Aujourd'hui à 0:53 par Angelo Silverio
Hier à 23:52 par Ovidio Paz
Hier à 22:48 par Eve
Hier à 22:27 par Frédéric LaFleur
Hier à 22:03 par Fayad Feysal
Hier à 21:38 par Eos Saysanasy
Hier à 21:37 par Galatéa
Hier à 21:11 par Zora Krüger
Hier à 18:37 par Reyna Curtis
[TW] Par un soir de novembre - Eos [TW]
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
- 15 novembre 118 -
Souviens-toi.
Non.
Souviens-toi.
Non, elle refusait.
Souviens-toi.
Le souvenir affleurait à la surface de sa mémoire, irrévocable, menaçant. Elide sentit la panique étendre ses doigts insidieux le long de son dos, faisant courir sur sa peau glacée un frisson de terreur. Non, elle n’avait peur de rien. Je n’ai peur de rien, je n’ai peur de rien, se répéta-t-elle dans une psalmodie acharnée. Non, effectivement, elle n’avait peur de rien, si ce n’est de ce qui dormait au fond de la tombe de son esprit.
La jeune femme porta la bouteille à sa bouche dans une tentative désespérée pour étouffer cette voix, pour repousser les souvenirs avant qu’ils ne la submergent. Un pavé la fit trébucher, lui arrachant un sifflement furieux. La brûlure de l’alcool la fit grimacer une première fois, et une deuxième lorsqu’elle réalisa que celle-ci n’amoindrissait en rien les ruades colériques de toutes ces blessures enfouies et qui exigeaient qu’elle les laisse sortir. Merde.
La faute à ce putain de docteur, qui n’avait pas été suffisamment malin pour la retaper assez de façon qu’elle puisse reprendre sa garde sur les remparts. À cette heure-là, elle aurait dû être occupée à surveiller la ville, à discuter avec ses collègues, à s’entraîner, à faire n'importe quoi pour se distraire de la morbidité de ses propres pensées. La faute à son chef d’escouade, pour l’avoir obligée au repos. La faute à ces tavernes merdiques, qui n'avaient su lui apporter la distraction recherchée. La faute à tous ces connards, qui pensaient agir pour son bien. Mais elle ne leur avait rien demandé. Elle ne leur demandait jamais rien.
Souviens-toi.
Comme une vague, le souvenir grandit, grandit encore, manqua de la submerger, avant de refluer dans un grondement réprobateur. Elide hoqueta, s’arrêta net au beau milieu de cette ruelle éclairée par des torches tremblotantes. Elle ne savait même plus comment elle était arrivée là, ni dans quel quartier elle se trouvait. Ces derniers jours n’avaient été qu’un égrainement interminable d’heures et de minutes qu’elle avait tenté de remplir avec le désespoir d’un condamné. Avait-elle dormi, au moins ? Son visage maigre et marqué de cernes ne se souvenait que des cauchemars. Sa silhouette, déjà trop fine, s’était encore étiolée sous les coups du compte à rebours de sa mémoire endeuillée.
Souviens-toi.
« Non », gémit-elle.
Souviens-toi.
« Pitié », supplia-t-elle en appuyant une main contre le mur le plus proche.
Souviens-toi.
Souviens-toi.
Souviens-toi.
« Non ! » rugit-elle face aux ténèbres. Elide leva le bras et, de toutes ses forces, balança la bouteille à moitié vide qu’elle tenait à la main. Celle-ci alla s’écraser au sol en une myriade de fragments. Mais, dans une ultime vague, le souvenir revint à la charge. Il se fracassa avec fureur sur les rivages de sa conscience, balayant les fragiles protections que la jeune femme avait érigées et brisant sous sa houle ses dernières réticences.
Souviens-toi.
Je me souviens.
Aujourd’hui, c’était le 15 novembre. Aujourd’hui, c’était le jour de la mort de Liam. Son frère - l’un des quatre.
Le souvenir la percuta avec la violence d’un ouragan. Ses yeux s’ouvrirent sous le coup d’une douleur à tel point affutée qu’elle lui coupa le souffle. Sa main agrippa le mur, à la recherche de quelque chose, de quoi que ce soit auquel s’accrocher. Mais il n’y avait rien. Il n’y avait jamais rien.
Le souvenir la percuta avec la sauvagerie d’un animal affamé. Il enfonça ses griffes dans sa poitrine et, d’un coup sec, définitif, l’ouvrit en deux. Il s’empara de son cœur et le broya sous des crocs implacables. Elide laissa échapper un gémissement, la main crispée sur son sternum.
Je me souviens.
De tes yeux, ces yeux si doux à qui l’on aurait offert le monde.
