La journée du 19 décembre 119, le malakim s’était rendu chez Zora, sa fleuriste préférée. Heureuse de le recevoir de manière inopinée – peut-être que c’était là pour elle l’occasion de prouver l’existence de son ami ailé ? – elle l’écouta avec attention quand, armé de son encyclopédie des fleurs sous le bras, il lui demanda une fleur en particulier, pour confectionner un bouquet. Une fleur qui existait également sur Terre, l’iris. La fleur des premières émotions de l’amour. Le message était assez clair derrière ce choix. C’était très tôt pour parler d’amour, mais si Vex comprenait le message caché, elle serait ravie et apaisée de savoir que son malakim voulait sincèrement investir cette relation et la rejoindre dans ses sentiments. Oh, il en avait déjà ! Seulement, ils n’étaient pas aussi puissants que ceux de l’élémentaire de feu, mais au moins, ils avaient le mérite d’exister dans le cœur endurci d’un Kaël célibataire depuis trop longtemps.

Malheureusement, Zora lui annonça une déconvenue : pas d’iris sur Ozéna en cette saison froide. S’il avait été un peu plus malin, il l’aurait compris lui-même. En revanche, la nymphe lui proposa un magnifique bouquet de roses blanches, qu’elle pourrait teindre. Elle lui prouva que le résultat serait sensationnel, avec un petit échantillon de ses capacités. Avec une teinture violette, utilisée en très petite quantité sur chaque pétale de fleur, elle était capable de récréer la teinte caractéristique des iris. Épaté par son talent, il explosa de rire quand elle lui proposa d’ajouter une étiquette autour du bouquet, indiquant « ceci sont des iris d’hiver à Ozéna ».

Sans trop le questionner sur sa vie privée, mais comprenant ses intentions derrière ce choix, elle lui avait donné tous les conseils nécessaires pour que les fleurs passent la nuit sans encombre. Et que, à l’issue de sa prochaine garde, Kaël puisse les récupérer dans sa chambre, pour les apporter au petit matin du 20 décembre à sa belle élémentaire aux améthystes. Ils avaient prévu de se voir le 21 décembre, mais le malakim voulait faire une visite surprise chez Vex.

Sa garde venait de prendre fin et il avait filé à l’allure la plus rapide possible. Ses frères étaient parfaitement au courant de ses plans pour la journée. Ils l’avaient tellement questionné, en long, en large et en travers, qu’à un moment, il en avait eu la tête qui tournait. En revanche, une fois repus par toutes ces informations, ils lui avaient foutu la paix, non sans le prendre chacun dans leurs bras. L’un des deux fit mine d’essuyer une larme, en disant qu’il n’aurait jamais cru voir ce jour arriver. Kaël lui avait fait un doigt d’honneur, avant d’exploser de rire.

Comme il avait un peu de temps devant lui, il fit un brin de toilette et se brossa les dents, pour arriver pimpant chez Vex et non complètement dévasté par une longue nuit sur les remparts. Cette fois-ci, il ignora la bouteille de parfum de Cassian. Il empaqueta des affaires pour pouvoir se changer le lendemain, car il espérait bien pouvoir dormir avec l’élémentaire de feu dans ses bras. Au dernier moment, son sac sur le dos, il attrapa le bouquet. Il le trouvait sincèrement magnifique et espérait que les fleurs plairaient à l’alchimiste.

Le soleil se levait, produisant de jolies couleurs dans le ciel et annonçant le repos des étoiles. Il ne fallut pas plus de quelques minutes à Kaël pour rejoindre la maison de Vex, dans son quartier si tranquille. Les pieds au sol, en observant la porte d’entrée, il sentit un poids lourd au fond de son estomac. Le visage fermé, il s’en approcha et constata que sa vue était toujours excellente : la porte était entrouverte, mais aucune lumière ne s’échappait de la maison. Du bout du pied, il repoussa la porte qui, sans grincer, s’ouvrit en grand. Lorsqu’il pénétra dans la demeure de Vex, une alarme s’enclencha en lui. Ça puait le sang et la peur dans la baraque.

- Vex ?

Sa voix était rauque, inquiète. Le feu dans l’âtre était éteint, mais il devinait un reste de chaleur. Pour ne pas refroidir davantage la maison, il ferma la porte derrière lui. Normalement, si elle était chez elle, le foyer devrait s’agiter et les lumières seraient toutes allumées, grâce à sa maîtrise de son élément. Aucune réponse non plus. Et cette odeur de sang, et même de brûlé... Ça empestait le fer, la rouille, il n’en savait rien, ça puait tout simplement le mauvais plan cette affaire. Avançant à pas feutrés dans la maison, craignant de faire une mauvaise rencontre, il utilisa tous ses sens. Il n’entendait pas de pas précipités ou de respirations angoissées. Il ne percevait même pas de battements de cœur suspect. Il était seul… ? Est-ce que la maison avait été cambriolée en l’absence de l’alchimiste, qui se trouverait à son laboratoire ? Un détail attira son regard.

Là où il était certain, un petit guéridon devait se tenir, il vit quelques éclats de bois, comme des échardes. Et non loin, ses prunelles furent attirées par une trace sombre. Soudain, l’odeur de sang était si forte qu’il en plissa le nez de dégoût. Et puis elle lui apparut, au sol, baignant dans une petite mare de sang qui entourait son crâne. Sa tenue était débraillée, elle devait avoir froid. Comprenant d’un coup d’œil qu’elle était probablement inconsciente, il en fit tomber son bouquet, qu’il abandonna au sol.

- VEX !

Il s’approcha, mis les genoux au sol et constata qu’elle était salement amochée, même l’un de ses yeux était enflé, violacé voire noirâtre. Un vent de panique lui fit perdre les pédales jusqu’au moment où il réussit à réfléchir un petit peu. Il fallait qu’il s’assure qu’elle respire, or les battements de son cœur étaient si calmes, qu’il n’avait pas envie de se fier à son ouïe. Il posa deux doigts sur son cou et ressentit son palpitant, lent. Une main sur son ventre, pour se rassurer et oui, elle ventilait. Merde, merde, merde. Comment agir ? Alors que ses yeux allaient et venaient dans tous les sens, un tas de serviettes, à moitié brûlées – ce qui expliquait une certaine odeur – attira son regard. Elles étaient pleines de sang. Il était répugné, mais au moins, elles l’inspirèrent pour la suite.

Avec des grandes enjambées, il rejoignit la salle d’eau et ouvrit chaque placard à la volée, jusqu’à trouver un gros tas de serviettes. Le bain était rempli d’une eau froide et crasseuse, ce qui n’était franchement pas dans les habitudes de l’alchimiste. Au lavabo, il prit soin de mouiller plusieurs serviettes, pour nettoyer les plaies de l’alchimiste, le reste allait demeurer sec pour pouvoir l’essuyer. Car il le savait, il ne pouvait pas sortir chercher un médecin, tant qu’il n’aurait pas sécurisé sa belle. Lorsqu’il revint au salon, il avait espéré qu’elle soit debout, souriante et qu’elle lui dise que tout ceci n’était qu’une blague. Une très mauvaise blague. Néanmoins, elle était toujours dans la même position. Alors il s’assit au sol, pour compresser la plaie sur son crâne. Le sang s’était un peu épaissi et il lui sembla qu’il ne coulait plus, mais mieux vaut prévenir que guérir. Une main s’affairant à compresser cette zone, l’autre nettoyait le visage de l’élémentaire de feu.

Il faisait froid et sombre, mais fort heureusement, il pouvait compter sur sa bonne vue de malakim. Il n’avait pas le temps de se préoccuper de l’environnement, la priorité était Vex. Son corps était froid et, quand il le put, il se détendit au maximum pour attraper la couverture sur le sofa. La même couverture dans laquelle elle s’était enroulée pour se réchauffer, lorsqu’ils étaient en train de lire, quelques jours plus tôt… Pas le temps de niaiser, il en recouvrit le corps de l’alchimiste et essaya de la frictionner avec vigueur pour la réchauffer. Tant pis si ce n’était pas doux. Maintenant, que devait-il faire ? Ne surtout pas paniquer. La bouger dans cet état, sans savoir si elle souffrait d’une terrible commotion était dangereux, mais la laisser au sol, froid et inconfortable, à baigner dans un vieux sang, ce n’était pas idéal non plus. Avec toute la douceur et la lenteur dont il était capable, il la souleva, prenant garde de maintenir sa tête le plus fermement possible, pour ne pas la secouer. Impossible de monter jusqu’à son lit, alors il l’installa sur le sofa, calant son crâne avec un coussin. Ici, au moins, il avait facilement accès à un point d’eau, à la cuisine ou à la salle de bain.

C’est avec toutes les précautions du monde qu’il déplaça l’élémentaire de feu. Son attention était surtout tournée vers sa tête, qu’il espérait ne pas trop secouer dans la manœuvre. Bon gré, mal gré, il réussit à la faire s’étendre sur toute la longueur du sofa. Sa tête était très légèrement surélevée par un coussin. Lorsque le malakim songea qu’elle était relativement sécurisée, il réajusta la couverture sur elle, pour qu’aucun de ses membres n’en dépasse.

Elle était dans une tenue absolument pas adaptée pour sa maison, lorsque le feu ne ronfle pas dans l’âtre. Ce n’était donc pas un simple hasard si elle portait ce déshabillé qui dévoilait de belles parties de son corps. Soit elle avait fait une terrible chute, peut-être causée par un moment d’égarement ou un malaise, mais il en doutait sincèrement. Un objet contondant avait clairement provoqué cette blessure sur son crâne. Soit elle allait parfaitement bien et une intrusion l’avait surprise, en petite tenue, et s’en était suivi un combat ou au moins une lutte. Car vu le bazar de sa maison, les serviettes pleines de sang à moitié cramées, les traces au sol, il devait bien y avoir quelqu’un qui s’était faufilé chez Vex avec de mauvaises intentions…

Il sentit la colère envahir son corps et il surprit même quelques tremblements dans ses mains. C’était peut-être aussi une manifestation de la peur qu’il ressentait, bien qu’il mettait tout en œuvre pour ne pas écouter son ressenti, ne pas laisser trop de place aux petites voix inquiètes dans son esprit. Kaël continuait de frictionner le corps de l’alchimiste, au travers de cette couverture, afin qu’elle puisse se réchauffer. Il remarqua des signes encourageants chez Vex. Déjà, grâce à ses caresses énergiques, son corps semblait se réchauffer. Une certaine activité était visible au niveau de ses paupières. À genoux devant le sofa, le malakim posa une main sur la joue de l’élémentaire, loin de son coquard et de ses blessures. Peut-être que, si elle n’était pas loin d’être consciente, Vex pouvait ressentir la tension dans sa paume.

- Doucement Vex, je suis là, prends ton temps…

Peut-être qu’elle l’entendait, ou pas, mais sa voix était aussi douce que possible, presque un murmure. Il voulait feindre l’assurance pour qu’elle soit apaisée, si jamais elle revenait à elle, mais en réalité, Kaël était surpris, dans l’incompréhension la plus totale et son inquiétude était palpable. Il n’avait aucune idée si elle ressentait ce mal-être chez le malakim, mais tout dans son langage verbal comme non-verbal démontrait que l’élémentaire de feu était très loin d’être rassurée. Son corps semblait pris de soubresauts, elle se crispait régulièrement. Des petits sons, des gémissements, s’échappaient de sa gorge. Peiné par cette vision, le malakim garda sa paume sur sa joue et son autre main alla à la rencontre de celle de Vex, pour presser ses doigts contre les siens.

- Je suis là, je suis là…

C’était probablement vain, pourtant à chaque plainte de l’alchimiste, le veilleur se borna à répéter les trois mêmes mots en boucle. Ses yeux furent rapidement submergés par les larmes qui coulaient sans discontinuité. Bon sang, par tous les dieux, qu’avait-elle vécu d’aussi traumatisant pour être dans cet état et pleurer ? Ne lui avait-il pas promis de chasser ses larmes dorénavant ? Le malakim se sentait impuissant, il n’avait aucune foutue idée de ce qui lui était arrivé, il ne pouvait pas la quitter pour aller chercher un médecin. Il était coincé avec ses connaissances en survie qui ne lui permettaient pas de recoudre une plaie au crâne. Elle était en souffrance, visiblement, mais il n’était pas fichu de savoir quoi lui donner. Il n’était pas chez lui, il ne savait pas où les choses se trouvaient. Et puis il se pelait le cul, alors il imaginait que pour Vex, c’était encore plus insupportable. Sauf qu’il n’avait pas le cœur à se détourner d’elle pour rallumer le feu, se débarrasser des serviettes imbibées de sang, devenues des chiffons bons à jeter.

Soudain, elle reprit conscience pour de bon. Sa peur était telle qu’elle souhaita se redresser, comme pour bondir et fuir. Le malakim plaqua une main sur son épaule pour la forcer à rester allongée. De toute façon, la douleur de sa commotion devait être très vive et la paralyser. Son visage était crispé et elle gémissait de plus belle. Quant à ses larmes, elles formaient dorénavant un torrent qui n’était pas prêt de s’arrêter.

- Vex, c’est moi, c’est Kaël !

Elle papillonnait dans tous les sens à la recherche de… Et bien, il n’en savait rien. Est-ce qu’elle paniquait, car le coup sur sa tête l’empêchait de bien voir ? Avait-elle perdu la vue, au moins partiellement, ne serait-ce que pour quelque temps ? Se devait une grande source d’angoisses. Le malakim se redressa, pour qu’elle puisse le repérer facilement et, peut-être, trouver un soutien, un visage familier, une impression de sécurité dans ce bordel.

Le visage du chef d’escouade était tiré par la fatigue, celle de ses deux dernières gardes, mais surtout celle de cette nuit, sans repos. Il était venu directement après son travail, au diable le sommeil. Des petites poches se dessinaient sous ses yeux, mais ce n’était pas le détail le plus flagrant. Sa mâchoire fermée, crispée. Ses lèvres ne formaient plus qu’une seule ligne. Il était terriblement inquiet, soucieux de l’état de santé préoccupant de l’alchimiste. Son regard n’avait rien de malicieux, de tendre, ou de gêné, les expressions qu’elle avait le plus souvent les derniers jours. Il était en colère, la rage l’habitait et s’il ne perdait pas les pédales, c’était parce qu’il était attaché au bien-être de l’alchimiste, à l’aider, à la sauver.

Sa main sur sa joue était toujours en place et du bout du pouce, il essaya de lui donner un peu de tendresse, quelques cajoleries pour la rassurer, contrairement à sa sale gueule de malakim. Il dégagea même une mèche de cheveux, à moitié collée par le sang, qui allait gêner sa vision. Il tenta de se rassembler et de faire taire les émotions dans sa voix, pour être le plus calme possible. Car lui allait bien, il était hors de question qu’il tire la couverture sur lui dans cette situation. Sa seule préoccupation : Vex.

- Tu es en sécurité avec moi, je vais prendre soin de toi. Tu as une blessure à la tête, une autre à la tempe et… Il préféra ne pas mentionner son coquard, elle verra bien assez tôt son reflet dans le miroir. J’ai dû parer au plus pressé. Je ne peux pas sortir chercher un médecin. Il faut que tu restes allongée pendant que je trouve de quoi te permettre de moins ressentir les douleurs. Est-ce que tu me comprends, Vex ?

L’alchimiste était terrifiée, complètement hantée par un souvenir, ce qui laissa muet le malakim. Il n’était pas fichu de trouver les mots justes pour la rassurer, pour la persuader qu’ils sont seuls dans sa demeure. Certes, il n’était pas monté à l’étage pour le vérifier, mais Kaël le sentait : le coupable avait déserté la maison de l’élémentaire de feu. Rien ne trahissait une présence indésirable. Pas de bruit, pas de respiration, pas de tentative de fuite ou d’attaque. Pourtant, l’agresseur de Vex lui laissait un tel souvenir qu’elle croyait dur comme fer qu’il allait revenir pour achever son méfait. Elle sanglotait tant que les mots étaient presque douloureux à sortir. Son souffle était saccadé. Il l’avait vue quelques jours plutôt en plein chagrin, exprimant toute sa peine et sa souffrance avec ses larmes. Aujourd’hui, Vex avait passé un nouveau niveau dans l’expression de son mal-être. Plus rien ne semblait pouvoir la raisonner.

Elle s’accrochait si fort à la main du malakim que c’en fut presque douloureux. C’était sa bouée de sauvetage, son ancre en plein milieu d’un océan piégé par une tempête d’une virulence sans précédent. Elle le suppliait, l’implorait, aurait vendu probablement tout ce qu’elle possédait, et même plus, juste pour qu’il ne la quitte pas. Son agitation était telle qu’il croyait qu’elle serait capable de sauter sur ses deux pieds pour le poursuivre si Kaël avait l’audace de s’éloigner ne serait-ce que de quelques pas. Il était coincé, même si sa situation à lui était bien plus confortable que celle de l’élémentaire de feu.

Son regard était voilé par la peur, son visage crispé par la douleur. Elle s’était réchauffée certes, mais lorsqu’elle était inconsciente, son corps s’était tellement refroidi que ses lèvres étaient devenues violacées. Avec son œil au beurre noir, elle était plutôt effrayante. Et son attitude, parfaitement compréhensible au regard de son état d’angoisse, était comparable à de la folie. Si le malakim ne répondait pas correctement à ses attentes, ne diminuait pas ses peurs, de quoi serait-elle capable ?

- Chut, Vex… Je suis là, regarde, je suis là, je ne vais pas partir…

Sa main liée à la sienne était comme prise dans du ciment. Impossible de s’en détacher, alors il la sacrifia pour qu’elle puisse l’utiliser, comme un objet supposé la rassurer. Même en s’étirant, il n’atteindra pas le foyer pour débarrasser les horribles serviettes et allumer un feu. Pour le moment, il fallait oublier toute source de chaleur et de lumière. Il n’avait pas non plus de lampe à portée de main, qu’il aurait pu faire brûler, pour qu’elle puisse discerner son visage dans la pénombre. Bientôt, le soleil sera assez haut pour qu’elle puisse le voir, mais en attendant, il faudrait qu’elle puisse se fier à ses autres sens pour se rassurer, pour comprendre qu’elle est avec Kaël et non son agresseur.

- Tu as besoin de te réchauffer et de rester calme. Je vais m’allonger près de toi, en essayant de ne pas t’écraser, pour que tu puisses profiter de ma chaleur. D’accord ?

Chaque parole qu’il prononçait semblait demander un effort pour que Vex l’entende et la comprenne. Bon gré, mal gré, une main en moins, le malakim remua pour se débarrasser de son manteau. C’est presque s’il n’attrapa pas une suée dans l’effort, tandis que l’alchimiste semblait comprendre ses intentions, ou totalement s’y soumettre. Aucune idée, sa terreur continuait d’enfler. Il échangea la main qui tenait celle de Vex, pour terminer de dégager son corps de son vêtement d’extérieur. Un peu essoufflé pour avoir autant gesticuler, et la peur qui le pétrifiait petit à petit, s’insinuant dans ses veines, il s’assit sur un bout de sofa et se pencha vers l’élémentaire.

- Reste tranquille, tu veux bien ? Je vais t’enlacer, ce sera comme si nous allions faire une sieste. Tout va bien se passer, tant que tu ne bouges pas trop, tu dois faire attention à ta tête.

Le malakim attendit encore quelques secondes, le temps qu’elle digère et s’approprie les informations. Quand elle sembla prendre sur elle pour canaliser ses spasmes, se faire plus petite et lui dégager un peu de place sur le sofa, Kaël vint se lover contre elle. Il eut l’impression de devoir se déboîter une épaule, afin que son bras pende dans le vide, au-dessus de la tête de l’élémentaire qu’il tenait à ne pas déplacer pour le moment. Son autre bras enlaça le corps de Vex, enveloppé dans la couverture. Il n’osait pas davantage la toucher, ne sachant pas quelle agression au juste elle avait vécu. Le peu d’intimité qu’offrait cette position pourrait bien l’achever et le faire vriller. Peut-être qu’elle se débattra, croyant revivre son traumatisme, mais faute de mieux dans l’immédiat, il lui proposa la seule solution qui lui apparaissait. Tout était bon pour qu’elle se calme, s’apaise et évite d’empirer sa commotion.

- Tu es en sécurité. Je reste avec toi, calme toi et quand tu iras mieux, nous verrons la suite.

À défaut de pouvoir bien le voir pour le moment, elle pouvait le reconnaître à sa voix et à son odeur, grâce à cette proximité de leur corps. Le malakim la veilla, tant qu’elle en avait besoin. Il se pétrifia dans une position absolument inconfortable, mais tout était bon pour rassurer l’alchimiste. Il fallait que la pression retombe, qu'elle s'apaise et que ses sanglots cessent, ou au moins qu'ils diminuent. Sinon, qui sait, sa plaie pourrait se rouvrir. Et Kaël n'était toujours pas un médecin aguerri capable de refermer sa blessure. Il était également un piètre sauveur, mais bon, il donnait tout ce dont il était capable. La situation l’avait tout autant surpris qu’elle, c’était violent, lunaire et si brusque. Il avait envie de la prendre dans ses bras, comme lorsqu’ils avaient dormi ensemble, mais il craignait de trop l’envahir, de lui provoquer une nouvelle bouffée d’angoisse. Vex devait se rassembler, trouver du courage et se libérer de cette agression, ou au moins réussir à la mettre de côté, le temps de se préoccuper de son état de santé.

Dans un autre contexte, il aurait trouvé adorable qu’elle gesticule un peu pour se lover contre lui. Ici, c’était tout simplement dangereux et propice à raviver toutes ses douleurs. Pourtant, Vex ressentait le besoin de se retrouver tout contre son malakim. Ce dernier n’avait pas le cœur à la rabrouer, à lui demander d’en faire le moins possible, voire à lui interdire tout mouvement. Si elle le faisait, c’était pour répondre au besoin impérieux de trouver du réconfort. Maintenant, elle sanglotait en se sentant entourée par ses bras, sa présence, sa chaleur et la sécurité, qu’il se jurait intérieurement de lui offrir.

Ses larmes ne cessèrent pas de couler. Il lui laissa le loisir de se vider, en toute vulnérabilité et sans jugement. Elle sentait la peur, le sang, la sueur pour avoir tant craint pour sa vie. Même l’odeur si caractéristique de ses cheveux, de son shampoing gorgé d’huiles et d’essences odorantes, ne lui parvenait plus au nez. Il était peiné pour elle, de la voir ainsi détruite, réduite à ces sanglots. Au travers de la couverture qui l’entourait, il lui donna quelques caresses lentes, dans son dos. Il espérait qu’elle ne se sentait plus seule et en danger, mais il ne se leurrait pas… Vex était traumatisée et cela n’allait pas s’arranger juste parce qu’il était présent pour elle à ce moment. Qu’en sera-t-il lorsqu’il sera forcé de la laisser seule, pour s’acquitter de ses tâches de chef d’escouade ? Comment fera-t-elle ? Est-ce qu’elle vivra renfermée, dans la crainte de mettre un pied dehors et de retrouver son agresseur ?

Elle prit la parole pour exprimer combien elle avait craint pour sa vie. Et malgré l’horreur qu’elle avait vécu, elle lui parla aussi de sa peur de ne plus le revoir. Quoi qu’elle ait vécu, avait-elle eu le temps, la force, ou le désespoir, de penser à lui, Kaël ? Il réprima un soupir, ou plutôt un grognement de colère et resserra sa prise avec son bras, sur le corps de Vex, sans pour autant la brusquer ou l’écraser. Il était dans une position absolument inconfortable, il sentait que ses muscles tétanisaient, mais elle avait besoin de proximité. De le sentir autour d’elle, la protégeant, pensant à elle, comme elle l’avait fait durant cette terrible nuit…

- Je suis là.

Toujours les mêmes paroles, mais il ne savait pas quoi dire d’autres. La situation était si inattendue et surprenante qu’il en avait perdu ses capacités à communiquer correctement. Il tenta tout de même de bredouiller quelque chose, pour apporter un peu de positif et de réconfort à l’alchimiste.

- Tu es vivante, c’est terminé et je suis là pour toi.

Peut-être qu’elle se moucha un peu sur son pull, mais il est certain qu’elle le mouilla avec ses larmes, tant elles étaient nombreuses et ses sanglots intenses. Elle peinait à s’exprimer, certains mots étaient incompréhensibles et le malakim préférait ne pas l’agacer ou l’empêcher de s’exprimer, comme ça venait, en lui demandant de se répéter. Pour le moment, cela n’avait ni queue, ni tête et c’était sûrement un exutoire pour l’élémentaire de feu. Au bout d’un moment, elle se détourna de son torse. Son visage était ravagé. Son œil au beurre noir affreux. Ses paupières complètement enflées. Ses améthystes étaient encerclées par un fond d’œil complètement rougi. Ses traits étaient tirés et sa bouche tordue par les angoisses. Quant à son teint, il était si pâle… Elle faisait peur à voir et c’était terriblement inquiétant.

Kaël croyait halluciner lorsqu’elle lui demanda pardon, évoquant qu’elle n’avait pas pu se défendre. C’était lunaire, tout simplement. La victime qui demandait pardon, comme si elle était fautive. Il ne connaissait pas les tenants et les aboutissements de cette nuit d’horreur. Il ne pouvait que constater les conséquences, les dommages collatéraux. Pourtant, il aurait tout parié sur le fait qu’elle n’avait certainement pas demandé à être agressée. Est-ce que la personne s’était introduite chez elle par effraction ? Est-ce qu’elle l’avait suivie ? Est-ce qu’elle l’avait dupée, pour mieux la piéger ? Le veilleur voulait tout savoir, pour comprendre ce qu’elle avait vécu. Il voulait pouvoir s’imaginer les horreurs subies, pour mieux compatir à sa peine. Et puis, un peu plus égoïstement, il voulait savoir quel faux pas il devra absolument éviter, pour ne pas la froisser, la blesser ou la renvoyer dans ses traumatismes…

- Tu n’as pas à t’excuser Vex. Ce que tu as subi, ce n’était pas ton désir. Quand tu te sentiras prête, et surtout pas avant, tu pourras m’en parler. Mais en attendant, je refuse que tu demandes pardon d’avoir été agressée, de ne pas avoir réussi à te défendre. Ce qui t’est arrivé est injuste et ne mérite aucunement que tu t’excuses.

Sa main quitta son dos, pour dégager avec douceur les boucles emmêlées qui avaient tendance à se coller sur son visage, à cause du sang séché. Il devait faire très attention à ne pas trop appuyer sur sa peau blessée, ni à frôler les hématomes et autres contusions. D’une certaine façon, elle était défigurée. Néanmoins, il ne voulait pas qu’elle constate dans son regard combien son apparence lui faisait de la peine et l’inquiétait.

- Je ne sais pas combien de temps tu es restée inconsciente, mais avec tout le sang que tu as perdu, il faudrait au moins que tu t’hydrates. Est-ce que tu te sens assez courageuse pour me laisser m’éloigner et préparer un thé, ou qu’importe ? Je suis quand même avec toi, chez toi et je te protège. Il ne reviendra pas, j'ai fermé la porte et je te protège, entendu ?

Il n’était pas le plus fort en matière d’émotions et de compréhension de l’autre, mais l’angoisse qu’il lisait sur le visage de Vex, lorsqu’il lui apprit qu’il devait s’éloigner un peu d’elle… Bon sang, cette image allait le hanter un bon moment. C’était comme si le peu d’assurance qu’il lui avait transmis dans cette étreinte, venait de s’effondrer comme un château de cartes. Ce n’est sûrement que parce qu’une voix raisonnable en elle lui hurla qu’elle devait le laisser faire, que l’alchimiste accepta son sort, comme si c’était la pire peine que l’on puisse lui faire subir. Le cœur du malakim souffrait pour elle. Avec toute la peine du monde, elle desserra ses poings, sa prise sur les vêtements du veilleur, pour qu’il puisse s’éloigner. Son corps sembla se rapetisser, se rassembler sur lui-même, comme si elle espérait disparaître.

Debout, face à cette version de Vex au sommet de sa vulnérabilité, il prit sur lui pour ne pas retourner s’allonger près d’elle et dire au diable aux besoins fondamentaux de son corps. Il contourna avec lenteur le sofa, pour qu’elle ne le perde pas brusquement des yeux. Au moins, elle n’eut pas le réflexe de se redresser, de se mettre en position semi-assise pour le suivre du regard. Contrairement à ses habitudes, il mit un point d’honneur à se déplacer bruyamment, pour qu’elle puisse entendre chacun de ses pas.

Dans la cuisine, il ouvrait et fermait chaque placard sans ménagement. Il cherchait de quoi lui préparer une tisane, dans laquelle il mettrait un mélange de sucre et de miel pour lui apporter un semblant de force. Le même miel qu’il avait dévoré, gourmand, quelques jours plus tôt. Le malakim n’avait pas le temps de faire chauffer de l’eau, alors il espérait que la décoction de zucon prendrait assez bien dans de l’eau à température ambiante. Au pire, ce serait un mélange sucré, sans le coup de fouet de l’infusion. Le zucon dans une boule à thé, il abandonna la préparation avec l’espoir que cela fonctionne.

Toujours en traînant des pieds, il se rendit dans la salle d’eau. Il plongea sa main pour trouver le bouchon au fond du bac de bain et évacuer son contenu. L’eau était froide, comme le reste de la maison. Il s’essuya brièvement le bras sur une serviette qui traînait. Il n’avait pas le temps de le remplir, Vex n’attendrait pas aussi longtemps, il en était persuadé. Il fallait y aller étape par étape. Lorsqu’elle se sentira un peu mieux, il lui préparera un bain et la savonnera, avec toute la douceur dont il est capable, si bien sûr, elle l’accepte. En revanche, avant qu’elle n’ait l’idée de découvrir son reflet dans le miroir, il préférait lui éviter la vue d’un bain sale. Son sixième sens lui indiquait que ce n’était pas le sien, qu’elle aurait oublié de vider. L’odeur de l’eau n’avait rien à voir avec les produits qu’elle avait utilisé, quelques jours plus tôt, dans leur bain à deux.

Il retourna dans la cuisine et renifla le breuvage. Il y avait une vague odeur de zucon et cela devra bien faire l’affaire, faute de pouvoir faire mieux dans la précipitation. Revenant dans la partie salon, il se posta entre le sofa et l’âtre, éteint. Il tendit à l’alchimiste la boisson, avec un mince sourire bienveillant.

- Tiens, j’ai fait ce que j’ai pu, ça n’aura probablement que le goût du sucre et du miel… Bois doucement.

Avec peine et lenteur, elle se redressa, sans pour autant se mettre en position assise. Diligemment, elle but le breuvage, sans grimacer. Cela devait donc surtout être une eau sucrée, mais peu importe, elle s’hydratait et c’était l’une des étapes importantes et urgentes. Dans le coin de son regard, il remarqua qu’une bougie venait de s’allumer. Sa flamme était fragile, le moindre filet d’air pourrait bien l’éteindre. Pourtant, il ressentit un grand soulagement en tournant la tête pour l’observer. Il se leva pour aller la chercher et la poser non loin de Vex. Courageuse, elle trouva l’énergie de s’asseoir, tout en restant emmitouflée sous la couverture. Avec la petite flamme et le jour qui se levait, elle y voyait un peu plus clair.

- Je vais rallumer un feu dans l’âtre, pour que tu te réchauffes. N’utilise pas ton pouvoir pour m’aider, tu dois t’économiser.

Il l’avait dit tendrement, mais derrière son ordre, il y avait une certaine fermeté. Elle devait garder le peu d’énergie qu’elle avait, afin que son corps puisse se remettre en route et commencer à entreprendre le long processus de guérison. Le veilleur s’assura qu’elle avait bien compris, avant de lui tourner le dos pour se pencher vers le tas de cendre et de serviettes. C’était répugnant. L’odeur de sang lui prit le nez aussitôt et il se mit à respirer par la bouche. Il attrapa le plus gros, plaça une nouvelle bûche au fond de l’âtre. Il n’avait pas besoin d’agir sans discrétion, il sentait les améthystes de l’alchimiste sur lui, épiant le moindre de ses faits et gestes, s’accrochant à son image, à sa présence, pour se rassurer. Elle le voyait, il était proche d’elle et c’était suffisant pour qu’elle reste sage, sans sangloter, sans chercher à le rattraper pour qu’il ne la quitte pas.

Il trouva sur le manteau de la cheminée une boite d’allumettes, entre quelques bibelots et des bouquins sur divers sujets. Il lui fallut en craquer plusieurs pour réussir à faire prendre la bûche, mais quand Kaël fut sûr que le feu n’était pas sur le point de s’éteindre, il retourna près de Vex. Il s’assit à côté d’elle et eut à peine le temps d’esquisser un mouvement d’un bras vers elle, pour l’inviter à se lover contre lui, qu’elle fonçait presque dans ses bras. Il l’entendit gémir de douleur, regrettant probablement de s’être jeté contre lui si vite, ravivant sa commotion. Le veilleur l’enlaça, hésitant à très légèrement la bercer, pour la rassurer, mais se résigna à être immobile, pour ne pas attiser ses souffrances.

- Tu ne crains plus rien, je suis auprès de toi.

Il le savait, Vex devra faire preuve de beaucoup de résilience pour passer outre son traumatisme. Il s’engageait, se promettait intérieurement, de l’aider sur cette voie. Et peut-être parce qu’il avait formulé ce vœu, ou parce qu’il avait des réponses appropriées, un comportement bienveillant, il notait déjà combien l’alchimiste était forte et courageuse. Une énergie en elle refusait de se laisser abattre. D’autres ne feraient que pleurer, se murer dans le silence, s’enfermer dans une pièce et se cacher sous de nombreuses couvertures, avec le secret espoir de s’asphyxier pour disparaître dans son sommeil. L’élémentaire de feu, elle, verbalisait et montrait son mal-être, s’appuyait sur le malakim et osait braver son traumatisme. Il était aussi fier d’elle que lorsqu’elle était parvenue à découvrir l’horizon depuis la hauteur des falaises.

La lucidité revenait, malgré ses craintes et ses larmes qu’elle peinait à freiner. Il fallait que quelqu’un s’occupe sérieusement de ses plaies et qu’elle en passe par l’épouvantable case couture. Kaël en était bien incapable, autrement, il s’en serait chargé. Il voulait poser son crâne sur le sien, qui reposait sur son épaule, mais il s’abstint, pour ne réveiller aucune douleur lancinante.

- Tu dois être recousue oui. Et tu n’auras pas à marcher, je te porterai et nous volerons pour aller plus vite. À moins que tu connaisses un médecin, je peux t’accompagner à l’infirmerie des veilleurs où l’on s’occupera bien de toi.

Il caressa d’une main tendre la joue qui ne reposait pas sur lui. Celle qui était ravagée par les larmes, mais relativement épargnée par les contusions.

- Tu ne peux pas sortir comme ça, alors tu vas devoir au moins t’habiller plus chaudement. Dis-moi ce que tu veux que j’aille te chercher et je te l’apporterai. Ne te fatigue pas à monter les escaliers et puis tu auras plus en t’habillant devant l’âtre.

Définitivement, les malheureux bouts de tissus qu’elle portait n’étaient pas adaptés à l’hiver rigoureux d’Azamyr. Pas plus qu’elle ne se sentirait à l’aise de sortir de la sorte, exposant sa peau, mais aussi ses blessures et traumatismes au tout-venant. Il voulait qu’elle puisse faire attention à son image, même après cet événement qui devait faire de sa tenue affriolante le cadet de ses soucis. Dans un autre contexte, il aurait aussi voulu qu’elle ne sorte pas dans cette tenue, pour être le seul à connaître et inscrire dans son esprit son allure très séduisante. Ici, il ne souhaitait que la protéger de davantage d’expériences insurmontables.

Soudain, Vex ressentit le besoin de s’exprimer, de commencer à partager cet épisode chaotique qui marquera à tout jamais sa vie. Ses mots étaient entrecoupés de sanglots, voire de difficulté à respirer. Pour l’encourager, il garda sa paume sur sa joue et se pencha pour l’écouter. Car si c’était trop difficile, Kaël pouvait compter sur son excellente ouïe de malakim pour entendre même un murmure.

Son agresseur n’était pas entré par effraction chez elle. Il s’était présenté blessé à l’alchimiste et, le cœur sur la main, elle a décidé de lui ouvrir les portes de sa demeure pour lui venir en aide. Finalement, il comprit que la situation avait dérapé, que l’homme était armé et qu’un concours de circonstances avait blessé l’élémentaire de feu. L’agresseur, mal intentionné, peut-être accompagné d’un complice – il ne comprenait pas bien cette étape de l’histoire, ce qui le fit froncer les sourcils – s’en était pris à Vex. Cela devait être aussi flou dans l’esprit de l’alchimiste que dans celui de Kaël. Elle n’était sûre de rien et les derniers instants avant qu’elle ne perde connaissance étaient complètement troublés.

- Il… Devait-il lui demander ? Devait-il remuer à ce point sa souffrance ? Il se mordit l’intérieur de la joue, incertain de pouvoir se permettre de poser la question, mais finalement elle lui brûla les lèvres. Est-ce qu’il a abusé de toi ?

Évidemment que son agresseur avait abusé d’elle. Il était entré, l’avait menacée, bousculée, blessée, promis de « la rendre belle », comme si elle en avait réellement besoin… Il avait en partie ravagé son mobilier, et même profité de sa salle de bain très moderne. C’était bien plus qu’abuser d’elle… Mais il avait besoin de savoir, car après tout, l’agresseur avait pitoyablement essayé de maquiller son crime, de cacher les preuves. Alors peut-être que la tenue, très légère, de l’alchimiste l’avait inspiré pour un énième crime, celui de la chair. En y songeant, malgré les balbutiements de leur relation, Kaël réprima un grognement sourd, avant de songer qu’il était peut-être difficile pour Vex d’y répondre.

- Ne me réponds pas si tu ne veux pas.

D’un geste doux, pour ne pas la brusquer et secouer sa tête, il l’encouragea à se décoller de lui, pour mieux s’appuyer sur le fauteuil. Il fallait qu’il bouge, qu’il fasse quelque chose. Et le crâne de l’alchimiste luisait d’un sang plus neuf que celui qui avait séché. La recoudre devenait urgent. Voilà son prétexte pour ne pas avoir à passer pour un ours des cavernes qui grogne, comme si elle lui appartenait et que l’idée qu’un autre la touche puisse le répugner et le mettre dans un état de transe. Cela allait bien au-delà que son petit ego à lui. Si Vex avait été abusée en ce sens, le crime déjà infâme de son agresseur, prenait un degré supplémentaire. Que l’on touche à ceux qu’il aime, c'est une idée qui le rend fou.

- Je vais te chercher des affaires, si tu n’as rien à me suggérer, je prendrai simplement ce qui sera le plus simple pour toi à enfiler. Tu saignes à nouveau.

Et le malakim lui laissa le temps de lui faire une proposition, ou non, avant de s’en aller à l’étage. Sa chambre avait visiblement été saccagée. Une odeur, qui n'était ni celle de Vex, ni celle de Kaël qui avait dormi ici, s'en dégageait. Chaque tiroir, chaque porte, avait été ouvert. Il ne savait pas si quelque chose avait été volé, ni même l'intérêt de de fouiller pour trouver... Ciel, des sous-vêtements très légers. Il s'en détourna pour fouiller son armoire et dénicha une chemise en coton blanche ainsi qu’un pantalon en toile épaisse et sombre. Il trouva un chandail qui ferait l’affaire pour qu’elle ait assez chaud sous son manteau. Il n’était clairement pas un accroc à la mode et se contenta d’opter pour une tenue pratique.

Lorsqu’il redescendit, il déposa à côté d’elle la tenue, pour qu’elle puisse se changer. Il s’éloigna de quelques pas et lui tourna le dos, ce qui lui permit de zieuter où se trouvait sa paire de bottes et son manteau.

- Prends ton temps et si tu as besoin d’aide, je suis là.

Son regard se focalisa sur la porte d’entrée de la maison. Cette même porte qu’elle avait ouverte, par bonté et… Les voilà ici aujourd’hui. Il essaye d’être discret, mais il déglutit et puis il poussa un soupir. Ses poings étaient si serrés qu’ils étaient douloureux.

Il se tenait debout vers l’entrée de la maison, maudissant la foutue poignée de porte, à défaut de pouvoir imaginer le visage de l’agresseur de Vex. Elle lui avait répondu, avec difficulté, qu’il ne l’avait pas abusée. Mais comment pouvait-elle en être sûre ? Peut-être que l’adrénaline et le déni l’empêchaient d’en être parfaitement certaine. Peut-être également qu’elle lui avait donné cette réponse plus pour le rassurer lui. Kaël espérait sincèrement que ce porc ne s’était pas servi de son corps alors qu’elle était inconsciente. Parmi les faits les plus traumatisants que peuvent vivre une femme, il imaginait sans peine que cela fasse partie du haut de la liste. Et puisqu’il savait qu’elle n’avait jamais partagé de la sorte sa couche avec un homme… Non, définitivement, il vaut mieux qu’il n’y songe pas.

Dans son dos, l’alchimiste s’acharna à se dépouiller de ses maigres habits, pour finalement enfiler la tenue que lui avait déniché le malakim à l’étage. Chaque mouvement entraînait des plaintes et des gémissements. S’il voulait lui laisser de l’intimité, mais aussi de la dignité, il voulait également tellement lui venir en aide. Il ne céda pas à cette pulsion, jusqu’au moment où il l’entendit geindre après s’être affalée dans le sofa. Plus rapide que son ombre, il se détourna de l’entrée pour la rejoindre. Elle était parvenue à enfiler son haut comme son bas, mais l’effort l’avait déséquilibrée. Il ne restait plus qu’à boucler sa ceinture, mais avant cela, elle ressentit le besoin de se tenir le crâne, comme pour compresser et minimiser ses douleurs.

- Prends ton temps.

Cette phrase était valable pour tout. Qu’elle prenne son temps pour se vêtir, pour chasser son mal de crâne épouvantable, et même pour se remettre de tous ces événements. Il sera très patient pour elle. Et même si le sang affluait à nouveau, avec une certaine lenteur, elle pouvait se permettre de reprendre son souffle et de retrouver ses esprits. Ce sera lui qui fera le plus difficile en avalant les mètres et volant comme une chauve-souris folle, avec l’alchimiste dans les bras. Vex pourra compter sur lui.

Elle trouva le réconfort de son bras pour réussir à se mettre debout. Il aurait pu la porter dès maintenant, mais elle n’avait ni chaussure, ni manteau. Doucement, ils se déplacèrent de la sorte vers l’entrée. Elle jeta son dévolu sur des chaussures qui avaient plus l’air de ballerines d’été, que de bottes chaudes d’hiver. Elle ne devait pas se sentir le courage de les enfiler, ce qui incluait également de les quitter plus tard. Comme elle tanguait, comme si elle était sur le pont d’un navire et qu’elle n’avait pas le pied marin, le malakim s’accroupit pour l’aider à enfiler chaque pied dans sa chaussure. Vex tentait de le rassurer, mais il n’était pas dupe. Elle était en souffrance et chaque mouvement était un supplice. Il passa dans son dos pour qu’elle enfile chaque bras dans son manteau, sans difficulté, avant qu’il ne lui ajuste pour qu’elle soit confortable dedans. Et avec toute la délicatesse possible, il ressortit ses cheveux pour que, coincés sous son manteau, ils ne risquent pas de tirer sur ses plaies.

Enfin prêts à prendre un vol direct pour l’infirmerie des veilleurs, elle commença à devenir incohérente. Il ne voulait pas être alarmant, alors il lui répondit le plus simplement possible.

- Et bien si on te refuse l’entrée, je jouerai mon rôle de chef d’escouade qui grogne et ça devrait faire l’affaire.

Un dernier geste pour s’assurer que son manteau était bien noué. Il était hors de question qu’elle attrape un rhume carabiné par sa faute, en plus de subir ses plaies et ses traumatismes. Kaël prit aussi quelques secondes pour arranger ses cheveux derrière ses oreilles. C’était périlleux entre le sang et les hématomes qui constellaient son visage.

- Ferme tes yeux pour ne pas avoir la nausée. Je vais essayer de voler le plus rapidement possible, sans te secouer.

Il attendit qu’elle lui confirme être prête et finalement, il la prit dans ses bras. Ce n’était pas une mince affaire, car il avait toujours pour objectif de ne pas secouer sa tête. La porte de la maison fermée derrière eux, il s’assura qu’elle fermait les paupières. Mieux encore, elle se nicha contre son torse pour ignorer l’environnement autour d’eux. C’est alors qu’il battit plusieurs fois des ailes, avec énergie, pour s’élever dans le ciel.

Le froid était rude en cette fin d’année. La neige avait glacé et peinait à fondre, lorsqu’elle n’était pas recouverte d’une nouvelle couche fraîche tombée dans la nuit. Il tenait fermement contre lui l’alchimiste, qui geignait parfois. Malgré une relative stabilité, les battements d’ailes réguliers de Kaël donnaient des petits accoups qu’il devinait être parfaitement désagréables. Au pied de la tour des remparts la plus proche, il se posa, tout en la conservant dans ses bras. La pauvre élémentaire de feu grelottait, comme privée de son élément. Rien dans leur étreinte n’était brûlant, ni agréable, contrairement aux précédentes, lorsque tout allait bien.

Cavaler dans les escaliers en portant une femme dans ses bras n’est pas une mince affaire. Il croisa un veilleur dont la garde avait commencé ce matin, mais il ne l’interrogea pas, bien que l’expression de son visage démontrait qu’il ne comprenait pas ce qu’il venait de croiser. Une fois devant l’infirmerie, il songea qu’entrer comme un bourrin, chef d’escouade ou non, cela ne servirait sûrement pas la cause de Vex. Du bout du pied, il toqua trois coups avant d’entendre la faible voix de la personne en charge des soins. Avec son coude, il appuya sur la poignée pour ouvrir en grand la porte.

- Bonjour, la citoyenne Vex Ydris a besoin d’être recousue de toute urgence.

Il ne savait pas comment exprimer le caractère impérieux de la situation et l’air bovin de son collègue ne l’aida pas beaucoup. Le veilleur s’attarda sur la femme dans les bras du chef d’escouade, avant de hocher vivement la tête. D’un geste du menton, il invita Kaël à la déposer sur le lit pour la convalescence des patients. Il sentit quelques réticences de la part de l’alchimiste lorsqu’il l’intima à se décrocher de lui. Elle l’avait sacrément cramponné durant le vol.

- Fais-moi confiance Vex, tu es entre de bonnes mains. Je vais rester avec toi, mais il doit pouvoir t’ausculter.

L’infirmier avait fermé la porte derrière eux, pour plus d'intimité, et semblait prompt à respecter le rythme de l’élémentaire de feu qui finit par se détacher de son ancre. Allongée sur le dos, le veilleur de soin pouvait maintenant s’approcher pour observer son visage et son crâne. Kaël recula, pour lui laisser la place d’évoluer autour du lit, sans le gêner avec ses grandes ailes. Il se positionna de sorte que Vex puisse facilement le voir dans son champ de vision. Tant bien que mal, le chef d’escouade lui souriait pour lui insuffler un peu de courage.

L’alchimiste ne cessait de surprendre le veilleur, tant elle faisait preuve de courage. D’autres diront que ce n’est que de la résignation. Néanmoins, sa résilience la rendait forte, si bien qu’elle avala la pilule avec dignité quand, un peu honteux, le soigneur annonça que leur stock d’anesthésiant était au plus bas, si bien qu’elle ne pourrait pas en bénéficier durant son opération. Si Kaël, en tant que malakim, avait dû encaisser ces douleurs et être recousu à vif, sans rien pour le soulager… Heureusement l’élémentaire de feu ne partageait pas sa malédiction face à la douleur. Le chef d’escouade avait un air pincé, à se forcer à sourire tout en fronçant les sourcils, inquiet qu’elle puisse encaisser ce soin barbare.

Le soignant lui laissa le temps de s’installer confortablement. Il était respectueux, peut-être parce qu’il imaginait sans peine que les différentes blessures de Vex étaient le résultat d’une terrible chute, d’un combat ou d’une agression. C’était un homme prévoyant, bienveillant et très humain dans son comportement. Kaël, quant à lui, avait bien compris le sous-entendu le concernant. Il devint l’anesthésiant de l’alchimiste, en quelques sortes. Pour ne pas gêner l’infirmier, il s’assit vers les pieds de l’élémentaire, alors qu’elle s’était installée sur son côté, laissant le champ libre au médecin de faire son travail. Le malakim se pencha, pour qu’elle puisse trouver le réconfort de sa main. Il transpirait, la faute à l’adrénaline et la peur. Le contact était sans doute désagréable pour cette raison, mais elle s’accrocha tout de même à sa paume, la serrant dès qu’une douleur se faisait ressentir et ignorant la sueur. Le malakim écouta avec attention son palpitant tout du long de l’opération. Lorsqu’il s’emballait et qu’elle réprimait un gémissement pour ne pas déranger le soignant, sa main venait écraser celle de Kaël, qui se laissa faire. À un moment donné, il aurait juré qu’elle était bouillante, probablement en réaction à la douleur et au stress.

Elle s’était débrouillée pour ne pas se plaindre lorsque l’infirmier s’occupa de sa plaie au crâne. Et sur cette même lancée, brave et courageuse, elle se concentra pour rester calme lorsqu’il se préoccupa de son arcade sourcilière. Les gestes du veilleur soignant étaient précis, nets, assurés. Il ne ratait pas un seul point et chaque piqûre était calculée, pour ne pas trop en faire et recoudre de manière efficace la chair. Il excellait dans son domaine, si bien que Kaël n’avait pas menti en promettant qu’elle se trouvait entre de bonnes mains. Il était également très sensible aux émotions de sa patiente du jour, si bien que, sans l’infantiliser, il la félicita pour son courage. Le chef d’escouade la couva de ce regard fier, qu’il lui avait très souvent adressé depuis un mois.

Dans la prolongation du soin, il l’ausculta pour s’assurer qu’il n’y aurait pas d’autres effets suite à son agression. Sa vue n’avait pas été atteinte, fort heureusement. Ses réflexes étaient quelque peu lents ou disproportionnés, mais rien d’anormal en raison de sa commotion cérébrale. Il lui indiqua son bilan et lui proposa même des médicaments. Quand il en eut fini avec sa patiente, l’infirmier s’affaira à ranger son matériel et surtout à débarrasser tout ce qui était sale. L’odeur était assez désagréable pour les narines si sensibles du malakim. Un mélange de fer, de sueur, de produits utilisés… Il prenait sur lui pour ne pas froncer le nez. Le soignant leur indiqua qu’il s’absentait quelques minutes, pour aller chercher dans sa réserve de quoi passer les prochains jours un peu plus sereinement. Avant de partir, il marmonna que prévoir quelque chose pour la fièvre était envisageable. Puis il ferma la porte derrière lui.

Kaël remonta sur le matelas pour s’approcher et s’asseoir plus près de l’alchimiste. Il lui laissa la propriété de sa main et sa seconde lui caressa du bout des doigts une joue, épargnée par les contusions.

- Je ne sais pas comment tu as fait pour ne pas crier. Tu as été très forte, Vex.

Il espérait qu’une petite flatterie supplémentaire lui donnerait du baume au cœur. Après tout, elle qui n’est que la victime de toute cette affaire, avait trouvé le moyen de se dénigrer et de se rendre coupable de son malheur, avant de lui demander pardon. Elle était si vulnérable, si fatiguée, si pâle. Elle avait besoin du réconfort d’un bain chaud et de douces attentions pour rendre son visage plus serein. Lorsqu’elle verra son reflet dans un miroir, elle aura la désagréable surprise de découvrir son visage tuméfié, violacé.

Malgré cette apparence effrayante, il la trouvait très belle. Noble. Forte et courageuse. Elle avait encaissé du mieux qu’elle le pouvait une nuit d’horreur et une matinée de souffrances. Elle était un modèle de résilience et il était fier, si fier d’elle. Du bout du doigt, il caressait ses lèvres, qui ne tremblaient plus en réponse à ses douleurs. Elle paraissait plus sereine, maintenant que la menace de se vider de son sang était derrière elle. L’alchimiste l’observait, avec attention, peut-être pour imprimer le visage d’un homme protecteur, afin d’oublier celui de son agresseur. Car jamais, oh non jamais, il n’aurait de mauvaises intentions à son égard. Elle devait le sentir, elle pouvait s’en persuader et se reposer sur cette affirmation.

Un instant, il voulut déposer un baiser bref et chaste sur ses lèvres. Néanmoins, s’étant perdu dans la contemplation de ce visage ravagé, mais d’une beauté indescriptible, il fut surpris par le bruit des pas du soignant qui revenait à son cabinet. Avant d’être pris sur le fait, il s’éloigna à une distance raisonnable de l’alchimiste, pour ne plus être penchée sur elle.

- Pour les douleurs, pour une éventuelle fièvre, pour le stress et le sommeil. Et il y a également une pâte à étaler sur les points, pour faciliter la cicatrisation. Ainsi qu’un baume, pour masser les hématomes.

Le malakim regarda chaque produit que l’infirmier leur présentait, bien qu’il s’adressait davantage au chef d’escouade, plus à même de noter ce qui servait à quoi. Le soignant glissa le tout dans une besace et en la tendant à Kaël, il lui signala la présence de la note, qu’il faudra régler. Le malakim s’empressa de la ranger dans son manteau, avec un signe de la tête. Il reviendra plus tard pour payer les services du soignant.

- Vous êtes libres de partir. Le plus sage serait qu’elle s’allonge au plus vite. Quand elle se réveillera, pensez à préparer un bouillon bien chaud, quelques féculents ou sucres lents, pour qu’elle se requinque. Du repos, pour sept jours minimum, on ne plaisante pas avec les commotions cérébrales.

Kaël buvait ses paroles. C’était un protocole sage, mais sera-t-elle capable de rester si longtemps chez elle sans essayer de fuir son quotidien, sa maison et de s’occuper l’esprit en allant à son laboratoire ? Un petit instinct lui indiqua qu’il aura probablement un rôle de geôlier, pour le bien de Vex. Il la questionna du regard, pour savoir si elle était prête à partir. Et quand elle lui fit signe, il la prit dans ses bras, pour redescendre les escaliers, direction sa chaumière.

Il descendit les escaliers avec lenteur, pour ne pas la secouer. C’était plus simple à faire qu’à l’aller. Vex était tout de même d’une grande patience, car après tout ce qu’elle avait vécu, elle ne se plaignait toujours pas. Un peu avant qu’ils ne soient de nouveau à l’extérieur, soumis au froid, elle lui demanda d’en un murmure s’il allait rester avec elle. Kaël n’avait pas eu le temps d’y songer jusqu’ici, mais il savait qu’il ne pouvait rien lui promettre : ce soir, il était de garde. Le veilleur n’aimait pas mentir.

- Je suis là.

C’était tout ce qui comptait à cet instant, tout ce que l’alchimiste voulait entendre et elle sembla se satisfaire de ces trois petits mots. À nouveau, en quelques battements d’ailes, le malakim prit la direction de la demeure de l’élémentaire dans ses bras.

Sur place, chacun fut soulagé de retrouver la chaleur du feu dans l’âtre. Il prit soin de verrouiller la porte après leur entrée, pour rassurer Vex, mais aussi pour lui-même. Il doutait que son agresseur ose revenir de jour – en fait, il doutait même qu’il revienne sur les lieux du crime, tout court -, mais mieux vaut ne pas être trop confiant. Kaël ne savait pas comment il réagirait si l’individu remettait les pieds ici, guidé par sa culpabilité, voulant se repentir, ou rendu fou par l’adrénaline, souhaitant terminer son œuvre et s’assurer de ne laisser aucune trace.

Avec toutes les précautions possibles, il l’aida à se remettre debout, maintenant une main dans son dos pour l’aider à trouver son équilibre. Avec l’assistance du veille, l’alchimiste se débarrassa des vêtements en trop. Et quand elle fut libre de ses mouvements, alors que Kaël s’imaginait qu’elle basculait vers l’avant, prise de vertige, elle vint finalement s’écraser contre son torse, dans une étreinte légèrement désespérée. Il avait à peine eu le temps d’enlever son propre manteau, mais il respecta ce besoin de se gorger de son odeur, de trouver un repère dans toute cette agitation et cette folie. Elle s’accrocha fermement à son vêtement et se pressa si fort que c’en était presque douloureux. Le malakim lui accorda quelques minutes, durant lesquelles il passa une main lente dans ses boucles emmêlées. Puis les paroles de l’infirmier lui revinrent à l’esprit et, comme le bon rabat-joie que tout le monde pense qu’il est, il lui rappela le protocole.

- Viens, tu dois te reposer Vex. Il faut juste que je prenne un verre d’eau pour diluer la poudre pour les douleurs.

Ce serait mentir que de dire qu’elle avait accepté sans objection d’aller se coucher. Elle était redevenue l’enfant qui refusait de quitter la chaleur de ses draps, lorsque le réveil sonne. C’était évidemment attendrissant et Kaël préférait se dire qu’elle réagissait comme lorsque tout va bien, mais qu’elle souhaite arrêter la course du temps, juste pour profiter un peu plus de la chaleur des bras du malakim. C’est main dans la main, pour que son sentiment de protection reste diffus, continu, qu’ils allèrent chercher le gobelet et le remplir d’eau. Une fois aux pieds de l’escalier menant à sa chambre, il l’interrogea du regard.

- Tu te sens de les monter ?

Et comme sa belle et courageuse alchimiste le lui confirma, Kaël passa derrière elle, dans le cas où elle serait prise de vertige dans la montée et voudrait s’effondrer. À l’étage, il sentit toute sa réticence. Effectivement, sa chambre, comme le reste de sa maison, n’avait pas été épargnée. Le malakim retint un grognement dans sa gorge. Il devait être encourageant, bienveillant, autrement, elle n’oserait pas se glisser dans ses draps. Il la guida du côté du lit où elle avait dormi avec lui et lui fit signe de s’asseoir. Vex avait de petits yeux, fatigués et bien qu’elle ne se sentait probablement pas en sécurité dans sa chambre, elle était attirée par le sommeil et l’idée de s’endormir.

Le malakim versa le contenu du sachet d’antalgique dans le gobelet. D’un geste souple, il remua le tout pour qu’il se disperse. Et il sortit d’un autre sachet une petite dragée, supposé aider pour le stress post-traumatique et le sommeil. Il tendit le tout à l’alchimiste pour qu’elle les consomme. Lorsqu’elle reposa le gobelet sur la petite table attenante à côté de son lit, Kaël glissa une main sous ses jambes pour l’aider à s’allonger, sans effort. Enfin, il la recouvrit de ses couvertures pour qu’elle n’ait pas froid.

Il connaissait ce petit regard. Entre angoisse de le voir partir, désillusion qu’il l’abandonne à son triste sort et désir qu’il la prenne dans ses bras. Pour être honnête, il en mourrait d’envie. Lui aussi aspirait à s’endormir, car sa nuit de garde avait été longue et que, le peu d’énergie qui lui restait, avait été aspirée par l’adrénaline et le vol aller-retour avec Vex dans ses bras. Ses traits à lui aussi étaient tirés. Alors, sans qu’elle n’ait besoin de le supplier, de l’implorer de s’allonger près de lui, le malakim contourna le lit, pour trouver sa place, comme deux jours plus tôt. Cette fois, il n’eut pas besoin de tirer l’alchimiste vers lui. Le peu de volonté qui lui restait, elle l’utilisa pour se fourrer dans ses bras, se planquer sous la couette et nicher le bout de son nez dans le col du pull de Kaël.

- Dors, ma jolie alchimiste, je veille sur toi.

Il aurait juré qu’elle avait déjà sombré, comme si l’ordre du malakim était impossible à ignorer. Ses paupières à lui étaient aussi très lourdes. Même si sa vigilance allait rester en alerte, au cas où, il s’endormit presque aussi vite qu’elle.

Quatre heures plus tard, en ouvrant les yeux, il découvrit qu’elle s’était séparée de lui. Sur le dos, le visage vers le plafond, avec des signes évidents de douleurs, même dans son sommeil. Les épais rideaux n’étaient pas complètement fermés, si bien que la lumière s’infiltrait dans la chambre. Avec toute la discrétion possible de la part d’un malakim encombrant, il quitta la chaleur du lit. L’extrême chaleur. C’était un bouillon de culture là-dedans, probablement l’œuvre de Vex et de son élément qui, en se manifestant, essayait peut-être de la rassurer, de lui insuffler de l’énergie et du courage… En fait, il n’en savait rien. Cela devait être un truc d’élémentaire.

Avant de quitter la chambre, il la borda à nouveau et posa une main sur son front, là où il ne risquait pas d’appuyer sur une blessure. Elle était effectivement bien plus chaude que la moyenne, mais était-ce de la fièvre ? Dans le doute, il pourra lui donner à son réveil ce que l’infirmier veilleur avait prévu pour ce genre de situation. Il descendit les escaliers et découvrit que le feu dans l’âtre était toujours très vif. Maintenant qu’il faisait jour, la maison lui apparaissait vraiment sens dessus dessous. Néanmoins, son objectif n’était pas de faire le ménage, mais de suivre les conseils de son confrère : préparer un repas pour le réveil de Vex. Dans la cuisine, il trouva des légumes, qu’il lavait puis découpait, avant de les jeter dans une poêle. La cuisson sera plus longue et moins précise qu’avec Vex, mais il doutait qu’elle fasse la fine bouche. Il prépara un plateau, avec des couverts, du pain, une carafe d’eau. Ses oreilles étaient attentives au moindre mouvement à l’étage, mais il eut le temps de terminer le repas et d’ajouter un peu de fromage dans son assiette.

En remontant dans l’escalier, il se rendit compte qu’il avait mis un poil trop de temps. L’alchimiste venait de se réveiller, peut-être d’un terrible cauchemar et elle haletait. Se retrouver seule, sans la présence protectrice et réconfortante de Kaël, avait dû la surprendre. Le malakim déposa le plateau sur la table de nuit et s’assit près d’elle, sur le matelas.

- Tout va bien Vex, tu n’es pas toute seule. Excuse-moi, j’étais parti te préparer de quoi reprendre des forces.

Elle reprenait son souffle en le scrutant avec attention, peut-être pour se convaincre qu’il était réel. La main du malakim se posa près de sa tempe, pas celle du côté de l’arcade recousue.

- Je n’arrive pas à savoir si tu as de la fièvre…

En posant sa main sur son visage, il la trouvait toujours excessivement chaude, mais comment savoir si c’était l’œuvre d’une fièvre ou tout simplement de son élément. Une chose était sûre, son sommeil avait dû être agité avant qu’elle ne se réveille. Une fine pellicule de sueur recouvrait sa peau, son palpitant était anormalement rapide et une certaine frayeur se lisait dans les yeux. S’il n’avait pas autant pris son temps pendant qu’il épluchait les légumes, il aurait pu gagner quelques précieuses minutes et être déjà de retour à son réveil. Il s’en voulait un peu, perfectionniste, protecteur, d’avoir failli sur ce détail.

Sûrement rassurée de le revoir après son réveil seule dans le lit, l’alchimiste lui assura qu’elle allait bien. Évidemment, courageuse, elle n’était pas encore prompte à se plaindre. L’un des coins de la bouche du malakim se redressa. L’élémentaire se positionna dans son lit, de sorte qu’elle puisse être en position semi-assise et que ses jambes puissent offrir un équilibre précaire au plateau. Elle tapota l’autre côté du lit, comme le ferait un maître avec son chat pour inviter le félin à venir siester à ses côtés. Kaël s’exécuta et s’étala lui aussi en position semi-assise, à ses côtés. Il lui fit non de la tête, lorsqu’elle proposa de partager son repas.

- Tu dois manger pour reprendre des forces. Si j’en veux, je peux aller me servir une assiette en bas. Il en reste encore. Ne t’inquiète pas pour moi.

Sauf qu’il sentait qu’elle était comme lui, du genre insistant dans sa bienveillance. Alors il picora juste un petit morceau de pain, pour lui faire plaisir. La fatigue et la tournure de cette matinée lui avaient étonnamment coupé l’appétit. Il s’était plutôt imaginé refaire des crêpes avec Vex et au milieu de la table trônerait le bouquet de fleurs qu’il était passé chercher chez Zora la veille. Le bouquet… Merde, qu’est-ce qu’il en avait fait ? Il l’observait pendant qu’elle picorait l’assiette avec lenteur, quand il se souvint qu’il l’avait bazardé en découvrant le corps inerte de l’alchimiste au sol. Pendant que sa main lui servait machinalement un verre d’eau, avec la carafe disposée sur le plateau, il se mordilla les lèvres, pensif.

- Je reviens, j’ai juste oublié un truc en bas.

Et sans demander son reste, il quitta la chambre, sentant le regard interloqué de l’élémentaire sur ses ailes qui disparaissaient avec lui. Au rez-de-chaussée, il lui fallut faire le tour de la pièce pour trouver les fleurs. Elles avaient été bousculées, jetées à la hâte, mais n’avaient pas trop souffert de cette maltraitance. Les roses étaient toujours aussi belles. D’une sublime teinte originale, créée de toute pièce par la fleuriste, juste pour imiter des iris, pour faire passer un message sincère et encourageant à l’alchimiste. Maintenant qu’il les avait en main, il se sentait presque couillon et honteux. Ce n’était clairement pas le moment de les offrir à une Vex bouleversée, apeurée, blessée dans son âme. Ou peut-être que si, au contraire ? Le malakim hésitait, dansait sur un pied puis l’autre. Il prenait trop de temps à remonter « son truc oublié ». Que pouvait-il prendre à la place ? Au diable ses pensées, il grimpa les escaliers, le bouquet dans son dos.

- Bon, j’ai déjà ruiné mon idée la dernière fois et là, je sais que l’ambiance n’y est pas, mais… Je voulais quand même te les offrir…

Ah, ça faisait presque trop longtemps qu’il n’avait pas senti le bout de ses oreilles s’empourprer. Son regard était fuyant lorsqu’il se rassit à ses côtés, à sa place désignée dans le lit. L’élémentaire attendait la chute à cette phrase, le mouvement de sa fourchette vers sa bouche était même interrompu. Enfin, Kaël lui montra le bouquet, spécialement pensé pour cette occasion, imaginé grâce à l’encyclopédie que Vex lui avait prêté. L’étiquette « ceci sont des iris d’hiver à Ozéna » pendouillait, bien en évidence. Il le tenait devant lui, maladroitement, de sorte qu’il puisse cacher son visage et ses rougeurs derrière les fleurs.

- Je n’ai pas pris ton livre dans mon sac, donc j’espère que je n’ai pas besoin de te donner la signification des iris. Je vais partir du principe que tu comprends le sous-entendu.

Elle lui prit le bouquet des mains, sans doute pour l’observer et complimenter la teinte originale des roses, supposées être des iris. Il ne s’attendait pas à grand-chose comme réaction, car l’alchimiste était épuisée, éprouvée, vidée et subissait des rafales d’émotions, des images liées à son traumatisme. Il espérait juste qu’elle n’allait pas se moquer de lui, pour ses niaiseries, pour ce choix de fleurs et la mise en scène. Parce qu’il y avait véritablement mis beaucoup de bonnes intentions.