Pensées Liquides - Adra & Amriel
Pensées Liquides
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Sale moment pour un entrainement. Il est peut-être mi-matinée et déjà les jeunes trainent la patte, les yeux tout englués d'une nuit trop arrosée pour les certains, trop courte pour tous. Alors forcément, quand il faut monter un camp à la lisière du bois Ouest pour protéger la zone connue ça tire la gueule dans la chaîne qui porte tronçons de bois par tronçons de bois, et malgré que je sois en bout de file, suintant comme le reste du groupe, les murmures ronchons arrivent à mes oreilles. "Je suis occupé... Mais pas sourd. Si vous voulez faire... des commentaires, on les fait à voix haute!" Devant moi deux des jeunes scient des petits bouts de branches pour former des chevilles rudimentaires, d'autres percent des trous là où on assemble. Quatre gamins moins forts que les autres ou blessés, qui prennent des tâches tout aussi importantes, seulement moins physiques. Une quinzaine de tronçons de deux à trois mètres de haut sont véhiculés jusqu'à la lisière des bois, le dernier étant chargé de surveiller les alentours pour ne pas avoir d'ennui côté plaine. Côté bois, une sentinelle déjà entrainée surveille la forêt plutôt tranquille jusque là. Du travail d'équipe, du boulot de troupe. "On a ... bientôt fini. Vous serez contents en pleine flotte... d'avoir ça à proximité." Une goutte de sueur glisse dans mon dos alors que mes bras s'écorchent sur l'écorce rugueuse. Plus qu'un et il suffira de tout monter pour en faire une tour à quatre murs. Puis quelques troncs en demi lune feront le toit, qui si le temps le permet sera étanchéifié avec un mélange de paillage et d'argile et d'ici quelques jours et quelques meubles... Nous aurons une cabane.
Précautionneusement, je fais déposer le tronc et laisse le groupe s'étirer tandis qu'un des vampyre fait son fier en montrant que c'est facile pour lui, taquinant ses coéquipier qui ont clairement envie de lui casser la gueule. "Jenkins, tu es pupitre demain." Le gamin se fige et me regarde coït. Être pupitre, ça fait peur aux nouveaux, ça fait chier les anciens. Mais c'est efficace: Quoi de mieux que de prendre les salves des autres pour apprendre à tenir sa défense, ses propres limites et celles des autres... Et son pouvoir? Tout les coups sont permis quand on est en entraînement, parce que dehors... On a besoin de connaître toute ses compétences. La bouche se tord de colère et s'apprête à protester, peut-être à pointer du doigt un camarade quand un cri me fait me tourner vers les scieurs. C'est la petite Linn qui s'est coupée, sa mains saigne abondamment sur le tourillon qu'elle vient de faire avec brio. "Putain, on est bon pour l'infirmerie. Les jeunes, on remballe. On finira demain. Jenkins, tu nettoies le sang histoire qu'aucune bête vienne fouiner ici. Veyn, tu es chef de groupe. Je vais avec Linn en avance, tu ramènes le groupe à la maison avec toute les précautions d'usage. Repos pour la matinée, cet aprem je veux vous voir sur le terrain d'entrainement pour le combat armé." Une partie des gamins est soulagé, l'autre râle abondamment. Chacun a ses préférence, mais à la fin de la journée tous le monde a bossé.
Linn se lève fébrilement et je lui fait comprimer sa main avant qu'elle ne tourne de l’œil. Et maintenant il faut porter les recrues... Fait chier.
C'est pas comme si la porte était loin, ni que la petite est lourde, mais avec les exercices du matin j'ai l'air d'un cheval poussif sous sa charge quand les veilleurs m'ouvrent, presque goguenards. "Merci Messieurs." Un jour on se trouvera sur le même terrain aux mêmes heures, et au soulevé de poids on verra si aucun d'entre eux ne sue sous sa charge.
