La saison froide s’installait sur Ozéna avec une certaine ardeur et une vivacité qu’Alden n’avait encore jamais connu jusque là. Première fois que ses poumons rencontraient la morsure glaciale. Première fois que les flocons se déposaient sur lui. Et première fois que les sols étaient tapissés de cette couverture. Il y avait sur la cité d’Azamyr une toute nouvelle ambiance, un peu lugubre à cause de l’épais brouillard qui s’infiltrait dans chacune des ruelles alors que le soir tombait.
On était loin des lagons bleus et de la brume chaude et humide de Thaoli c’était certain.

Le métamorphe avait passé la journée à travailler dans son dojo. Il y avait eut de l’administratif, trois heures de cours et encore des travaux à réaliser afin que le lieu soit des plus accessible pour un public varié. On ne pouvait pas dire que le tigre s’était ennuyé et en d’autre terme, il avait passé une plutôt bonne journée. Mais il y a de ses sensations qui ne vous trompes pas. Depuis l’aube, le tigre n’était pas dans son assiette. Des points de nostalgie, des idées qui ne vous sortes pas de la tête. Des épisodes comme celui-ci, Alden en a bien l’habitude depuis son arrivé sur Ozéna, bien qu’il n’en parle à personne. Enfin il y avait bien Mélusine. Galatéa savait aussi. Difficile de résonner la petite voix dans sa tête lorsqu’elle a décidé d’y ajouter son grain de sel.

Le regard rivé sur les toits de la cité, un nuage de vapeur s’échappant à chacune de ses expirations par son nez, Alden savait que le jour d’après serait plus lumineux. Ce n’était qu’une question de temps. D’habitude. De résiliation. À se demander si Vangaren n’était pas bel et bien encré en lui. Et si ses idées noires reflétaient l’âme de ce dieu accroché à sa chair ?

Le métamorphe esquissa un rictus mauvais, perché sur le toit d’un grand bâtiment encore vide de toute population. La cité avait beau être immense, encore beaucoup de bâtisse se retrouvait être déserte. Alden se demandait à quoi pourrait bien ressembler Azamyr une fois que tout les logements seraient rempli ? Comment était la vie dans une ville aussi peuplée ? Il y avait quelque chose d’étrangement effrayant à cette idée.

Le brouillard et les flocons de plus en plus épais, Alden s’étira les bras en sortant les griffes à leurs maximum. Le froid s’infiltrait dans les plis de ses vêtements mais son pelage épais venait faire barrière. Seul son appétit le résigna à se lever de son spot d’observation. Un estomac grondant d’une faim dévorante. Perché en hauteur, le tigre surplombé tout. Réajustant ses deux sabres chéris, Alden quitta le toit pour un autre d’un bon puissant. Trottinant d’un pas conquérant, le tigre avait apprivoisé son corps. Tout n’était pas parfait après plusieurs mois, mais l’entraînement payait.

Il y aurait de ses individus qui vous direz de ne pas courir et de faire attention lorsque le sol est recouvert de glace et de neige. Et puis il y a de ces métamorphes tigrés qui se mettent à se taper sprint sur les tuiles d’une auberge. Il était forcément évident que l’animal se retrouve à glisser sur une plaque de verglas.

Alden serra les crocs lorsqu’il sentit la cheville qui avait déjà eut du mal à cicatrisé depuis leur aventure avec Zora vriller sur la glace l’emportant dans une chute fracassante. Une roulade, puis une autre, jusqu’à sentir le vide sous lui. Dans l’élan de sa chute, Alden perdit l’un de ses sabres accrochés dans son dos. Son corps percuta les pavés de la ruelle avec force. Par chance, on dit souvent que les chats retombent sur leurs pattes. C’était le cas mais le tigre est sûrement plus lourd que le chat ou bien la gravité plus forte ici puisque ses poignée se dérobèrent sous lui laissant une épave féline sur un sol gelé.

Alden aurait sûrement explosé de rire si ses articulations n’en avaient pas prit un si gros coup.

Une nouvelle petite journée qui s’achevait pour la famille Moonmawh. Elizabeth et Göttier s’étaient employés au temple, celle-ci avait reçu des visiteurs, échangé avec les fidèles, organisé le travail des prêtres, passé du temps avec les orphelins, et achevé les préparations administratives pour les cérémonies qui arriveront au passage de la nouvelle année. Elle profita aussi d’un instant pour adresser une lettre à la guilde d’Ozéna, afin de contacter les alchimistes qui travaillent là-bas dans dans l’espoir que l’un deux accepte de prendre Edward comme apprenti. Elle avait déjà quelques rendez-vous de prévu pour les prochains jours, notamment la préparation des arrangements floraux avec Zora au premier. Elizabeth ressentait une étrange impatience à cette activité, elle ne savait pas pourquoi mais elle appréciait passer du temps avec la nymphe. N’importe qui aurait pu estimer que la métamorphe était simplement enthousiaste à passer du temps avec son amie ; mais la louve n’était que trop peu habituée aux relations interpersonnelles, si peu que cette pensée manqua à lui traverser l’esprit.

