois que tu y mettais les pieds, mais ce n’était pas non plus une habitude. Et puis… En général, tu vas boire accompagné, cependant, là, tu étais seul, sans avoir l’intention de t’incruster à une quelconque table. Non, en rentrant, tu t’es directement assis à une place au comptoir, posant ton regard sur le tavernier. Son visage te donne une étrange impression de déjà-vu…

Mais ce n’était sans doute qu’une impression.

« Bonjour, auriez-vous une boisson fraîche à me conseiller ? »

Tu lui souriais aimablement, machinalement, avec le ton le plus courtois possible.
Ah… Mais si seulement tu t’en rendais compte….
Si seulement tu arrivais à te souvenir…
Tu ne serais même pas venu ici, tu n’aurais pas osé poser un seul pied en ce lieu.
Oser lui adresser le moindre mot.

Tu ne peux empêcher ce sourire… Un sourire qui se dessine à la vue des gens qui rient, qui partagent un bon verre. Les tables étaient déjà plutôt animées à cette heure-ci, ce n’était pas désagréable en soit, cela rajoutait de la vie. Une ambiance chaleureuse et tu appréciais… Tu aurais pu t’incruster à une table, faire de nouvelles rencontres, mais… Non… Tu étais seul au comptoir, face à au tavernier. Tavernier dont… Tu ne connaissais pas le nom, tu n’avais jamais vraiment eu l’occasion de le voir en face-à-face faut dire. Malgré toutes ces années et tes quelques visites en ce lieu. C’était peut-être l’occasion de faire connaissance avec lui qui sait ?

Et bien…
L’ambiance entre vous deux semblait étrangement trancher avec le reste de la taverne.
Elle semblait étrangement tendue…

Tu lui avais adressé un sourire poli, un ton calme et pourtant… La façon dont il t’avait répondu te semblait bien froide. Tu n’as pas le souvenir d’avoir fait quoi que ce soit qui pourrait t’avoir mis sur sa liste noire… Tu t’es toujours bien comporté et tu as toujours été à une table qui ne posait pas de problèmes. Mais peut-être que tu te faisais des idées ? Oui, c’était sans doute ça.

« Bien que j’apprécie l’alcool, je n’en prendrais pas pour l’instant. »

Continue de sourire.
Reste courtois.

« Du jus de sultra m’ira parfaitement. »

Cache donc ton malaise.
Ne te pose pas trop de questions…

Tu n’aimais pas vraiment cette sensation, comme si quelque chose pesait entre vous. Tu restais observateur, et tu comprenais que quelque chose clochait. Sa façon de parler, sa façon de te regarder, la façon dont il avait besoin de reprendre sa respiration pour finir sa phrase.

Pouvais-tu vraiment croire que tout n’était qu’une impression ?

Tu avais du mal à oser faire la conversation avec lui, ses yeux te mettaient un peu mal à l’aise… Oh, pourtant, il y avait quelque chose de charmant dans ce bleu clair, à n’en point douter, mais... Tu avais l’impression qu’il t’analysait… Oh et tu n’aimais clairement pas ça. Le pécheur que tu es n’arrivait pas à le supporter. Tu étais incapable de garder le contact bien longtemps, tu préférais de loin porter ton regard sur… Les gens, la serveuse, Katy il te semble, sa bonne humeur était toujours agréable à voir, oh et sinon tu pouvais regarder les bouteilles ou bien… Le bois du comptoir…

« Vous semblez avoir pas mal de clients aujourd’hui, les gens aiment se rassembler quand il y a un beau temps pas vrai ? »

Mais il faut que tu continues de sourire.
Il faut que tu restes courtois.
Cache donc ton malaise.
Et surtout…. Ne te pose pas de questions…

« Je vous ferais signe dans ce cas.»

Le sourire sur les lèvres, tu restais toujours courtois alors que le tavernier tournait les talons pour préparer ta boisson. Toi durant ce temps, tu faisais taire toutes tes questions, tu te perdais sur autre chose, tu ne laissais pas tes pensées divaguer trop loin. Il serait embêtant de s’y noyer, tout comme tu faisais tout pour ne pas te noyer dans ses yeux. Lorsqu’il t’avait donné ton verre, tu maintenais cette distance, tu continuais de fuir ce regard qui semblait observer ton âme.

