Visite Nocturne - Ft. Eve
Malgré toutes les horreurs que cela pouvait parfois provoquer, il y avait bien un point positif aux crises de Neldris : une fois fini, Vane avait le contrôle pendant un moment.
Une fois le dispensaire loin derrière lui, le Fae avait profité de la journée pour déambuler dans les rues. Il s’y aventura avec le zèle d’un gamin des rues découvrant son nouveau terrain de jeu. Son entrevue avec la sorcière fut un franc succès (selon lui). La petite crise de Neldris avait eu quelques points positifs, notamment le fait d’illustrer à merveille le côté instable du tatoueur. Bien sûr, la démonstration n’avait pas été sans risque, car la sorcière avait bien failli fini en sculpture de cire. Fort heureusement, elle s’était montrée suffisamment vaillante pour tenir tête au taré, qui, une fois déstabilisé, avait laissé Vane prendre le relai sans trop de difficulté. Évidemment, le Fae n’avait pas eu droit à son petit bisou gorgé de magie, mais il n’en tenait pas rigueur à la jeune femme.
Maintenant qu’il avait le contrôle de la situation, et il comptait bien profiter d’un bol frais mérité, laissant Neldris sombré dans un coin de son esprit jusqu’à la prochaine Lune. Ce que Vane notait, c’est qu’il avait à présent tout le luxe de profiter de sa prise de contrôle, et qu’il pouvait savourer la sensation de liberté offerte par une vulgaire promenade. Avoir le second rôle n’était pas une chose évidente, Vane devait souvent se contenter de prise de contrôle trop peu nombreuse pour son propre bien être. Il savait que tôt ou tard, sa position de simple « remplaçant » finirait par le rendre complètement fou (si tenté qu’il ne l’était pas déjà). Le problème, c'était que se débarrasser de Neldris n’était pas aussi simple qu’il l’aurait voulu. Vane aurait aimé pouvoir prendre son double par surprise au détour d’une ruelle et le larder de coup de couteau… Ensuite, il n’aurait eu qu’à balourder le corps dans un coin et laisser la vie reprendre son cours. Cependant, poignarder Neldris s’apparentait plus à une tentative de suicide qu’à un véritable meurtre en bonne et due forme.
Durant son aventure dans les rues, le Fae s’était amusé à se cacher ou coin des maisons, à explorer les arrière-cours et… Voler des vêtements séchant sur un étendage. Jusqu’ici, cela n’avait rien d’anormal pour une personne telle que lui. La journée défila à vue d’œil et la nuit s’installa finalement, laissant Vane perdu dans un quartier qu’il ne connaissait pas.
Comme il fallait davantage qu’un dédale de maisons à la tombée de la nuit pour impressionner l’explorateur en herbe, celui-ci continua, bravant clôture et autres murets. Il tomba finalement sur un portail clos, mais deux battants fermés ne suffiraient pas pour l’arrêter, il escalada l’ouverture comme si sa vie en dépendait, puis il se laissa retomber de l’autre côté.
Le Fae était tombé sur un petit jardin, enfin, « petit » n’était certainement pas le mot le plus exact pour décrire ce qu’il voyait. Voyant parfaitement dans l’obscurité, il ne rencontra aucune difficulté à progresser, néanmoins, un excès de zèle lui fit poser un pied un peu trop près du bord d’un cours d’eau. La terre céda sous le poids du Fae qui roula malgré lui dans la flotte.
— Putain de bordel !
Finit-il par vociférer en se redressant à moitié trempé.
— Pourriture de saloperies d’enflures de conneries ! C’est vraiment d’la merde les explorations nocturnes !
Les grilles étaient fermées depuis un petit moment, mais l'envie de sortir pour aller chasser n'était pas encore venue. Regardant le résultat de deux ans de travail, je laisse mes yeux parcourir les feuillages lumineux du verger enchanteur qui laissent entrevoir quelques mobiles spirituels pour personnes endeuillées. Ici une cascade de gouttes de cristaux, là une orbe noire comme l'encre, les objets servant à recueillir le deuil était propre à chacun. Chaque histoire valait sa "stèle", mais pas question d'ériger des cailloux partout. Ici on était poète, ou on partait rapidement, visiblement l'esprit trop étriqué pour voir autre chose qu'un parc décoré de fioritures de toute sorte.
