Une étincelle de fierté dans le regard, la nymphe observait la démarche si particulière de celle qu'elle avait manqué d'accueillir dans ses rangs. Si certains ne dépassaient jamais le stade de l'entraînement, Khioné dérogeait largement à cette règle. Consciencieuse, brillante, d'une volonté à toute épreuve, la dryade avait marqué l'esprit de la sentinelle comme peu de gens avant elle. Mais face à l'univers, le désir, aussi puissant soit-il, ne suffisait guère. Séléna ne pipait pas mot, néanmoins elle n'en pensait pas moins. L'ancienne facette de celle qu'elle considérait comme presque une amie lui manquait considérablement. Pouvait-elle la blâmer de s'être ainsi refermée sur elle-même, après un échec aussi cuisant ? La nymphe secoua la tête, tentant d'en faire sortir ces idées sordides qui se bousculaient entre elles. Y réfléchir ne changerait pas le passé. L'avenir, par contre, lui appartenait. Un petit sourire élargit les traits de la jeune femme avant qu'elle n'acquiesce, prenant conscience que les obligations de la dryade pouvaient parfois être… peu accommodantes.

« Tu m'excuseras pour cette étourderie. J'ai tendance à avoir l'esprit embrumé par la guilde des explorateurs, j'en oublie presque que tout un monde existe en dehors de celle-ci. ». Ses yeux parcoururent l'horizon bleuté, curieux, insondable. « J'imagine que Dame Sarynx doit être ravie de pouvoir compter sur toi à chacune de ses apparitions en public. Elle est toujours aussi… Particulière. ». Presque moqueuse sans réellement l'être, Séléna se reprit, joignant ses mains devant son bassin. « Pour ma part, je sais que je me sentirais bien plus à l'aise en ayant une alliée comme toi à mes côtés. ». Peut-être était-ce pour cette raison que la venue de la créature n'avait même pas fait lever un sourcil à la sentinelle. Dire que la nymphe se promenait souvent dans les fonds marins aurait été un mensonge, ceux-ci demeurant dangereux même pour eux qui pouvaient y respirer sans encombres. Peu vaniteuse, la demoiselle à la chevelure argentée préférait croire que sa confiance venait de la présence de Khioné plutôt que de ses propres forces, son expérience face à l'adversité. Après tout, nul ne pouvait l'empêcher de se voiler la face.


Battant doucement des pieds, frottant d'une main les écailles qui parcouraient ses hanches, la sentinelle regardait la dryade du coin de l'œil avec curiosité. Les deux jeunes femmes n'étaient guère bavardes, et si d'ordinaire un silence était synonyme de gêne, entre elles il n'en était rien. « Au fait… Merci pour ton conseil. ». Voyant l'incompréhension se dessiner dans les yeux azurés de l'alchimiste, elle s'empressa de préciser ses propos. « Pour les fleurs. Je sais qu'il ne s'agit pas réellement de ton domaine d'expertise, néanmoins j'ai apprécié ton aide et ta bonne volonté à mon égard, je te dois donc ma reconnaissance. ». Son sourire s'élargit doucement, entre la timidité et la taquinerie. « Alors merci, Khioné. Qui sait, peut-être qu'un nouveau commerce te tend les bras. Et si tu as besoin d'un service en échange... ». Quelques bulles s'échappèrent de la bouche de la jeune femme qui, en entendant le "clac" soudain qui secoua entièrement la mer, se posta par réflexe devant la dryade. Encore une fois, Séléna n'entendait que la voix de la raison, saupoudrée d'un instinct de protection avec lequel elle était née. Faite pour servir autrui, pour protéger plutôt que de se sauver. On ne la changerait pas. On ne la changerait plus.

Presque impassible devant les terreurs des mers, Séléna s'arrêta un instant pour contempler ce sentiment qui avait, durant à peine quelques secondes, paralysé ses membres. Etait-ce le son si particulier de cette pince qui s'était refermée près de son oreille, créant un écho terrifiant dans les abysses ? Ou peut-être encore le fait de se retrouver aux côtés d'une personne qu'elle avait inévitablement déçue en lui refusant l'accès à la guilde des explorateurs pour des raisons évidentes de santé ? Parfois la sentinelle s'en voulait encore d'avoir brisé les rêves de tant de jeunes emplis d'espoir, néanmoins son métier lui incombait de prendre soin des siens. Azamyr était encore jeune, la population faible, et si elle ne voulait pas qu'elle descende en flèche, elle se devait d'assurer la sécurité de ceux qui désiraient envers et contre tout franchir les remparts. Le soutien que lui accordait la dryade réchauffa le cœur de la jeune femme, qui ne put retenir un petit sourire, les lèvres légèrement pincées. Occasionnellement, de simples mots suffisaient à illuminer les journées d'autrui et si d'ordinaire Khioné s'enfermait dans un mutisme caractéristique de leur relation si particulière, cela ne faisait que renforcer la gratitude que Séléna éprouvait envers elle.


L'entendre geindre à propos de la couleur pétante qui ornait les écailles du gosteca fit rire doucement la nymphe. Cette créature, aussi impressionnante qu'inoffensive, terrorisait les quelques pêcheurs s'aventurant un peu trop loin avec leurs barques. La vérité étant qu'ils n'étaient guère agressifs, sinon tout le groupe de visiteurs se serait rapidement retrouvé dans un beau bourbier. Un rouge à peine perceptible vint orner ses joues et elle commença à se triturer nerveusement les doigts, le regard fuyant, ses hanches se dandinant sans qu'elle ne s'en rende compte. L'amour avait le don de lui faire perdre ses moyens, une réaction qui pouvait paraître étonnante, voire exagérée pour son âge, si on oubliait le fait qu'il s'agissait de la toute première fois que des sentiments pareils jaillissaient dans son cœur et dans son esprit. Profondément perturbée sans réellement savoir ce qui la gênait autant, la nymphe prit une grande inspiration avant de saisir la fleur sous-marine entre ses doigts, l'observant avec un émerveillement non dissimulé. Ses yeux ambrés brillaient d'une lueur rare, telle une enfant le jour de son anniversaire. « Je serais presque jalouse de ce que tu es capable de faire. C'est.... Magique. ». Après tout, ses capacités se résumaient à ensorceler autrui pour les faire tomber amoureux. Un comble pour une solitaire comme elle, une moquerie du destin. L'ironie du sort, dans toute sa splendeur.


La bouche entre ouverte, elle voulut poursuivre lorsque la voix de la guide la fit s'arrêter net dans sa réflexion. Ses yeux se plissèrent, et une mine bientôt boudeuse apparut sur ses traits, une pointe de méfiance l'empêchant de se détendre. Leur meneuse de groupe avait cette fâcheuse tendance à accentuer le spectaculaire des fonds marins d'Ozéna et cela avait le don de chatouiller les nerfs de la sentinelle. Ce qui ne devait être qu'une visite accessible à tous, une promenade vouée à montrer aux autres maisons ce que les océans pouvaient cacher. Lorsque son regard croisa celui des deux gigantesques créatures, Séléna se plaça d'un mouvement brusque devant la dryade, les yeux injectés de sang, la main placée sur sa hanche sur laquelle se trouvait habituellement son épée. Sa voix se fit murmure, aussi basse qu'elle pouvait l'être. « Rejoins les autres, Khioné. Je ne plaisante pas. ». Jamais la nymphe ne se serait permise de donner un tel ordre à quelqu'un qu'elle estimait autant sans que la situation l'y oblige. Elles devaient sortir, s'échapper de ce cercueil qui ne demandait qu'à se refermer sur elles. Avant que les chants qui résonnaient en écho dans les abysses ne les pousse à avancer vers ces créatures immondes et terrifiantes. Avant qu'il ne soit trop tard. Et quand elles seraient enfin sorties, Séléna devrait avoir un mot avec leur guide. Ou avec Feyre. Ou avec les deux, tant qu'à faire.