Je me souviens.
De ce rire qui faisait naître mille espoirs et redonnait toujours courage.
Je me souviens.
De cette conviction qu’avec toi, tout irait toujours bien.
Je me souviens.
De ton regard éperdu lorsque tu nous as appris la mort de notre grand frère, et de cet espoir que j’ai vu, ce jour-là, disparaître au fond de toi.
Je me souviens.
De mes bras autour de ton corps couvert de sang, et de tes yeux qui me suppliaient de te pardonner.
Je me souviens.
Que toi aussi, tu m’as abandonnée.
Comme une bête prise au piège, Elide se plia en deux et hurla à s’en déchirer la gorge. C’était le cri désespéré d’une créature acculée, la marque d’une douleur abyssale, la clameur gutturale d’une souffrance infinie. Et cette douleur, Seigneurs, cette douleur… Elle l’étranglait, l’étouffait. Son cœur, sa poitrine… elle allait exploser.
Elide leva le poing et l’abattit contre le mur avec toute la violence du désespoir. La colère, cette vieille amie, vint à la rescousse. Vibrante, puissante, inarrêtable, elle s’écoula dans ses veines, renversant pour un temps l’échiquier de ses émotions. Un deuxième coup suivit le premier, puis un troisième, et encore un autre. Encore. Et encore. De plus en plus fort, de plus en plus vite. Entre ses dents serrés, l’élémentaire laissa échapper un grondement continu, un feulement guttural mélange de souffrance et de fureur. Une si grande, si grande fureur qui l’aveuglait totalement. Non. Non. Non. Non. Non – scandait-elle au rythme de ses phalanges s’écrasant sur la brique.
Puis, soudain, la colère reflua – même elle ne pouvait pas rester si longtemps dans un corps si fatigué. La douleur physique de sa main mutilée arracha à l’élémentaire un hoquet de souffrance, suivit par un nouveau cri. De renoncement, cette fois-ci. La jeune femme se retourna et, le dos au mur, se laissa doucement glisser au pied de celui-ci. Il ne lui restait désormais plus que sa peine, furieuse, infinie. Insupportable. Insurmontable.
Les hoquets furent les premiers à apparaître, secouant ses épaules et sa poitrine, tordant son estomac d’une étreinte brutale. Puis les larmes, qui glissèrent le long de ses joues. La pluie commença à tomber, mais Elide n’y fit pas attention. N’esquissa pas le moindre mouvement pour se mettre à l’abri, si ce n’est celui de remonter ses genoux contre elle, de les entourer de ses bras maigres et d’y poser le front. Les sanglots s’échappaient de sa gorge sans qu’elle ne parvienne à les retenir, de plus en plus furieux, de plus en plus désespérés, se mélangeant aux gémissements et aux hurlements que la jeune femme laissait filer à chaque tressautement de son âme. Elle se recroquevilla davantage et, passant ses doigts à l’arrière de ses cheveux, les agrippa d’une main de fer, faisant fi des protestations de sa main bleuie et déchirée. Planta ses ongles dans son cuir chevelu. Peut-être cette douleur éclipserait-elle un moment celle de ce deuil impossible et de cette solitude dévorante ?
« Je suis désolée. Pitié, je suis désolée. Faites que ça s’arrête, pitié. Pardon. Je suis désolée. » répétait-elle comme une litanie d’une voix brisée, rendue presque inaudible par les sanglots qui l'ébranlaient tout entière.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
"On y va Psyché?"
L'ibouris qui me suit généralement partout lève une paupière paresseuse avant de roucouler pour reposer sa tête contre le cuir du fauteuil, un sourire béat sur son bec satisfait. Les jours rafraîchis ne plaisent pas à tous, et si j'imagine parfaitement la bestioles sauter dans la neige avec enthousiasme, c'est dans un coin de la chambre qu'elle espère que je la laisse roupiller tranquillement. "Bon... J'ai plus qu'à aller manger seul." L'établissement où je me nourris généralement a pourtant pris l'habitude de me voir avec l'animal, mais une ballade en solitaire ne pouvait pas me faire de mal. Et puis, tant que les murs de la ville n'avait pas récupérer les explorateurs, aucune chance de croiser la vampyre que je crains le plus au monde.
Je m'habille donc de mon manteau doublé, puis descend l'escalier qui mène à la porte d'entrée en jetant quand même un dernier coup d’œil à la pacha qui semble déjà au pays de Morphée. Un regard vers la fenêtre de la salle de bain me confirme qu'elle est fermée elle aussi, et que je peux laisser Psyché en toute sécurité. Je ferme tout de même la porte d'entrée, et me dirige sur la route pavé en bord de canal vers l'auberge la plus proche.