Il faut encore bien sept cent mètres de marche pour arriver au dispensaire, et quand les infirmières me voient arriver avec la recrue dans les bras elles s'affolent déjà. "Ce n'est qu'un bête évanouissement dû à une blessure, elle va s'en sortir. J'ai comprimé sa main tout le trajet, ça devrait aller." Le sang coule tout de même par intermittence le long de son bras pour tomber de son coude plutôt pointu, et ni une ni deux je pose la jeune femme sur une table d'auscultation avant de dire: "J'attends dehors, histoire que vous me disiez s'il faut des points et si elle pourra venir travailler un peu les prochains jours ou pas du tout. J'préfère savoir à l'avance et par la bouche des médecins." C'est pas que les recrues ont l'arrêt de travail facile, mais ça ne leur est pas profitable.
Le couloir est vide quand je me pose sur le petit tabouret de bois en soupirant, ramenant mes cheveux en arrière d'une main couverte de sueur et de débris de bois. Putain, je vais en mettre partout, de la sciure. C'est pas très hygiénique pour un dispensaire, et je cherche un endroit pour me laver les mains, la tronche histoire de pas ramener des maladies des bois dans un lieux sensible quand la porte claque de l'autre côté du couloir, bruit de bottes saccadées et mouvements trahissant une colère à peine contenue. Je me tourne vers la capitaine des veilleurs qui semble d'une humeur charmante au moment même où je trouve une bassine d'eau propre, et la salue d'un signe de tête. "Capitaine." Les veilleurs et les explorateurs se respectent, c'est un principe fondamental. Ils protègent la cité de l'extérieur, et nous arpentons les environs pour leur faciliter la tâche. Je met mes mains dans l'eau et la froideur de celle-ci fait un bien fou, avant que ça ne pique là ou les râpures sont les plus profondes. Je secoue vite fait mes dextres dans le bassin puis cherche du regard une serviette propre pour les essuyer avant de remarquer la brûlure peu jolie sur le poignet de la dame ailée. "Pour arrêter la brulure, il vous faut un peu d'eau froide, si vous me permettez." Je pointe le bassin frais à peine utilisé, et retourne m'asseoir.
Il ne faut pas très longtemps pour que l'infirmière sorte pour me dire qu'en effet la paume nécessite quelques points et que Linn est bonne pour faire de l'étude de carte pour au mois une bonne semaine pleine, et je secoue la tête un instant avant de dire: "Quand elle se réveillera, faites lui savoir que j'attends de ses nouvelles, et qu'elle a sa journée. Elle viendra demain matin." L'infirmière hoche la tête, puis se tourne vers la capitaine et devant sa brûlure s'exclame avant d'accourir chercher un bandage et sûrement de l'onguent. Je me rapproche, laissant pourtant quelques mètres et dis simplement: "C'est moche. Comment vous avez fais ça?" Pas de doute que ça ne vient pas d'une ronde ou d'un combat à l'épée...
Je regarde la fenêtre où on voit la place centrale s'ébattre sans en avoir le bruit, puis j'ajoute: "Si ça ne vous ennuie pas, Capitaine Amriel, vous voudriez bien m'accompagner boire quelque chose? J'ai quelques projets à vous proposer... Et une bonne envie de discuter d'autre chose que des déboires de ce matin." Je n'aimais pas le travail inachevé, et vu la tête de la dame de cuir et de fer elle avait des ruminations à faire passer aussi.
Et dire que bientôt, elle devrait faire subir aux veilleurs un entraînement dantesque, avec l'intervention du docteur Lafleur. Une profonde envie de tout envoyer bouler lui prit bien, mais c'est plutôt en direction du dispensaire que s'était rendue la dragonne, le bras pulsant au rythme de la brûlure qui s'étendait, rongeait un peu plus sa peau à chaque seconde qu'elle passait sans y apposer de l'eau froide. Galatéa avait vu son Cilice, elle le savait, alors, sûrement parce qu'elle en avait marre de subir les regards de biais, les jugements, Amriel s'avisa de tirer sur sa foutue jupe de cuir et de mailles, se disant sûrement qu'elle ferait mieux de se vêtir plus chaudement pour pouvoir pratiquer sa foi comme elle l'entendait. Oui, elle voulait souffrir pour repentir ses pêchés et alors ? Elle avait tué un nombre incalculable d'innocents sur terre, était-elle vraiment obligée de le scander pour pouvoir jouir de son corps comme bon lui semblait. Un petit quelque chose — sûrement son sixième sens de Malakim — lui disait qu'elle en entendrait de nouveau parler, très rapidement.
