10 Novembre 118

Le ciel orageux dispense Psyché de ballade, la tête paresseuse sortant à peine des plaids où l'ibouris à élu domicile. Une semaine qu'elle était adoptée, et le rongeur ailé avait totalement pris ses marques, m'aidant même à me réinstaller dans mes quartiers, abandonnant le fauteuil du bureau pour rejoindre mon lit que j'avais tout de même intégralement changé. Ne manquait plus qu'à remplacer la tête de lit, marquée affreusement par les griffures d'une nuit qui me fait fermer les yeux. Non, il n'était pas nécessaire de se rappeler de tout ça maintenant... Elle était loin. Peut-être même morte, même si au fond, je ne souhaite la mort d'aucun des explorateurs.

Je souffle et me détourne du souvenir complexe pour me changer, une migraine horrible me suivant depuis trop longtemps déjà et des sueurs accompagnées de nausées persistantes qui me ramène à la réalité: je n'ai pas nagé depuis des jours. Plonger dans le canal calmerait bien des maux, mais c'est l'odeur saline qui me manque et aux aurores personne ne m'empêcherait d'aller me baigner plus loin que d'habitude. J'avais besoin de grand air et de large, et laissant Psyché aux bons soins de sa sieste je descend pour me retrouver dehors, avec pour seul habit un peignoir et un maillot de bain.

Devant ma porte le canal serpente paisiblement tandis que les habitations gardent encore le silence, l'astre pas encore allumé tout à fait sur les toits paisibles, à peine teintant le ciel d'un mélange de rose et d'orangé. Ce moment du jour où les couleurs ne sont pas tout à fait encore positionnées, et où les yeux forcent le trait pour voir l'ocre et la pierre dans leur couleur d'origine et non pas en nuance de gris. Au moins, la promenade solitaire ne serait embêté par rien.

Je plonge donc, délaissant le peignoir à l'entrée de la maison et un frisson me parcourt sous l'eau glacée qui fait bleuir mes écailles. Je plonge en canard sur quelques mètres, laissant apparaître mes branchies pour me fait emporter par le courant direction le port, et plus loin l'océan inexploré... Poussant un banc de Diamaras dans leur paisible quête de nourriture je rejoins un balsex qui me fait oublier les soucis, nageant joyeusement dans le courant. Je le suis, le dépasse, on fait une sorte de course aquatique où le reptile gagne sans problème et au bout d''un bon quart d'heure de balade partagée l'eau devenant plus saumâtre l'animal finit par rebrousser chemin non sans voltiger gracieusement.

Je continue ma route et passe rapidement dans le port où la prudence est de mise avec les bateaux vaquant à leurs occupations. Les pêcheurs doivent sûrement être les premiers levés du quartier, et si je m'enfonce pour éviter les coques en touchant le sable les gens à la surface ne doivent pas voir que je suis là. J'esquive donc l'endroit et m'engouffre dans un passage où seuls la faune doit se cacher et me rassure en me disant qu'à l'intérieur je vois de la lumière, et en effet le tunnel s'arrête rapidement sur un trou d'eau avec un puit de lumière, puis je continue, me disant que ce raccourci m'emmênerait sûrement de l'autre côté de la falaise, près des plages extérieures.

Et lorsque le tunnel se termine dans une floppée d'Harzus je m'apprête à m'aventurer dans les algues géantes quand un mouvement de courant m'empêtre dans... Une corde?
Sans que je ne comprenne tout à fait ce qui se passe les pan du filet se rabatte contre moi et bientôt je ne sais plus où est le haut, où est le bas, et la corde finit par me serrer de tout les côtés. "C'est quoi ce... AH!" La corde se faufile entre mon short et ma cuisse et je m'immobilise. Déjà que le pêcheur devra sûrement m'enlever de là, autant que se ne soit pas nu...

Le temps dans l'eau semble comme arrêté et je finis par somnoler, bercé par le remous, la migraine cette fois totalement disparue quand une voix me fait ouvrir les yeux. "Hého?" J'essaye de voir d'où vient la voix et si elle n'est pas dans mon imagination, mais chaque mouvement enserre plus ma silhouette et avant de finir en saucisson de poisson je m'immobilise de nouveau. "Au secours, s'il vous plaît!"

Cette fois la voix est plus claire, féminine et... Amusée? Heureusement que je n'ai aps la corde au cou, la blague serait moins rigolote... "Je n'ai pas... Quelle idée de ne pas prévenir quand on pose un piège comme celui-ci!" Elle rit aux éclats et je n'en mène pas large, et quand la lame passe un peu trop près de ma hanche je cri un "Ah!" peu rassuré. "Attention avec ça, ça coupe!" Comme si ce n'était pas exprès...

