Poppy flottait sur le dos. Poppy était l’une des premières à s’être jetée à l’eau à peine avait-on fait mine de lui en donner la consigne ; ce qui lui avait valu quelques regards désabusés. Elle était maintenant en train de battre des pieds tout en crachotant de l’eau pour imiter une fontaine.  Dans sa barque, la sylphe n’avait reconnu personne et elle n’avait pas été interpellée par qui que ce soit. Ce qui la chagrina légèrement, il était toujours plus amusant de partager ce genre d’aventures avec des amis que seule. Et tout en songeant à cela, elle haussa les épaules ; elle aurait tout le temps de la plongée pour se lier d’amitié avec d’autres personnes. D’ailleurs, le temps était venu de se laisser engloutir par les flots. Poppy s’y laissa aller volontiers.  Loin d’être une créature aquatique, l’absence de nageoires n’empêchait pas Poppy de tournoyer sur elle-même avec aisance -et peut-être que la sirène qui poussait ses hanches avec douceur, l’aidait légèrement. Elle s’amusa également à chasser les poissons qui lui passaient sous le nez et à entortiller autour de ses doigts les algues colorées qui flottaient nonchalamment autour d’eux.

- Ça ne donne pas très envie… Marmonna Poppy tout en bataillant pour ranger ses ailes qui ne cessaient de l’attirer vers la surface. Ses yeux parcoururent toutefois avec une curiosité non dissimulée les environs, s’interrogeant sur la possibilité d’entrer visiter les lieux - visiblement le “quelque chose de particulièrement agressif” ne semblait pas l’émouvoir outre mesure. Jusqu’à ce que "quelque chose de particulièrement gros” ne vienne la couvrir de son ombre. Lèvres pincées, yeux ouverts ronds comme des soucoupes, elle était aussi immobile que si elle avait été faite de marbre, seuls ses cheveux de jais luisaient autour de son visage comme une nappe d’huile sombre. La sirène à ses côtés s’était crispée sur ses hanches, prête à remonter de toute urgence en cas de besoin.  Rapidement l’eau se mit à picoter, tant et si bien que la créature à ses côtés dû lui plaquer la main sur les lèvres pour étouffer dans sa gorge le rire qui avait manqué de s’en échapper. Heureusement, cela ne dura qu’un instant et bien vite le gigantesque serpent fila aussi vite qu’il était venu. Un soupir de soulagement franchit la barrière de ses lèvres et la main quitta sa peau pour la laisser à nouveau déambuler avec le reste du groupe.

C’était une masse de cheveux aussi sombre que la sienne, si ce n’était légèrement plus courte et un peu moins bouclés, mais Poppy la reconnut sans peine. Ni une, ni deux, elle battit des pieds jusqu’à atteindre le dos puissant dont elle accrocha l’épaule. Un sourire s'épanouit sur son visage alors qu’elle s’écriait, de sa voix étouffée par l’eau : - Viktor ! Comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Je ne t’aurais pas imaginé te joindre aux activités de cette… Sans s’en rendre compte, elle s’était mise à frissonner. L’eau autour de lui était glaciale, tout comme sa peau et la beauté de son regard. Mais ce n’était pas cela qui avait interrompu la phrase de la jeune femme, non c’était la crinière auburn rendu presque brune par l’eau qui s’y était infiltré. Prenant appuie sur l’épaule musculeuse de Viktor, elle lui passa par-dessus tout en s’écriant à nouveau : - Anna ! Puis comme elle savait si bien le faire, elle attrapa la main de l’élémentaire et l'entraîna à sa suite.

Un sourire angélique gravé sur le visage, Viktor vagabondait dans le Quartier Central, les mains plongées dans ses poches qui émettaient un petit « schling » à chacun de ses pas. Guilleret, l’élémentaire s’était levé de bonne heure, le coeur en joie de pouvoir retrouver une multitude de personnalités dans ce brouahaha qu’il trouvait particulièrement délicieux. Du plus loin qu’il se souvienne, malgré les événements ayant jonché sa vie humaine, il avait toujours été d’un naturel très sociable. Un véritable poisson dans l’eau dans les conversations mondaines, toujours le mot pour faire rire ou pour détendre l’atmosphère, Viktor s’était impliqué dans les activités de la fête des quatre maisons dès le premier jour. Peu compétiteur, il s’était bien passé des différentes courses et chasses, préférant regarder le podium se faire tout en pariant sur les gagnants. Après tout, l’argent était fait pour être dépensé, et s’amuser restait encore aux yeux du jeune homme la meilleure façon de le faire. Un investissement dans son propre amusement serait toujours des plus rentables et c’est dans cette même optique qu’il se dirigea vers l’estrade pour écouter le discours de la dirigeante de la Maison des Maintes Eaux. Enigmatique, peut-être un poil sur les nerfs, Feyre dégageait cette aura impériale avec une pointe de vanité, ce que Viktor ne pouvait que comprendre. Dodelinant de la tête, dépassant la plupart des autres participants, l’élémentaire se poussa sur le côté pour permettre à une jeune fille de voir également le spectacle, lui adressant un hochement de tête gracieux.