La Perle est un petit restaurant étroitement gardé par deux maisons accolées à ses murs, l'une servant de lieu où dormir, l'autre étant totalement vide. Le bâtiment contient donc un nombre de tables négligeable et en fait l'un des établissements à la plus petite contenance. C'était parfait pour éviter les grosses auberges bruyantes où le peuple buvait plus qu'il ne mangeait, retentissant de rires grivois et d'un bruit de fond constant de conversations plus ou moins alambiquées. Oui, parfois il était bon de se fondre dans une telle masse, mais mon envie de calme pour diner m'emmenait bien souvent à la Perle. Une autre conséquence de sa faible contenance faisait qu'on était servi rapidement, et moi qui mange sur le pouce le fait d'avoir mangé aussi vite que possible était appréciable. Ainsi, j'imagine déjà une assiette de nympheuse grillée, ou un plat de dendin glacé quand un cri me fait sursauter dans une rue peu fréquentée. "C'était quoi ça?"
Peu rassuré, je me rapproche pourtant du bruit, inquiet que ce soit encore un animal en fuite (une phobie qu'avait développé certains de mes patients de la maison de la Flamme et de l'Ombre après l'épisode du Raboth dans leurs murs) ou encore une personne blessée, mais au fur et à mesure de mes pas dans le noir d'une ruelle éloignée de la lumière des réverbères magiques le son ne ressemble plus tant à de la souffrance qu'à une colère indicible. Je devrais sûrement faire demi tour...
Un bruit de coup m'alerte pourtant et je marche plus vite, la main sur le mur le plus proche pour me guider dans les ténèbres, et c'est au détour d'un angle de maison et d'un bon rayon de lune que je vois, recroquevillé sur le pavé froid, une jeune femme balbutiant des suppliques. Je me fige, analysant ce que je vois. La bruine coulant contre la masse de cheveux cachant le visage coule en rigole pour rejoindre des tessons dressés contre les nuages cachant à demi la lune, et de cette eau glacée se mélange un fond de bouteille dont l'odeur âcre m'atteint bientôt, ainsi qu'une odeur plus ferreuse... Du sang.
"Est-ce que... ça va?" Je demande doucement en décrochant ma cape de pluie pour la poser sur les épaules de la demoiselle. "Il ne faut pas rester sous la pluie comme ça. Il faut vous abriter." Les sanglots de la jeune femme me parviennent de sous ses avant bras fermés contre elle et je rajoute: "Quoi qu'il vous arrive, vous devriez vous abriter de la pluie. Rien ne s'améliore jamais avec un gros rhume." Je propose ma main pour la redresser, persuadé que la demoiselle ne la mordrai pas, elle.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
À l’image de cette pluie qui tombait sans discontinuer, et qui trempait peu à peu ses vêtements et ses cheveux, les larmes d’Elide ne tarissaient pas. Ni même ses sanglots, d’ailleurs. Miroitant son chagrin, ces derniers la déchiraient encore et encore, infinis, ne semblant jamais vouloir refluer. Il n’y avait que cette peine qui la rongeait et cette terrible solitude dans laquelle elle se noyait. Le reste n’existait plus.
Alors, lorsqu’Eos s’approcha, la jeune femme n’entendit pas ses pas. Pas plus qu’elle n’entendit sa question, sous le vacarme de la pluie et de ses pleurs. En revanche, la cape que celui-ci déposa sur son dos, dans un geste aussi protecteur que désintéressé, ça, elle le sentit. Le contact de ces paumes sur ses épaules – à peine un effleurement – la rappela à la réalité.
L’élémentaire se figea une seconde avant de relever brusquement la tête vers l’inconnu. La pénombre, ainsi que sa silhouette à contre-jour, rendait ses traits difficiles à distinguer. Il était grand. Fin. Elide le fixa sans comprendre, balayant d’un geste rageur les larmes et la pluie qui inondaient son visage ravagé par le chagrin, marquant au passage l’une de ses joues d’une traînée de sang. Elle tenta de se reprendre, de ravaler sa souffrance en même temps que ses larmes, refusant, dans un ultime soubresaut de fierté, d’être aperçue dans cet état. Mais elle n’en sanglota que plus fort, avec la puissance de ces tristesses enfantines aux échos de fin du monde. Que lui importaient le froid et la pluie, puisqu’elle n’avait de toute façon plus personne pour s’en soucier ?
La jeune femme esquissa un mouvement de recul, bien vite stoppé par le mur qui la soutenait, face à la main que lui tendait Eos. Elle secoua la tête avec véhémence, fermant les yeux, refusant de voir, de reconnaître cette aide providentielle. Car ils finissaient tous par disparaître.