Une fois l'atterrissage effectué devant le dispensaire, elle n'attendit pas pour pousser les portes, s'enfonçant dans les couloirs qu'elle connaissait par coeur, comme si elle y vivait et partant directement dans une aile qu'elle savait peu peuplée, poussant la porte avec un brin trop de force pour qu'elle ne trahisse pas tout son énervement, tombant alors sur la stature du chef des explorateurs qui se trouvait là, bien évidemment. Un soupir imperceptible plus tard et elle continuait d'avancer, jusqu'à ce qu'Asdrastos la salue, de façon toujours protocolaire, un fait qu'elle appréciait. « Adrastos. »
Sans plus d'effusion ni vraiment de volonté de s'épancher sur la raison qui l'amenait ici, Amriel attendit, plantée là, les ailes bien sagement rassemblées dans son dos tandis qu'elle regardait dans la direction opposée, espérant sûrement que le chef de guilde ne cherche pas à entamer une conversation qu'elle cherchait à tout prix éviter. Et merde.
Sans vraiment le regarder autrement que de biais, la veilleuse écoute les paroles de l'homme, hochant simplement la tête pour toute réponse avant de s'approcher du bac, plongeant la main, le poignet et un morceau d'avant bras dans le bac non sans échapper un grognement satisfait. C'est vrai que le froid arrêta presque instantanément la brûlure de progresser et d'un coup d'oeil caché derrière les mèches déliées de sa tresse, Amriel lâcha un bref et sobre « Merci. » pour toute réponse avant qu'une infirmière ne se précipite dans sa direction, visiblement bien trop habituée à voir la Capitaine fouler ces couloirs. Déjà repartie chercher le nécessaire pour soigner la dragonne, l'infirmière laisse donc le champ libre à Adrastos pour qu'il s'approche, curieux et s'interroge sur la nature de la brûlure dont il n'est pas difficile d'imaginer la source vu la trace évidente de mimine sur le poignet de la Capitaine. Un soupir bref plus tard et Amriel pose son regard de glace sur le chef de guilde, avant de siffler, encore mauvaise de la rencontre avec ce petit merdeux d'élémentaire de feu. « Un gamin farceur. » Qu'elle aurait bien emplâtré dans un mur si la morale ne lui avait pas dicté de se retirer et s'enfuir avant de ne commettre un meurtre. Ces derniers temps, Amriel se sentait de plus en plus flancher, de moins en moins sereine dans ses émotions, comme si peu à peu, son contrôle d'elle-même lui échappait.
Et bien évidemment, ÉVIDEMMENT, vient la proposition d'aller boire un verre. Jusque là, elle les avait toujours refusées, qu'il s'agisse d'Adrastos, de Koss, de n'importe qui d'autre tant la cacophonie ambiante du blabla sans intérêt que lui imposait les autres l'agaçait, l'irritait passablement. Mais le projet mentionné sembla piquer sa curiosité et elle prit quelques secondes pour considérer la proposition, lèvres pincées, le visage toujours aussi chaleureux qu'une porte de Goulag avant de finalement acquiescer, non sans rester parfaitement monocorde, blasée au possible. « Très bien, je vous rejoins dehors lorsque je serais soignée. » Comprenez par là "sortez de mes pattes le temps que l'infirmière me soigne et me sorte ses salades à base de "Madame Amriel vous devez prendre soin de vous, bientôt vous n'aurez plus un centimètre de peau sans cicatrice"" qu'Amriel n'avait que trop entendu. Ce genre de moments restaient malgré tout intimes et la présence d'Adrastos n'était clairement pas requise. Elle attendit donc qu'il s'en aille pour suivre l'infirmière qui l'appelait vers une chambre, l'invitant à s'asseoir le temps de faire ses soins et de la sermonner sans plus qu'Amriel n'écoute vraiment. Non, elle se contenta de hocher la tête, vaguement polie, vaguement sympathique avant de finalement sortir, le bras dûment bandé, une jare d'onguent pour réitérer les soins au besoin et rejoindre Adrastos qui n'avait certainement pas oublié de l'attendre dehors. Quelle belle journée de merde.