Si visiter les fonds marins pouvait s’avérer être une partie de plaisir pour ceux qui peuplaient naturellement la mer, Viktor ne pouvait nier une minuscule appréhension quant au fait de se mettre à l’eau. Grimpant sur la barque d’un air décidé, il la laissa avancer doucement jusqu’au point de rendez-vous, sifflotant sur le chemin. « Sous l’océan... ». Un de ses comparses se retourna vers lui, le fusillant du regard. Ne pouvant s’empêcher de rire nerveusement, l’élémentaire se gratta la tête. « Mes excuses. Je me suis laissé emporter par l’ambiance. Ne faites pas cette tête, je suis persuadé que la visite vous redonnera le sourire. ». Profondément hypocrite, son sourire trembla doucement avant qu’il ne hausse les épaules. Ce qui ne devait être qu’une petite promenade au fond de la mer se transformait pour certains en une opportunité de se faire remarquer par leur Maison. Un besoin de reconnaissance que Viktor ne leur enviait guère, bien content de n’avoir besoin de l’approbation de personne. Encore moins de la dirigeante de sa Maison, qu’il connaissait à peine.


Avant de plonger, l’élémentaire prit le soin de retirer sa chemise en lin et de l’étendre sur la barque. Doucement, il commença sa descente dans les abysses, battant des jambes à rythme régulier avant d’accélérer pour se propulser au plus près de son groupe. La sirène qui se trouvait non loin de lui, veillant à sa sécurité, ne put s’empêcher de déglutir en le voyant approcher et surtout en sentant le froid s’emparer de ses membres. La présence de Viktor s’avérait la plupart du temps désagréable, dans l’eau cela était encore plus vrai tant sa fraîcheur naturelle se diffusait. L’élémentaire l’avisa d’un signe de tête, lui faisant comprendre que s’il venait à éprouver la moindre difficulté dans l’eau, il lui ferait savoir. Bon nageur, il continua son avancée sans perdre leur guide des yeux. L’arrivée de l’ombre au-dessus de lui le fit hésiter et il s’arrêta un bref instant, quand une main douce se posa sur son épaule. Levant un sourcil, Viktor se retourna doucement avant que ses traits ne se targuent d’un sourire béat. Cela faisait déjà plusieurs jours que son chemin n’avait pas croisé celui de Poppy, son véritable rayon de soleil personnel, une âme charitable et choyée dans la Maison du Ciel et du Souffle. Tout du moins, c’était ce que son imaginaire lui soufflait.


Son regard azuré dans ses yeux dorés, l’élémentaire resta silencieux un instant en constatant les frissons qui parcouraient la peau de la sylphe, son coeur se serrant doucement. Il dut se retenir de soupirer, préférant prendre la main de Poppy entre les siennes. « Bonjour Poppy. Je suis ravi de te voir. Ta présence ici est... ». Surprenante n’était pas le bon mot. A ce stade, n’importe quelle action de la sylphe l’aurait surpris, sa spontanéité légendaire ne la rendant que plus spéciale à ses yeux. « Un plaisir, comme toujours. Quant à ma présence ici, le Refuge a tendance à devenir un peu ennuyeux, alors je suis venu voir ce qui se tramait sous l'eau. En espérant que la situation ne soit pas aussi catastrophique que sur Terre, bien évidemment. ». Il se laissa emporter par la sylphe, battant des pieds pour rejoindre la demoiselle à la chevelure de feu qu’elle avait nommée Anna, avalant sa salive tout en essayant de digérer la vision qui venait de lui parvenir. Poli, Viktor s’inclina devant l’inconnue. « Viktor Phaos, enchanté de faire votre connaissance. Si vous êtes une amie de Poppy, alors vous êtes également la mienne. ». Il tourna la tête vers Poppy, plaçant une main dans son dos en prévention d’un quelconque vent marin qui viendrait secouer ses ailes. « J’ai hâte de découvrir les autres surprises que notre guide nous réserve. Je suis impatient. Allons-y, mesdemoiselles. ». De minuscules rides aux commissures de ses lèvres, l’élémentaire ne boudait pas sa joie contagieuse, oubliant même un instant que l’excursion était on ne peut plus dangereuse. Il allait le regretter.