Göttier s’était occupé d’affaires plus manuelles : balayer certaines pièces du temple, nettoyer les jardins, déplacer certains meubles en prévision des activités du mois de décembre... Une bonne journée de travail en somme ! La journée d’Edward et Lïn furent classiques pour des adolescents : quelques cours, puis quelques activités et divertissements personnels. De la fin de l’après-midi au début de soirée, la famille prévoyait de se promener dans les ruelles d’Azamyr, histoire de faire un petit tour ensemble, en famille, avant le diner.

- "Je n’aime pas trop l’hiver... Il fait froid, on doit porter des vêtements beaucoup moins élégants qu'en été. Sans compter la neige qui pique les yeux ET qui limite drastiquement l’harmonie des couleurs qu’on peut porter, et..."

Comme à son habitude, Lïn parlait, beaucoup, tout en faisant quelques sautillements légers. Tantôt se plaignant, tantôt partageant son engouement, toujours en passant d’un sujet à l’autre d’un naturel déconcertant. Chuchotant à sa maman, la voix du petit chaton essayait de se glisser parmi le flot de parole de Lïn.

- "Mais comment Lïn fait pour parler autant... Et surtout... Pourquoi ?"
- "Il faut voir ça comme un signe d’affection et de confiance. C’est parce qu’i... Qu’elle, se sent à l’aise avec nous qu’elle parle autant et librement."
- "Mais... Lïn est comme ça avec tout le monde..."
- "... Eh bien... Fais preuve d’affection envers Lïn et sois patient et sans jugement, veux-tu bien ?
-"Hm. Oui maman."

L’approche de décembre était visible par les quelques flocons qui commençaient déjà à tomber, ce qui aurait pu offrir un spectacle agréable à regarder si le brouillard n’avait pas été aussi présent. Même si, en soi, l’atmosphère d’Azamyr sonnait d’un certain mystère.

- "Je n’aime pas trop le brouillard, on ne voit pas grand chose aux alentours ET les gens nous voient moins bien. Mais il faut admettre que ça me donnerait presque de l’inspiration une telle ambiance !"
- "Ne t’éloigne pas trop quand même." Sermonna gentiment Göttier, voulant affirmer son rôle de grand frère. - "Et ne sautille pas, si tu te ramasses à cause du sol glissant tu te feras mal !"
- "Même si ça serait un peu drôle..."
- "Eh !"
- "On se calme, les enfants. Pas de moquerie ou de sermon envers votre sœur... Quand bien même, fais attention, Lïn, s’il te plait."

Lïn râla, mais obtempéra malgré tout avant de revenir du côté de sa maman pour lui prendre la patte. En soi, c’était une balade plutôt normale jusque-là : des gentilles chamailleries, maman qui essaye de maintenir un semblant de calme et de bonne entente...
Cependant, alertée par un détail qu'elle aperçut du coin de l’œil, Elizabeth passa ses bras devant ses enfants pour les faire reculer subitement. Un réflexe plutôt bienvenue car, devant eux, tomba... Une personne ? Lïn pouffa un petit rire de la truffe, par réflexe et par la surprise de voir un grand homme faire un plat juste devant ses yeux. Réaction rapidement réprimandée par un regard désapprobateur d’Elizabeth, qui se rua vers le malheureux au sol.

- "Oh, ciel ! Vous allez bien ? Göttier, vient m’aider s’il te plait !"

Se baissant à son niveau, Elizabeth constata qu’il s’agissait d’un métamorphe, qui était arrivé en Ozéna il y a quelques mois : Alden Vangar. Elle avait été présente le jour de son arrivée par le portail, mais prise par un inhabituel élan de pudeur elle ne s’était pas occupée directement de lui ; et n’eut pas le temps ensuite de venir à sa rencontre... Quelle immaturité dont elle avait fait preuve, se disait-elle.

- "On... On va commencer par voir s’il y a des blessures apparentes. En fonction, il faudra sûrement qu’on l’emmène quelque part pour le soigner. Le temple n’est pas si loin d’ici. Ne vous en faites pas monsieur Vangar, nous nous occupons de vous."