Cette âme si sale.
Si souillée.

Rien qu’en y pensant, tu avais un petit frisson qui te parcourait, et quelle avait été ta solution face à cette situation ? Tu essayais d’entamer une discussion, et tes mots étaient terriblement banals, c’était complètement ridicule. Mais ton malaise t’avait empêché de réfléchir à quoi que ce soit d’autre. Si tu pouvais au moins briser ce silence si pesant, tant pis si tu paraissais un peu trop simplet. Et puis cela semblait avoir marché non ? Il t’avait répondu, et tu étais parfaitement d’accord avec ces propos. Les journées ensoleillées comme ça paraissent toujours plus conviviales, le désir de profiter de ses amis, de sa famille…

Même si toi, tu n’avais plus personne.
Ton grand-père était mort il y a longtemps.
Et ta fille… Était un souvenir qui te faisait vivre.

En y pensant, ton sourire était devenu un peu plus triste, ton regard plus mélancolique. Les années n’arrivaient pas à effacer cette plaie… Mais bon, pas le temps pour te perdre dans ce pessimisme pas vrai ? Lorsque le tavernier s’accoudait au comptoir face à toi, tu fus immédiatement retiré de tes songes alors que naturellement, tes yeux avaient trouvé les siens. Cela t’avait perturbé, mais il serait malpoli de ne pas regarder ton interlocuteur pas vrai ? Alors tu prenais sur toi, tu cachais tout derrière ton joli masque.

Et tu garais ton sourire.
Malgré cet évident sarcasme et cette ironie dont il faisait preuve à ton égard.

Un petit rire gêné s’échappait de tes lèvres alors que tu prenais rapidement une gorgée de jus.

« Je ne dirais pas ça non. »

Un soupir.

« Certes, cela a ses difficultés, mais je suis avant tout, juste un homme. Haut-prêtre ou non, j’apprécie me rafraîchir. Ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. »

Tes yeux quittent finalement les siens pour balayer de nouveau toute la taverne, avec ce petit éclat à l’intérieur, cette petite lueur douce et bienveillante.

« Comme vous l’avez dit, un ciel bleu et des températures chaudes mènent à des journées conviviales, et votre taverne est un endroit chaleureux à n’en point douter. C’est un lieu agréable où j’arrive à me ressourcer et à retrouver de l’inspiration. »

Tu reprenais quelques gorgées, sentant ton corps se revitaliser, cela te faisait vraiment du bien, autant au corps qu’à l’esprit. Ah, la tension était toujours là, mais… C'était un peu mieux pas vrai ? La boisson aidait, c’est sûr, mais, finalement, une conversation arrivait à se faire…

Petit à petit, une discussion se créait, le malaise si présent semblait se dissiper, mais pas complètement… Il y aura toujours cette petite impression étrange… Au moins, tu sentais tes muscles se détendre un peu, tes épaules qui s’abaissaient, et ton cœur qui reprenait un rythme plus normal. Tu pouvais déguster un peu plus sereinement le jus, sans avoir un goût amer dans ta gorge. Qui sait, peut-être qu’après quelques minutes de plus, tu te sentirais complètement à l’aise en sa présence. Tu en doutais, mais tu espérais.

L’espoir fait vivre, pas vrai ?

Finalement, le gérant fut intrigué par tes mots, se demandant pourquoi tu avais parlé d’inspiration. Que faisais-tu en dehors de ton métier, de ton rôle en tant que haut-prêtre ? Il citait plusieurs idées qui lui venaient en tête, tu aurais pu lâcher un petit en t’imaginant peintre ou barde. Cela ne t’allait pas vraiment pas vrai ? Avec tes capacités si médiocres en dessin, tes œuvres seraient traitées comme des objets maudits ou des peintures réalisées par un enfant. Non, toi, si tu avais besoin d’inspiration, c’était pour écrire, déposer ta plume sur le papier, faire voyager, émouvoir les gens avec des mots. De simples jolis mots…

« Et bien... »

Mais en parler était un peu plus gênant... Même si ce n’est pas un secret…

« Je suis écrivain à côté… »