« No… non… All… Allez v.. vous-en... » hoqueta-t-elle. La solitude était préférable à l’espoir de ne plus être seule. Et quand bien même la jeune femme aurait-elle voulu s’accrocher à cette ancre que représentait l’invitation silencieuse du nymphe, c’était déjà trop tard – elle se noyait trop vite, engloutie par la morsure d’un deuil qui n’avait jamais cicatrisé. De tous ces deuils qu’elle n’avait jamais acceptés. Alors, les yeux toujours fermés, elle se recroquevilla davantage, ramenant les mains sur sa poitrine. Son esprit lui faisait l’impression d’être en cage, devenant fou à force de rebondir encore et toujours contre les mêmes barreaux. Contre les mêmes souvenirs. Un sourire. Un rire. Une promesse. Le sang, sur ce si beau visage, et la supplique du pardon dans ces yeux si doux. Et cette absence, cette terrible absence.
Son souffle s’emballa entre les sanglots, sa poitrine se serra. Elle avait mal, tellement mal, une douleur physique qui lui vrillait le ventre, qui lui brûlait les tripes, et qui faisait accélérer son cœur dans une course éperdue qu’il ne gagnerait jamais. Comme si ce deuil, las de n’exister qu’au travers de ses pensées, avait décidé de sortir par lui-même pour enfin pouvoir hurler à la face du monde toute l’étendue de sa fureur. Elide pouvait presque le sentir se frayer un chemin, tailladant au passage les restes d'un cœur délabré.
Ses pleurs s’accentuèrent encore, s’élevant dans l’air en une supplique déchirante à laquelle les principaux intéressés ne pourraient jamais répondre. « Rien, rien ne s’améliore jamais. » sanglota-t-elle dans un souffle, reprenant à son compte les paroles d'Eos. « Rien. » reprit-elle d’une voix plus forte. « JAMAIS » hurla-t-elle rageusement, secouée de sanglots incontrôlables. Ses mains, qu'elle tenait serrées contre elle en une prière silencieuse, s'arquèrent, ses doigts pliés remontèrent jusqu'à la naissance de sa gorge. Elle ne pouvait plus respirer, le chagrin l'étouffait. Ses ongles s'enfoncèrent, cherchant désespérément à lui offrir un peu d'air. Un sourire, un rire. Le souffrance perça son âme avec un cri suraigu. Elle n'entendait plus rien. Son souffle se fit erratique, entrecoupé de pleurs. Seigneurs, cette douleur ... Son cœur, il allait éclater. Alors, dans un ultime hurlement d'agonie doublé d'une rage si profonde qu'elle en faisait briller les yeux qu'elle avait soudain rouverts, Elide fit glisser ses ongles le long de sa gorge, le long de son thorax, griffant jusqu'au sang sa peau pâle. Elle aurait voulu pouvoir ôter ce chagrin de sa poitrine, en ôter ce deuil insupportable, mais se retrouva à la place à gémir le nom de ce frère adoré comme une supplique offerte aux Dieux.
« Liam. Je ne peux... je ne peux plus. Liam... » hoqueta-elle d'une voix brisée, braquant un regard aveugle sur le nymphe comme un unique témoin de sa confession.
Alors, lorsqu’Eos s’approcha, la jeune femme n’entendit pas ses pas. Pas plus qu’elle n’entendit sa question, sous le vacarme de la pluie et de ses pleurs. En revanche, la cape que celui-ci déposa sur son dos, dans un geste aussi protecteur que désintéressé, ça, elle le sentit. Le contact de ces paumes sur ses épaules – à peine un effleurement – la rappela à la réalité.
L’élémentaire se figea une seconde avant de relever brusquement la tête vers l’inconnu. La pénombre, ainsi que sa silhouette à contre-jour, rendait ses traits difficiles à distinguer. Il était grand. Fin. Elide le fixa sans comprendre, balayant d’un geste rageur les larmes et la pluie qui inondaient son visage ravagé par le chagrin, marquant au passage l’une de ses joues d’une traînée de sang. Elle tenta de se reprendre, de ravaler sa souffrance en même temps que ses larmes, refusant, dans un ultime soubresaut de fierté, d’être aperçue dans cet état. Mais elle n’en sanglota que plus fort, avec la puissance de ces tristesses enfantines aux échos de fin du monde. Que lui importaient le froid et la pluie, puisqu’elle n’avait de toute façon plus personne pour s’en soucier ?