Malgré les retours de pudeur qu’elle sentait la saisir à nouveau, Elizabeth prit sur elle pour examiner le corps du tigre, malgré le sang qui lui montait aux joues, à la recherche d’une éventuelle anomalie trop importante causée par la chute. Les métamorphes ont certes le corps solide -et certainement que celui d’Alden l’est- mais chuter depuis le ciel, ou d’un haut toit, ne pouvait que difficilement ne causer aucune séquelle. Une fois assurée qu’il pouvait être redressé, Elizabeth se plaça de sorte à soulever le métamorphe tigré par dessous une épaule, pendant que Göttier faisait de même par dessous l’autre, et ensemble ils aidèrent le tigre à se relever, puis à se déplacer.

- "Attention, nous allons vous soulever. N’hésitez pas à... Mettre tout votre poids sur nous, si vous sentez que vos jambes fléchissent. On vous couchera au temple, tout va bien se passer, d'accord ?"

Même si elle ne payait pas de mine, Elizabeth avait tout de même la force d’une métamorphe. Certes elle fatiguait, mais elle pouvait fournir ce genre d'efforts physiques sur des courtes durées. Puis, voir ainsi une personne blessée lui donnait une forme d'adrénaline ; d’autant plus que Göttier l’aidait, lui qui était toujours volontaire pour participer aux tâches physiques du temple, il avait une bonne endurance et lui même une force digne d'un métamorphe. La louve restait attentive au tigre, à l’écoute s’il ressentait des douleurs, ou s’il disait des choses, prête à le rassurer au besoin. Pendant ce temps, Edward et Lïn restaient partiellement en retrait.

- "On est d’accord que... Maman semble rougir, là ?" Chuchota Lïn à son petit frère, se délectant de tous les détails essentiels de la scène qui se déroulait sous ses yeux.
- "Mais... Tu... Comment..." Balbutia Edward, abasourdi par les étranges priorités de Lïn à cet instant.

Un impact plus tard, le métamorphe n’eut même pas le temps de reprendre ses esprits qu’il était déjà tout entouré. Clignant des yeux en serrant les crocs à cause de certaines douleurs, il ne déclara rien pendant quelques instants. Ça piaillait fort autour, lui qui venait de passer une bonne heure dans un calme mortel plongé dans la brume.

La patte douce d’une métamorphe très inquiète au vu de ces mots alarmés le souleva accompagné par la force d’un jeune gaillard. Un groupe de métamorphes ? Une famille ? Comme c’était curieux. Alden s’attarda une seconde sur l’ado aux cornes noires puis n’écouta que d’une oreille la jeune cervidé. Des enfants. Il n’en avait vu que très rarement se promener dans la cité depuis son arrivée alors se retrouver entouré de trois jeunes, qui plus est, métamorphe, oh oui il y avait de quoi être surpris. Mais dans le respect, le tigre n’en montra rien.

Encore un peu sonné, il remarqua que quelques secondes plus tard qu’on était littéralement en train de l’emmener dans la ruelle.

- Attendez… heu madame.

Le félin se tourna vers la métamorphe qui semblait avoir prit les choses en main. Il s’agissait d’une louve aux pelages crèmes dont le regard rosé était fortement intriguant.

Se redressant pour libérer un peu les deux porteurs de gros tigre, Alden secoua doucement le visage avant de se mettre entièrement debout sans pour autant mettre tout son poids sur sa cheville.

- Je vais bien. Je vous assure.

Le métamorphe échappa un léger rire pour rassurer la louve si inquiète. Son regard se perdit une seconde dans l’iris de la métamorphe avant de cligner des yeux pour regarder le coin de ruelle ou il était tomber.

- Quel idiot je fais de vouloir courir par ce temps. C’est que ça glisse fort là-haut. Ça m’apprendra.

Alden regarda son épaule ou il sentait du sang couler à cause d’une entaille. Puis sa cheville qui avait déjà du mal à guérir depuis l’incident avec Zora.

- Ça pourrait être pire, mais j’ai les os solide. Merci tout de même, me voilà bien embêté par la situation.

Le félin leva son bras non douloureux pour gratter sa crête noire floconneuse derrière son crâne, signe qu’il était gêné.

- J’aurai pu tomber sur l’un de vous. Bon ce n’est pas arrivé mais tout de même.

Le métamorphe scruta alors la louve devant lui.

- Vous êtes une prêtresse, je me trompe ?

- « Mais-je-comment quoi ? Admets juste que j’ai raison ! »

- « Tu me fatigues… »

Vraisemblablement, Elizabeth avait un peu surréagi. En même temps, comment réagir avec proportion lorsqu’on aperçoit une personne tomber du toit sous ses yeux ? Qui, dans cette même situation, ne serait pas en état d’alerte ? D’autant plus, qu’en l’état, il était drôlement improbable que le métamorphe tigre, aussi solide soit-il, s’en sorte aussi bien ! Il devait être porteur d’une certaine chance. Néanmoins, il semblait saigner de l’épaule, et l’une de ses chevilles était visiblement fragilisée.