Égrainant distraitement une paleberge dans une petite bourse qui finirait en bocaux de pickles pour remplir les panses de mes concitoyens, je ne fais d'abord pas attention au bruit glissant au mur, persuadé que le visiteur en retard finirait par maugréer, comme cette infime partie de gens qui pensent que comme je suis une vampyre je devrais être à leurs bottes à chaque minutes, toujours dans mon jardin qui devrais d'ailleurs être toujours ouvert... Mais non. J'ai une vie, moi aussi, et bien remplie en plus!
D'ailleurs, le bruit a disparu. Je finis par accrocher mon petit pochon sur les cordelettes de ma ceinture, me relève et arrête mon geste en entendant la première grossièreté venant du verger. Tiens? Les visiteurs osant passer le mur n'était qu'un petit pourcentage, cependant avec l'incendie des réserves, la tension générale et la peur de manquer, certains tentaient tout de même leur chance pour piller les maigres fruits restants. Il me faudrait une vachette de compagnie et de garde, calme à mes côtés et chargeant les autres... Une investissement peut-être, si elle ne détruisait pas elle-même les cultures et que le Conseil me laisse faire rentrer un animal aussi gros dans les murs. Pourquoi Onézys étaient les seuls à avoir droit de garder les gros bestiaux?
Je me glisse donc entre les arbres qui n'illuminent pas les chemins (connaissant par cœur les recoins que j'arpentais pluriquotidiennement, et suivant les injonctions enragées avant d'arrêter mon regard sur l'agréable silhouette, amusée. "Si tu n'aimes pas ça, tu n'étais pas obligé de passer le mur. Le pavé n'était peut-être pas assez clair comme chemin de navigation?" Je demande, taquine. "Si tu viens chercher de quoi manger, je suis au regret de te dire qu'on m'a acheter les derniers aliments il y a quelques jours, même les expérimentaux. Ne reste que des trucs pas mûrs. Cela dit, si tu viens la semaine prochaine ce sera prêt..." Je souris de toutes mes petites dents de vampyre, presque d'un air Innocent. "Besoin d'aide pour sortir ?"
— Ouais, c'est ça, désolé de rajouter un peu de danger en naviguant en eau trouble… Foutus gardes cotes à la mie de pain.
L’envie de tendre son majeur en direction de son interlocutrice lui traversa l’esprit. Cependant, il n’en fit rien, conscient que cela n’allait pas jouer en sa faveur. Vane avait bien conscience qu’il avait fait irruption chez quelqu’un, et de nuit en plus. Bien sûr, le Fae n’avait pas fait cela dans le but de voler ou d’observer une belle inconnue sous la douche en s’accrochant au rebord d’une fenêtre. Comme tout rebelle, Vane n’aimait pas suivre les règles, suivre les pavés était une forme de règle alors… Voilà toute l’affaire.
— Tu trouves peut-être que j’ai la tête du gars qui vient faire son marché ?
Vane doutait fortement de cette possibilité, lui tout droit sorti de nulle part, à moitié trempé, venu chercher des fruits météores ? Drôle d’idée. Néanmoins, la belle tapait juste sur un point, à force de faire l’abruti en ville, la fringale se faisait ressentir. Quand on ressemblait à l’autre abruti, tout juste bon à rester assit et fixer un mur toute la journée, forcément la faim ne se faisait pas ressentir. Mais, lui, le meilleur des deux, il savait se dépenser. Comme tout moteur, il avait besoin d’un carburant pour fonctionner, et vu la putain de machine qu’il était, il ne risquait pas de faire le plein à l’eau claire.
Normalement, l’histoire devait s’arrêter là, bonjour, au revoir, mes salutations distinguées et le Fae opérait gentiment un demi-tour. L’histoire aurait dû s’arrêter là.
