Zora se cache derrière un mur, un deuxième, un troisième ; c’est ainsi qu’elle s’avance vers sa destination, épiant les environs, longeant ces épaisses briques, chassant d’une main les cheveux s’invitant devant ses yeux. Il lui arrive encore de retenir son souffle, oubliant l’espace d’une seconde qu’elle est en capacité de respirer sous cet amas d’eau. Au coeur des profondeurs, ses poumons sont au repos, ses branchies reprennent leur fonction et elle sent l’eau glisser sur ses écailles. La sensation retrouvée passée, son regard se pose sur chacune des silhouettes se promenant sur son chemin. Non pas lui, non, pas elle, non, presque elle, sûrement pas lui. Ce n’est pas la bonne beauté qui se présente à elle et elle se dit que le timing est loupé, une moue affichée force les autres à lui demander ce qu’il ne va pas.

Je veux Séléna.

Un miracle arrive alors, la blonde apparaît à l’instar du soleil indiquant le lever du jour. Zora serre les poings, prise de joie, les lèvres plissées si fort qu’aucun son ne ressort et on la penserait en colère. Il n’en est rien !

Aaah ! Poussez-vous ! Et son plaisir se traduit en un rire enfantin.

Elle descend les escaliers, une marche par une marche, inutile de se presser maintenant que l’objet de sa convoitise est devant.
L’idée de la déranger dans son activité ne lui traverse guère l’esprit, ce qu’elle va lui demander dépasse toutes les autres urgences.
Son corps se glisse entre deux algues, il contourne le mobilier, un canapé et un bureau, la sentinelle se montre désormais à portée de main.
Le doigt touche la longue chevelure et ses yeux observent furtivement les oreilles pointues de sa soeur nymphe.

Brinclair. S’annonce-t-elle, Bonjour toi !
On penserait que Zora a le même âge que son aînée et pourtant les presque dix ans qui les séparent sont tout le temps effacés par la familiarité de la femme.
N’attendant pas qu’elle le lui propose, elle s’installe à ses côtés, les jambes ramenées contre sa poitrine. Le menton coincé entre ses genoux et son air pensif indiquent qu’elle se creuse pour une fois la tête pour trouver comment poursuivre le pourquoi de sa venue.

Vois-tu c’est terrible, mais j’ai un gros problème. Sa gorge se noue, cela l’embête grandement d’en arriver là, voilà que l’univers la pousse à se tourner vers quelqu’un. Mais si ce quelqu’un est Séléna alors ce ne sera pas comme sur Terre avec sa famille, ses professeurs et ses camarades. Il n’y aura pas de coups et de méchancetés.

A dire vrai, une question continue à la tenir éveillée lorsqu’elle s’y penche trop dessus. Tôt ou tard, viendra le moment où elle n’aura pas le choix que de faire face à ça. Ce pouvoir. Donné de force.
En venant sur Ozéna, jamais n’aurait-elle imaginé devoir vivre avec cette particularité jugée telle une malédiction.
Comment faire quand on a toujours tout fait pour se tenir à carreau et qu'on se retrouve du jour au lendemain avec la capacité de- après qu’on-. Les mots ne veulent pas se former.

L’as-tu déjà testé ? Tu sais bien de quoi je parle. Elle pointe ses lèvres et plaque sa paume contre tout de suite après, pourtant un sourire remonte jusqu’à ses pupilles. Quelle étrange réaction. C’est cruel comme pouvoir, l’éclat se perd. Sommes-nous censées ressentir de la satisfaction ou de la honte ? Car Zora ne connaît point la honte.

Il y a une raison particulière expliquant pourquoi Zora se tourne vers la belle Séléna pour nourrir sa curiosité et tout simplement répondre à sa question : sa transparence. Une honnêteté difficile à camoufler voire impossible tant la vérité respire à travers tous ses pores. Il n’y a qu’à voir la manière dont la sentinelle réagit à l’objet de sa venue. Le jus recraché est suivi de près par les yeux sombres. Le rire remonte jusqu’au bord des lèvres et ces dernières le retiennent en un sourire tremblotant. Décidément, elle n’aurait pas pu choisir meilleure interlocutrice.

Et ses pupilles se dilatent, sa vue se précise sur le visage angélique de cette poupée écarlate. Il tinte des cloches divines, celles du savoir et du péché. Savoir à quel point leur pouvoir peut meurtrir et pourtant commettre l’irréparable. Un enchaînement de bégaiement tandis que ses petits doigts emprisonnent une mèche et jouent avec, la faisant chatouiller sa peau livide du genou. Ce n’est que de l’ordre de quelques secondes avant que la belle ne crache le morceau révélant au grand jour ses méfaits, satisfaisant d’emblée la Nymphe.