Qui sait peut-être qu’il avait déjà lu certaines de tes œuvres…. Si c’était le cas, tu ne saurais pas trop comment réagir…

Soudainement, les lieux devinrent plus obscurs, seuls quelques rayons de soleil passaient à travers les volets. Les bougies s’étaient simplement éteintes, rien de très alarmant en réalité et tandis que certains clients en riaient ou furent apeurés, toi, tu étais resté calme attendant que Katy rallume toutes les bougies. Néanmoins, un bruit fracassant vint perturber le brouhaha. Le bruit d’un verre qui se cassait en mille morceaux, juste à côté de toi. Tu avais l’ouïe fine, alors ce fut quelque peu désagréable, te permettant cependant de savoir son origine. D’où ça venait.

Derrière le comptoir.

Et la lumière était revenue dans la taverne.

Ton regard plongé dans celui du gérant, tu fus quelque peu surpris par sa soudaine demande, son intérêt si soudain à l’égard de ta religion.

« E-Et bien ça ne me dérange pas au contraire, mais d’abord est-ce que vous allez bien ? J’ai entendu un verre se casser de votre côté. »

Tu semblais réellement t’inquiéter pour lui, perturbé par son comportement, le fait qu’il ignorait complètement le verre brisé. Même si tu ne voyais rien derrière le comptoir, tu te disais qu’il ne devait pas être blessé, sinon il aurait réagi… Mais il n’essayait même pas de le ramasser… Non, ses yeux ne quittaient juste pas les tiens. Ils étaient plongés à l’intérieur de tes iris, et le malaise revenait t’immerger.

Que te disait ce regard de glace ?

« Hmm... Avez-vous besoin d’aide pour ramasser ? »

Quelque chose ne tournait vraiment pas rond…

Il était aisé de sentir que quelque chose n’allait pas. Il était aisé, de sentir que son regard, la façon dont ce bleu t’observait avait changé. Ses iris glacés qui ne te quittaient pas. Il semblait ailleurs, juste concentré sur ta simple présence, comme si à côté, plus rien n’avait d’importance. Les autres clients, le verre tombé à terre… Comme si, ces quelques minutes dans la pénombre avaient réveillé en lui un démon. Quelque chose, un souvenir, qui n’aurait pas dû ressortir.

« Je vois, tant que vous n’êtes pas blessé. »

Ah, si seulement tu étais capable de comprendre à quel point tes mots, étaient lourds. À quel point ils devaient paraître ironiques, stupides… Dissonants… Alors qu’en réalité, ils étaient si sincères, cette inquiétude sur ton visage, ce soupir rassuré, autant que ce frisson, ce malaise qui restait accroché à ta peau. Mais voilà, si tu pensais pouvoir reprendre des gorgées de ta boisson, te rafraîchir, faire comme si de rien était et te persuader que tout n’était qu’une impression… Voilà que le tavernier s’inquiétait finalement de ta personne. Il te dit que tu as dû avoir peur à cause de cette bourde animée, que prendre l’air ferait du bien.

Tu n’avais pas eu peur.
Tu n’avais pas spécialement besoin de sortir.

Sa proposition était un peu étrange, mais peut-être que le gérant de la taverne prenait simplement soin de sa clientèle ? Qui étais-tu pour refuser cette… Bienveillance ?

« Et bien, pourquoi pas oui. »

Puis, prendre un peu le soleil n’avait jamais rien de déplaisant… Cependant, tu te doutais plus ou moins que, s’il voulait t’accompagner dehors, c’était sans doute pour autre chose. Tu as certes bien changé, mais c’est justement parce que tu as appris bien des choses par le passé, que tu pouvais te rendre compte de certaines choses. Tu n’étais pas devenu stupide, tu n’étais pas naïf. Il fallait rester prudent, ça, tu l’as appris à de nombreuses reprises, et ce, à tes dépens.

Tu sortais dans la partie extérieure de la taverne avec lui, à l’abri des regards, là où personne ne pouvait vous entendre ou vous voir en cet instant. Vous étiez juste tous les deux, et tout semblait si calme, si silencieux. Ne rendant alors que l’atmosphère plus pesante. Tu la sentais encore plus, pas vrai ?

Cette tension entre vous deux.