Mais, voilà, ainsi planté devant lui, tout sourire, il n’avait pas fallu longtemps au Fae pour remarquer les quatre canines qui lui rappelaient un mauvais souvenir. Cela confirmait bien ce qu’il avait entendu un jour ; plus c’est petit et mignon, plus c’est un envoyé du diable.
— Putain… Putain de nom de dieu, en voilà une autre de dents longues.
Comme l’autre allumée qu’il avait croisé des mois plus tôt, celle qui avait bien failli bouffer le « pauvre » Neldris parce qu’elle avait un petit creux. Même plus besoin de chasser, voilà que la proie venait se perdre toute seule dans le jardin. Quelle exploration à la con, quelle nuit à la con, il aurait mieux fait de rester nettoyer la poussière sous le lit de Galatea.
— Okay bouille d’amour. Range-moi ton râtelier avant que j’en fasse un collier. On va garder nos distances, t’arrête de sourire comme si j’étais au menu, et tout se passera bien, pour toi.
Mes yeux passent de haut en bas du fae détrempé, essayant de faire le tri entre un amusement non feint et une curiosité à toute épreuve pour l'intrus qui refaisait le fond de la rivière. Peut-être était-ce le bon moment de réessayer les lunettes des Dessous, mais tout en pouffant à cette idée je la réfute, ne voulant pas passer pour la profiteuse de ce moment si gênant. à la place je penche la tête sur le côté, reluque un peu plus le mouillé et finalement demande: "Parce que les gens qui ont faim ont une tête particulière? Si c'est le cas je n'ai jamais remarqué."
Un sourire et je tends la main, prête à aider mon prochain presque pour m'excuser de me jouer de son sort, et à la place d'une mimine reconnaissante c'est une flopée de jurons qui sort de sa bouche pourtant mignonne. Je recule, hausse un sourcil et croise finalement les bras. "Oh le mec bleu, c'est pas bien de juger les gens sur leur espèce." et au lieu de reluquer les dessous du mignon je me fais police de la discrimination, vraiment on ne sait plus se détendre ici. "Je vois. Tu es le genre qui aime les femmes qui font la gueule tout le temps, à moins que ce soit les sans dents." Cela dit l'agressivité manifeste du jeune homme me fais reculer d'un pas avant de m'accroupir, gardant toujours à l’œil le bleu pataugeant.
"Su coup... Pourquoi avoir traversé le mur d'une vampyre si tu n'aimes ni les jardins, ni la bouffe, ni les vampyres?" Faut être un peu con sur les bords, mais ce n'est que ma maigre appréciation de la performance du râleur.
— Je fais ce que j’veux bouille d’amour, y’a qu’à me coller un procès au cul, du moins, si tenté que quelqu’un ait envie de s’emmerder avec ce genre d’histoire.
Il n’était pas question de discrimination, mais de survie. Même s’il n’y avait qu’un seul dans le jardin, lui au moins n’aurait pas commis la connerie de laisser les viandards en liberté. Ce genre de personne, il fallait les garder à l’œil, tout sourire avec leurs canines saillantes.
Voilà que la mignonne se mettait à imaginer le genre de femme qui pouvait lui plaire. Le Fae fronça les sourcils, mais il resta néanmoins silencieux, du moins au début. Vane ne s’était jamais formalisé en matière « d’amourette ». Il était bien le premier à se considérer trop instable pour ce genre de relation. Le relationnel, c'était bien sympathique au début, se tourner au tour, flirter et tout ce qui s'ensuit. Mais jamais le Fae n’aurait laissé une routine s’installer, métro, boulot, câlin et dodo… Cette simple idée le faisait frissonner.
— J’préfère sans les canines surdimensionnées, si tu vois ce que j’veux dire.
Évidemment qu’elle savait.
À aucun moment le Fae n’aurait imaginé tomber dans le jardin d’une vampyre. Bien sûr, la faute lui revenait, il aurait pu contourner le mur ou tout simplement faire comme tout le monde et suivre la route mais… Non. C’était mal le connaître. Sa chemise trempée lui collait à la peau, et avec le petit vent froid nocturne, ça commençait à picoter. Tout en se plaignant, Vane retira sa chemise et la jeta au sol comme un vulgaire chiffon, de toute manière, elle était sûrement foutue.