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Pour l'un comme pour l'autre il n'était pas rare d'arpenter les couloirs de l'infirmerie accompagnés d'une ou deux recrues en apprentissage, ou parfois de plus expérimentés malchanceux. Il était moins commun de venir pour soi, ça arrivait quand même quelques fois dans l'année, mais le poignet de la Capitaine avait tout d'une blessure exceptionnelle par rapport à ce qu'on pouvait faire d'habitude. Une fois les salutations faites mes yeux passent sur la brûlure aux contours bien prononcées. C'est une petite main teigneuse qui lui rongeait la peau d'un feu qui devait bien faire souffrir la dame aux ailes de cuir qui pourtant ne montre que de l'énervement. Un mauvais veilleur, un bagarreur mal rencontré? Dans tout les cas j'espère qu'elle lui a mit une raclée, sans toutefois le dire à haute voix.
A la place je lui suggère de passer ça à l'eau, histoire que si ça marque que ce soit au moins moins douloureux et si la femme ne pipe mot elle s'avance et je recule respectueusement à plus d'un mètre cinquante, distance raisonnable pour deux personnes de haut rang qui ne se connaissent que peu. La familiarité n'était pas notre point fort, et la Capitaine était connue pour être une bourreau de travail, plus que moi même si je n'étais pas vaquant non plus. Elle avait un chef respectable, et autant de responsabilités que lui sur les veilleurs qui s'entraînaient sous son commandement. Le terrain était d'ailleurs à partager entre nos deux factions, et si nous nous étions entendus sur un planning pour ne pas se marcher dessus, l'idée de travailler de concert m'étais venu plus d'une fois. Il fallait en parler avec la femme dragon et c'était une occasion, bien qu'elle avait l'air de plus vouloir tout foutre en l'air que de vouloir parler de quoi que ce soit, y compris de nos boulots respectifs. Pourtant le refus ne vient pas, et si ce n'est pas un oui franc j'ai tout de même une réponse pluri-syllabique, et en guise de confirmation je hoche la tête avant de faire demi tour pour faire comme dit, attendre à la sortie.
La porte principale comporte des bancs à proximité et je m’assois sur le dossier, les pieds sur l'assise, les coudes sur les genoux et le regard sur l'ouverture, pensant que de toute façon si elle voulait se faire la malle la femme ailée n'aurait pas grand mal à me fausser compagnie avec ses envergures impressionnantes. Je ne lui en tiendrait pas rigueur d'ailleurs, après tout c'est une journée de merde. Le plan de partager le terrain pour un entrainement commun avec mélange des groupes passerait dans une lettre, bien que j'aime à donner mes projet en face à face généralement. Le conseil ne m'en tenait pas rigueur, je répondait très peu souvent à mon courrier, préférant venir avec la lettre à la main comme si c'était une invitation. En parole et acte, c'est une valeur que j’aime à appliquer.
