“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

Ambre retint un soupir et se plaqua contre la pierre froide.
…
…
Quelques secondes d'un silence absolu la tirèrent de son angoisse et elle se permit une brève expiration. La tension, qui elle, avait saisi ses épaules, s'adoucit et lui délia les muscles.
La jeune femme avait passé sa garde plus tôt ce jour-là, entre les heures les plus calmes du petit matin. Si ses habitudes la menaient, de coutume, droit à ses appartements et sous les draps frais de son lit, sa curiosité l'avait menée dans le sillage d'une nouvelle aventure.
Ambre effectua un pas chassé lent, frottant la pierre de son dos, et s'approcha dangereusement de l'arête du mur. Sa main gauche se releva à peine et se courba en serre, prête à lui offrir la seule porte de secours qui lui permettrait de fuir les foudres des dieux. Elle savait que la téléportation seule ne servirait pas à ôter tout soupçon à l'oiseau de chasse qu'elle épiait. La rapidité était de mise, et une réaction tardive laisserait quelques poussières noires et dorées en preuves de son identité.

۝

Ambre avait aperçu ce matin là un pan de cape bien connu d'eux autres, les Veilleurs. Le froissement d'aile tannée avait disparu dans l'ombre d'un tournant , droit vers un chemin que nul n'aurait dû emprunter à cet instant : La Capitaine des Veilleurs avait fort à faire dans la cité et nul n'aurait osé la questionner sur son emploi du temps. Pourtant...
La voir fouler le sol éveillait toutes les curiosités.
La jeune femme ne saurait décrire avec exactitude quelle était cette Malakim si implacable. Les échanges cordiaux n'étaient pas dans son lexique, et, sur ses remparts, elle était probablement l'être qui s'était le plus entouré de mystères. Fallait-il encore attendre plusieurs lunes avant de découvrir ce que la dame cachait sous ses airs autoritaires et glacials ?
Certes pas.
Ambre avait trouvé bien rationnel d'abandonner ses plans de repos physiologique pour se glisser dans la peau de l'espionne qu'elle n'était pas. Elle savait que, quelles que furent ces révélations, elle en aurait pour son labeur.

La jeune veilleuse avait bien vite regretté sa malice. Suivre un Capitaine n'avait rien d'une partie de plaisir, et elle n'avait eu de cesse de se demander si la Malakim ne jouait pas, simplement, avec elle. Ses détours ne s'effectuaient qu'entre tours et remparts, traversant des couloirs couverts, que ses rondes aériennes seules n'auraient pu révéler. Ambre avait par maintes fois failli se retrouver à découvert, à la merci d'une femme qui n'aurait eu aucun scrupule à l'envoyer lécher moult latrines si cela avait pu les rendre brillantes et fraîches pour leur séant.
A chaque fois, la chance lui avait accordé cette seconde de répit, de volte-face, de pas en arrière, la soustrayant au regard inquisiteur de son futur bourreau. Et la chasse s'était poursuivie ainsi.

Elles avaient fini par rejoindre une alcôve aménagée en fournitures d'écritures. Une simple assise avait été poussée contre le bois du secrétaire, et ce dernier avait été encombré de parchemins noircis et froissés par les manipulations. L'on devinait aisément qu'un travail s'y effectuait.
Craignant qu'Amriel s'y attarde, Ambre s'était derechef dissimulée derrière l'angle du virage qu'elle venait de franchir. Et c'est à l'ultime seconde, lorsque les dernières pierres de l’Alcôve disparurent de son champ de vision , qu'elle eut la terrible sensation d'une caresse entre les omoplates.
Doucement.
A peine perceptible.
Celle là même qui vous chatouille lorsque quelqu'un se tient dans votre dos.
Alors elle s'était tapie, et avait prié pour son salut.

۝

*Allez* trépigna-t-elle d'impatience. *Reprends toi*  
Elle se saisit la chemise, comme pour se tirer en avant. La frayeur n'avait rien de rationnelle, pourtant, elle avait été persuadée d'avoir été démasquée. L'espace d'un instant.
Après avoir jeté un œil suspicieux aux alentours, elle s'éloigna finalement du pan de mur qui l'avait abritée. L'endroit était désert et, déjà, le pas de la Malakim semblait disparaître dans le dédale sous les remparts. L'avait-elle rêvé ? Si sa supérieure n'avait pas daigné revenir sur ses pas pour l'attraper au col...c'est que...
Retenant un juron, elle abandonna son inspection et reprit sa traque.
Elle espérait intercepter quelques conversations secrètes, peut être même une intervention ou un entraînement inopiné que l'événementiel commanderait. S'attarder en réflexion la pousserait à l'erreur. Il fallait qu'elle se reprenne....

Une ombre noire fusa dans sa vision périphérie. Bien trop rapide pour qu'elle l'identifie.
Bien trop rapide pour qu'elle accepte l'illusion d'optique.
Elle avait glissé, le long des murs , portée par les discrets rayons de soleil qui perçaient à travers les vitraux de ladite alcôve.
Et Ambre avait détourné la tête, une larme de sueur froide s'étalant sur sa tempe humide. Refusant de stopper sa course. Feignant n'avoir rien remarqué.

Sans les battements assourdissants dans son crâne,
elle aurait juré que son cœur s'était brusquement arrêté.

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

- (Balthazar) « Mais pourquoi vous me suivez?! »

Ambre avait bien faillit tomber raide.
Le souriceau avait surgit de nulle part, bien trop à l'aise en ces lieux qui n'étaient guère son foyer. La jeune femme avait retenu un cri de justesse, se plaquant sur la bouche deux mains fortes. Il lui fallut quelque secondes pour digérer les soudaines informations.
Elle s'était fait suprendre.
Par un souris.
Qui avait le toupet …. De lui demander ….