- « Je… Suis navrée. Vous voyant tomber, j’ai… J’ai pensé au pire. »

Elizabeth balbutia presque tant elle se sentait ridicule. D’abord captivée par son rire, qui se voulait quelque peu rassurant malgré la situation ; la louve se retrouva ensuite perdue dans les yeux profonds du tigre. Durant une seconde -qui lui sembla une éternité bien trop courte- Elizabeth se sentit comme ailleurs alors que son cœur s’emballait sans qu’elle ne sache pourquoi. Le froid, pensait-elle d’abord, ce malgré cette étrange chaleur qu’elle ressentait pourtant ? Difficile à dire… Pendant cette seconde, la métamorphe n’avait même pas réalisé qu’elle avait stoppé sa respiration, jusqu’à relâcher une fine et douce brume de son museau lorsque leurs yeux cessèrent de danser ensemble.

- « Tu vois, Lïn ? Si tu avais couru, tu aurais chuté toi aussi. »

- « Ha ha. Très drôle. Je suis beaucoup plus adroite que ça. »

Se disant que le grand métamorphe pouvait tenir debout, Göttier s’éloigna, sans manquer l’occasion de refaire gentiment la morale à Lïn. Par précaution -mais peut-être pas seulement- Elizabeth, elle, restait à proximité du tigre. Au cas où sa cheville céderait, elle souhaitait pouvoir éviter qu’il ne tombe une nouvelle fois.

- « Je… Je vous crois. Mais vous semblez saigner, et je crois deviner que vous boiteriez si vous essayiez de marcher. Vous ne voulez vraiment pas que je vous accompagne au temple, au moins pour vous assurer d’éviter le pire ? »

Maintenant qu’elle essayait de recentrer ses pensées, Elizabeth constatait à quel point le tigre est… Grand, imposant. Une trentaine de bons centimètres de plus qu’Elizabeth, voire plus certainement. La situation aurait été bien plus grave s’il était tombé sur elle, ou pire, sur l’un des enfants. Heureusement que la louve était constamment sur le qui-vive, et qu’elle avait, par conséquent, fait reculer ses petits à temps.

- « Si vous étiez tombé sur maman ça aurait été jouissif.~ »

- « Lïn. » Reprit Elizabeth, dont sa voix de maman ferme et autoritaire laissait échapper un très léger et subtil tremblement. - « Je te prie d’éviter ce genre de commentaires. »

- « Pardoooooon.~ »

Mes excuses, encore une fois… En effet, Je suis prêtresse. J'...

Haute-prêtresse, même. Précisa Göttier, sans une certaine fierté ici un peu mal placée ; précision qui accentua un peu plus l’embarras que ressentait la louve.

… Oui. J’officie au temple d’Ekaris, justement. Nous nous étions très rapidement aperçus lorsque vous êtes arrivé par le portail. Oh, et j’ai manqué à l’un de mes devoirs… Je suis Elizabeth, Elizabeth Moonmawh. Et…

Par volonté d’accélérer les choses, Lïn coupa la parole de sa chère mère pour enchaîner rapidement les présentations et enchaîner au moment clé de la situation. Toujours sans manquer de se délecter de la situation et la gêne dont était prise sa maman d’amour.

- « Et le grand cornu là c’est Göttier ; le petit bizarre c’est Edward »
- « Eh ! »
- « Et moi-même, c’est-à-dire la jeune et jolie demoiselle, c’est Lïn ! Vous devriez vraiiiiment aller au temple, qui n’est pas très loin en plus. Maman sait très bien soigner les bobos. ~ »

Lïn, si tu continues tes commentaires déplacés je te prive de violon pendant au moins une semaine.

Lîn plissa les yeux et se força au silence. Même si l’idée qu’iel ne faisait rien d’autre que d’aider sa maman ne lui quitta clairement pas l’esprit. Une nouvelle fois, Elizabeth essayait de rester focalisée sur la situation et d’ignorer le sang qui lui montait aux joues, la mettant toujours plus dans un état qu’elle était incapable d’identifier.

- « Encore une fois, mes excuses… Lïn est étrangement en forme ce soir. Comme je commençais à vous le dire : nous avons tout ce qu’il faut au temple. Des bandages, des onguents… Je ne me sentirais point sereine si je vous laissais partir dans un tel état. »

Cela faisait longtemps qu'Elizabeth ne s'était pas sentie ainsi, à ne pas avoir un certain... Contrôle, sur la situation ; sur elle-même, surtout. Simultanément, elle voulait regarder Alden dans les yeux et se sentait prise d'une timidité malvenue quand elle le faisait. Que devait-il penser d'elle ? Entre son attitude à elle, les commentaires de Lïn, le contexte en lui-même... La Haute-Prêtresse avait l'impression de se donner en spectacle, dans un pièce de théâtre bien comique et bien satyrique.