— Ah oui ? Parce qu’il y avait une pancarte « chez Draculita » peut-être ?
Peut-être bien qu’il y eût un écriteau mentionnant que le jardin était fermé, son regard était sans doute passé dessus sans marquer le coup, mais s’il avait eu ne serait-ce qu’un infime soupçon, il aurait fait demi-tour.
— Et tu vas pas m’faire croire que t’as jamais contourné les règles. Tu vas m’dire que tu as jamais reluqué une gorge en te disant « yum yum » ?
Ce n’était certainement pas la question la plus finasse à poser, mais est-ce que le Fae s’en foutait ? Complètement.
Un procès?
Je regarde perplexe le bonhomme qui fait ses gros airs alors qu'il patauge dans la rivière, marmonneur comme jamais. Vu le nombre des habitants qui se méfiait de nos semblables, et encore plus depuis le début du mois, le Conseil n'aurait plus que ça à faire, sermonner les haineux. J'aurais pu me vexer, mais c'est plus de me faire traiter de bouille d'amour qui m' énerve. Je lui en foutrai bien moi, des bouilles d'amour...
Pourtant, je ne fais que hausser les épaules. Ce n'était qu'un naze mouillé avec des abdos, rien de plus qu'une belle plante de plus dans mon jardin. Il finirait par partir, sauf s'il prenait racine comme un nénuphar les pieds dans l'eau... "Déjà, être dans ton Quartier t'aurais évité ce genre de couille, mais à choisir tu as pris celui où tu avais le plus de change de croiser des croques veines. Et en pleine nuit en plus." On pourrait dire bien joué l'artiste mais si la fae n'était peut-être pas la truite la plus oxygénée du ruisseau son agacement suffisait à me rendre prudente.
Si j'avais déjà contourné les règles? Oh, quelques fois oui. Sortir à pas d'heure en évitant les veilleurs, jouer à la lutte grecque avec des vachampignons sauvages (ou non, qui peut savoir?), joué avec les expériences culinaires... Des trucs bêtes mais pas méchants qui sortaient de l'ordinaire. Mais vouloir croquer autrui ne m'étais jamais venu, autant que de savoir mon passé terrestre. "Je mange pas n'importe quoi." D'autres vampyres le faisait, mais la chasse avait au moins l'avantage d'être exhaltant. Chasser dans mon propre Jardin les pilleurs ou les va nu pieds n'aurait aucune saveur... Mais je n'avais aucun compte à rendre au bellâtre torse nu qui marchait dans mes plates bandes, et je me doute bien que de savoir cela n'allait pas rendre tout gentillet et optimiste le râleur de ces lieux. Quant à regarder avec intérêt des gorges...
Je finis par laisser mes yeux couler contre la pomme d'Adam du lavandin personnage puis sur ses pupilles hostiles. L'envie de s'y plonger me prend... Et j'y répond en passant un peu d'énergie dans le processus.
ça bouge comme un poisson. C'est dangereux. ça me regarde. Un miroir se brise, un second fae identique au premier sort des morceaux. Vane. Neldris et Vane.
Je sors de sa tête avec un pic à glace dans le cervelet. Quelque chose ne tourne pas rond là haut... Mais je ne suis pas sûre de ce que j'ai vu. Il vaut mieux couper court à l'exercice et à la visite improvisée. "Je t'ouvres les grilles ou tu passes le mur comme à l'aller, Trésor?" J'essaye de reprendre contenance, encore préoccupée par ma vision floue. "A moins que toi et toi veut continuer la trempette?" Oups.
— Au bah oui, maintenant, il faudrait carrément éviter tout le quartier.
Cause toujours, tu m’intéresses.
Comment pouvait-il savoir que le quartier était celui des dents longues ?
Vane n’était pas du genre à se renseigner sur l’état de ville et encore sur la répartition des races en fonction des quartiers. Bien sûr, il comprenait vaguement que malgré les allures de nouveau monde deux point zéro, les gens et le « monde » ne changeaient pas.
— Il faudrait sûrement cloitrer les gens par quartier, ouais. Chacun chez soi, et les hippopotames seront bien gardés.