Ton regard se pose sur lui, l’observant finement, tu lui offrais toute ton attention, autant que tu faisais discrètement attention à ses moindres faits et gestes.

« Sans le brouhaha à l’intérieur, tout paraît bien plus calme, n'est-ce pas ? »

Tu n’avais pas spécialement envie de tourner en rond, tu ne savais pas ce qu’il voulait, était-ce par rapport à ta religion, autre chose, avais-tu eu un comportement déplacé ? Tu ne savais pas, mais il te fallait des réponses désormais.

« Vous… Vous voulez me parler de quelque chose en particulier ? »

Tu ne devrais pas aller sur ce chemin.
Tu ne te rendais pas compte à quel point il était épineux.
À quel point il était dangereux.

Un soleil doux, un vent qui caresse ta peau délicatement, les couleurs de la cité. C’était une belle journée, c’était une journée calme… Mais ça, tu n’y croyais plus trop pas vrai ? Il semblerait que le destin, que les Dieux voulaient qu’il y ait un peu piment… Non, ce serait plutôt de l’amertume, un goût bien trop désagréable qui ne parvenait pas à partir. Un passé que tu ne pensais pas prêt à te rattraper après toutes ces années. Un passé qui arborait un sourire que tu ne parvenais pas à décrire. Ce regard froid t’était hostile oh, ça, tu pouvais aisément le dire. Mais ce rictus sur ses lèvres ? Non, tu ne parvenais pas à comprendre ce qu’il signifiait, tu ne pouvais que rester sur tes gardes attendre d’entendre ce qu’il avait à te dire. Attendre cette petite question qu’il semblait tant vouloir te poser.

Tu ne pus t’empêcher de reculer d’un pas lorsqu’il s’est avancé vers toi.
De ressentir un profond malaise, comme si un serpent tentait de s’enrouler autour de toi pour mieux t’étouffer.

Tu te sentais comme une proie.

Et un nom sort de ses lèvres.
Juste un nom qui semblait tant te perturber.

Si cela te disait quelque chose ? Oh oui… Oh que oui, mais il fallait que tu y réfléchisses, que tu parviennes à retrouver son origine. Pourquoi ça te paraissait familier. Ah. Ça y est, les images s’enchaînent dans ta tête, tout s’enchaîne trop vite. Tu reçois cette demande, ce contrat que tu avais signé, où deux noms étaient marqués sur le papier, deux photos de jeunes jumeaux.

Aziraphale et Rampa Hakmarrja.

Comment oublier ces enfants que tu avais épargnés ? Comment oublier ce moment où ta lame avait été si proche d’un pauvre ado, alors que tu avais vu toute son envie de te tuer dans son regard, alors que son frère, paniqué avait tenté de le sauver. Ta lame qui a tremblé, tes actions remisent en question…

C’était donc ça.
C’était pour ça qu’il te disait quelque chose.

Ah, ton corps frissonne, ton cœur s’accélère, un battement effréné alors que tu fais tout ton possible pour rester calme. Pourtant Lacrima, ton visage, tes yeux, tout chez toi exprime un choc, des doutes, des regrets, trop de sentiments qu’on ne pourrait décrypter.

Un silence.

Tout d’un coup, tu baisses ta garde, ta main qui était prête à dégainé ta dague pour te défendre se détend complètement.

« Oui… Je connais ce nom… »

Et bien le jeune garçon avait bien grandi, plutôt normal que tu aies eu tant de mal à le reconnaître. S’il ne t’avait pas dit son nom, tu n’aurais jamais su. Ah, quelle ironie. Tu allais boire durant des années dans la taverne d’une de tes victimes. Et aucun de vous deux ne s’en était rendu compte jusqu’à ce moment…

« Et donc Aziraphale Hakmarrja… »

Ton regard est ancré dans le sien, tu n’as pas le droit de détourner le regard, tu en as conscience. Même s’il ne connaissait pas ton nom. Il n’avait sans doute jamais oublié ton visage dans la pénombre.

« … Veux-tu simplement me rappeler qui tu es ? »

Les formalités ont disparu, ça ne servirait pas à grand chose.

« Je ne pense pas. »

Dans ce monde, souhaitait-il se venger ? Te tuer ? Même si cela voulait dire être condamné derrière ? Tu ne savais pas vraiment, tu attendais de voir, de l’entendre… Mais tu ne te laisserais pas faire s’il tente quoi que ce soit.