La corde se délie un peu contre mes mains et mon bassin, me permettant de tenir mon slip qui glisse en expliquant: "Aux petites heures je n'ai pas vu le filet, je faisais juste une promenade matinale de nymphe et... Voilà! Mais c'est en plein courant, donc je me suis fais surprendre..." Et dans les ombres des fauilles géantes impossible de voir le filet tout à fait, malgré une vue plutôt bonne...

Les derniers cordages coupés je finis par me sortir de mes liens et m'exclame: "Ouf, j'ai cru y rester un moment... Merci. Ou pas merci, si c'est vous qui avez posé ça là. C'est efficace mais dangereux!" D'un autre côté personne n'avait dû rentrer dans le tunnel sans savoir où cela menait... Ou ma vue a carrément baissé.

10 Novembre 118

La nageuse-pêcheuse sort son meilleur couteau de boucher et saucissonné comme un rôti de Syrichinus je commence à m'inquiéter. En tant que releveuse de filet, elle ne saurait me délivrer sans employer son coupe jarret? Et une fois posée contre ma hanche la lame froide me fait un peu paniquer sous l'hilarité de la nymphe. Je me tais, essayant de ne pas tressaillir tandis qu'elle me délivre. J'essaye même d'être moins raide et figé pour l'aider à m'aider, jusqu'à ce que le filet tombe en lambeau.

Je fais alors de grands gestes libérateurs, retrouvant jambes et bras ankylosées en soupirant de soulagement. "Il faut que je remonte..." Mais mon soulagement se transforme en panique. "Le coucher du soleil?!" Une journée gâchée dans un filet?! Je pousse un râle de désespoir. "Mais... AHHH!" Il faudra s'excuser auprès de mes patients, leur programmer un nouveau rendez vous... Des heures de perdues, c'est au moins une journée et demie de reprise administrative!

Et si je semble désespéré elle semble carrément gênée par ma question, et il y a de quoi. "Moi je saurais, mais ça pourrait être d'autres, et des gens qui n'ont pas de branchies seraient morts là dedans." Je prend un air sérieux, mais rajoute: "Mais bon. Tous le monde ne se serait pas mis dans ce pétrin. Eos Saysanasy, mais ne t'embêtes pas avec mon nom. Eos, c'est plus simple." Je propose une poignée de main avant de montrer le filet. "Je comprend, j'iamgine que fabriquer des filets ça doit être suffisamment pénible pour ne pas vouloir les voir réduits en miettes... Tu veux que je t'accompagne, histoire de ne pas être embêté? Tu pourras montrer... L'entièreté de ta prise du jour." Je revêt un sourire et montre ma silhouette.

"Si. Je suis psychiatre, j'avais une journée de travail à honorer. Mais bon... Comme j'ai raté ma journée, je peux bien t'accompagner." Je regarde la jeune femme attentivement puis prend un sourire. "Je ne crois pas qu'on se connaisse... Mais pour une rencontre c'est une rencontre! Après on a pu se croiser, à priori on est du même quartier..." Ses écailles dorées reflète le soleil qui baisse effectivement, ce que j'avais pris comme l'ombre des algues géantes.

10 Novembre 118

Si j'ai faim? Je regarde la pêcheuse avec un air de réflexion puis avoue: "C'est vrai... Que j'ai un petit creux." La pseudo méditation dans le filet n'avait pas pu faire oublier à mon système digestif qu'il était vide depuis un peu plus longtemps que d'habitude, et un grondement se fait même ressentir lorsque l'on en parle, me faisant glousser: "Bon d'accord, j'ai vraiment faim." Difficile d'en vouloir à une paire d'yeux si rieurs. Bien sûr, il y avait bien des choses sérieuses qui devraient être fait autrement pour elle, et je devrais reprogrammer ma journée perdue, mais se lamenter sur un évènement passé sans grande conséquence n'avait pas d’intérêt. Il valait donc mieux en rire!

Nous nous présentons donc plus correctement et les yeux étincelants de malice se font plus ronds, et son étonnement me donne un petit rire tranquille: "Et si! Il faut bien, pour quelques personnes." d'un signe de main Reyna me propose de la suivre et c'est avec un élan de soulagement que mes pieds se remettre à battre en cadence, reprenant le chemin de pierre et d'ombres en notant cet emplacement comme un endroit à revisiter plus tard. En attendant, la pêcheuse se fait bien curieuse et tout en nageant, nos voix se répercutant sur la pierre, je la rassure: "Je contacterais les patients que je devais voir. Après tout, sans téléphone et sans horloge, les rendez vous sont un peu aléatoires... Je les recontacterais et m'excuserais pour le déplacement.  Et je vais bien, peut-être quelques bleus dû au serrage dans les cordes mais rien de grave..." Après tout, c'était le genre de blessures inoffensives qui pouvaient arriver dans pareil cas.

La jeune femme semblait savoir où elle allait dans le dédale de tunnels et je la suis attentivement, histoire de ne pas me perdre bêtement mais si les croisements sont rares. Son intérêt pour me travail me fais sourire, et je continue: "Oui, je m'en sors plutôt bien, de fait étant le premier et seul psychiatre d'Azamyr jusqu'ici... à ma connaissance, j'ai des patients de tous les quartiers." En réalité, j'avais même le temps de nager au moins un jour sur trois, obligation médical de ma condition de nymphe, et les consultants hebdomadaires étaient peu nombreux mais suffisants pour faire un gagne pain honnête. "Et toi, la pêche? Ce n'est pas avec ce filet là que tu as fais ton affaire je le crains... ça marche mieux d'habitude j'espère! "

Je souris tandis que nous atteignons la poche d'air de tantôt, et je prend une inspiration pulmonaire, plus par plaisir que par nécessité avant que l'on reprenne le chemin de son bateau. La sortie est bientôt à vue, et sa question me laisse songeur un moment , me permettant de regarder plus attentivement ma camarade nymphe. Elle semble à peu près de mon âge, et ses long cheveux bruns flottant dans le courant forme une jolie nuée en suspension lorsqu'elle ralentit. "Comme un docteur peut tomber malade nous, doctorants en médecine du mental pouvons avoir des soucis psychologiques. Si je devais me faire engloutir par les problèmes de mes patients, je serais probablement incapable d'exercer pendant un long moment, jusqu'à ce qu'un autre psychiatre fasse apparition..." Et si je prend bien trop à cœur ma mission pour la majorité de mes confrères terrestres s'ils avaient pu me voir travailler ici, seule une avait vraiment dépassé les limites et m'avais mis en porte à faux... Non, il valait mieux ne pas y songer. Je me fais alors plus malicieux et rajoute d'un air rieur: "Pourquoi toutes ces questions, sur mon métier je veux dire... Tu veux un rendez vous?" Je souris derechef tandis que l'on s'approche d'une coque de taille moyenne et demande: "C'est celui-ci? Comment on fait pour monter à bord? Je ne suis jamais monté sur un bateau..."

10 Novembre 118

Malgré l'obligation pour les races telles que les sirènes et les nymphes de retrouver la mer et les eaux pour ne pas tomber malade, je n'avais pas vraiment imaginé le fonctionnement exact de la pêche à Ozéna. D'un autre côté, mes expériences dans l'eau ne m'avaient pas permis de voir tant de diversité de poissons terrestre, et mes facultés à en attraper devait friser le zéro pointé. Alors je m'intéresse, souriant à l'idée que je sois une prise intéressante, alors que de poisson je n'ai que quelques écailles.

Profitant de l'oxygène piégé dans la bulle allumée par les phosphorescences de la pierre, je détaille les traits de la nageuse qui rabat ses longs cheveux derrière elle. Elle est jolie et amusante, tant que son couteau ne passe pas trop près de ma peau... Imaginer les écailles dorées parées de bijoux lui va à ravir et je hoche la tête: "Je saurais à qui demander si j'ai besoin de quelque chose, que ce soit à manger ou non!"

Nous repartons vers le Milor et retrouver la lumière même descendante me fait pousser un souffle de contentement. A force dans ces tunnels, on pourrait devenir claustro... Reyna ralentit un peu sa nage cadencée et je me place à son côté gauche tout en riant cette fois à gorge déployée. "Le célèbre, carrément? Je ne m'attend pas à être à la lumière. L'histoire ne retient pas le nom des psychiatres, à part... Ceux des tordus. Le mien disparaîtra, comme mes prédécesseurs." Je fais un sourire plus taquin lorsqu'elle contredit ma proposition, non sans que mes pommettes prennent une couleur plus rosée devant son "mon beau". "Tu dois être dans l'eau chaque jour alors... Tu dois être un des poissons les mieux dans leur peau de toute les maintes eaux!"

Arrivée à la plus grosse des coques je fais quelques mouvements de plus pour observer le bateau d'en dessous. Le port n'est vraiment pas un endroit où je reste d'habitude... Et je n'avais jamais pris le temps de regarder les géants de bois flottant paisiblement là. Le ressac semble à peine l'ébranler, et lorsque Reyna m'emmène sur le côté les marches directement creusées m'impressionnent. Il doit y avoir tellement de travail pour créer quelque chose comme ça... "Je sais tailler le bois mais là... C'est un autre niveau!" Je regarde un moment Reyna monter avant de baisser le nez, réalisant que ce que je vois surtout ce n'est pas ses chevilles et quand elle est monté je m'essaye à l'exercice.

L'eau s'infiltrant dans le bois le fais gonfler mais surtout, elle le rend terriblement... Glissant. Je m'accroche de mes doigts fins mais arrivé à mi-chemin mon pied glisse, ma cheville lâche et avec un cri de surprise je retombe dans l'océan quelques mètres plus bas. L’amerrissage n'est pas douloureux, et impossible de boire la tasse même si mes poumons par réflexe se bloquent, et quelques secondes plus tard je refais surface, un œil bien plus méfiant sur les marches traitres.

Encouragé par le plat promis et l'envie mine de rien de découvrir les entrailles de la coque inspectée, je remonte doucement, prudemment chaque pas, serrant les dents lorsqu’une marche se fait plus glissante. Mais au bout d'une dizaine de minutes qui doivent sembler une éternité pour l'habituée, j’attrape son bras pour me hisser au garde corps avant de pousser un souffle épuisé. "Vous faites ça chaque jour? Vous devez avoir un pied à crampon, je n'ai pas le matériel pour vivre sur l'eau je crois..." Je reprend mon souffle en riant un peu face à l'enthousiasme désarmant de la demoiselle, me demandant quel âge elle peut avoir avant de sentir le remous sous mes pieds.  

Je remonte mes yeux du plancher quand les mains fermes de Reyna me fait me tourner sur le soleil tangelo qui me coupe le souffle à peine retrouvé. Les murailles immenses arborent une lumière écrue sur les murs les plus hauts, le début des ténèbres à contre-jour et je pose mes mains sur le garde corps pour admirer la vue encore un peu. "C'est... Magnifique." Je n'aurais pas pensé pouvoir voir la ville qui m'a accueilli pour ma seconde vie aussi belle. La musique de la mer forme une atmosphère incroyable sur le tableau et un instant, le poids de mon stress à vivre au même endroit qu'une vampyre dangereuse et après de terribles évènements se fait plus léger. Reyna est déjà sur autre chose mais je me retourne vers elle, bien plus calme et dit d'une voix reconnaissante: "Merci. De me donner la chance de voir ça... C'est une excellente thérapie, encore une fois tu dois être l'un des poissons les plus sains d'esprit d'Azamyr."

Mon regard se décolle de la beauté du paysage pour remarquer que nous ne sommes pas seuls et je me fais plus petit, sachant que je ne fais pas parti du décor habituel avant de tenter un geste amical de la main. Soudain la voix grave d'une autre silhouette fait stopper l'élan énergique de la pêcheuse et je monte le nez sur  une tortue que je reconnais... Pour l'avoir vu une fois m’amener un consultant en détresse. Aucune idée de son nom ou du genre de personne qu'il pouvait être, l'homme reptile n'ayant pas décoché un mot pour moi, juste recommandant au jeune garçon de poser ses fesses dans mon canapé et de raconter ses problèmes jusqu'à ce que ce soit réglé, mais il avait assurément du caractère. Je suis Reyna avec un calme relatif et quand elle énonce sa pêche je suis un sourire embarrassé. "Je suis désolé pour votre filet, je ne l'ai ... Pas vu." Je pose une main sur mon bras et quand la pêcheuse annonce notre départ je me tourne et m'éloigne sans demander mon reste, comme un petit garçon devant un grand père un peu bourru.

Sans hésiter la femme s'engouffre dans le bateau et je la suis en regardant mes pieds pour ne pas m'entraver sur les cordages, tissus diverses et mécanismes laissés là en attendant réparation j'imagine avant que Reyna me tende une serviette. Je la remercie puis tout en me séchant répond à sa question avec un sourire: "Une chemise ce sera parfAH_" Je retire le tissu pour tâtonner dans mon dos en grimaçant. Une entaille apparaît sous mes doigts et je grimace. "Tu n'as pas menti à ton chef... Je vais d'abord guérir ça, si tu as quelque chose?" Je tends ma main vers la crème et passe un doigt doux sur la plaie, puis inspecte mes jambes, bras et mon ventre pour les contusions bleuissantes peu à peu. Pour sûr, rester dans des cordages pendant des heures n'étaient pas sans conséquences...

Une fois cela fait et la chemise passée délicatement pour ne pas frotter sur mes blessures je hoche la tête. "Je te laisse me guider." Pièces après pièces je passe mon regard sur les secrets du Milor, inspectant comme un petit curieux les lieux du sol au plancher avant d'arriver à la salle de tri qui garde une odeur saumâtre des pêches précédentes, puis emmené finalement dans une sorte de réserve où Reyna fouille comme faisant ses emplettes. Elle me propose d'en faire de même mais je me contente de la laisser faire, déjà contenté par le repas en perspective. "Un pique nique devant le coucher de soleil, ça me va sans problème!" Je hoche la tête quand elle se rappelle que c'est ma première fois sur un bateau et j'ajoute: "J'habitais pourtant au bord de la mer... Avant. Mais bon, on a pas toujours l'opportunité, ein?"

La nymphe se tourne finalement vers moi, comme si elle remarquait qu'elle ne m'avait rien demandé sur mon statut d'invité du bateau et je fais un regard surpris: Euh, si si ! Enfin, je ne m'attendais pas à avoir autant le pied marin mais..." Je regarde le plancher qui grince doucement sous les vas et viens de la mer et fait un sourire grandissant: "A part l'échelle tueuse, le bateau semble m'apprécier, et j'apprécie la visite aussi!" Je laisse ensuite la demoiselle passer pour me montrer où nous allons manger, redoutant un peu de partager le repas avec Monsieur Suspect qui ne s'est pas présenté, et Papi Tortue, bien qu'ils sont sûrement de bons personnages.

Tout en suivant la pêcheuse je lui demande: "Du coup tu n'as pas d'habitation à terre, tu es toujours sur la mer?"

10 Novembre 118

Tout en admirant la tornade passant dans la cuisine, le bateau tangue doucement, comme bercé par des bras maternels aimants, et un instant je ferme les yeux pour en profiter, sourire aux lèvres, surpris tout de même de ne pas subir le terrible mal de mer que j'imaginais. Mais non, loin de là même: le pied sûr (tant qu'il n'est pas sur une échelle mouillé) et le ventre accroché et même plein d'appétit pour le repas improvisé, il n'en faut pas plus pour que la pêcheuse imagine découvrir un futur marin en moi. J'en ris de bon cœur avant de nier: "J'adore l'eau et le bateau m'aime bien, mais j'aime encore plus aider mon prochain. J'ai choisi ce métier par passion, et j'ai même quitté le monde terrestre et ma famille pour mon amour de la psychiatrie. Alors je suis navré pour la mer, mais je passe mon tour. Et puis, elle vous a vous, n'est ce pas suffisant?" Je fais un petit clin d’œil à la pêcheuse avant de rejoindre le pont, impatient de me nourrir après ces heures de jeun méditatif, le sac dans les bras avec attention pour ne rien casser de son contenant.

Une fois le pont atteint, je reste un moment les yeux rivés sur le rivage de la cité, le port se remplissant petit à petit de bateaux rentrant de leur pêche fructueuse ou non, le soleil s'étant déjà presque caché derrière la muraille ouest, les lampadaires commençant petit à petit à s'allumer grâce à leur gazodite. L'endroit semble si paisible, vu de là... Un petit nuage de fumée au bord de ma vision me fait tourner la tête sur le capitaine qui lui aussi admire le paysage d'un air pensif, la silhouette digne d'une illustration d'un livre d'enfant. Je tourne ensuite mon esprit vers ma compagne de repas et m'assois de la même façon, regardant sous mes pieds un instant pour y voir l'écume s'écrasant sur la coque tranquille comme pour la chahuter  un peu en vain, pour finalement lui sourire les yeux rivés à son tricorne. "A quoi ça sert, cette forme de chapeau? J'en avais jamais vu en vrai, mais ça m'intriguait enfant."

Tels qu'ils sont rentrés dans le sac je regarde avec attention les ingrédients du menu se dévoiler entre nous sur les planches entretenues du navire, le ventre commençant à gargouiller comme une baleine faisant des vocalise tandis que Reyna m'explique son mode d'habitation. Sa façon de dire "par delà le récif" me fait penser à quelque chose, encore une vieille histoire d'aventure, mais la nymphe a tout l'air d'avoir les capacité de faire partie d'un roman. Navigatrice un jour, dirigeant un équipage qui lui ressemble à travers vents et marées jusqu'au bout du monde connu et au delà, voilà des aspirations ambitieuses. Je rigole un peu et mime de lui tirer mon chapeau. "Bon courage pour ça! Je suis un homme de prudence, je ne sors pas des sentiers battus.Enfin... La seule fois où j'ai tenté une nouvelle ballade je me suis pris dans un filet, je pense que voir le nouveau monde ne sera pas pour moi." Avec mon caractère doux et mes émotions à fleur de peau, un rien pourrait avoir raison de moi, surtout lorsqu'on brave des dangers réels. Je ne suis ni marin, ni combattant, et mes capacités de survie son pratiquement nulle. Je ne sais même pas faire à manger, non vraiment il valait mieux que je reste dans la cité. "Cela dit... Tu m'enverras une carte postale?" Nul doute que le facteur ne me l'apportera jamais, mais l'idée me fait au moins sourire.

Notre attention se penche ensuite sur le repas et je hoche la tête quand Reyna me propose de me servir, remerciant du même coup avant de piocher un Moluni coupé en deux comme un melon céleste. La pêcheuse elle, s'occupe d'ouvrir un coquillage dont je n'avais pas fait beaucoup attention et me penche sur son coup de couteau affuté contre les valves avec une attention accrue, la bouche pleine du fruit déjà commencé. "Qu'ech que ch'est?" Je dis en essayant de parler avant d'avaler difficilement tellement le morceau est encore gros. Le coquillage ressemble bizarrement à un produit que l'on pouvait voir dans les étals des vieux marché au poisson de ma vie terrestre, ça en moins qu'ils semblaient bien moins faméliques et dégoutants ici, et que l'odeur d'iode et de fraîcheur rajoutait à ma curiosité.

Je tend alor sla main vers une coquille et après une inspection rapide du fruit de mer le gobe comme à fait la marine avant moi avant d'être pris d'une quinte de toux en l'ayant avaler tout rond à son tour. Première saveur, du sel et l'impression d'avoir bu la tasse, mais la suite est pire: Un arrière goût de sable et comme l'impression d'avoir léché une limace me fait pâlir un peu, et j'hésite vraiment avant de me dire que non, je ne régurgiterais pas ça, mon estomac tiendrait le choc. La deuxième tendue est tout de suite refusé, un sourire gêné coincé sur mes lèvres: "A priori non, c'est pas pour moi... Désolée Reyna, je ne suis finalement vraiment pas fait pour être marin." Et pourtant mon plat préféré est bel et bien un poisson...

Je me débarasse du goût de fond marin par un morceau de fruit et entendant mon nom complet recroqueville ma tête dans mes épaules avant de me tourner vers la pêcheuse. Un prénom et un nom complet, ça annonçait mauvaise chance dans ma famille, et chaque enfant savait qu'être appelé par son nom était un ticket assuré pour une explication désagréable avec la tribu parentale, un calvaire que nous n'avions pas eu souvent mais qui laissait des souvenirs impérissables. "J'ai... Dis quelque chose qui ne fallait pas? Excuse moi..."

Mais le visage de la nymphe ne semble pas contrariée, seulement perplexe de ma réponse puis pleine de réflexion et je me rend compte qu'au final ce n'est sûrement pas pour me réprimander que Reyna m'a appelé par mon prénom et mon nom. Mes oreilles sortent de mes épaules et je suis surpris par la question, bien loin des brimades attendue, et je lève un regard surpris. Si la vie ici me convenait? Je reste quelques minutes pensif avant de hocher la tête. "C'est le plus bel endroit et le plus paisible que j'ai pu visiter... Mais je n'ai pas visité grand chose sur Terre." Le soleil disparait tout à fait et les lumières allumées forment les premières étoiles visibles dans un ballet gracieux d'allumage des feux, et on verrait presque les algues plumes s'illuminer par endroit, ainsi que quelques parterre de végétations fluorescentes dans les collines et falaises plus proches, rendant le spectacle impossible à décrocher du regard.