C’était quand même un drôle de monde de ne pas pouvoir sortir la nuit sans risque. Vane avait presque l’impression d’être de retour à Londres. L’époque où il fallait se méfier de chaque visage, de chaque soupir de peur de se faire couiller au coin d’une ruelle. Il avait su survivre, ils avaient survécu, alors ce n’était pas la petite blondinette au sourire rasoir qui allait lui niquer sa soirée d’exploration.
— Oooh ? Madame n’a donc pas goûté au sang humain… Aaaah, si tu ne connais pas la saveur, tu ne peux rien dire… Si délicat, si onctueux… un millésime pour les papilles. Regarde le monde autour de toi, un garde-manger à ciel ouvert, des sangs tous différents et des saveurs toujours plus délicates… Quel délice... Mais, oui, va, retourne donc saigner un spitmon.
Le Fae s’était dirigé vers la grille par laquelle il était arrivé, à quoi bon rester là pour faire le plot. Mieux valait changer de jardin ou tout simplement rentrer. Au fond de son être, Vane n’avait pas envie de retourner chez lui, dormir c’était… partir. Au réveil, il retournerait à sa simple place de passager et il devrait se contenter de regarder le monde défiler en attendant la prochaine crise de l’autre débile.
— Ouais, faisons ça, par la grande porte, avant que j’ai…
Le Fae s’arrêta net. Il resta un moment immobile, son regard semblant perdu dans le vide, il ne regardait même pas la vampyre, pendant un court instant, c'était comme si elle n’existait même plus.
— Qu’est-ce, que, tu, as, dis ?
Il pivota sur lui-même, plantant son regard dans la jeune femme comme l’on planterait une lame entre deux côtes.
— Toi et toi.
Puis le silence, il esquissa un sourire.
Que pouvait bien penser les gens de TLC en voyant leur projet animés par de pareils guignols? Certains devaient sûrement se retourner dans leur tombe, avec un tel miracle donné en pâture à des névrosés, des dépressifs et des racistes. De la confiture aux cochons, si on veut mon avis. Je regarde l'énervé aux tétons qui pointent en me demandant très sérieusement s'il ne s'est pas enfuit du temple d'Ekaris avant d'avoir eu les bases pour ne pas savoir que traîner au Nord en pleine nuit augmentait drastiquement ses chances de croiser un vampyre parmi toutes les autres espèces (dont je suis sûr il doit en execrer quelques autres), et bien qu'il me rejette la faute de pas mettre un signe distinctif de ma condition de vampyre à la porte vu la mauvaise foi qui règne ici il y a un pourcentage de chance non négligeable que de toute façon il n'aurait même pas regardé le panneau. Je roule des yeux en guise de réponse, persuadée que rien d'autre ne pourra être plus compris par le bleu. "Rassure moi, tu es pas nouveau?" Il fallait quand même que je sache. Etre aussi perdu dans une ville que l'on connait, ça relèverait de la débilité. S'il était nouveau je me ferais un plaisir de l'envelopper dans le premier draps venu, le chopper par le col et le trainer jusqu'au Quartier Central, peut-être à l'hôpital, le monsieur avait besoin de cachets pour détendre ses nerfs.
"Je sais pas qui tu es, mais tu as un sacré pet au casque." Non sans rire, le mec était là, dans MON terrain, dans MA rivière à m'expliquer comment le sang humain c'est pas bien de le manger mais c'est ultra bon, manque plus qu'un costard bon marché, un pouce en l'air et un sourire de marketing et nous voilà dans la publicité pour des poches sanguines congelées. Certains appellerait ça du gaslight, moi je pense qu'on peut dire que c'est de la connerie. Aller, il était temps de faire sortir les enfants du Jardin et de les border dans un petit lit avec un petit pijama chaud avec une petite camisole si besoin et les spitmons seraient bien gardés. Et bien sûr, c'est quand j'exprime ce projet que je gaffe, perdant une couleur si il était possible de le faire en entendant le fae se retourner devant moi.
Évidemment. Il fallait que ce que j'avais vu, ce que j'avais cru voir, je le lui mette sous le nez. Comme si le damoiseau avait pas assez d'airs de chien de garde, le voilà qui veut que je réitère mon propos, certainement pour m'enterrer dans mon propre jardin. Nerveuse de par ma connerie monumentale, je pince ma main derrière moi tout en mentant allègrement, faisant mine de chercher mes clefs dans des poches invisibles avant de les faire clinker sous ma cape avec un ton autoritaire qui ne trahissait pas la crainte qui s'installe dans mon estomac: "Toi, tes tétons qui pointent, tes discours à la con et ton beau fessier, tous vous sortez par la porte, le mur, la haie même si ça te chante mais oust!" ça suffirait non? Vu le QI du monsieur, y avait pas à en rajouter? De toute façon, vu comment il est informé, il ne devait pas savoir pour le vol de souvenirs... Si?
Plus que de simplement jouer un rôle, il incarnait avec une sincérité profonde et touchante le rôle cliché de l’éternel rebelle. Dans un autre temps et un autre lieu, un public goinfré de rillettes et de champagne lui aurait sans doute décerner un oscar. Cependant, Vane n’était pas un acteur, c’était une personne bien réelle et un véritable électron libre. Il ressemblait à chien tentant d’attraper une voiture, ne sachant même pas ce qu’il pourrait en faire si jamais il y parvenait.
— Nouveau… nouveau, non. Je ne suis pas nouveau dans le coin. Juste que… Je ne connais pas réellement la ville, alors j’explore et j’fais des rencontres.
Qu’elles soient sympathiques ou non était sans importance, bien que de toute évidence le Fae ne comptait pas cocher la case « sympathique » pour cette soirée-ci. C’était tout téton dehors et cul à moitié trempé que le Fae s’arrêta à quelques mètres de la sortie. Ce n’était pas la suggestion concernant l’état de son casque qui le fit s’arrêter. À dire vrai, la jeune femme n’était pas la première à faire allusion à son état mental, et d’une certaine façon, elle avait totalement raison et même lui ne l’aurait pas nié.
Toi et toi.
Cette déclaration l’avait frappé au visage aussi violemment qu’un coup de poing dans l’arête de la mâchoire. Depuis son arrivée sur le nouveau monde, jamais personne n’avait fait un commentaire aussi étrange à son égard. Vane avait comme l’impression que son interlocutrice avait vu ou entendu une chose que personne n’avait sue voir jusqu’alors. La majorité des gens ne pouvaient pas voir ni comprendre, mais elle… Elle semblait avoir mis un doigt sur ce que Vane aimait cacher, une chose qu’il ne dévoilait généralement qu’au dernier moment et surtout s’il jugeait cela intéressant. Une telle déclaration l’avait interpelé, elle avait tendu tous les muscles de son corps comme s’il avait été frappé par un arc électrique. Parfaitement conscient de tout ce que cela pouvait représenter, son ton s’était fait plus menaçant.
— Rise up dead man… let the gunshot ring…
Il pouvait faire cela rapidement, il l’avait déjà fait. Il pouvait lui envoyer une petite forme d’ombre en plein visage puis le sauter dessus. Un simple coup et il pouvait lui trancher la gorge d’une oreille à l’autre mais… mais quoi au juste ? Avait-il vraiment besoin d’une lame pour faire ça ? Le Fae repensa aussitôt à ce qu’il pouvait créer à partir d’ombre… Il leva légèrement la tête comme pour confirmer qu’il faisait bel et bien nuit. Peut-être qu’une fois la nuit tombée, son pouvoir était suffisamment puissante pour créer une forme suffisamment solide et tranchante, aussi efficace que le ferait une vraie lame.
— Shadows calling... Let the gunshots ring
L’idée lui traversa l’esprit sans pour autant y germer. Il devait se montrer plus fiable que Neldris, plus méritant. Des deux, c’était lui qui méritait la liberté, l’autre n’était qu’une âme déviante qu’il fallait à jamais entraver. Il se fit violence pour ne pas céder à la pulsion qui lui dévorait les entrailles.
— La porte. J’ai ma dose pour aujourd’hui.
Répondit simplement le Fae en se dirigeant vers le portail du jardin.