Une fois n'est pas coutume, Khioné ne s'était pas stratégiquement placée à l'écart de la foule, mais au contraire dans les tous premiers rangs, près de l'estrade sur laquelle Feyre s'adressait au public assemblé aujourd'hui pour rendre hommage à leur Maison. C'était avant tout une question d'image ; la dryade n'était pas ravie d'être présente pour ces festivités, et encore moins d'être au beau milieu des nombreux représentants de chaque maison, mais en tant que bras droit de la dirigeante de la Maison des Maintes Eaux, son absence en ce jour symbolique aurait été une maladresse politique. Ces journées n'étaient hélas pas qu'une occasion de se rassembler, de festoyer et d'oublier les difficultés du quotidien, auquel cas Khioné ne se serait pas privée pour rester dans son laboratoire, il s'agissait aussi d'une démonstration de pouvoir, d'influence et d'unité. A ce titre, Khioné déplora le manque de représentation de sa Maison, d'autant plus pour une activité d'exploration sous-marine. Il fallait croire que tout le monde n'avait pas son sens du devoir...


Elle accueillit avec un soulagement tant bien que mal dissimulé l'invitation de Feyre à se diriger vers les nombreuses barques. Faisant partie de ceux qui n'auraient pas besoin de solarcot, elle s'y rendit directement, évitant le plus gros de l'affluence. En approchant du quai, elle ne put s'empêcher de lever un sourcil perplexe quand une jeune sylphe visiblement impatiente se jeta à l'eau sans la moindre hésitation dans un enthousiasme qu'elle trouvait quelque peu exubérant. Au moins, l'activité de leur maison faisait des heureux, se dit-elle en haussant les épaules. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres quand Séléna arriva également près des barques, et la salua d'un signe de tête qu'elle lui retourna. Khioné savait que la Sentinelle serait présente aujourd'hui avant même que Feyre ne prononce son nom. Elle ne manquerait jamais un jour aussi important pour sa propre Maison, et encore moins alors qu'il s'agissait d'une exploration sous-marine, son activité de prédilection dans son environnement de prédilection.


Déposant sa canne contre une rembarde sur le quai, l'alchimiste monta à bord de l'une des barques, refusant d'un sobre signe de la main l'aide proposée par une des guides. Il était chose rare de voir la dryade accepter la moindre forme d'aide, plus encore qu'elle la demande, et davantage qu'elle tolère la moindre expression de pitié à son égard. Par chance, les guides, membres de sa maison, la connaissait suffisamment pour ne pas se hasarder à cette bévue. Séléna, également, se contenta de quelques regards furtifs dans sa direction, qu'elle ne manqua pas, mais elle apprécia la discrétion dont faisait preuve la nymphe qui connaissait pourtant tout particulièrement l'affliction dont souffrait Khioné.


- "Le devoir, ma chère, le devoir... Je ne doutais pas de te voir ici cela dit. Tu ne déçois jamais." lui répondit-elle à voix basse. Ces mots pouvaient paraître secs à une oreille étrangère, mais Séléna la connaissait mieux que ça, et un compliment, si sobre soit-il, dans la bouche de la dryade était une chose rarissime.


Après avoir distraitement écouté les consignes de sécurité dont elle n'avait, pour la plupart, guère besoin, elle se laissa sombrer sous la surface. L'eau était, bien sûr, un milieu qu'elle appréciait particulièrement. Outre le calme et la beauté qu'elle y trouvait toujours, la portance de l'eau et son aisance aquatique naturelle compensaient largement la douleur et la rigidité qu'elle ressentait depuis quelques jours, depuis sa dernière crise, dans sa jambe droite. Elle y trouvait un confort particulier où elle pouvait presque, l'espace d'un instant, oublier sa condition. Nageant à proximité de Séléna, elle se perdit quelque peu dans ses pensées, avant de sentir peser sur elle une présence imposante, précédée d'un cri strident qui la fit s'arrêter net.