La jeune femme esquissa un mouvement de recul, bien vite stoppé par le mur qui la soutenait, face à la main que lui tendait Eos. Elle secoua la tête avec véhémence, fermant les yeux, refusant de voir, de reconnaître cette aide providentielle. Car ils finissaient tous par disparaître.
« No… non… All… Allez v.. vous-en... » hoqueta-t-elle. La solitude était préférable à l’espoir de ne plus être seule. Et quand bien même la jeune femme aurait-elle voulu s’accrocher à cette ancre que représentait l’invitation silencieuse du nymphe, c’était déjà trop tard – elle se noyait trop vite, engloutie par la morsure d’un deuil qui n’avait jamais cicatrisé. De tous ces deuils qu’elle n’avait jamais acceptés. Alors, les yeux toujours fermés, elle se recroquevilla davantage, ramenant les mains sur sa poitrine. Son esprit lui faisait l’impression d’être en cage, devenant fou à force de rebondir encore et toujours contre les mêmes barreaux. Contre les mêmes souvenirs. Un sourire. Un rire. Une promesse. Le sang, sur ce si beau visage, et la supplique du pardon dans ces yeux si doux. Et cette absence, cette terrible absence.
Son souffle s’emballa entre les sanglots, sa poitrine se serra. Elle avait mal, tellement mal, une douleur physique qui lui vrillait le ventre, qui lui brûlait les tripes, et qui faisait accélérer son cœur dans une course éperdue qu’il ne gagnerait jamais. Comme si ce deuil, las de n’exister qu’au travers de ses pensées, avait décidé de sortir par lui-même pour enfin pouvoir hurler à la face du monde toute l’étendue de sa fureur. Elide pouvait presque le sentir se frayer un chemin, tailladant au passage les restes d'un cœur délabré.
Ses pleurs s’accentuèrent encore, s’élevant dans l’air en une supplique déchirante à laquelle les principaux intéressés ne pourraient jamais répondre. « Rien, rien ne s’améliore jamais. » sanglota-t-elle dans un souffle, reprenant à son compte les paroles d'Eos. « Rien. » reprit-elle d’une voix plus forte. « JAMAIS » hurla-t-elle rageusement, secouée de sanglots incontrôlables. Ses mains, qu'elle tenait serrées contre elle en une prière silencieuse, s'arquèrent, ses doigts pliés remontèrent jusqu'à la naissance de sa gorge. Elle ne pouvait plus respirer, le chagrin l'étouffait. Ses ongles s'enfoncèrent, cherchant désespérément à lui offrir un peu d'air. Un sourire, un rire. Le souffrance perça son âme avec un cri suraigu. Elle n'entendait plus rien. Son souffle se fit erratique, entrecoupé de pleurs. Seigneurs, cette douleur ... Son cœur, il allait éclater. Alors, dans un ultime hurlement d'agonie doublé d'une rage si profonde qu'elle en faisait briller les yeux qu'elle avait soudain rouverts, Elide fit glisser ses ongles le long de sa gorge, le long de son thorax, griffant jusqu'au sang sa peau pâle. Elle aurait voulu pouvoir ôter ce chagrin de sa poitrine, en ôter ce deuil insupportable, mais se retrouva à la place à gémir le nom de ce frère adoré comme une supplique offerte aux Dieux.
« Liam. Je ne peux... je ne peux plus. Liam... » hoqueta-elle d'une voix brisée, braquant un regard aveugle sur le nymphe comme un unique témoin de sa confession.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
La saison froide avait toujours eu don de déprimer certaines personnes. La dépression hivernale, le changement de climat et d'exposition au soleil, la p'tite déprime du soir venu trop tôt, tout ça pouvait engendrer une recrudescence de nouveaux consultants ayant le cafard. Mais là, c'était tout autre chose: Si la déprime faisait partie de mes consultations quotidiennes, le gros monstre de dépression que montrait la jeune femme clairement en détresse n'avait rien à voir avec le temps tristounet.
C'est en m'approchant plus et en lui déposant mon manteau que son visage apparait. Un visage jeune, des yeux vitreux et rouges déjà d'avoir pleuré et des traits déformés par une tristesse à faire fendre la pierre. Attristé par le spectacle dont je ne comprend pas encore les tenants et aboutissants, je propose une main compatissante. Impossible de faire semblant de rien devant sa mine de chat mouillé. Mais d'une voix cassée par les larmes, elle refuse, se recroqueville derechef sous ma cape qui la protège un peu de la pluie. Silencieux, j'hésite à faire quoi que ce soit en tentant tout de même d'inciter la jeune femme à bouger, mais au lieu de trouver du rationnel mes paroles se heurtent aux pleurs incessants de l'incarnation de la Tristesse. Comme une litanie, les mots sont envoyés, douloureux, jusqu'à ce que la douleur prennent forme, gonflant dans les doigts de la gamine qui commence à s'écorcher tandis que je m'exclame: "Hé, non!"