- (Balthazar) « Vous ne devriez pas être là vous! Vous êtes du côté ouest aujourd'hui normalement! »

Ambre étouffa un juron d'indignation et, un poing sur la hanche,
l'index pointé furieusement vers son interlocuteur,
elle siffla entre ses dents serrées :

- « Pourquoi VOUS me suivez !? »

Ses boucles rousses semblèrent prendre feu autours de son visage. Ses oreilles, en vif témoignage de la honte à s'être fait surprendre, prirent une couleur similaire.
Il était fortement déplaisant que ce petit museau puisse deviner si aisément son emploi du temps. Elle n'était pas dupe, qui donc pouvait bien s'intéresser aux gardes d'un vulgaire veilleur fraîchement débarqué ? Détenir une telle information l'accusait derechef.

- «  Expliquez-vous petite souris avant que je trouve bon de passer la main à ma hiérarchie »

Le terme était voulu.
Alors qu'elle retrouvait ses petits airs autoritaires de jeune peste, Ambre ne manqua pas de détailler soigneusement le fautif.
Elle se rappelait l'avoir brièvement aperçu deçà delà, au bénéfice d'un marchand, d'un habitant ou d'un notaire. Elle se rappelait d'une sacoche chargée de lettre, et, d'un facteur bien efficace et bien remercié.

Elle n'avait elle-même jamais eu recours à une telle idiotie. Ses connaissances se limitaient à son travail et à ses contrats. Dans l'un comme dans l'autre, mieux valait faire ses courses soi-même.
Surtout lorsqu'il s'agissait d'être dûment rémunérée.

Ainsi, lorsqu'elle observa ce bout d'homme de haut en bas, Ambre se sentie honteusement trompée. Qu'un facteur réussisse à la traquer.... oui cela maltraitait assurément sa fierté. Était-ce sa profession , ou sa petite condition, qui rendait cela révoltant à ses yeux ? La jeune femme se refusait à y répondre. Il y avait dans cette situation un comique tout à fait désastreux qui avait ruiné le charisme et le professionnalisme qu'elle avait cru dégager. Pourquoi diable avait-il fallu qu'il pointe ses moustaches dans cette affaire !?
Elle n'avait, par ailleurs, pas de grands secrets au sein de la cité. Ses attributions étaient plus que sommaires et sa position ne la plaçait pas dans les grandes confidences.

*A moins que ….*

La jeune femme porta doucement une main à sa ceinture, prête à s'emparer du manche usé qui l'accompagnait depuis son arrivée à Azamyr. Elle espérait se tromper et, craignant le malentendu, n'osait encore se montrer trop hostile...
S'agissait-il d'un messager lié à Cody ?

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

L’impertinence du petit espion avait chatouillé la susceptibilité d’Ambre.
Elle l’avait observé se détourner d’elle et s’échapper entre les pierres des remparts, tel le petit seigneur de ses dames, qui ne souffre ni de reproches, ni d’autorité. La jeune femme elle, était restée sur place, d’abord courroucée, puis bien vite rattrapée par la réflexion lorsque la solitude avait été retrouvée.

Il était vrai qu’aucune alerte ne pouvait être donné. Elle aurait eu de grandes difficultés à justifier sa présence , et aurait pris le risque d’un facteur trop bavard. Ambre était persuadée qu’il n’aurait eu aucun scrupule à la mettre dans une position délicate si cela avait pu le sortir d’affaire.

*Rouquine* se répéta-t-elle, songeuse. Un sourire malin lui peignit le visage. Voilà qui était bien parlé, le rongeur ne manquait certes pas de répartie. La Veilleuse était peut être trop jeune pour parler en certitudes, mais elle savait d’ores et déjà que les grands esprits nichaient dans les adeptes de l’ironie et du sarcasme.
Il fallait avouer qu’elle l’avait bien mérité.

*Bien*
Ambre s’essuya les mains sur les jambes afin d’y ôter la moiteur. Elle pouvait exclure Cody , puisque l’intrus n’avait pas même laissé leur conversation s’éterniser. Il avait repris symboliquement la direction du Capitaine, et lui avait offert un précieux indice. Les choses devenaient enfin intéressantes puisque….
S’il essayait de suivre son chef, c’est que secret, il y avait.

La jeune femme fit brusquement face à la direction de marche de la Dame et se remit en route. Elle aurait tout le loisirs de réfléchir à cette déconvenue lors de son prochain tour de garde. Poursuivre le petit individu n’était pas même une option : Elle ne connaissait que trop peu le dédale des remparts, et tenter une téléportation malheureuse dans une pièce qu’elle ne pouvait voir relevait du suicide. Fallait-il d’autant plus préciser qu’elle débutait dans l’art, et que le moindre élément perturbateur aurait raison du résultat ?
Opter pour un chemin plus conventionnel était de loin le choix le plus raisonnable. Ainsi prit-elle le temps de remonter le long couloir , les marches et les détours que le chemin lui offrait. L’objet de ses recherches ne se montra plus, pas même l’écho de sa démarche assurée. Ambre se heurta à de nombreux culs de sac, revint même quelques fois sur ces pas, et ne dut sa réussite qu’à un discret escalier... dissimulé au terme d’un étroit passage qu’elle n’avait pas remarqué lors de ses trois premiers passages.
Ce dernier lui offrit une sortie à découvert. Et c’est en apercevant la lueur du jour qu’elle se tapit dans l’encadrement de cette sortie, bien décidée à ne pas se faire avoir comme une débutante.

Un mouvement, un peu plus haut sur les remparts, lui indiqua qu’elle avait, enfin, retrouvé l’objet de sa quête…
Et petite souris.
Ambre serra le poing et l’enfonça doucement dans le mur qui lui servait d’abri : fallait-il qu’il se trouve encore sur sa route !?
Le coupable n’était plus dissimulé. Pire, il se tenait droit face à ladite Capitaine, tel que l’on se tient lorsque l’on se trouve en plein milieu d’une conversation. La jeune femme blêmit. L’avait-il dénoncé ?
Amriel tenait un écrit entre ses mains et ne semblait pas présenter de signes de colère ou d’agacement. Absorbée par sa lecture, elle se faisait détailler par son facteur qui semblait vouloir attirer son attention.

* Mais quel filou …..* Ambre n’en croyait pas ses yeux. Elle essayait de mettre bout à bout les informations qu’elle avait recueilli, prenant peu à peu la mesure de ces renseignements.
S’était-elle méprise ? L’espion bondisseur n’avait-il opéré qu’en qualité de facteur ?
*Impossible* se morigéna-t-elle * Allons Ambre il aurait eu milles occasions de se présenter à elle lorsque nous nous trouvions près de l’alcôve* Oui , elle avait pu constater que l’intéressé n’avait pas manifesté sa présence à cet instant, et cela, elle ne pouvait le mettre sur le compte de la coïncidence.
Second point d’attention, il lui avait livré un courrier. Avait-il eu accès à son contenu ? Le fait qu’il reste si longtemps à son coude avait-il un rapport avec cela ? Peut être se trouvait-il dans la confidence et Ambre assistait-elle alors à une rencontre qu’ils espéraient à l’abri des regards ?
Il était compliqué pour la jeune femme de faire la part des choses entre la paranoïa et le constat objectif…
Et tel les rêveurs qui oublient d’avoir les pieds sur terre, sa réflexion l’avait tirée de sa vigilance.
Laquelle se rappela bien vite à elle lorsque son petit orteil fut brutalement percuté et recroquevillé sur lui même.

*L’idiot !* pensa-t-elle puissamment de douleur. Un grognement s’échappa de ses dents serrées, lesquelles bloquèrent bien heureusement la formulation de cette pensée spontanée. Le reproche de petite souris fusa instantanément, et, envahie d’un nouveau sentiment de révolte, elle rétorqua :

- Te voilà bien maladroit depuis ta démonstration de tout à l’heure ! Le cumul d’emploi sans doute !?

Le chuchotement accusateur de la veilleuse avait franchi ses lèvres avant même qu’elle n’en mâche le contenu. Le tutoiement avait fusé et l’intérêt de la réflexion n’était pas grand. D’un point de vue extérieur, ils devaient tout deux apparaître tels deux enfants, conspirant quelques vilains tour et se chamaillant le dernier jouet à la mode. De deux doigts, Ambre se frotta les yeux comme pour reprendre contenance : Elle s’en voulait d’avoir cédé à la familiarité. Pointant un nouveau index accusateur vers lui , elle tint à réitérer le comique de situation, et s’obligea à adopter un sourire moqueur :

- Il aurait été dommage que la petite souris s’échappe sans échanger les politesses avec la femme rousse !

Ambre détournait volontairement le sujet. Elle sentait qu’aborder le motif de la traque le ferait s’évaporer à nouveau.
Elle se doutait également que sa cachette n’était pas le chemin vers la porte de sortie, et qu’ils allaient , à nouveau, se gêner l’un l’autre. Ainsi enchaina-t-elle presque immédiatement :

- Peut être bien que la femme rousse ne croit pas que la petite souris ait moins à perdre qu’elle – ajouta-t-elle en pointant cette fois ci du doigt, avec une lenteur exagérée, la direction de la tour où se tenait la Capitaine. L’air moqueur d’Ambre s’était défait de toute menace. Elle ne sous entendait pas là une quelconque dénonciation, mais un risque évident de perdition de sources. S’ils se marchaient tout deux sur les pieds, toute la sainte journée, cela aura fatalement un impact sur leurs intérêts.

Une pointe d’angoisse lui saisit la poitrine, discrètement et insidieusement, comme une écharde qui s’enfonce lentement sous la peau et s’échappe un peu plus à chaque tentative de l’extraire.
Et quels étaient donc ces intérêts ?
Quand bien même sa propre motivation relevait plus du caprice et de l’ennui, pouvait-elle en dire autant d’une petite souris déguisée en facteur ?

Ambre comprit subitement que les enjeux venaient de prendre une tournure tant amusante que déplaisante.

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

Et la souris s’en était allée.
Encore.
Dans une fuite incessante et sur des paroles toujours plus agacées et condescendantes.

Le grotesque de la situation aurait pu prêter à rire, mais la jeune femme n’en ressentit qu’une immense lassitude teintée d’agacement. Le manque d’efficience dans le discours était rébarbatif et il lui semblait nager à contre courant. Il n’avait pas même saisi l’occasion de l’humour, où le risque de la répartie. Ce qui lui avait semblé intriguant lui paraissait désormais être une énième perte de temps. Soit ! Si le petit museau refusait de se laisser aller à une réflexion plus sage et pondérée, il n’y aurait rien de plus à en tirer.

Sa fierté lui envoya l’image d’un souriceau percutant sans crier gare un portail de son cru et le ramenant à ses souliers. Pour simple récompense de le voir se révolter de tant d’insolence. *Bah...* se résigna Ambre. Elle se savait bien moins précise que ses ambitions. Pour peu que cela la laisse somnolente entre deux murs de pierre, elle n’en aurait récolté que des ennuis. La vengeance était tentante mais cruel péché. Elle devrait s’en passer pour cet outrage là.

Que lui restait-il à décider ? La jeune femme se refusait à donner de l’importance à un fuyard en marchant dans ses pas. « Azamyr n’est pas si grande » se résolut-elle, si le destin devait à nouveau les rassembler, elle saisirait l’opportunité.
Le constat étant fait, il lui laissa l’ultime et unique choix sensé de son aventure. Les secrets du Capitaine valaient-ils encore le prix de la traque ? Où devait-elle rebrousser chemin et se satisfaire des informations déjà obtenues.
…
…
La gourmandise intellectuelle d’Ambre s’indigna. La rencontre à laquelle elle avait assisté avait soulevé plus de questions qu’elle n’en avait résolues. Alors qu’elle observait l’envol de sa cheffe et la suivait du regard à travers cieux, la veilleuse tergiversa sur la conduite à tenir.
La loyauté aurait voulu qu’elle s’assure des intérêts de l’intrus.
Le respect aurait imposé qu’elle se détourne des affaires de son aînée.
...
Ambre choisit de prioriser ses responsabilités, et se détourna de sa capitaine en haussant finalement les épaules.


La création de portails était complexe, et Ambre avait bien souvent axé ses entraînements sur la téléportation de sa propre personne. La petite souris n'était qu'à quelques pattes de disparaître de son champ de vision, lorsqu'Ambre disparut brusquement. La précipitation lui avait ôté ce minuscule instant de réflexion qu'elle aurait dû s'imposer. Si elle avait eu en projet de se dresser sur le chemin de son interlocuteur, elle avait été bien trop emportée pour mesurer pleinement la distance qui la séparait du malheureux.

Elle réapparut dans un bruit mou de corps qui s'entrechoquent, basculant inévitablement vers l'avant alors que ses pieds ne trouvaient que le vide... et ne pouvaient espérer la rattraper.
La jeune femme se réceptionna d'abord avec son coude, à même la pierre dure et froide. Son épaule s'enfonça sous le poids du reste de son corps, et pour le reste, et elle s'étala sans la moindre dignité sur le sol.

La bonne nouvelle était qu'elle s'était dressée sur le chemin du facteur.
La mauvaise était que son entrain l'avait dressée SUR le facteur.

L'utilisation d'énergie et le choc la laissa un instant sonnée, peu sure de ce qu'elle voyait. La jeune femme prit le parti d'attraper un pan de vêtement qui lui était accessible -qu'importait qu'il s'agisse de la veste ou des chausses du petit bonhomme- , et, oubliant que l'incident lui avait ôté le bénéfice de la discrétion, elle continua à s'exprimer par chuchotements :

- Pas si vite petite souris, on croirait que le diable est à vos trousses.

Reprenant une respiration rapide afin d'alimenter ses poumons en souffrance, elle ajouta :

- Vous parlez beaucoup mais écoutez peu, vous n'aimez pas les réponses où vous espérez ne pas avoir à assumer les vôtres?

Puis elle se mit à rire, d'un rire sans joie :

- Retenez donc bien mon nom afin que vous puissiez rester efficace dans vos deux missions. Je m'appelle Ambre et je suis une vraie plaie quand il s'agit de se montrer têtue.

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

Ambre desserra lentement les doigts.

Le morceau de tissu se déploya dans sa chute et vint atterrir avec une souplesse dramatique sur le sol. La jeune femme regardait en biais le petit espion, l'expression figée...Elle se sentit soudain tel un enfant surpris en plein méfait.

*Je...* Elle déglutit et conserva le silence un instant, cherchant comment se sortir avec dignité de cet enchaînement de catastrophes. La souris semblait hors d'elle, prête à tailler à coup d'incisives le moindre petit bout de veilleuse à sa portée. Certes, tel que le prouvait le bout de cape à côté de sa cuisse, cela aurait été mérité.

Ambre se releva lentement, tentant de reprendre contenance devant cette boule de poils et de moustaches prêt à en découdre. Elle épousseta sa tenue avec une attention exagérée et tenta de lui offrir une réponse qu'elle espérait légère  :

- Oui j'ai vu.

Le constat était provoquant, et la jeune femme s'en accommoda. Il fallait avouer que cet intrus l'avait fait tourner en bourrique, avait par deux fois tenté de lui fausser compagnie, et n'avait eu aucun scrupule à lui tourner le dos lorsqu'elle avait tenté d'introduire une discussion civilisée. Fallait-il qu'il soit à ce point outré, alors que lui même avait joué avec le feu sans tenir compte des mises en garde ?
Et bien voilà : La Faucheuse n'avait nullement l'intention de se confondre en excuses tant qu'il ne lui offrirait pas de solides réponses.
Ils devraient désormais échanger des mondanités au centre d'un passage étroit, avec la menace constante d'une Amriel aux aguets. La journée avançait toujours, se moquant bien de leurs petites chamailleries, et le soleil avait déjà franchi son demi-parcours. Bientôt viendrait la reprise des tours de garde et il n'était plus temps...
De perdre du temps.

- Bien, nous étions en pleine conversation – ajouta-t-elle avec bonne humeur pour rompre la tension qui s'était installée

Allons bon... Elle savait que cette nonchalance finirait par détruire le peu de chances qu'elle avait d'obtenir des liens cordiaux avec l'individu. Mais sa hargne et sa rancune envers le manque de respect dont il l'avait gratifiée avaient pris le pas sur ses bonnes manières. Elle n'avait guère envie de servir d’essuie-pieds et avait une réputation à tenir au sein de la cité. Qu'on lui fausse compagnie sur un air de dédain.... Cela pourrait rapidement se savoir à Azamyr, et quelle crédibilité pouvait-elle espérer conserver après cela ?

Venait ensuite le motif profond de son acharnement, et pour cela , il allait falloir ruser. Comment pouvait-elle arracher à ce facteur le moindre renseignement avec un si mauvais départ.

Le jeune femme fléchit sur ses jambes, rattrapa le tissu au sol, et se redressa avec une souplesse qu'elle savait récente.
Elle le lui tendit cordialement :

- Après vous avoir donné mon nom, aurais-je l'honneur d'obtenir le votre ?

Elle haussa ses deux sourcils et lui adressa un sourire placide.

- Ne me fuyez pas petite souris, je suis mauvaise en atterrissage mais jamais lassée d'essayer. Et j'aimerai confronter nos intérêts pour en tirer de nouveaux.

Ambre se mordit l'intérieur de la lèvre et fléchit légèrement ses genoux. S'il devait à nouveau lui fausser compagnie, il lui faudrait être réactive. La demi vérité qu'elle venait d'énoncer pourrait rapidement être démasquée : Si elle ne se lassait pas d'essayer, elle était tributaire de ses propres ressources. Elle estimait son nombre de téléportations restantes à 3, 4 tout au plus. Son énergie n'était pas au beau fixe et la jeune femme se demandait même si les prochaines ne la laisseraient pas diminuée. Avoir échoué sur une si courte distance était honteux, mais elle n'avait pas le temps de s'auto-flageller maintenant qu'elle pouvait saisir une opportunité. Ses efforts pour développer un style de combat, rapide, basé sur l'espace, allaient devoir s'intensifier....

La proposition était ainsi sans équivoques. Il lui était permis de refuser, permis d'être curieux, permis d'accepter... Il pouvait même lui écraser le soulier s'il en avait l'envie.
Mais lui fausser à nouveau compagnie sans même lui apporter une réponse....
Qu'il essaye !

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

Le petit monstre dans la conscience d’Ambre poussa un cri de victoire.
Avait-il tenté un énième sarcasme en mentionnant de vulgaires lettres d’amour ? Si la jeune femme n’était pas si impatiente de le rendre coopératif, elle lui aurait ri au nez. Les petites légèretés sentimentales ne faisaient pas parti de ses projets. Elle s’était, et ce depuis déjà plusieurs années, désintéressée de ces frivolités qui lui auraient apporté bien plus de soucis que ce qu’elles en méritaient.
Depuis son arrivée à Azamyr, elle n’avait pas accordé la moindre parcelle de son temps à ces bêtises. Fuyant le coureur de jupon comme l’on fuit la fureur d’Amriel, Ambre s’était bien abstenue de donner le moindre sou aux opportunités sentimentales. Elle s’était, comme diraient les médisants, résolue à renier les loisirs les plus primaires. Et même s’il était naïf de croire que la situation pouvait perdurer dans le temps, elle était à ce jour bien convaincue de ne pas en ressentir la moindre déception.

Ainsi lui avait-il offert 3 questions. À l’image du génie de la lampe, la petite souris s’était probablement pensée grand seigneur, et suffisamment rusée pour pouvoir remporter cette partie là. Il était en effet délicat de compter sur les multiples sens que leur langue pouvait porter… pour espérer obtenir un résultat à l’image de leurs envies. Cette situation lui remémora une série littéraire qu’elle avait pu découvrir au cours de l’adolescence. L’univers y était né autours de personnages aux conditions toutes particulières, évoluant parmi leurs semblables, cruels Djinns tout à fait spirituels lorsqu’il s’agissait d’accorder leurs faveurs. L’œuvre n’avait rien des grands titres issus du genre, mais elle avait eu le mérite de mettre en évidence l’importance du mot choisi, et des possibles interprétations d’une demande. Ainsi se rappela-t-elle avec humour la mésaventure de certains  personnages qui, s’étant exprimé sans prendre garde, s’étaient retrouvés dans des situations particulièrement cocasses…
Et bien loin de leurs rêves.

*Je ne te laisserai pas te dérober si facilement* s’amusa-t-elle avec un petit sourire en coin. S’attrapant le menton en une attitude caricaturale de réflexion, elle laissa le silence cueillir l’offre du facteur. Chaque mot allait désormais revêtir toute son importance.

Dans un premier temps, le fait qu’il lui refuse toujours les basiques présentations était frustrant. Elle ne connaissait toujours pas l’identité du malpoli et cela parasitait sa réflexion. Gaspiller une question serait pourtant bien idiot : Le petit livreur d’enveloppe devait être connu des citoyens et obtenir son nom ne serait pas difficile.
La Veilleuse pourrait tenté de lui demander sans détours les raisons de sa présence en ces murs, mais elle s’imaginait déjà les réponses rusées que pourrait lui offrir ce fin museau : « Je travaille , suivant ! » . Et ainsi gaspillerait-elle sa première cartouche, puis sa seconde en tentant, sur le coup de l’impulsion, de lui demander de préciser sa réponse… La jeune femme soupira et lui adressa un regard de reproche en plissant les yeux : Il avait été for malin de lui imposer de telles conditions... s’il avait agit dans l’espoir de la déstabiliser.
Elle détacha finalement chaque syllabe avec une attention toute particulière, prenant garde de lui livrer une formulation bien tricotée :

- Bien jouons alors petite souris. Voici ma première question : A quelles fins les informations issues de ton observation de la Capitaine Amriel te serviraient ?

Elle avait volontairement occulté la possibilité que sa présence ne soit due qu’à sa condition de facteur. La jeune femme avait rencontré la petite souris alors qu’elle s’extirpait de l’ombre de sa chef, l’avait ensuite à nouveau trouvée sur son chemin alors qu’elle n’était certes pas cachée dans le chemin conduisant vers la sortie.
Il n’était pas plus de ceux qui montent la garde, et sa hiérarchie ne souffrait d’aucune protection particulière tant ils étaient capables.
L’évidence pointait le bout de son nez comme un furoncle au milieu du faciès d’un ancien : Elle l’avait dérangé alors qu’il l’observait. Suivre serait peut être plus juste, mais elle ne pouvait établir avec certitude la durée qu’il y avait consacré.
Il avait été, par ailleurs, bien au fait de son propre tour de garde, puis de l’emplacement qui lui était dédié. Qui donc peut se prononcer avec certitudes sur l’organisation des veilleurs lorsqu’il n’en fait pas parti ? Ambre elle-même aurait des difficultés à restituer les missions de chacun de ses camarades, et cela trahissait - à minima - un intérêt tout particulier pour leur quotidien. Un facteur ne détient pas ce genre de renseignements.
Du moins, n’a-t-il aucune raison de s’en souvenir.

Déjà
Elle commençait à tisser les nuances de sa prochaine question.

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

La jeune femme tressaillit lorsque la voix de la gerbille lui perça le tympan.
Enfer.
Cette … bestiole était un enfer. 
Ambre se redressa solennellement, le visage grave. Elle s’était départie de son sourire et de sa courtoisie. Elle aurait presque pu s’attendre à sentir une larme de sang lui dégouliner de l’oreille tant l’attaque avait été fulgurante…. Mais la partie d’elle-même qui se trouvait le plus en souffrance n’était pas celle-ci.
Un magma de colère pure s’insinua des ses veines, et elle sentit que le sang, bien loin de lui monter aux joues, avait définitivement quitter son faciès. S’agissait-il de la goutte de trop ? Probablement. La faucheuse aurait bien pu se souhaiter une plus large maîtrise d’elle même, cela aurait été futile. Son instinct avait pris le relais et celui-ci avait la fâcheuse tendance à danser avec les ombres de l’immoral.

- Je vois – murmura-t-elle d’une voix rauque, toute dépassée du soudain regain d’adrénaline qui battait ses tempes – La petite souris a donc décidé de ne pas jouer le jeu.

Cela était détestable. Son interlocuteur n’avait pas même fait l’effort d’un trait d’esprit. Il aurait pu enrober habilement ses explications, trouver milles tournures pour ne lui révéler pas plus qu’une miette à grignoter.
Et finalement, il s’était contenté de venir brailler à l’oreille, sautant avec évidence à côté de la question sans prendre le moindre risque. *Quelle lâcheté* se dit-elle durement, bien trop en prise avec ses émotions pour faire preuve de la moindre compréhension à son égard. Elle n’avait certes pas exigé de lui qu’il révélât jusqu’à la taille de ses guêtres, mais la réaction tenait plus de la provocation et de l’irrespect, que de la négation.
Elle comprit que ce museau là,
N’avait strictement pas l’intention de coopérer.
Et gardait ce faux sentiment d’impunité.

- Je crois qu’un exemple de bonne conduite s’impose. Je t’ai expliqué plus tôt le risque que tu encourrais.

Elle laissa un silence oppressant s’installer.

- Vois comme l’on se doit d’honorer sa parole.

Elle ouvrit brusquement la main, tout doigts étirés, et un disque sombre surgit subitement sous leurs semelles.
Ambre avait accumulé tant d’agacement qu’elle avait vu grossir une boule de frustration au creux de ses côtes. Elle savait que l’état de ses émotions rendrait l’utilisation de sa capacité instable, mais s’il lui était permis de la libérer tel le taureau que l’on relâche…
…
…
Elle n’avait aucun doute sur sa réussite.
Le souriceau avait grande bouche et ne l’avait probablement pas prise au sérieux. Il n’était plus question d’offrir sa joue gauche, et ses espoirs d’accords s’envolaient au gré de ses caprices.

Le fait de l’avoir vu à l’œuvre lors de sa première téléportation aurait de quoi l’effrayer. Générer un portail était bien plus exigeant qu’un simple saut de quelques pieds. Et le faire naître sans s’accorder une once de réflexion… Après s’être si lamentablement débrouillée précédemment…
Ambre espérait qu’il tremblerait jusqu’au bout de ses petits ongles. Quant à ses propres craintes…
Et bien, s’ils finissaient les pieds dans le vide , elle aviserait !

*Qu’il comprenne* ricana intérieurement la jeune femme alors qu’elle se sentait déjà tomber dans le vide du passage. Oui, qu’il comprenne que si elle n’avait rien à gagner de leur rencontre, pas l’ombre d’une relation cordiale réciproque, plus rien ne la retenait de l’abandonner au bon jugement d’Amriel.

- Si je dois me faire moquer ou punir pour cela, au moins l’acte aura-t-il le bénéfice de la rendre vigilante …

Et le reste de sa phrase fut noyé dans le torrent noir de poussières. Direction, la tour de garde qu’avait occupé la Capitaine il y a peu. Sa seconde question serait posée la-bas, et l’acte répété à chaque outrage, de plus en plus proche de celle qu’il avait tant cherché à espionner. Si son manque d’énergie ne l’envoyait pas au tapis d’ici là, elle lui servirait une leçon au goût amer.
Sinon… *Bah …* estima la jeune femme. Que pouvait-il lui arriver… succomber à Morphée….
Ou tomber aux pieds d’Amriel elle-même ?
Risque pris !

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

Ambre vit, une énième fois, la petite souris lui fausser compagnie.
Son rythme de marche s’était cependant fait plus lent, et son invitation à le suivre laissait sous entendre qu’il en avait définitivement terminé avec ses tentatives de fuite.
La jeune femme observa un instant le sommet de ses petites oreilles arrondies et duveteuses et lui emboîta le pas. Tant de caractère dans un corps si inoffensif, voilà qui avait de quoi vous laisser perplexe. Il n’en fallait probablement pas moins pour se faire respecter lorsque la stature ne se suffit pas à elle-même. Ambre admit qu’elle ne devait pas être la première à surfer sur son petit physique, et que la blague devait bel et bien devenir lassante. Mais il y avait dans le surnom un quelque chose tout à propos, plus proche du constat que de la médisance. Elle se dit, à juste titre, qu’elle aurait désormais bien des difficultés à le nommer par son nom, quel qu’il soit. *Un énième obstacle à notre bonne entente * supposa la veilleuse en haussa les épaules.

- Par Enos , pourriez-vous au moins vous présen... ? - soupira-t-elle excédée avant de s’interrompre, frappée d’horreur.

L’intéressé avait tourné dans une allée bien particulière, laquelle n’avait, ni le bénéfice d’une sortie, ni celle de la fuite.
Une allée qui menait droit à d’autres remparts, mais surtout,
Qui passaient devant le bureau de Koss
*Il n’oserait pas...* Les yeux d’Ambre s’agrandirent d’indignation et elle tendit une main impérieuse en direction de l’épaule de la Souris.
Faillit la lui saisir.
S’interrompit à quelques centimètres de son objectif.
Son arrogance avait ses limites et elle savait fort bien qu’un tel geste serait bien trop irrespectueux pour être supporté. Le retenir briserait par ailleurs définitivement l’épée de Damoclès qu’elle avait érigé au-dessus de la tête du malotrus : L’avoir menacé de le mettre à découvert n’avait plus aucun sens... si elle le retenait de le faire d’initiative.