Se gifler doit faire si mal, alors à travers ce geste punitif cela ne peut que vouloir dire que-
Oh. Une inspiration profonde à en faire vibrer ses branchies, la poitrine s’alourdit de ce même rire qui targue ses joues. Chuuut, Zora. Ecoute, ne ris pas encore. Ne montre pas ta flagrante surprise ni cette délectation du chat réussissant à piéger sa souris.

Quand son aînée dit ne plus regretter, mais mais mais, tant de négations et sa tête bouge au gré de ses justifications maladroites.
Qui est-elle pour juger, hm. Krüger n’est pas de ceux qui pointent du doigt et tirent la peau du visage pour faire claquer la chair de la joue contre la gencive, elle ne pince pas les côtes pour forcer un fou rire et n’avance pas son pied en plein dans le tibia pour prétexter une chute inconsciente.
On se trompe tout seul, l’érudit laisse les choses venir à soi.

Oui cela doit l’être ! Un baiser. Forcé comme au collège, voulu comme au lycée. Cela remonte à si longtemps qu’elle ne sait plus ce que cela donne quand deux bouches humides s’échangent de la salive. Beurk, en fait.

Les malakims, un index posé sur le menton, ah oui Clemens. Je me suis toujours demandé comment ils dormaient avec leurs ailes… elle s’égare le temps de cette pensée et se dit que le prêtre saura lui partager sa technique. Cela lui évitera des interrogations sur sa foi bafouée.

Tu parles bien Brinclair ! Enfin, encore faut-il avoir des souvenirs à effacer et des souvenirs auxquels tenir. Peut-être que c’est tentant d’oublier sa vie chaotique de ses années terriennes. Néanmoins, ne dit-on pas que l’on devient ce que l’on est au travers des épreuves traversées ? Zora ne veut tout d’un coup plus afficher de la joie, la peine lui serre le coeur et elle aimerait être un spectre au myocarde absent.
Et quoi- voilà son récit écourté. Regarde toi, tu es tout ce que je recherchais. Je ne parle jamais à quelqu’un par hasard. Tu partais sur quelque chose d’intéressant, ne t’arrête pas en si bon chemin blondie !

Pour mieux ignorer sa question. Les sourcils se froncent à l’instar de l’enfant prise la main dans le paquet de bonbons interdits. L’enfant devrait mordre l’adulte, il préfère ranger ses dents au dernier moment.
Si j’embrassais quelqu’un je crains le pire pour la personne en face. Je ne suis pas sûre d’être motivée par de bonnes intentions. Les doigts tirent fort sur la mèche avant de la remettre derrière l’oreille l’air de rien. Il se peut que je ne rougisse pas comme toi. Les traits s’adoucissent, la complicité dans le regard avant de dépasser un peu plus les limites. Et tu l’as fait avec qui ?

Zora n’est que questions quand Séléna sait apporter des réponses et elle ne peut être plus satisfaite de savoir que même derrière une hésitation en ressort un début d’éclaircissement dans ce brouillard épais qu’est sa vie d’habitante d’Ozéna, de nymphe. A l’image de sa connaissance des malakims qui selon elle dorment de sorte à ne pas être dérangés par leurs ailes pour s'accommoder, Séléna démontre à travers cet échange simple à quel point elle a adopté la routine azamyroise. Et la chance lui sourit puisqu’elle garde avec soi une personnalité rayonnante et attendrissante. Il faut la voir s’étonner qu’on puisse ne pas avoir d’attache pour les péripéties de son existence. A-t-elle vécu dans le privilège sur Terre ? Ou a-t-elle côtoyé une des faces de l’enfer la poussant à quitter la planète avant que celle-ci implose ? Zora ne se coupe pas dans son geste répétitif presque endormant.

Des souvenirs à garder, hm. Peut-on parler de souvenirs quand on ne les associe pas avec des sentiments positifs et réconfortants ? Il y a peut-être mon frère, mais le temps est passé depuis si longtemps qu’en imaginant son sourire éclatant et son visage, il ne lui vient en tête que ce cercueil au crématoire et sa tombe décorées de fleurs d’ores et déjà fanées. Il écoutait beaucoup de musique dans sa chambre et aimait me traiter d’idiote pour rigoler. Les surnoms qu’un grand frère donnerait à sa petite soeur, malgré leur environnement chaotique, on ne leur avait pas enlevé de suivre ce schéma typique. Je ne veux néanmoins pas cultiver sa mémoire, cela me donne envie de pleurer et je n’aime pas pleurer. Juste un aveu confessé sans forme de tristesse, un fait balancé en guise d’informations, une froideur naturelle assez déroutante. Qu’est-ce que Kai penserait de ses clés qui nous tirent de leur planète pour les entraîner dans un ailleurs inconnu ? Il aurait sûrement manifesté pour la cessation de cet échappatoire, avant de mourir. Elle a à maintes reprises imaginé les diverses possibilités qui auraient pu empêcher sa perte, or qu’importe les scénarios, même les plus loufoques le menaient à la mort. Le destin était tout tracé.