Ma question était sensée, vu l'ignorance du fae pataugeur. Et en tant que mentor de ma propre Maison, aider les nouveaux faisait partie de mes responsabilités, même si en l’occurrence nous ne nous serions jamais rencontrés en ces circonstances. L'Est n'était pas le Nord et l'organisation bien rodée des arrivées ne permettait pas d'échange érasmus entre quartiers. Tant mieux ou tant pis, je ne suis pas juge. Cependant, le fait que pour une fois l'homme sembler manquer d'assurance me fait lever un sourcil. Il bégaie? "Je vois... Et bien... Si tu déteste ou a peur des membres de mon espèce le Quartier Nord ne semble pas indiqué surtout quand nous sommes les seuls à ne pas... Dormir. Du tout je veux dire." Bizarrement, son attitude est moins pesante et je me laisse m'appuyer contre l'arbre tout près, un jeune Parkiirier qui n'a pas encore fait ses premiers fruits lumineux.
ça ne dure pas, bien sûr. Aussi vite que j'ai pu exprimer mon désintérêt pour les veines humaines que le bleu me nargue, et si ça ne me braque pas c'est surtout parce qu'il est inutile de le faire pour quelqu'un que je ne connais ni de moi ni d'Adam, et que toute information semble lui passer au dessus. Le Jemenfoutisme, ça me connais, mais à ce point? Perplexe, je fais l'erreur monumentale de lire dans ses yeux, et si de prime abord j'imagine le fae dénué d'esprit il se trouve qu'il en a plus dans la caboche que prévu. Cette fois, ce n'est plus de la perplexité, mais bien de la prudence qui s'installe mine de rien tandis que je propose à l'étranger de retourner d'où il vient.
Ni une ni deux, le deux-en-un sort de l'eau, non sans que je laisse glisser un œil distrait sur la musculature laissé à découvert, une seconde seulement avant de le suivre à distance, bougonnant, puis cherchant les clefs et ma contenance dans les poches du manteau long. Cette fois, plus de bégaiement pour le bleu qui semble d'un coup prendre conscience de ce que j'ai vu, avec surprise ou hostilité, cela reste à voir. Mais quand la gorge bien faite laisse passer un dialecte que je comprend, mais d'un autre âge, je m'arrête de marcher, recule même d'un pas, distante, mais contrôlant la peur primale qui se cale dans mon ventre et fait marcher à vive allure mes neurones et mes sens, alors qu'il ne se passe rien, rien que ces deux phrases d'un autre âge.
Nos regards restent figés un moment l'un sur l'autre, maintenant que le silence est revenu, et si je peux en profiter pour en savoir plus l'idée que la migraine dévastatrice qui s'en suivrait puisse me rendre tout à fait vulnérable me fait oublier l'idée à la seconde, et quand la mâchoire finit par se desserrer pour décocher une réitération de sortie je hoche la tête. "Après vous, mon mignon."
Les bottes du fae font demi-tour, et je fait tournoyer la clef autour de mon doigt un instant, le bruit me faisant un peu redescendre. Qu'est-ce que c'était? Il avait fait un choix: Reste à savoir lequel... Mais il ne semble pas se retourner et je le suis, à quelques mètres de distance tout de même, sait-on jamais. Arrivés à la grille, je m'arrête avant d'avancer d'un pas assuré, et touche la porte de métal en ne tournant pas le dos à l'homme qui cachait bien de sombres choses. "Je suppose... Que vous ne reviendrez pas ici?" Puisque les vampyres n'étaient pas sa tasse de thé, a priori. "C'est dommage, c'est un bel endroit pour une insomnie." Dommage que le racisme soit resté dans l'esprit pourtant remanié en arrivant au Portail. Si mon espèce n'avait pas été si méprisé, je lui aurais peut-être laissé plus de temps pour sécher sa chemise...
Encore une fois, lui était la personne la plus saine et la plus docile. Neldris devait incarner le fou qu’on devait enfermer, il ne pouvait pas faire autrement. Et pourtant… Pourtant l’envie de tailler un sourire à ce microbe lui revenait en tête comme une foutue chansonnette pour gamin. La sortie n’était plus très loin, il n’avait qu’à tendre le bras pour toucher le métal froid du portail.