Mais pourquoi lui .. ? Peut-être se contenterait-il de passer devant sans s’y attarder, auquel cas, elle n’avait rien à craindre.

- Vous êtes plus obtus qu’un Mulet ma parole !

Petite souris semblait fort décidée, ne ralentissant pas d’un pouce, et martelant le pavé d’une botte sûre et puissante. Cette assurance dérangeait la faucheuse qui se méfiait du prochain mauvais tour qui lui était réservé. Elle le savait plus discret. Et quoi qu’il en dise, ce nouveau comportement mettait bel et bien en évidence le contraste du précédent, à « trottiner » dans les ombres…
Ambre jeta un coup d’oeil en biais lorsque la porte de Koss se profila au loin. Elle serait bientôt fixée et pourrait à nouveau le harceler de qu….
La jeune femme déglutit en voyant l’intéressé ralentir…..s’immobiliser…..et poser une patte ferme sur la poignée de la porte.
*L’idiot !* s’insurgea Ambre en tentant de saisir le bras de l’intéressé, pour de bon cette fois-ci, afin de le ramener en arrière.
Mais la souris se déroba à sa prise et pénétra sans attendre dans le bureau.

Ambre fit un pas de côté afin de se soustraire à l’ouverture de la porte et se tint bien droite, statue sage érigée dans l’encadrement, en bordure de passage.
Son visage avait regagné un flegme de circonstance, bien décidé à ne pas se permettre le moindre écart. Le respect de la hiérarchie n’était pas une vocation mais elle ne savait que trop bien les conséquences de la moindre incartade.
Elle vit l’insolent s’avancer et faire sa tâche de facteur... un peu trop consciencieusement à son goût. Alors c’était cela ? Il espérait encore lui faire croire que sa tâche officielle était unique et sans consœur moins reluisante ?
Ambre se mordit le coin intérieur de la lèvre pour s’éviter de sourire. *Tu es trop entêté pour ton propre bien petite souris, la surenchère te coutera chère* - souffla-t-elle intérieurement en lui glissant un regard amusé. S’obstiner à lui montrer, en bonne pièce de théâtre, le déroulé de sa livraison, était d’autant plus douteux. De tout son discours, il avait buté précisément sur ceci : Ses intentions. Il n’avait pas tenté de la questionner elle, ne s’était pas plus expliqué sur sa fuite précipitée (quel facteur fuit un Veilleur?), et avait certes mentionné un retard qu’il ne saurait prendre...
Mais si le retard n’était pas désiré…
Pourquoi avoir regagné la cachette d’Ambre depuis la tour….
Alors que le chemin se trouvait bien à l’opposé de ce lieu-ci ? Prochaine livraison soi-disant urgente ?
*Bingo* - se dit la jeune femme avec grande fierté. *Fait comme un rat*
Elle regretta aussitôt l’expression peu gratifiante, aussi beau fut le jeu de mot.
La faucheuse avait également comprit que ce museau n’en démordrait pas : Il ne souhaitait aucune discussion à ce sujet, pas plus que d’échanges d’informations.
Comment obtenir gain de cause dans ce cas ?

(Balthazar)- A moins que ..

Ambre se raidit, l’œil toujours glissé dans la direction du coupable.

(Balthazar)- ...votre recrue veuille dire quelque chose?

Diantre. Il n’était pas plus Veilleur que le bout de sa botte et il était exclu que ce soit lui, qui lui donne parole. Répondre à un lambda, depuis le devant de la porte de son chef, sans que celui-ci n’ait daigné la faire entrer ni même lui autoriser le moindre mot, voilà qui serait totalement hors protocole. *Tu as grandement besoin de leçon de civisme et de politesse* - lui reprocha-t-elle silencieusement en levant les yeux au ciel. Elle détourna enfin le regard de l’intéressé pour le poser en une expression respectueuse sur le Général. Puisque remarquée, elle salua son supérieur selon les us et reprit sa position initiale sans même daigner relever la remarque du Facteur.
Discrétion et respect.
Elle n’expliquerait nullement les raisons de sa présence ici sans qu’on le lui demande. Et si tel était le cas, elle était presque tentée d’être pleinement honnête... histoire de faire friser les moustaches du beau parleur. *La logique t’a quitté* - se désola Ambre. Si ses dénonciations étaient prises au sérieux il serait en mauvaise posture. Si elles ne l’étaient pas, l’idée trotterait tout de même là, dans leurs esprits de Veilleurs attentifs… Et il suffirait de le surprendre à un endroit où il ne devrait se trouver, à un moment où le motif/la route de sa course seraient questionnables…
Et il plongerait immédiatement dans leurs disgrâces.
Sans compter que cette même idée rendrait sa cible plus vigilante, à n’en pas douter. A l’image même de la petite graine de suspicion que l’on sème et qui croit à force de paranoïa.
Tant et tant de choses qui lui mettraient des bâtons dans les roues… Son secret valait-il réellement ce risque ? Tout ceci était curieux.
Peut être que l'orgueil avait finalement fini par porter préjudice à cette souris trop fière.

La jeune femme attendit donc en silence la suite des évènements.
Qu’il quitte la pièce ou qu’on lui donne l’autorisation de s’exprimer…
Elle était prête à ne rien lâcher.

Ambre peint donc un sourire paisible sur son visage,
Grimace d’une arrogance sans précédent.

“Si les chats gardent les chèvres, qui attrapera les souris ?”

L'arrivée de la Capitaine Amriel fut le comble de la situation.
Désormais en présence de deux figures hiérarchiques, Ambre comprit qu'elle n'avait plus l'avantage de la discrétion. Si elle entendit Koss citer son nom d'une oreille distraite, elle se concentra surtout sur la Malakim à l'air sévère.... et les mains qui avaient surgi autours d'elle.