La dame ne tire pourtant pas au flanc et elle sort qulques minutes plus tard, poignet emmailloté comme un nouveau né et après des recommandations d'usage l'infirmière referme derrière elle. Je lève un bras pour montrer ma position, puis me lève avec assurance avant de me rapprocher sans en faire trop. "L'Auberge la plus proche ou vous avez un lieu de préférence, Capitaine Amriel?" Sa réponse à peine dévoilé je prend le pas, bien décidé à ne pas traîner pour dévoiler mon projet. Si j'avais quelques heures de libres, pas question de ponctionner le temps de la malakim. On ferait les choses bien, mais en temps et en heures. Pas question de lambiner sur des questions futiles telles que le lieu de notre réunion improvisée.
Aux mains de l'infirmière, Amriel pu recouvrir son calme, calmer les pulsions meurtrières venues l'étreindre. Et c'est à peu près calmée qu'Amriel ressortit, un joli bandage sur le poignet en direction du chef des explorateurs qui n'avait pas oublié l'invitation. Amriel aurait sûrement un peu aimé qu'Adrastos oublie sa proposition, parte sans se retourner afin qu'elle puisse rentrer chez elle, partir se vautrer sur son lit et s'y endormir pour mieux laisser refluer tout élan de rage qu'elle continuait de sentir la taquiner. Gardant son soupir pour elle, Amriel se retint de prendre la voie des airs et s'approcha finalement de l'explorateur en chef, lui adressant un hochement de tête protocolaire pour toute réponse au fait qu'elle était prête. L'idée d'aller dans une taverne ne l'enchantait que peu, avec les odeurs, les bruits, son envergure difficile à faire entrer dans n'importe quel établissement, Amriel prit quelques secondes pour le considérer et c'est finalement sur un haussement d'épaules désinvolte qu'elle se tourna en sur le côté, prête à embrayer le pas à sa suite, où qu'il irait. « Où vous voulez, je n'ai pas l'habitude de fréquenter les tavernes. » Car oui, Amriel sortait dans ce genre d'établissements environ une fois toutes les huit années, donc il ne valait mieux pas compter sur elle pour planifier cette petite sortie. Elle avait surtout accepté de rester car Adrastos s'adressait à elle en qualité de Capitaine des veilleurs et non parce qu'il voulait lui compter fleurette au détour d'un verre de vin. Si c'était les intentions qu'il nourrissait, nul doute qu'il se retrouverait certainement seul face à son verre.
La direction indiquée, Amriel se contenta de suivre Adrastos en silence, marchant sans mot dire à ses côtés, la main posée de manière rigide sur le pommeau de son épée, répondant d'un simple hochement de tête aux saluts que lui adressaient parfois les citoyens. Rares étaient les fois où Amriel marchait, préférant la compagnie solitaire des nuages et des oiseaux d'altitude plutôt que de se déplacer à pied, pourtant, elle se garda de se plaindre, marchant simplement dans un silence parfait jusqu'à l'arrivée devant la taverne. La salle semblait grande — assez pour ses ailes — et relativement vide, un fait important à noter, aussi, toujours avec cette même mine de porte de prison dénuée de toute joie, Amriel tint la porte à Adrastos, entrant à sa suite pour se voir assaillie de tous les sons, les odeurs que l'endroit renfermait. Que ces sens de Malakim pouvaient se montrer capricieux lorsqu'il fallait se mêler à la société. Un froncement de nez plus tard et la Dragonne se dirigea sans attendre vers une table vide, un peu à l'écart, tournant sa chaise pour ne plus avoir à subir son dossier et prendre place sans que ses ailes ne soient douloureusement installées. Avec une précaution presque invisible, elle les rangea bien sagement dans son dos, plantant ses coudes sur la table pour dévisager Adrastos. « Je vous écoute. »
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Capitaine Amriel était le genre de femme que l'on remarquait de loin. Droite comme un I, toujours sur les terrains d'entrainement si elle n'était pas sur les murailles, il n'était pas rare de la croiser tant que c'était professionnel. La voir dans un lieu public devait s'en tenir plus à de la chance qu'autre chose, à croire que la veilleuse se figeait tant sur les hauteurs qu'elle finirait gargouille, pointant un œil affuté et autoritaire sur la plaine en contrebas. Un vrai gâchis, si cela devait arriver: La capitaine avait beaucoup plus à offrir qu'une stature impressionnante en pierre.
