L'aurore est le meilleur moment pour faire un tour dans la cité après avoir chassé toute la nuit. Une fois la tenue de chasse laissée au vestiaire, la ville nous appartient encore, et personne, personne pour remarquer ma bouille d'ange ensanglantée parcourir les rues comme animée d'une simple envie de promenade avant le débarbouillage réglementaire de tout vampyre bien élevé. Etre incapable de dormir donnait bien des avantages quand on y réfléchis un peu et j'en profitais tout à fait, m'amusant du dormeur et de l'ensommeillé en faisant des cabrioles devant les fenêtres du public inaverti. Galipette, hop! Petite chandelle et rouléééé ! Et... Une roue complète, les doigts dans le nez presque, ah!

Toute à mon activité des plus cruciales, je me dirige vers le quartier central où les thermes m'attendent, ainsi que la potentialité d'une petite prière à Ekarys pour cette journée pas trop fraîche et les semences végétant dans le Jardin pour le printemps prochain. Les cultures étaient mon principal gagne pain après tout, il fallait savoir gagner sa croûte pour rembourser mon terrain et la maison, bien qu'elle ne servait que de remise. Pour le reste je n'avais pas besoin de grand chose. Chasser, passer le temps, entretenir le Jardin des Mémoires et ses habitants filigranés dans les objets représentant le deuil de leur porteur... Passer le temps.

A grands pas je m'avance jusqu'au bâtiment d'où sort une vapeur compacte quand une autre sorte de volute m'arrête nette. C'est frais, c'est chaud, ça sort du four et ça sent beaucoup trop bon pour être un truc basique trouvé dans la rue. Un instant je me demande quel animal pourrait sentir ça, mais il est clair que ce n'est pas sanguin. Consommable mais pas utile donc, mais il n'empêche... Intriguée, je me faufile contre le mur et le longe avant d’atterrir sur la petite échoppe roulante enveloppée de son doux parfum. Un papillon s'y affaire et je m'approche doucement pour zieuter à al sauvette ce qu'il mijote. Avec ma taille normale et une rapidité de lynx je m'approche et accroupie derrière le petit comptoir de bois je m'arrête pour esquiver un regard.

Des... pâtisseries? Je n'en ai jamais vu ici, mais je suis à peu près sûre d'en avoir déjà vu auparavant. Sans chercher l'origine de cette certitude je me relève un peu, le nez devant gâteaux et viennoiseries, réfléchissant ardemment à faire un pain de viande pour en profiter avant de grimacer. Mes dernières expériences culinaires... Avaient très peu fonctionné. C'était mangeable, mais rien qui ne donne envie d'en trouver dans le commerce, comparé à son étal qui me creuse l'estomac alors qu'il est rempli. De moins en moins discrète, je laisse mon nez m'entraîner jusqu'à un gros gâteau à priori fait pour un anniversaire et si un cri n'avait pas stoppé ma méditation j'aurais certainement glissé un doigt sur le glaçage...

"CHUT! Vous allez lui faire peur!" Comme si le gâteau aussi se devait d'être chassé... Habitude de prédateur ça.

Le gâteau est une espèce excessivement rare dans nos contrées. Farouche, timide, candide et délicieusement sucré, le solitaire dessert est une proie facile pour bon nombre de prédateurs. Voici un exemple parfait: Ce jeune gâteau inoffensif a perdu sa mère, certainement mangé par un authentique azamyrois il y a peu. Le petit sans défenses se retrouve en ligne de mire avec un vampyre, qui malgré sa nature charognarde a parfois l'âme de ce faire un petit gâteau tout chaud pour changer sa portion habituelle, telle les biches qui mangent les moineaux ou les chats croquant dans de l'herbe. Admettons que le gâteau soit la purge du vampyre, en un sens...
Le sanguinaire adversaire se rapproche de la tanière du gâteau qui, inexpérimenté et apathique, reste figé dans une posture de figurine pouvant presque le faire passer pour un gâteau promotionnel. Mais le vampyre à l'oeil et le nez affuté: Grâce à ses cônes oculaires il peut voir en couleur en vision trichromatique, ainsi qu'en 3D. Il remarque bien la texture glacée du dessus, le bleu chleucolat et _

Le sursaut du petit homme papillon interrompt le programme documentaire de la chasse à la gourmandise et arrive même à me faire sursauter, la main crispée sur le cœur avant que je m'exclame: "PATIN DE MERLE, ça va pas de crier comme ça?!" Les yeux écarquillés du bonhomme semblent chercher comment réagir et mon cerveau ne fait qu'un tour:
Trois solutions:
1• Je prend à pleine main un morceau et je détale.
2• Je fais la conversation au monsieur et glisse un doigt sur le glaçage avant de filer en douce
3• Je le menace et il me file le gâteau