Un lourd soupir l’éloigne de cet égarement auquel la jeune femme se prête exclusivement en solitaire au clair de lune et idéalement dans sa chambre, ainsi on pouvait la surprendre les larmes aux yeux, elle aurait la très bonne excuse d’être émue par la beauté de l’astre.

Sa consœur s’empourpre de cette appellation assez osée de part le statut de leur relation, quasi purement cordiale. Zora n’y a pas du tout pensé, elle est sans filtre et puis n’a-t-elle pas raison ? Séléna est blonde cendrée ! Son regard se joue de sa réaction avant que l’arroseur arrosé connaisse à son tour la surprise.
Chanceux ?! Sa voix s’élève sans prévenir. Elle ne sait plus comment réagir tant la chose est saugrenue. Impossible qu’on veuille entrer en contact de cette manière avec elle, l’idée la plus sensée serait qu’on cherche à la fuir. Elle grimace et affiche un air qu’on prend pour annoncer une mauvaise nouvelle. Tu places de trop grands espoirs en l’humanité. Cela dit, tu m’en apprends une, cela doit demander beaucoup de contrôle de ne pas l’invoquer à peine le baiser commencé. La mine redevient sérieuse, cela est une excellente façon de vivre avec ce pouvoir.

Zora veut tout faire maintenant pour maîtriser cette alternative. Fort heureusement pour toi, je ne suis pas attirée par notre bibliothécaire, on peut dire que tu as le champ libre hahaha ! Elle lui fait une fleur en rigolant à voix basse, le rire camouflé dans la paume de sa main la réchauffe et l’adolescente qu’elle aurait été pourrait trouver de quoi rougir devant pareille anecdote. Rien n'est compliqué quand on est honnête. Les non dits sont le ciment du caveau bâti sous le toit du mensonge. Rien n’est ajouté, mais la sentinelle a à ses côtés une experte en la matière. Son visage se durcit légèrement en se remémorant l’ampleur des complications créées par son silence d’antan.  

Donc tu n’as pas fait exprès, ah ! Chaque mot prononcé, rallongeant ses phrases, ajoutant une pierre à l’édifice de cette histoire à l’eau de rose, demandent à ce que la nymphe aux longs cheveux serre sa grippe autour de sa mèche et exprime verbalement sa curiosité d’en savoir plus. Cependant le récit s’arrête net. On a soudainement envie d’interroger le concerné, l'envoûté par ce baiser motivé par un désir irraisonné pour savoir son ressenti et le après.

Son ainée s’inquiète de mélanger amour et manipulation, quand sa cadette est plus préoccupée de devoir s’engourdir d’un malheur imposé par inadvertance, puis de ne pas valoir plus que ses parents et leur instrumentalisation passée. Il y a peu de risque pour que Zora s’enivre d’une relation amoureuse et la gêne de sa vis-à-vis à la mention de Dorne suffit à dessiner leur différence dans ce domaine. Bien que le charme du nécromancien ne peut que se louer et qu’il ne soit finalement pas étonnant que l’exploratrice ait succombé.

J’aimerais ne pas avoir peur, j’aimerais être vicieuse, méchante et embrasser chaque être qui m’énerve pour le lui faire payer. J’aimerais aussi ne pas être écoeurée d’embrasser quelqu’un. Tu penses que je m’adapte très bien à Ozéna alors que je ne me sens à l’aise que lorsque je suis seule. C’est peut-être ma malédiction, c’est marrant tiens ! Une nymphe capable de manipuler sauf que pour se faire il faut qu’elle sorte de son coin.

Sa plaisanterie au goût trop réaliste lui perce le coeur, à la bonne heure il ne bat pas pour grand chose dans la journée !

Comment s’entraîner dans la maîtrise de ce pouvoir d’ailleurs, on doute de ton identité tandis qu’on lit en moi. Rares sont ses moments de profonds désespoir. Tu as plus d’opportunités pour tester et réussir à le contenir, tu as même une personne à disposition ! Ses paroles manquent cruellement de considération envers son affection pour Tilliann et lui-même, ce n’est pas faute de s’en rendre compte - tard. Excuse mon impolitesse. Reprenant posément. Je n’ai pas demandé à ressembler autant à une nymphe. J’essaye de me mettre au soleil, je crame, j’essaye de me maquiller avec plus de couleurs, on me regarde bizarrement. Ses bras se croisent sur sa poitrine et son dos heurte le fond du canapé, pensive jusqu’à l’excès, son tiraillement évident ne la maintient que brièvement dans le silence. Je n’ai pas honte, je sais que je ne ressentirai aucune honte…L’agacement rugissant à lui faire taper des pieds, Pour-quoi on doit obligatoirement embrasser quelqu’un !