Les yeux agrandis par la gène, observant en coin sans oser se faire remarquer, la faucheuse retint un rire en pinçant les lèvres. Les mains maladroites du Commandant avaient tout du comique de situation, tant l'on imaginait assez peu Amriel se prêter à ce genre de frivolités. Il était certain qu'elle ne repartirait pas bredouille de cette journée d'exploration, mais... Les histoires de badinages n'étaient vraiment pas sa tasse de thé et ce n'était vraisemblablement pas le type d'informations qu'elle avait espéré trouver. Entre le devenir de sa « traque »  et cette scène tout à fait à part, elle comprit qu'il était temps de prendre congé.
Et en ce qui concernait la question de sa capitaine et les motifs de sa présence ici....
La jeune femme aurait bien parié la suite de sa mésaventure sur un pile ou face. Qu'un Azys puisse décider de sa franchise lui aurait ôté la responsabilité de cette prise de décision. Il n'y avait finalement que peu de chance que le destin choisisse proprement, mais elle aurait au moins pu s'en servir d'excuse.
Sauf … qu'elle ne se voyait franchement pas jeter une pièce au nez de sa capitaine.
...Alors que faisait-elle ici ?... Et bien …

- Je m'assurais que monsieur Balthazar... - Elle l'aura finalement appris ce satané prénom ! - ...ne s'égare pas en chemin, Capitaine.

Elle glissa un regard tout à fait neutre en direction de la petite souris. Il n'aurait certes que peu de difficultés à comprendre la menace voilée derrière cette réponse. La jeune femme lui offrait un sursis bien fragile tant le sous-entendu n'avait rien de subtil. Il lui fallait comprendre qu'elle n'était pas une parle-légère. Ainsi , pour le change, voulut-elle lui montrer qu'elle pouvait tout autant se montrer conciliante, s'il faisait l'effort d'en faire autant. Elle rompit l'ambiance étrange de flottement qui avait pu envelopper ses paroles :

- J'ai par ailleurs une course à lui remettre.

Puis Ambre inclina respectueusement la tête à l'intention de la Malakim et tourna formellement des talons afin de ne pas avoir à affronter de nouvelles interrogations. Elle quitta la tour d'un pas qui se voulait rassuré et sans fuite. Se précipiter aurait ajouté de trop grands soupçons et elle tenait à montrer qu'elle se sentait légitime d'être dans ce lieu-ci. Elle ne savait pas si la petite souris lui avait emboîté le pas. Déciderait-il de poursuivre son petit espionnage afin de découvrir ce que dissimulait cette relation ambiguë entre Koss et Amriel ? Ambre mima une envie de vomir , langue au-dehors. Il faudrait vraiment ne pas avoir d'amour propre pour s'intéresser à ce genre de secrets-ci. Quoiqu'il arrive, si Ambre entendait en ville de tels ragots, elle saurait bien vers qui se tourner !

La veilleuse plongea sa main dans l'une des poches extérieures de son buste. Voulut en extirper une chute de parchemin... jura en constatant qu'en fourniture, elle n'avait rien de plus qu'un stylet de charbon en piteux état. Elle n'aurait pas du lui rendre ce bout de cape, à défaut de pouvoir lui servir encore, il aurait pu l'aider elle.
Ambre ne souhaitait pas quitter la petite souris avec un quelconque sentiment de dette, et il était clair que cette histoire de frusques devait être réglée. Elle s'était arrêtée à quelques pieds de la tour, et, visant le muret le plus proche, elle s'en approcha à la recherche d'un pavé lisse. Nulle présence dans son dos... les conditions étaient réunies.
*Si ça s'efface ce n'est pas vraiment un tag si ?* - se rassura Ambre en grimaçant. Prenant appui de sa main gauche, elle se pencha au plus près de la roche afin d'y inscrire les mots suivants :


L'intéressée posa un instant le bout de son stylet sur sa lèvre inférieure. Elle songea à une signature ou un ajout spirituel de son cru, histoire de ne pas trop concéder à ce facteur. Haussant finalement les épaules, elle griffonna en dessous de son message le croquis d'une petite souris de profil, tout juste de la taille de sa paume, pattes écartée comme en pleine course. Elle l'équipa d'un sourire inversé, comme si mécontent de sa condition. *De circonstance* se dit Ambre en adressant un clin d’œil à son œuvre, comme s'il avait pu parvenir au futur lecteur. Elle rangea enfin son outil à sa place initiale et s'écarta du muret.
Ce facteur avait un tempérament vraiment épuisant et elle ne voulait franchement pas s'acharner en communication. Sa note était claire et il ne pourrait la manquer dès sa sortie de la tour. Ambre espérait juste qu'il n'oublie pas de l'effacer, bien qu'il lui suffirait de repasser dans les environs dès la garde du soir afin de s'en assurer...
*Je ferai ça...* - décida-t-elle, suspicieuse quant aux bonnes intentions de la gerbille qui ne manquerait certainement pas une telle occasion de lui attirer des ennuis...

La veilleuse prit donc la direction de l'escalier le plus proche, baillant ostensiblement, la démarche lourde. Elle ne savait dire qui de son pouvoir ou de sa rencontre l'avait le plus épuisée. Renouveler l'expérience ne serait qu'une question de temps, et elle espérait que la petite souris prendrait tout le sien avant de lui remettre sa livraison...
Devait-elle lui offrir un petit pain à grignoter ou une liqueur à siroter pour s'acheter sa sympathie ? Et est-ce que ses secrets valaient encore la peine de tels efforts ? Ambre repensa un instant aux mains baladeuses de Koss et un frisson lui traversa le corps tout entier. *Brrrr jamais de la vie !*
Elle décida donc de laisser toutes ces interrogations dans un coin de la tête afin de l'en soulager. Cela pouvait patienter...
Au moins le temps d'un somme.