... Ouais c'est à chier. "Euhhhhm... Je regarde les petits pains et comme s'il voulait m'éduquer le pâtissier me passe un morceau de son cwassant de lune potagère et tel Gollum dans le souvenir de quelqu'un j’attrape le bout pour l'enfourner dans ma bouche.
C'est chaud, ça fait des petites écailles de nourriture en bouche et puis... La confiture et le fruit se mélange en une compotée exquise contre mes papilles inexpérimentées. ça goûte la bonne nourriture, un mélange d'abord avec une pointe d'acidité, puis un fondant totalement sucre et je me lèche les doigts, un, deux, trois avant de retendre la main comme un raton laveur. "Je peux manger l'autre bout?" Rat du village, on pourrait dire. Je fais mon plus beau sourire puis rusée comme une renarde je fais les yeux doux au pâtissier: "C'est un bien beau gâteau que celui-ci... Il est à quoi?" Chocolaté à n'en pas douter, mais à défaut d'y mettre le doigt j'y met les yeux, me penchant au comptoir comme une enfant.

"Je vous avais jamais vu par ici, je m'en serai rappelé." Avec une mémoire aussi vide que la mienne, il y avait la place pour les bons goûts. "Dommage que... ça ne soit que bons, pour moi." Entendez que ce n'est pas nourrissant, autant qu'un flocon de neige sur ma langue avide...

D'habitude, je ne me serait peut-être pas attardée sur une nourriture qui ne me satisfait pas mes besoins primaires, mais là c'était autre chose: Le parfum de la roulotte emplissait l'air de ses arômes tentateurs, tellement que même la chasseuse que je suis s'y étais pris. Étonnant d'ailleurs que je sois encore la seule ici, le pâtissier aurait bien pu finir par se faire assaillir de curieux badauds aux narines affûtés et, sans crier gare, se faire manger comme plat de résistance, sauce chleucolat fruits pour changer le goût boudin noir de la vilaine farce qui pourrait avoir été le scénario le plus terrible pour l'homme ailé.  Mais personne n'est là, à part nous et le gâteau qui me fait de l’œil...

Heureusement pour lui son créateur fait diversion avec un morceau de miam miam et mon attention si fragile se pose immédiatement sur la friandise qu'il me tend. Une seconde de plus et il est dans mon estomac, les papilles frétillantes de plaisir et pourtant le ventre creux... Quel dommage. ça n'empêche que je lui demande la seconde part, et sa gentillesse me donne un large sourire. Je le remercie du regard, la bouche encore pleine et sous le regard amusé du pâtissier j’engloutis sa moitié avant de complimenter ses talents indéniables. Le grand bleu trône encore fièrement devant moi, entier, et sa description me donne encore plus envie d'y gouter. "Et c'est sur que c'est pour une petite fille? Parce que c'est peut être mon anniversaire aujourd'hui..." Après tout, quand on ne se souvient plus, n'importe quel jour peut être un anniversaire non?

Je me lèche les doigts en souvenir du précieux sésame si vite disparu, écoutant distraitement la sylphe faire son spitch avant de s'arrêter et je me tourne vers lui. En effet, il ne devait rien y connaître, de mon régime spécial. Si encore il pouvait imaginer que je suis un vampyre... Peu avait cette première impression en regardant mon minois de poupée, et c'était autant irritant qu'utile. On se méfiait moins des autres espèces, bien que malgré tout tout un chacun pouvait se conduire de manière néfaste avec les autres. Ma nature connue, je devenais un potentiel danger, plus qu'un métamorphe crocodile, une nymphe manipulatrice ou un humain aux capacités secrètes... Et bien sûr, comme je mange du sang, je pique celui de mes congénères... Je roulerais bien des yeux si seulement la discussion n'avait pas été mentale, et je me contente de murmurer, un peu craintive que lui aussi pense que je ne suis finalement qu'un monstre. "Je crains que ce ne soit pas possible. Mon... Alimentation se doit d'être ultra fraîche, et crue."

Je pose mes yeux azurés sur le visage enthousiaste de l'homme ailé et crache le morceau: "Je suis un vampyre. Et le sang que je consomme est animal, il ne doit pas avoir été conservé longtemps et il ne sert à rien lorsqu'il est cuit. Je le sais, j'ai essayé..." Qu'est ce qu'on pouvait être bercé d'illusions quand on imagine que rien n'est immuable. "ça ne m'empêche pas de trouver ce que tu as fait bon... C'est seulement aussi utile à mon physique qu'une galette de terre. ça remplit l'estomac mais c'est sans nutriments." Et ma dernière phrase n'est pas un très bon exemple. "Attention, je ne dis pas que ça a le goût de la terre ein! Juste que... pour le seul critère de l'alimentation, c'est inutile." Mon regard se pose de nouveau sur les gourmandises mais avec plus de tristesse.