Tu as un rêve à réaliser.
Ton heure n’est pas encore arrivée.

Il n’y avait rien pour décrire ce que tu ressentais.

Pas un mot.

Qu’est-ce que cela faisait de revoir une ancienne victime ? Quelqu’un que tu avais essayé de tuer alors qu’il n’était qu’un ado faisant tout son possible pour survivre avec son jumeau. Un ado qui avait perdu ses parents, un ado poursuivit par les dettes de ses parents… Oh, tu en savais des choses sur lui, dans ton ancien métier, il était obligatoire de se renseigner, un chasseur ne tire pas à l’aveugle pas vrai ? L’histoire d’Aziraphale… Tu en connais une partie… Tu savais les difficultés qu’il a dû affronter.

La douleur de se faire poignarder…

Les regrets ne te quitteront jamais… L’horreur de ton passé ne pourra jamais t’être arraché… Ce que tu avais fait, rien ne pourra être effacé. Mais c’était justement pour ça que tu devais le regarder droit dans les yeux. Tu n’avais pas le droit de détourner le regard… Tu l’avais fait trop de fois à l’époque, face à des cadavres, à des vies que tu avais prises, à des familles détruites…

Il a tout perdu à cause de toi.

Tu le savais…

Cette cicatrice au torse.

C’était toi qui l’avais faite.
C’est toi qui l’as marqué à vie.

La mort de Rampa.

Tu ne l’avais pas tué…
Mais difficile de répliquer, pas vrai ?

Tout était de ta faute.
À ses yeux, tu étais la cause de tous ses maux.

Soudainement, il dégaine sa lame, caressant dangereusement ton cou, au moindre mouvement, il pouvait t’égorger, te prendre la vie. Pourtant, tu n’avais pas reculé, tu étais resté debout, face à lui, face à cette animosité, cette rancune, cette rage qu’il contenait. Le démon était si proche de toi, avec le terrible désir de t’arracher ton cœur battant. Et tu restais silencieux, alors qu’il te balançait la vérité à la face. Tu serrais les dents, tu serrais les poings, tu prenais sur toi… Et ça ne finissait pas… Alors que sa voix montait…

Il te demande de répondre.
Il veut des réponses…

« Détourner les yeux serait lâche. »

Ce serait fuir.

« Ensuite, laisse-moi d’abord te dire que je n’ai pas tué Rampa Hakmarrja, mon contrat a été annulé le jour où je vous ai laissé en vie, et pour information, dans le métier, il est rare qu’on offre une deuxième chance. »

Enfin, tu ne pouvais pas non plus lui en vouloir. Comment pourrais-tu ?

« Sache que… J’ai parfaitement conscience que mes mains sont tâchées de sang… Je suis la meilleure personne pour le savoir… Tout comme je sais que je ne pourrais jamais expier mes péchés. »

C’est dur à dire…
Mais c’était la vérité.

« Je cherche à me racheter, c’est vrai, je ne peux pas prétendre le contraire. Cependant, tout le monde a le droit à une seconde chance, la plupart des gens viennent en ce monde pour cette raison. »

Ta main vient saisir la lame sous ta gorge, la laissant traversée le tissu de tes gants, jusqu’à toucher ta peau, à transpercer ta chair laissant un liquide rouge couler tout le long de la dague.

« Si je ne t’ai pas tué, toi ou ton frère, c’est parce que je n’ai pas réussi tout simplement. Je n’en ai pas été capable. J’ai tremblé parce que j’ai remis en question mes actions, parce que j’ai douté du chemin que j’avais emprunté. »

La douleur se propageait dans tout ton corps, de tes doigts, de ta main jusqu’à ta tête, bourdonnant péniblement dans ton esprit.

« Voilà pourquoi. »

Et tu t’approches d’un pas vers lui, aussi tremblant que déterminé.
Le visage, le regard ravagé par plein d’émotions.

« Et donc vas-tu me tuer ? Vas-tu te venger ? Avoir le plaisir de prendre la vie d’un assassin qui a tué des dizaines et des dizaines de personnes ? Qui a ruiné des familles entières ? »

Ton cœur joue du tambour, il résonne toujours de plus en plus fort.
Sans s’arrêter.