Ni une ni deux, et malgré le spectacle horrifiant de voir la petite devenir son propre bourreau, j’attrape ses mains ensanglantées pour que cela cesse, et m'oppose en la regardant droit dans ses yeux à demi conscient de ma présence: "Tu ne dois pas te faire mal. ça ne va pas faire sortir le mal qu'il y a dans ta tête." Car c'est cela, l'automutilation: Ouvrir le corps pour faire sortir les maux. Mais la saignée, c'est une invention d'un âge bien trop lointain, et bien qu'on soit retombé dans les balbutiements du confort moderne le savoir lui n'avait pas totalement disparu.
L'ensanglantée appelle, et j'entends bien que le nom est une incarnation de ce qui la blesse, sans pouvoir en comprendre le sens ou l'histoire. ça ne m'est même pas destiné, à vrai dire, et en guise d'apaisement je garde fermement ses mains dans mes paumes chaudes par rapport à ses mimines mouillées, les rassemble contre son ventre et pose mon épaule gauche contre son épaule droite avant de poser ma tête vers l'extérieur en murmurant: "Là, là... On va trouver quelque chose pour te soulager, d'accord? Il faut calmer ton désespoir, tu n'es pas seule, je vais t'aider.. Je ne partirais pas tant que tu ne viens pas t'abriter." Pas question de laisser se détruire la jeune femme dans cette ruelle désolée. Qui sait ce qu'elle serait capable de s'infliger, ici avec son fardeau?
"Je m'appelle Eos, je suis docteur. Je peux t'aider." Je continue de parler pour combler le vide tandis que peu à peu la pluie s'empare de mon pull. Je serais bientôt détrempé... Mais je n'avais pas prévu de manteau pour deux. Alors un peu au-dessus de la silhouette hoquetante je prend toute la pluie, attendant patiemment qu'elle se décide à quitter cette endroit sordide.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Il suffit parfois d’une toute petite étincelle pour illuminer les ténèbres. Celle-ci n’a pas besoin d’être très vive, ni bien solide, ou même tangible. Elle a juste besoin d’exister, d’être là. Et d’attendre. Car, après tout, que serait l’obscurité sans lumière à laquelle la comparer ? Que serait l’espoir, sans la désolation comme ultime compagne ? L’un n’existe pas sans l’autre… et les deux ne sont jamais bien loin, de toute façon.
Lorsque les mains d’Eos se refermèrent sur les siennes, la première réaction d’Elide fut de se débattre. Son esprit à vif refusait d’accepter cette étincelle d’espoir incongrue, cette force soudaine qui l’empêchait de se faire du mal. Il refusait de croire à cette aide providentielle, car celle-ci finissait toujours par disparaître, de cette façon qu’ont les rêves de s’effilocher avec les brumes du petit matin. Alors, elle tenta d’arracher ses mains de l’étau de ses doigts, mais celui-ci ne faiblit pas. Elle ne voulait pas de ce contact, elle ne voulait pas de cette chaleur humaine qui lui rappelait avec brutalité celle qu’elle avait perdue.
Eos ne lui laissa pas le choix, cependant, raffermissant sa prise et éloignant ses ongles affamés de sa poitrine ensanglantée. L’élémentaire continua de batailler pour se libérer, mais elle se débattait en vain car il était plus fort qu’elle. Lorsque l’épaule du nymphe vint à la rencontre de la sienne, et qu’elle sentit la chaleur de son corps irradier le sien, elle eut un hoquet de stupeur tout autant de fureur en se rendant compte qu’elle se retrouvait ainsi immobilisée. Désormais incapable de se débattre ou d’extérioriser sa peine à la pointe de ses doigts.
Ce constat réveilla une étincelle de colère, et ses sanglots se firent un instant plus furieux – ceux d’une bête enragée feulant de désespoir en voyant la porte de sa cage se refermer une dernière fois. Mais elle avait si froid, et elle était si seule. Tellement, tellement seule. Doucement, les mouvements de la jeune femme perdirent de leur virulence, et elle se débattit avec moins de véhémence. Ses mains cessèrent de fuir celles d’Eos, et ses doigts crochetèrent les siens dans une étreinte désespérée. Comme si le nymphe représentait le dernier rocher immergé d’une mer démontée. Elle s’y accrocha avec toute la force de sa désolation, s’agrippa de toutes ses forces à cet humain qui l’ancrait. Et cessa de lutter.
Je ne partirais pas.