En sortant de l'infirmerie je remarque bien qu'elle espère que j'ai filé, et son regard en se heurtant à ma carrure ramassé sur le banc tique légèrement. Pourtant, je ne cherche pas à embêter la belle et occupée dame des veilleurs. Mon prétexte avait tout de légitime, et une fois que je lui demande si le premier lieu venu lui conviendrait et qu'elle acquiesce, sans conviction mais tout de même, je prend le pas et ouvre la marche. L'endroit n'est qu'à une centaine de mètres à peine, et en milieu de matinée comme ça, il n'y a pratiquement personne. La salle est grande et éclairée, et bien que les relents soient encore de la nuit passée on s'active à la tâche pour nettoyer les embruns du soir pour remettre le couvert dès la nuit venue. Je fais un signe de tête à une métamorphe aux yeux fatiguées qui tient un balai à la main, puis à la tavernière, une spectre qui nettoie avec application ses verres avant de m'assoir à la même table que la femme aux ailes de cuir.
Je reste un instant silencieux, regardant simplement la capitaine, son bandage tout neuf, puis ses yeux sérieux avant d'ouvrir la bouche. "Je me suis dit que ce serait moins informel d'en parler ici, mais ma suggestion est tout à fait sérieuse." Je souris franchement puis ajoute: "J'aimerais que l'on puisse trouver un moment pour faire des entrainements ensemble." Je rectifie immédiatement, me faisant plus clair: "Pas vous et moi, enfin... Si, on pourrait aussi, mais... Je parle des veilleurs et des explorateurs." Je me tais finalement car la petite serveuse a revêtu son tablier et, sûrement parce qu'on lui a soufflé qui nous étions elle se tient droite devant nous, bien plus éveillée que sur son balai à frange. "Je prendrais un hivernas, s'il vous plaît. Prenez ce que vous voulez, Capitaine, je paye pour cette fois." J'attends que les commandes soient prisent avant d'avancer mes mains pour faire un dessin imaginaire sur la table.
"J'ai eu l'occasion de vous voir vous entrainer bien plus que nécessaire pour savoir qu'on a deux groupes qui peuvent s'apporter quelque chose. Mon groupe fait autant du combat que des tactiques de fuites ou de caches, pour survivre. On délimite des terrains, on construit des cabanes pour s'abriter et surveiller les environs, on protège les gens qui pour une raison ou une autre sortent... Comme vous. Nous sommes payés à savoir nous battre, comme vous, même si nos méthodes peuvent être... Différentes." Je prend le silence quelques secondes et continue: "Je propose qu'on initie un test. Une sorte de ... Tournoi amical. Mes explos ont besoins de challenge, mais la majorité n'est pas prête à former une seconde expédition. Ils ont besoin de nouveauté, tout en gardant le rythme d'entrainement nécessaire. Et je suis à peu près sûr ... Que les vôtres aussi. Ainsi que de votre autre chose chez leur chef." Mes yeux se fixent un instant contre son poignet et me rassois dans mon siège quand les verres atteignent notre table. "ça pourrait vous permettre de former de la cohésion de groupe avec vos hommes. Et moi avec les miens. ça nous serait profitable à tous, peut-être... De faire un tournoi veilleurs contre explorateurs, chefs compris." Elle est "la dragonne des murailles" et je suis "le salaud au pupitre", alors autant s'allier pour donner quelque chose d'autres à nos groupes... Et peut-être un peu redorer notre image.