Ce rythme succombe à tes émotions, à ses sentiments que tu ressens si profondément. La musique ne peut pas se terminer, l’instrument n’est pas capable de trouver la dernière note à cette cacophonie.

« Tu ne le feras pas, car tu n’es pas venu à Azamyr pour mourir. »

S’il voulait te tuer, il aurait dû le faire quand tu n’avais plus le désir de te battre, quand tu pensais te noyer dans le désespoir il y a des années de cela.

Voilà sous tes yeux, le démon que tu as engendré.
Voilà la forme de tes péchés.

Tes mots devaient sans doute lui paraître terriblement vides, dénués de sincérité, de simples excuses qu’on s’accorde, qu’on crie pour tenter de se faire pardonner, pour être épargné. Mais toi, tu ne cherches pas à l'être… Tu cherches à faire face, peu importe si cela lui déplaît. Tu supporteras sa haine, tu supporteras sa rage. Tu l’avais accepté, dès l’instant où tu avais appris qui il était. L’instant où tu avais entendu son nom… Un nom oui, c’était précieux, et tu ne méritais pas de dire celui de son frère, tu n’avais sans doute pas le droit.

Tu l’avais traumatisé.
Et ce garçon méritait de reposer en paix.

« Tu as raison, je m’excuse, je n’aurais pas dû me le permettre.»

Et puis, tu décidais de toi-même verser du sang. Le tien. Faire un pas vers lui, te rapprocher de ce prédateur prêt à massacrer sa proie par pur instinct. Un prédateur qui ne pouvait que contenir sa colère parce qu’il ne souhaitait pas mourir, il ne s’en donnait pas le droit, ça, tu l’avais bien compris. Et ce chien enragé n’était pas capable de te comprendre, il n’en avait pas l’envie. Tu n’étais qu’à ses yeux le mal incarné, un homme de péché qui ne méritait pas de seconde chance, qui aurait dû mourir, contrairement à Rampa…

Ah…
Ses mots…

Pourquoi tu les comprenais ?
Pourquoi tu avais de l’empathie ?

Si tu avais pu mourir à sa place… Si elle, seulement, elle avait survécu, tu serais heureux.
Mais oui.
Toi, tu es là.
Elle, non.

Tes pensées sont arrêtées par la lame retirée violemment de ta main, laissant une entaille profonde dans ta chair. La douleur était forte, te faisant grimacer, et tu l’insulterais si tu ne te contenais pas. Mais tu ne peux pas, tu restais incapable de lui donner complètement tort. Au fond, tu as toujours un peu douté… Mais tu te continues, tu te bats contre tes démons, tu essayes réellement d’avancer. Ce n’était pas lui qui allait t’en empêcher. Même si ses paroles te font trembler, elles font trembler tout ce que tu as gagné à Azamyr.

Autant qu’elles te font rire.

« L’Enfer ? »

Ah, tu avais un regard bien froid… L’assassin n’avait pas perdu ces yeux à glacer le sang, mais peut-être que cela s’accentuait plus avec leur couleur désormais si particulière et hypnotisant. Ça contrastait tellement, avec ton apparence si immaculée, si blanche et pure.

« Car tu crois que je n’y connais rien ?»

Tu y as déjà mis les pieds depuis longtemps. Tu t’y baignes encore bien trop souvent, dans ton esprit torturé et brisé, aussi immonde que cruel, plein de désespoir et de regrets. Mais soit, sa réaction restait normale finalement, c’était un homme qui rêvait de vengeance, qui avait la frustration de ne pas pouvoir t’étrangler maintenant, de ses propres mains. Tu devais laisser passer ça, d’un simple soupir.

« Qu’importe… Pour en revenir à ce que tu as dit, et bien, tu n’as pas à me comprendre, je ne te le demande pas. Tout comme tu as raison, ton frère ou bien d’autres mériteraient plus la vie que moi, c’est certain. »

Lys…
Si seulement…

« Mais, rien ne pourra les ramener, le passé ne peut pas être changé malheureusement. »

Même si tu ne l’accepteras probablement jamais.
Que la plaie restera toujours ouverte.

