Le passé est une prison dont on ne s'échappe jamais réellement.


Dès son plus jeune âge, Séléna démontra des difficultés à se faire comprendre du monde qui l'entourait. Née à Londres, elle n'en demeurait pas moins une française de souche et rapidement, le retour à Paris fut organisé à son grand désarroi, la jeune fille perdant tous ses repères. Si sa soeur, de quelques années sa cadette, semblait être un véritable papillon de lumière enchaînant les relations amicales et amoureuses sans aucun souci, ce n'était guère son cas. Avec les années, la jeune fille accepta sa place d'éternelle solitaire, se contentant d'évoluer comme cela lui était demandé. Faire de longues études, suivre les pas de son père dans l'enseignement supérieur, transmettre les connaissances qu'elle cumulait minutieusement aux plus jeunes générations afin de trouver une solution à cette misère dans laquelle la Terre s'était embourbée ou tout du moins ses habitants, tout ceci ne lui plaisait guère. Toute son existence gravitait autour du progrès et de sa famille, ceux souhaitant s'immiscer dans son cercle privé étant reçus avec un refus catégorique. Sans grande surprise, la jeune fille se dirigea vers une carrière militaire, prenant les armes pour défendre son pays, s'aventurant au front là où personne ne voulait aller. C'était une combattante remarquable, une soldate écoutant les ordres et les exécutants sans rechigner, persuadée de faire ce qui était bien, où à défaut, ce qu'on pouvait faire de mieux. Paradoxalement, Séléna avait peur. Peur que si on finissait par la connaître, on en soit dégoûtés. Pourtant son enfance n'était qu'un amas de souvenirs joyeux, d'amour parental inconditionnel, d'une série d'événements doux. Elle était née ainsi. Aucun traumatisme n'avait secoué les fondements de son âme, tout du moins, pas encore.


TW ; Maladie, hopitaux
Un beau jour d'été, l'année de ses vingt huit ans, la sonnerie de son téléphone résonna dans le silence d'or de sa chambre. A peine réveillée, les paupières mi-closes, Séléna tendit la main pour l'attraper et décrocher. De l'autre côté du fil se trouvait sa sœur, la prunelle de ses yeux, l'essence de ce qui la faisait avancer chaque jour. Si elles s'appelaient régulièrement pour échanger des commodités, cette dernière connaissait ses horaires et s'accordait pour ne pas l'appeler lorsqu'elle était enfouie dans les bras de Morphée. Rapidement, le cerveau de la jeune fille fit le lien. Il y avait une urgence, un problème. La voix tremblante, sa cadette lui intima de se rendre à l'hôpital le plus proche, refusant de donner plus de détails. Prise de panique, Séléna s'habilla en vitesse et sauta dans le premier bus en direction de l'hospice de santé, son cœur tambourinant contre les parois de sa cage thoracique. Sa tension montait en flèche, incapable d'imaginer ce qui pouvait bien l'attendre derrière ces épaisses portes blanches. Une fois arrivée à destination, le souffle saccadé, elle se dirigea tout droit vers l'accueil avant de donner le doux sobriquet de sa sœur : Anna. Dotée du bon numéro de chambre, la demoiselle se mit à déambuler dans les couloirs à la recherche de sa sœur et lorsqu'elle trouva enfin la porte, elle s'arrêta brusquement. Voulait-elle réellement savoir ? Entendre ces mots douloureux, cette nouvelle qu'elle sentait déjà briser son cœur ? Elle ne pouvait plus reculer. Pas ici, pas maintenant.