— Mon mignon…
Vane marmonna un truc dans sa langue maternelle tout en coulant un regard au portail, implorant silencieusement celui-ci de s’ouvrir comme par magie. La vampyre le dépassa et étrangement, le Fae ne se sentait pas plus rassurer de la savoir devant lui que derrière lui. Dans tous les cas, elle pouvait se montrer plus rapide que lui, alors bon… devant ou derrière quelle importance puisque cela allait faire mal dans tous les cas ?
— Pourquoi je reviendrai, hein ?
Mais si le Fae était plus doué que son double tatoueur lorsqu’il s’agissait de faire preuve d’un peu de sociabilité, cela ne signifiait pas qu’il appréciait la compagnie pour autant. Pour Vane, les gens étaient bien marrants, mais à petite dose. Toutefois, comme un camé sous un escalier, il était proche de l’overdose et le simple fait de devoir entretenir la conversation lui pesait sur le système.
— Désolé de te décevoir trésor, mais j’suis pas branché verdure.
Certes, Vane reconnaissait qu’il fallait du travail (et beaucoup de temps libre), pour entretenir un tel endroit. Le Fae n’avait jamais eu la main verte, en vérité, le bougre était si doué qu’il pouvait faire crever un cactus. Néanmoins, il savait reconnaître un travail fait avec le cœur, et c’était visiblement le cas.
— Tu l’ouvres ce portail ? Même si y’a beaucoup de place ici, j’compte pas coucher là.
Visiblement, l'intrus était plus dangereux qu'un vulgaire voleur de fruit lambda, et ce sur tous les niveaux. Un pilleur aurait déguerpi dès mon arrivée, malgré ma plus grande rapidité, par réflexe dirons nous, et je n'aurais pas essayé de le rattraper, me contentant de m'assurer qu'il quittait bien mon petit nid douillet. Mais il avait passé au moins vingt minutes les bottes dans la flottes, autant dire qu'elles étaient fichues, plus que la chemise qu'il avait laissé lamentablement au sol. Il avait préféré me provoquer plutôt que faire profil bas, et ça démontrait déjà quelque chose de pas rationnel. Ensuite, le requin qui sommeillait en lui avait une aura tout à fait hostile, profondément enragée, et pourtant le bonhomme restait pratiquement... calme. Flippant...
Et c'était peut-être lorsque ma bévue se reflète dans les yeux du fae que je me tend franchement. Sans agressivité aucune, ce n'est pas mon genre d'attaquer qui que ce soit, mais si par malheur je devais me défendre... Peut-être que la garde de mon jardin devrait être faite avec Gourgandine. Le portail point et à découvert je me sens bizarrement plus sereine, à tord: Vue la couleur du monsieur, il devait être unseelie, ceux qui puisent leur force de la lune. Et comme pour me donner raison, son regard se porte au ciel, puis à la grille, jusqu'à ce qu'on l'atteigne sans dommage.
Un instant, en passant devant pour ouvrir, le fait qu'il ne ferait pas la même erreur me frappe. L'échange avait duré quoi, une demie heure au doigt mouillé, mais même avec les faits qu'il était potentiellement dangereux et carrément un con, une curiosité malsaine, puérile me pousse à lui demander s'il va revenir. "Tu n'as pas de bonnes raisons." Des mauvaises cependant...
"Les dryades non plus, c'est pas ton fort ein?" ça commençait à en éliminer, du peuple. Quoi que si le fae joue les fines bouches ça n'empêche pas d'admirer une dernière fois la devanture, et pour le reste ce n'était vraiment, vraiment pas mon affaire. Mes yeux posés un peu bas finissent par remonter sur ses yeux et, comme obtempérant, le tour de clef fait un bruit aigu puis un chuintement du métal qui frotte dans ses gonds indique que la grille est bien ouverte. "Au plaisir... Qui que vous soyez." Cette fois, pas de gaffe. Je ne tenterais pas de le nommer au risque d'attiser la fureur du requin endormi...
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