« Ton frère est mort, et c’est en partie de ma faute oui. Le jour où je vous ai attaqués, j’ai dévoilé votre cachette à ceux qui voulaient vos têtes. Vos parents avaient beaucoup d’ennemis, je n’étais qu’un assassin parmi tant d’autres, mais je suis celui qui vous a trouvé. Forcément, que ça a tout déclenché… »

Tu regardais ta main blessée, complètement ensanglantée, avec la chaleur liée à la douleur qui continuait de se propager dans tout ton corps.

« Quelqu’un aura fini par retrouver l’un des deux jumeaux. »

Car tu savais que quelqu’un l’avait assassiné.
Sa mort n’était pas un malheureux accident.
Mais une conséquence des dettes de ses parents.

« Et dire que j’en suis désolé ne me donnera jamais le pardon… J’ai des regrets, j’en aurais à jamais, et si ta présence en ce monde est pour me faire payer ce que j’ai fait le temps que la mort vienne me chercher... »

Un bien triste sourire s’affiche sur ton visage.

« Je l’accepterais… »

Peut-être qu’il n’y a pas de place en ce monde pour le pécheur.
Peut-être qu’il n’y aura jamais de lumière pour le coupable.
Seule l’ombre d’un esprit vengeur.
Les conséquences inévitables…

Aziraphale avait tous les droits de te haïr, la peine, les blessures que tu lui avais accordées, infligées, rien ne pourra jamais réparer ça pas vrai ? Pourtant, si ses mots étaient durs à entendre, sans doute plein de vérités… Il y avait des choses qu’il ignorait et cela t’agaçait… T’envoyer en Enfer alors que tu y as vécu une majeur partie de ta vie ? Il n’était pas le seul à avoir tout perdu, à avoir été séparé de force de la personne la plus chère à nos yeux… Enfin, tu ne pouvais pas lui dire ça pas vrai ? Après tout, malgré tes peines, tu avais malgré tout suivi un chemin bien épineux et rempli haine et de vengeance.  

Ton regard ne le quitte pas.
Un regard si froid et si intense.

Il n’était plus ce gamin crédule et faible, c’est vrai. Il n’y avait qu’à le regarder, il était légèrement plus grand, bien bâti, comme si en un instant, il pouvait te briser la nuque à la force de ses bras. Le garçon avait grandi, il était devenu un tavernier sans aucun doute prospère et apprécié. Un homme ferme et avec plus de caractère… Plus de caractère ? Faible ? Oh physiquement à l’époque oui, sinon… Tu n’avais pas oublié la façon dont il t’avait regardé comme s’il voulait t’arracher les yeux… La façon dont il avait parlé alors que ta lame s’apprêtait à lui prendre la vie.

Ces yeux plein de haine ne l’ont toujours pas quitté.

« J’imagine que tu n’es plus cet adolescent… Sinon, malgré ta haine, je t’aurais vu trembler comme la dernière fois. »

Un soupir.

« Et si tu étais trop naïf, tu aurais tout de suite tenté de me tuer… Si tu étais trop stupide aussi… »

Le contact visuel ne se défait pas.

« Même si tu passes toujours à côté de certaines choses. »

Tu l’écoutais parler, te dire qu’il te hantera jusqu’à ta mort, que c’était évident. Soit, tu ne l'acceptais pas vrai ? Tu comptais vivre avec… Mais il rajoute quelques morts fort désagréables…

Si tu arrivais à te regarder dans la glace ?
Oh…
Oh, si tu pouvais tuer ce reflet, l’étrangler de tes propres mains, tu le ferais…

«... Qu’est-ce qui te dit que j’y arrive… ? »

Un visage bien sombre, bien triste, il était évident que tu étais déjà ravagé par la culpabilité.

« Mais bon, est-ce que la réponse t’importe vraiment ? Tu as dit ne pas vouloir me comprendre, n’est-ce pas ? Ou bien cherches-tu simplement à savoir ce qui pourrait me tourmenter ? »

Ton regard quitte enfin le sien pour se reporter sur ta main baignant de sang, tu observais la plaie profonde et sortais un mouchoir de ta poche pour faire un petit garrot afin d’arrêter au plus vite le saignement. La douleur est peu supportable pourtant, tu restais malgré tout très calme…

Il n’était plus un gamin, ce souvenir malgré tout ancré à toi, tu étais forcé de constater ce qu’il était devenu. Tu étais forcé de remarquer sa force physique, sa force mentale… Il n’était plus tremblant oui… Il ne tremblera plus jamais devant toi ? Oh… Mais il n’avait pas à le faire… Après tout, même s’il ne le croit pas, que ton regard si froid n’aide pas, tu avais définitivement changé. Tu n’étais plus le même homme, ton passé été sanglant et pourtant, tu cherchais à en sortir, à trouver un chemin où les fleurs ne seront pas uniquement teintées de rouge… Mais cela l’accepterait-il ? Pourrait-il le comprendre ? Il désirait te hanter jusqu’à la fin de tes jours, te tourmenter et te faire vivre l’Enfer, te faire payer pour tout ce que tu as fait.

Mais voilà qu’il te dit que là maintenant, sa question n’était que de la curiosité.
De la simple curiosité…

Comment un assassin, un tueur, arrive à tenir une religion comme celle-ci ?
Ta tête tourne… Était-ce à cause du sang que tu avais perdu, de la douleur ?

Est-ce que cette religion a des secrets comme toi ?
Pourquoi tu serres autant les dents et les poings ?

Est-elle aussi baignée dans le sang ?
Pourquoi ce regard rempli d’une haine si profonde ?

« Mon passé est sanglant, pleins de secrets, mais cela n’a rien avoir avec ce en quoi nous croyons. Le Prieuré des Dieux n’a rien de différent des autres religions ici, nous pensons simplement que chaque divinité de ce monde mérite amplement de la reconnaissance. Il n’a rien de sanglant, d’aussi perfide que ma personne et que mon histoire. Je t’interdis de profaner nos croyances à cause de moi. Et je le répète, et le dirais encore... »

Tu devais te calmer Lacrima…

« Je ne suis plus un assassin. Ne parle plus jamais comme si j’en étais encore un. »

Tu forces un soupir pour essayer de ne pas laisser trop tes émotions t’envahir. Tu es plutôt nerveux de base, c’était un véritable combat… Il y a quelques années, tu te serais complètement emporté et tu l’aurais sans doute frappé sous l’impulsivité. Oui… Tu es impulsif… Tu cherches à changer ça… Tu veux changer… Vivre différemment… Vivre…

Y avait-il une seule raison pour qu’il ne te tue pas ?

Lorsque cette question traverse ses lèvres, la colère semble diminuer… Tes yeux se perdent vers le ciel bleu et ensoleillé, un bien trop grand contraste avec votre discussion, avec votre lourd passé.

« Je n’oserais jamais utiliser ton frère pour ce genre de choses. »

Tu prenais un temps de réflexion avant de poser de nouveau ton regard sur lui.

« Malheureusement, je sais ce que c’est de vouloir se venger. Lorsqu’on nous arrache ce qu’on a de plus précieux, est-ce qu’une quelconque excuse peut prendre du sens ? Peut-elle être seulement entendable ? »

Tu y avais déjà succombé. Tu t’étais transformé en monstre, tu avais massacré les coupables jusqu’à leurs proches, tu avais répandu le sang comme si c’était ta seule délivrance.

Délivrance ? Oh non…

« Même si se venger n’apporte à la fin qu’un plus grand vide… »

Tu fermes les yeux quelques secondes, avant d’inspirer profondément.

«… Vois-tu… Je pense que la situation actuelle est plus complexe qu’il n’y paraît. Parce que tu éprouves malgré tout de la curiosité à mon égard… Je ne mériterais sans doute jamais de seconde chance à tes yeux, et je ne te demanderais jamais de m’en accorder, pas à toi… »

Et donc, n’allais-tu vraiment pas chercher à le convaincre ?

« Comme dit, je n’ai pas de raison à te donner… Car mes mots n’ont pas de valeurs à tes yeux, je le sais… Alors, fais-toi simplement ta propre idée. Décide par toi-même pourquoi tu ne me tueras pas. Moi, je sais simplement que je ne me laisserais pas mourir, j’ai mes propres raisons d’être ici, ce n’est pas toi qui m’en empêcheras.»