Dire qu'Amriel aurait aimé être n'importe où qu'à cette petite réunion improvisée était un euphémisme. En réalité, à peine avait-elle emboité le pas d'Adrastos, qu'elle se demandait bien ce qu'il pouvait avoir à lui demander qui ne nécessiterait pas l'aval de Koss comme finalité. Après tout, même si elle était l'une des veilleuses les plus acharnées à son travail, elle restait la subordonnée du Commandant et ne pourrais outrepasser ses ordres, aussi proches soient-ils. Alors peut-être que plus d'une fois, la dragonne manqua de dire à Adrastos qu'il vaudrait mieux voir avec le Commandant, qu'elle avait mieux à faire et devait partir, mais déjà, devant eux se découpait la devanture de la taverne et Amriel fut bien contrainte d'abdiquer.
La salle était vide, simplement occupée par ses travailleurs qui tentaient de remettre en état le lieu avant que le gros du travail ne s'entame une fois le soir venu et suivant le chef des explorateurs jusqu'à la table qu'il avait choisi, Amriel s'y installa sans grande cérémonie. Pour ses oreilles sensibles, le crissement des poils du balais sur le sol était une agonie, elle qui aimait tant le silence et avait en sainte horreur les petits bruits parasites comme celui-ci et les verres qui s'entrechoquaient derrière le bar. Sans plus attendre, Amriel demanda alors à Adrastos ce qu'il lui voulait, en terme bien plus sympathiques évidemment. La dragonne essayait, tentait de se montrer la plus sympathique possible, mais après ce démarrage de journée absolument ridicule, elle peinerait certainement à redescendre avant d'être allée s'entraîner, cracher sa rage sur le terrain plutôt que sur le visage d'un gamin.
Adrastos semblait enjoué, le total opposé d'Amriel qui s'accouda sur la table pour écouter l'explorateur en chef s'exprimer. Et si les débuts semblent un peu hésitants, elle comprend bien vite où souhaite en venir l'homme face à elle. Sans particulièrement démontrer de réel intérêt ni une désapprobation franche, Amriel observa la serveuse approcher, toute raidie et le coeur battant la chamade qu'elle était. Car il devait être rare de voir deux gradés rassemblés à une heure pareille de la journée, dans une taverne qui plus est et sans détourner le visage d'Adrastos qui continuait à parler, Amriel bascula son attention vers la jeune femme. Une humaine, à en juger par son rythme cardiaque et l'odeur qu'elle dégageait et quand enfin, Adrastos informa Amriel qu'il offrait, la veilleuse se fendit d'un sourire jaune, presque amer. « C'est trop aimable de votre part. » Elle tourna alors la tête vers l'humaine, gardant sa moue figée, dénuée de toute sourire ou de toute chaleur : « Une infusion, la moins goûtue que vous avez. » Et sans plus attendre, la serveuse pu se retourner, filant vers les cuisines où quelques bruits de casseroles qui tombaient firent grincer les dents de la Malakim. Elle avait dangereusement besoin de repos, ses sens la tourmentant en témoignait, mais elle ne dit rien, reposant son attention sur Adrastos qui reprit rapidement ses explications qu'elle le laissa dérouler sans jamais l'interrompre.