« Vous mentez, tout le monde finit par partir ... »
Et elle n'en pouvait plus, de cette solitude.
Ses pleurs redoublèrent, atteignant ce paroxysme que seuls effleurent les plus grands chagrins. Des cris gutturaux s’échappèrent de sa gorge écharpée, entrecoupés de lamentations inhumaines engendrées par son cœur à nu. Comme un animal qui raconte à lune l’histoire de sa mort, Elide jeta son deuil au visage de l’univers. Combien de temps resta-t-elle accrochée au nymphe, le corps ébranlé par la puissance de ses sanglots, les joues trempées de larmes d’un torrent qui ne semblait jamais vouloir se tarir ? Il lui semblait que la réponse était l’éternité.
Mais les dernières paroles prononcées par Eos finirent par lui parvenir aux oreilles, caressant son âme écorchée, solidifiant cette étincelle d’espoir dont elle ne voulait pas mais qu’elle recherchait pourtant avec l’acharnement d’une condamnée.
Je peux t’aider.
Je peux t’aider.
Je peux t’aider.
Son corps se détendit peu à peu dans l’étreinte du nymphe, se repaissant de cette chaleur humaine dont il était affamé. Ses sanglots se firent moins forts, perdant leur violence viscérale mais la laissant épuisée. Doucement, presque timidement, elle hocha la tête. Une fois. Deux fois. Prit une inspiration hachée, étouffée par les pleurs.
« D’… d’acc.. d’accord. D’accord. D’accord » hoqueta-t-elle en tâchant d’essuyer sur son épaule libre des larmes qui ne s’effaçaient que pour être mieux remplacées par leurs jumelles. « D’accord ». Elide tourna légèrement la tête, plongeant ses yeux hantés et inondés dans ceux d’Eos. À l’aide, lui hurlaient-ils. « D’a… d’accord. » répéta-t-elle encore. Je te fais confiance, lui avouaient-ils. La jeune femme esquissa un mouvement pour se relever – ses mains toujours désespérément accrochées à celles du nymphe comme si elle craignait qu’en les lâchant, elle ne coule définitivement. Elle n'avait même pas pensé à lui donner son nom.
Lorsque les mains d’Eos se refermèrent sur les siennes, la première réaction d’Elide fut de se débattre. Son esprit à vif refusait d’accepter cette étincelle d’espoir incongrue, cette force soudaine qui l’empêchait de se faire du mal. Il refusait de croire à cette aide providentielle, car celle-ci finissait toujours par disparaître, de cette façon qu’ont les rêves de s’effilocher avec les brumes du petit matin. Alors, elle tenta d’arracher ses mains de l’étau de ses doigts, mais celui-ci ne faiblit pas. Elle ne voulait pas de ce contact, elle ne voulait pas de cette chaleur humaine qui lui rappelait avec brutalité celle qu’elle avait perdue.
Eos ne lui laissa pas le choix, cependant, raffermissant sa prise et éloignant ses ongles affamés de sa poitrine ensanglantée. L’élémentaire continua de batailler pour se libérer, mais elle se débattait en vain car il était plus fort qu’elle. Lorsque l’épaule du nymphe vint à la rencontre de la sienne, et qu’elle sentit la chaleur de son corps irradier le sien, elle eut un hoquet de stupeur tout autant de fureur en se rendant compte qu’elle se retrouvait ainsi immobilisée. Désormais incapable de se débattre ou d’extérioriser sa peine à la pointe de ses doigts.
Ce constat réveilla une étincelle de colère, et ses sanglots se firent un instant plus furieux – ceux d’une bête enragée feulant de désespoir en voyant la porte de sa cage se refermer une dernière fois. Mais elle avait si froid, et elle était si seule. Tellement, tellement seule. Doucement, les mouvements de la jeune femme perdirent de leur virulence, et elle se débattit avec moins de véhémence. Ses mains cessèrent de fuir celles d’Eos, et ses doigts crochetèrent les siens dans une étreinte désespérée. Comme si le nymphe représentait le dernier rocher immergé d’une mer démontée. Elle s’y accrocha avec toute la force de sa désolation, s’agrippa de toutes ses forces à cet humain qui l’ancrait. Et cessa de lutter.
Je ne partirais pas.
« Vous mentez, tout le monde finit par partir ... »
Et elle n'en pouvait plus, de cette solitude.
Ses pleurs redoublèrent, atteignant ce paroxysme que seuls effleurent les plus grands chagrins. Des cris gutturaux s’échappèrent de sa gorge écharpée, entrecoupés de lamentations inhumaines engendrées par son cœur à nu. Comme un animal qui raconte à lune l’histoire de sa mort, Elide jeta son deuil au visage de l’univers. Combien de temps resta-t-elle accrochée au nymphe, le corps ébranlé par la puissance de ses sanglots, les joues trempées de larmes d’un torrent qui ne semblait jamais vouloir se tarir ? Il lui semblait que la réponse était l’éternité.