La porte s'ouvrit dans un grincement caractéristique de la vétusté des lieux et ses yeux ambrés se posèrent sur le corps allongé d'Anna, gisant sur un lit d'hôpital, reliée par de nombreux tubes et fils à une machine mesurant son activité cardiaque entre autre. Se précipitant à son chevet, Séléna ne sut pas quoi dire, quelle question poser, tant ses pensées se mélangeaient dans son esprit, s'entrechoquant avec une violence inouïe. « Je… Je suis contente de te voir ici. Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé avant… ». La jeune fille cligna des yeux, abasourdie. Comment avait-elle pu être si aveugle face à la souffrance de celle qu'elle côtoyait pourtant quotidiennement ? « Ecoute je… je suis consciente que ma demande est égoïste mais… il ne me reste plus longtemps à vivre et… je voudrais que… » Les yeux bordés de larmes, Séléna acquiesça. « Tout.. Tout ce que tu voudras ! S'il… S'il te plaît, ne pars pas. Je t'en supplie, je ferais tout ce que tu veux mais reste auprès de moi. Je… Je ne sais pas comment exister si tu n'es plus là. ». Un rire nerveux parcourut sa soeur, la faisant souffrir davantage. « Tu as toujours été ainsi, Séléna. Tu ne penses jamais à toi. Je voudrais que tu participes à … à une expérience pour moi. J'ai trouvé cette clef, qui aurait pu me permettre de partir pour un monde meilleur... mais dans mon état actuel je ne pourrais jamais y aller. Je ne tiendrais pas même le voyage. ». Elle cligna des yeux. Pouvait-il s'agir de ?... « Tu as deviné. Je veux croire en ce nouvel univers. Je veux penser qu'il est possible d'y trouver une solution, un traitement que nous ne possédons pas encore et… ». Elle s'interrompit pour tousser grassement avant de reprendre. « La plus belle chose que tu pourrais faire pour moi, serait de t'y rendre à ma place. C'est mon souhait, Séléna. ». Elle prit sa main dans la sienne, les larmes roulant enfin sur ses joues rosies, des sanglots la parcourant brutalement. Pouvait-elle seulement refuser le vœu de sa sœur, aux portes de la mort ? Après une vie entière de déception, Séléna sut qu'elle ne pouvait faire machine arrière. Elle allait tout abandonner, pour tout recommencer. Sans jamais oublier.


Après plusieurs jours de réflexion, la jeune fille accepta les termes du voyage et fit ses derniers préparatifs avant de quitter sa vie actuelle. Elle allait sauver sa soeur, quoi qu'il en coûte, peu importe les sacrifices. Elle la serra dans ses bras une dernière fois avant de traverser le portail, ignorant si ce dernier la porterait en lieu sûr, consciente des risques gigantesques qu'elle prenait mais encore bien naïve face aux dangers qui l'attendraient en Ozéna. L'arrivée fut brutale, Séléna sentant son corps propulsé dans tous les sens, son esprit étiré, façonné puis remis à sa place. Elle ouvrit les yeux, et elle sut. Elle était vivante, mais sa vie ne serait plus jamais la même. Rapidement, la nymphe se mit en quête des autres personnes ayant trouvé des clefs. Certains n'étaient jamais arrivés, d'autres gisaient à ses pieds dans un état bien plus médiocre que le sien. Séléna leur tendit la main, s'aperçevant par la même occasion qu'elle était bien plus grande qu'auparavant et elle refusa de céder à la panique. Son coeur s'était fermé, hermétique à la peine d'autrui, seul son objectif comptait. Aussi, Séléna participa activement à la progression d'une cité pouvant accueillir d'autres réfugiés.. Elle réalisa également que sortir de ces murs qu'ils avaient érigés ne serait pas chose aisée, aussi elle ne pouvait s'y rendre seule. Elle allait devoir coopérer, fonder une équipe, et cette simple pensée la terrorisait. Dans sa maison faite de bois, la nymphe traçait chaque jour un trait, marquant le temps qui passait sans jamais s'arrêter pour ses états d'âmes, priant pour que sa soeur ne soit pas déjà passée de l'autre côté.


La Maison des Maintes Eaux serait désormais la sienne et elle la protégerait coûte que coûte. Pourtant cela ne suffisait guère à assouvir cette soif de connaissances, de curiosité, cette envie nouvelle qui la poussait à s'aventurer hors de ces terres. Les années passaient, se ressemblaient, avant que son chemin ne croise celui d'Adrastos Druncar. Elle l'écouta parler de sa volonté d'explorer le monde, ses paroles résonnant profondément avec la nymphe que Séléna était devenue, cette personnalité foudroyante qui clashait avec son ancienne version d'elle-même. Et c'est avec une assurance nouvelle que la jeune femme décida de s'impliquer dans la guilde des explorateurs, devenant une sentinelle offrant ses jours et ses nuits à cette organisation, en oubliant même de créer des liens avec autrui, développant une réputation d'asociale au sein d'Azamyr. Réfractaire aux nouveaux arrivants quand bien même ces derniers débordent de bonnes intentions, elle reste l'éternelle solitaire qu'elle a toujours été et peine à s'insérer dans la société autrement que par son statut de sentinelle.

Aujourd'hui, Séléna se consacre presque uniquement à la guilde des explorateurs et elle est intimement persuadée que la solution se trouve ailleurs, loin de la sécurité prodiguée par la cité…

Palier de pouvoir:

Chronologie générale: