La blague de Quinn arracha un sourire à Juno, dénudant en partie ses crocs qui luisaient à la lueur des bougies grâce à la salive ; un sourire qui s’élargit dès lors que le sujet de la triche fut abordé. Voler, c’était mal, évidemment, et c’était bien sûr à proscrire mais qu’en était-il des pierres d’un voleur? Si jamais la louve se trouvait dans une position qui lui permettait de faire justice, est-ce qu’elle pourrait s’en emparer? Peut-être, mais ce n’était pas vraiment le moment de se poser la question et ce ne le serait pas tant que l’occasion se présenterait. A la place elle s’écarta du mur auquel elle était adossé d’un coup d’omoplate en entendant son nom. Ça allait commencer, enfin ! Ce qui était un peu dommage en un sens parce qu’elle se serait bien assise pour boire un coup avant de s’en aller une bonne fois pour toute à la recherche de ces fameuses pierres. Ce qui, pour être tout à fait honnête, lui parlait davantage que se mettre à fouiller le quartier, chercher quelque chose n’était pas vraiment une de ses passions et pour cause elle vivait par cet adage : « c’est pas moi qui paume, c’est pas moi qui cherche ! » Toutefois il ne s’agissait pas présentement d’une perte et puis c’était le jeu de sa maison et elle aurait regretter de ne pas y participer, de plus ce n’était pas le moment de se mettre à boire, sachant pertinemment que si elle s’asseyait elle ne se relèverait pas de sitôt, alors elle hocha la tête dès que le départ fut donné.

« A plus tard boss ! » Lança-t-elle avant de partir pour se mettre en chasse.

L’idée d’utiliser son odorat pour remonter la trace de Quinn et donc le chemin qu’il avait fait pour cacher ses cailloux était tentant mais sans doute que ce serait considérer comme de la triche alors elle essaya de s’abstenir ; ce qui n’était pas facile quand le fumet du vieux chef de maison lui indiquait avec insistance la direction qu’il avait prise en partant de sa taverne adorée plus tôt dans la journée. Alors elle partit dans l’autre sens, pour ne pas se donner d’avantage déloyal. Mais avant qu’elle n’ait pu se lancer dans sa quête on l’appela. Se retournant, interpellée par la difficulté de l’inconnu à articuler et la façon toute particulière qu’il avait de trébucher sur ses mots. Du peu qu’elle réussit à comprendre le vampyre, pris de ce qui ressemblait à un soudain élan de générosité, voulait lui faire découvrir sa dernière trouvaille. Lorsque la louve s’enquit de quoi il retournait, elle découvrit avec une curiosité méfiante qu’on lui proposait un cocktail bien étrange. Le tout était contenu dans une gourde de sang, qu’elle reconnaissait bien pour avoir côtoyé Caliban, et était composé de divers liquides différents.

« Mais euh... »il en avala une gorgée et son sourire rougeâtre qui n’avait rien de rassurant dégoulinait sur sa lèvre inférieure depuis ses longues canines, laissant une goutte rouler sur son menton. « Je te dirais pas tout de suite. Plus tard. »
« Comment ça ? » Demanda l’intéressée qui aurait haussé un sourcil si elle en avait encore, intégrés qu’ils étaient à sa fourrure.
« C’est une surprise ! » Il lui fit un clin d’œil qui manquait singulièrement de grâce, comique de par son ridicule bien qu’il se voulait sans doute intrigant probablement, séducteur sans doute. Mais voyant que la louve ne comptait pas prendre la gourde qui lui était tendu il soupira et acquiesça. « Dès que t’as goûté je te dis. »

Tandis que les autres compétiteurs s’en allaient chercher des pierres, qu’elle voyait s’éloigner du coin de l’œil, Juno tendit sa patte droite pour s’emparer de la gourde. Pas folle au point d’y tremper ses lèvres tout de suite elle le passa sous son museau et renifla un bon coup. Ce qui fut une erreur, l’odeur forte lui fit l’effet d’ une claque, une odeur dont la force refusait de quitter ses narines quand bien même la louve eut un mouvement de recul, manquant de peu de lâcher la gourde et même secouer vivement la tête n’y fit rien. Il y avait plusieurs choses là-dedans : du sang, évidemment, mais aussi divers alcools, du vin de paleberge, sans doute du rouge, très probablement de jus d’hyvernas et, si elle faisait confiance à son odorat elle sentait aussi une pointe d’hydromel. Et puis il y avait quelque chose d’autre qui, étrangement, lui était à la fois familier et inconnu, quelque chose qui lui rappelait une bière bien particulière qu’elle buvait sur Terre, mais il n’y avait rien de l’élégant breuvage à la framboise acidulé, déjà parce qu’il n’était pas reproduisible avec les moyens disponible à Azamyr, et puis surtout parce qu’il était hors de question qu’elle ne reconnaisse qu’on ait pu massacrer à ce point une boisson qu’elle avait tant aimé. L’idée même que cet immonde cocktail ne passe ses lèvres lui arracha un frisson de dégoût. Sa réaction, qu’elle n’avait pas pu contrôler, sembla heurter la sensibilité du brasseur amateur qui affecta une expression froissée, vexée même, en voir la façon dont son œuvre était reçue. Elle se souciait d’ordinaire des sentiments de chacun mais en l’occurrence Juno dut bien admettre que ce n’était pas vraiment le cas pour l’inconnu qui avait voulu lui faire boire elle ne savait trop quoi. Alors sans lui dire quoi que ce fut d’autre elle referma la gourde, mettant assez de force pour s’assurer qu’il aurait bien des difficultés à la rouvrir, surtout dans son état, puis lui redonna en la poussant contre son torse avant de la lâcher. Tout penaud il la rattrapa plus par réflexe qu’autre chose avant qu’elle n’ait pu tomber au sol. Sans rien dire d’autre, parce qu’il n’y avait rien à dire de plus, elle tourna les talons et s’élança dans les rues du quartier sud, se rappelant maintenant qu’elle était dans une course pour retrouver des pierres, une chasse au trésor dans laquelle elle avait déjà du retard. Elle entendit bien que le vampyre l’appelait encore et la suivait, tant bien que mal, titubant, avalant une gorgée de temps à autre de son mélange infecte mais un regard noir de la géante l’arrêta net dans sa poursuite en voyant des flammes vindicatives danser dans se prunelles jaunes.

Désormais seule, enfin seule, la louve se dit qu’il lui faudrait trouver un moyen de rattraper le retard qu’elle avait prise bien malgré elle alors elle céda à la tentation de se servir de la piste odorante laissée par le chef de sa maison ; bien mal lui en pris parce qu’elle inspirant l’odeur fétide du cocktail lui remonta brutalement au cerveau et la fit se figer, comme si elle avait mangé une glace bien trop vite. Lorsque la douleur se dissipa, les poings serrés, elle dû se résoudre à ne respirer que par la bouche.