"Je vivais au bord de la mer, oui. Dans l'estuaire d'un fleuve, plus précisément. J'aimais déjà beaucoup la mer, mais pas autant que ma mère Dinah et surtout ma sœur Maja. Elle a dédié sa vie à l'eau, elle est nageuse professionnelle." Une fraction de seconde, je laisse mes yeux se fermer pour revoir ses traits déterminés, ceux qu'elle avait en compétition. "Évidemment, ça n'a rien à voir avec l'état de l'eau sur Terre, la pollution était partout. Nager dans les eaux naturelles, c'était plus une épreuve d'apnée que de la brasse mais bon... J'étais proche de la mer, et je savais nager. C'était pas mal dans l'ancien monde, de savoir ça." Tout le monde n'avait pas eu cette chance, même en habitant près des plages. Finalement je laisse le clapotis de l'eau me faire rouvrir les yeux et je m'allonge sur le plancher, les mains couvertes de jus sur ma chemise comme un enfant après un repas secret dans le jardin et acquiesce: "J'habite le quartier oui, je suis près d'un canal. J'ai trouvé un logement à louer où il y a une place pour y faire mon cabinet, et au premier étage ma chambre. Ce n'est aps très grand, et la maison est émergée mais quand on a des patients terrestres c'est plus simple de ne pas les munir de produits pour respirer sous l'eau avant chaque consultation. J'aurais aimé vivre dans le quartier immergé, mais bon. Peut-être un jour?"

Les yeux dans le ciel qui commence à montrer son satellite principal je finis par demander: "Et toi, la Terre? Tu devais avoir un lien avec la mer non? J'ai l'impression que tous nous avons quelque chose en lien avec notre ancien nous, même bien caché... C'est une grosse théorie dans la cité, beaucoup de gens y croient." Comme si les Dieux, la magie ou autre chose nous montrait un morceau de notre visage qui ne pouvait apparaître dans l'ancien monde...

10 Novembre 118

Finalement, cette rencontre impromptue était une vague de fraîcheur dans mes pensées restées sur la berge du quartier aquatique. Reyna qui avait finit par me repêcher était amusante, vraiment amusante et croiser quelqu'un avec le sourire aussi facile était une bouffée d'oxygène bienvenue. Elle avait l'innocence des enfants rieurs, quelque chose d'ingénu et de maladroit qui me donnait envie de m'esclaffer dans mes mains comme un gamin. Oui, Reyna et moi aurions pu être dans un parc, jouant au bac à sable en rêvant d'aventure sur le grand château avec le toboggan, du temps de nos 3 ou 4 ans. Quelques années de plus et nous mangions des crustacés sableux sur le pont du bateau ligneur devant un soleil ensommeillé, mais les intentions étaient les mêmes: nous étions comme larrons en foire.

Enfin larron en foire... C'est plutôt elle qui se moque de ma tête quand le coquillage fait des siennes, et en plus elle me dit que possiblement celui que j'ai mangé pouvait dater un peu. Cette fois je tousse, inquiété par la possibilité d'intoxication alimentaire et lui dit, mi-figue, mi-raisin: "En fait tu veux vraiment me tuer, entre le filet et le coquillage... Je suis pas comestible!" Je tousse encore un peu mais l'huître agressive semble s'être calmée et je finis par m'étendre, parlant distraitement des femmes nageuses de ma famille. La pêcheuse semble m'écouter, occupant ses mains dans un bricolage de fils que je regarde d'un œil, et je hoche la tête: "Oui, les chalutiers torpillés lors des méga tsunamis de 4123 ont laissé un dernier hommage à notre pays en laissant une marrée de mazout épaisse de dix centimètres. Pour nager, il faut d'abord plonger... Et être en apnée. Tout un apprentissage... Mais je sais pas. On a quand même eu l'amour de l'eau vive, et pas seulement des bassines nettoyées." Quand j'y pense, quelle chance de voir à mes pieds cette eau si pure... "J'ai un frère et une sœur. Enfin, des demi frères et sœurs, mais ça ne fait pas beaucoup de différence." Je hausse les épaules, regardant toujours les flots lécher incessamment la coque paisible. "Et toi, tu as de la famille?"

Je regarde de plus en plus curieux les petites mains habiles tordent et discipliner le cordelet de métal, dodelinant de la tête lorsqu'elle parle de la maison. "Ce n'est pas l'endroit le mieux fait, mais il y a de sacrés avantages. J'ai mon cabinet, et une pompe suffisante pour ramener l'eau à la maison. ça, c'est un luxe que seule les Maintes Eaux peuvent se permettre. Bon, on est pas encore doté de l'eau chaude, ça prend du temps à se faire... Mais je suis bien content de pouvoir me baigner chez moi." La lueur des bougies allumées forment des ombres irréelles sur le pont lessivé et je scrute un moment la flamme ondoyante tout en posant des question à Reyna sur son lien avec la mer. Et comme elle ne se souvient de rien, je comprend mieux son silence sur sa famille. "Tu ne te souviens... de rien du tout du tout?" Des cas d'amnésie j'en voyais souvent, mais la majorité retrouvait des souvenirs avec le temps..

"C'est un chouette prénom. C'est... bien que tu le prenne comme ça." Ce n'était pas tous le monde qui pouvait se targuer d'être aussi peu touché par la suppression de tout ce qui faisait d'eux ce qu'ils étaient, jusqu'à leur prénom . Un instant j'essaye d'imaginer ce que j'aurais fait en ne me rappelant pas de ma famille, mais rien ne me vient. Les oublier tous... Ce serait triste, et en même temps est-ce que la nostalgie d'être seul en ce monde ne serait pas un poids en moins? Je souffle du nez quand Reyna me demande de ne pas l'analyser et je la rassure: "Tant que tu n'es pas assise dans mon bureau je ne serais pas ton psy, tu peux être tranquille! Ma vie est plutôt fractionnée." Il est plutôt rare que je rencontre des patients en dehors de mon cabinet d'ailleurs, mais ça pouvais arriver en quelques occasions. Je réfléchis quelques minutes à sa question, puis finis par me redresser pour regarder la ville éclairée de lucioles minérales. "On peut voir la découverte des clefs comme un hasard, ou comme le destin. Si tu crois au destin, c'est peut-être mieux ainsi." Certaines confessions sur l'obtention du précieux sésame avaient pourtant un goût amères. Lorsqu'on se battait jusqu'à la mort de quelqu'un pour obtenir ce laisser passer, était-ce un fait du hasard? Ou un coup de la chance? de deux destinées qui se croisent, l'une pour détruire la destinée de l'autre?

Je secoue la tête et me concentre sur la diversion de Reyna, observant le ciel clair, si clair... Il n'a jamais été aussi beau sur Terre.

10 Novembre 118

Côte à côte sur ce bateau comme au devant d'une toile de cinéma, à s'en mettre plein les yeux tout en parlant de l'ancien monde comme s'il était disparu depuis des millénaires, nous donnions un drôle de tableau au coin de l’œil de la tortue qui finis par disparaître du pont direction on ne sait où, nous laissant seuls ou presque devant l'étendue du monde. Un ange passe entre nous, trainée d'un silence confortable de deux nymphes qui semblent se connaître de l'enfance alors que c'est le premier jour d'une... amitié? Mes yeux regarde la pirate de brun et d'or et bien que son propos me touche je glousse: "Ce n'est vraiment pas une façon de trouver de nouveaux amis, Reyna. Essaye la danse, c'est plus classique mais ça marche mieux!" Bien que la méthode avait finalement marché puisque j'étais là, riant avec elle.

Je m'arrête peu à peu de rire et finalement plus calme finis par répondre vraiment ce que je pense sans manquer de sérieux: " Je ne pensais pas que me faire pêcher serait si plaisant. Tu as l'air d'être une femme gentille, pétillante, drôle... Je vois pleins de gens, mais c'est rare de rencontrer des amis." C'était certainement enfantin de penser que la pêcheuse était maintenant une amie seulement quelques heures après m'avoir sorti de son piège de cordes, mais parfois l'alchimie entre deux personnes formait bien des alliances étonnantes. Reyna avait cette aura que Maja m'inspirait autrefois: Une confidente certaine, une veilleuse dans une nuit trop sombre, une personne sur qui compter si tout partait à vau-l'eau.

Elle me tend finalement son ouvrage et je regarde dans ma paume à la lumière douce de la bougie une pierre montée dans un fil métallique. Le rendu était étonnamment lisse et propre pour de la joaillerie fait pendant une discussion et je m'exclame: "Woaw! Mais c'est ça que tu devrais faire, pas pêcher!" Elle avait un talent certain et mon visage s'éclaircit d'un immense sourire, les yeux pétillants. "Merci vraiment, Reyna. Je l'accrocherais dans ma chambre, avec la lumière du soleil je suis sur que ça fera un rendu incroyable!" Parmi mes mobiles de cristaux et divers décorations de plumes, de cordages et de perles, la pierre aurait toute sa place.

Je regarde ensuite la ville éclairée et murmure: "Il faudrait que je rentre, j'ai beaucoup de travail demain... Mais il faut absolument que tu viennes me voir un jour! Je vais te donner mon adresse avant de partir, tu passes quand tu veux, plutôt en fin de journée si tu veux être sûre que je ne reçoive plus de patients..." On irait manger quelque chose, de la viande pour changer!