À petits pas, la serveuse revenait, posant les boissons devant les concernés avant de s'esquiver comme si elle venait de les déranger pendant un conseil de guerre et un instant, Amriel se redressa, ses ailes frémissant dans son dos en un signe qu'elle était à terre depuis bien trop longtemps à son goût quand elle demanda, d'une voix toujours aussi détachée : « Et ce tournoi, quelles épreuves comprendrait-il ? » Elle reposa son regard sur Adrastos, incisif, tranchant avant de continuer : « L'idée de l'entraînement ne me semble pas mauvais, mais nous avons toujours le même problème que lorsque j'ai décidé de créer le parcours du combattant dehors. Pendant que nous rassemblons tout le monde, qui surveille les remparts ? Qui surveille la guilde d'Ozénys et les fonds marins près du Château des Maintes Eaux ? Nous ne pouvons pas réunir tout le monde au même endroit, nous ne sommes pas assez nombreux pour garder la ville en sécurité et nous amuser avec vous en parallèle. » Oui, elle avait dit "s'amuser", car la façon qu'Adrastos avait eu de présenter la chose, cette petite réunion serait encore aux yeux de tous une vaste blague, deux groupes de valeureux guerriers patouillant dans la boue pour s'amuser alors qu'ils avaient un rôle : quadriller les alentours, faire d'Ozéna un monde sûr et assurer la protection de la ville. Alors, peut-être pour aider — ou pas —, Amriel ajouta : « Et c'est avec le Commandant que vous devriez vous entretenir, je n'ai aucun pouvoir de décision sur ce que vous proposez. »
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Je n'ai honnêtement pas grand chose à penser du Capitaine des veilleurs, à part son travail qualitatif pendant les entraînements. Je connais finalement mieux Koss pour le côtoyer aux réunions du conseil. Il est occupé, comme beaucoup des dirigeants et des hauts placés, et si il est évident que mes plans passeront par son aval avoir eu sous le coude Dame Amriel me permet d'avoir une première oreille et pas des moindres. Après tout, elle était parmi ceux qui entrainait le plus les recrues et, comme moi, elle faisait partie des acharnées. Des qualités qui suffisaient pour en faire une interlocutrice de choix malgré son air encore irrité et son choix de boisson bien fade.
J'expose alors mon esquisse à la malakim qui ne semble ni enjouée ni dubitative de mon initiative, et écoute sa question, puis ses réticences avec intérêt. En effet, il faudrait toujours des gens pour défendre la ville, pour la protéger et surveiller nos arrières. Je hoche la tête et prend une gorgée avant de proposer: "Pour ce qui est des épreuves, duel avec armures et armes factices, endurance, combats groupés, lutte, on peut tout imaginer. J'imagine que les veilleurs sont plus habitués à combattre avec leur équipement, mais je me trompe peut-être?" Après tout le groupe des veilleurs ressemblait bien plus à une armée que les explorateurs, mais si les armes étaient importantes, d'autres choses pouvaient s'avérer utile. "Nos entrainements comptent autant de combats que de postures de fuite ou défensives, et il y a tout le reste: Construction, surveillance, garde de la guilde d'Ozénys lors des sorties, trappages... Il y a sûrement des choses utiles que puissent apprendre les veilleurs, tout comme je suis sûr que nous pouvons apprendre de vous."
Je reprend une gorgée, réfléchissant aux propos précédents puis ajoute en essayant de laisser de côté le choix des mots: "Evidemment, nous ne pouvons pas laisser la cité sans surveillance. Il serait utile de faire le tournoi en plusieurs étapes, et de scinder les groupes, par exemple en trois, chacun faisant une épreuve pendant que les deux autres s'occupent de la ville. Les groupe tourneraient au fur et à mesure des épreuves, ça permettrait à chacun de montrer ses compétences dans un domaine choisi, d'apprendre des autres et de ne pas lâcher son devoir. Cela semblerait envisageable?" Mes yeux se heurtent à ceux, sans émotion aucune, de la Capitaine. Peut-être qu'elle n'en voyait pas l’intérêt, tout simplement. Pourtant nous partagions les terrains, les équipements... Et si je ne me trompe pas, des valeurs communes.
Je regarde finalement la jeune femme avant de remettre mon nez dans mon verre, toujours ouvert à entendre ce que la Dame me dit malgré que ce soit effectivement (et de plus en plus) pas son jour. Finalement, c'est avec un sourire agréable que je lève doucement les mains: "J'en parlerai à votre supérieur. Cependant votre avis m'intéresse, après tout vous n'êtes pas le premier veilleur venu. Vous être Capitaine des veilleurs, l'un de ceux à qui mon camarade fait le plus confiance. Et je vous respecte: Vous êtes une femme de talent, de travail rigoureux. Votre avis m'intéresse sur ce tournoi, car j'aurais grand plaisir de vous y voir et de concourir avec... Ou contre vous." Car de tous les veilleurs, les capitaines et le commandant étaient les plus expérimentés... Mais aussi les plus attrayants à faire concourir.
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