Mais les dernières paroles prononcées par Eos finirent par lui parvenir aux oreilles, caressant son âme écorchée, solidifiant cette étincelle d’espoir dont elle ne voulait pas mais qu’elle recherchait pourtant avec l’acharnement d’une condamnée.
Je peux t’aider.
Je peux t’aider.
Je peux t’aider.
Son corps se détendit peu à peu dans l’étreinte du nymphe, se repaissant de cette chaleur humaine dont il était affamé. Ses sanglots se firent moins forts, perdant leur violence viscérale mais la laissant épuisée. Doucement, presque timidement, elle hocha la tête. Une fois. Deux fois. Prit une inspiration hachée, étouffée par les pleurs.
« D’… d’acc.. d’accord. D’accord. D’accord » hoqueta-t-elle en tâchant d’essuyer sur son épaule libre des larmes qui ne s’effaçaient que pour être mieux remplacées par leurs jumelles. « D’accord ». Elide tourna légèrement la tête, plongeant ses yeux hantés et inondés dans ceux d’Eos. À l’aide, lui hurlaient-ils. « D’a… d’accord. » répéta-t-elle encore. Je te fais confiance, lui avouaient-ils. La jeune femme esquissa un mouvement pour se relever – ses mains toujours désespérément accrochées à celles du nymphe comme si elle craignait qu’en les lâchant, elle ne coule définitivement. Elle n'avait même pas pensé à lui donner son nom.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
C'était encore un de ces soirs où je me faisait embarquer dans des histoires que je n'aurais jamais imaginé si je n'avais pas travaillé à l'hôpital. La psychopathologie en hôpital est bien différente du libérale, d'une part parce qu'ici, je fais généralement de la psychologie, la ville n'ayant pas de collègues spécialisés dans le mental, et d'autre part parce que la tâche n'est pas du tout faite de la même façon dans un établissement où la violence et les tentatives de toutes sortes sont monnaie quotidienne et dans une ville où bien que les habitants aient les mêmes soucis que sur Terre un certain équilibre s'était installé, faisant taire une partie des comportements venant de l'ancien monde.
Et pourtant là, dans cette impasse, je reproduit à l'identique les quelques gestes que je pouvais avoir dans une situation de crise. Rassurer, empêcher de faire mal à soi ou à autrui étaient dans le protocole. Seuls les manipulations rudes et les médicaments calmant toute rébellion manquaient à l'appel. à la place en une espèce de câlin imposant des restrictions des mains au besoin de sang, je contrôle la jeune femme qui se débat, d'abord furieuse, mais pas enragée comme un patient pouvait l'être en étant entravé, puis abandonne rapidement l'affaire, se laissant échouer dans mes bras sans motivation ni énergie. Les pleurs demeurent, et j'initie un mouvement de balancement, un mouvement corporel apaisant par essence en écoutant les balbutiements qui se perdent dans ma nuque.
"Je ne vais pas partir." Parce que j'ai prêté serment d'une part, parce que mon manteau me revient, et qu'elle ne pourrait pas être plus trempée que cela sans attraper la mort, et parce que la gamine me donne le cœur lourd, aussi. Les balancements prennent un rythme lents et mesurés tandis qu'un flot de larmes se rajoute à la pluie, mouillant entre nous comme si une fuite de la pluie morne s'était infiltré jusque ses lacrymales. Je murmure des mots apaisants, rassurants en évitant le claquement des dents qui pourtant me prend bel et bien au fur et à mesure de mon refroidissement, et c'est avec un soulagement non feint que j'entends la jeune accepter finalement mon aide.
"Super.. Tu as un endroit où aller? Tu dois te changer rapidement pour ne pas mourir de froid. Ensuite, nous irons manger: Je partais diner quand je t'ai entendu. On ira manger, tu veux bien?" La nourriture, un réconfort presque universel. "Nous pourrons parler de tout cela en cours de route. Ne t'en fais pas, je paye le restaurant. J'ai juste besoin de me nourrir et je crois que ça peut aider les cœurs blessés. Qu'en penses tu?" Je me relève doucement et cette fois ma main se referme sur la sienne de nouveau. "Alors, ou est-ce qu''on va... Mademoiselle X?"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Avec cette délicatesse propre aux personnes qui peuvent témoigner de l'existence des souffrances les plus extrêmes, Eos aida l'élémentaire à se relever. Sans forcer, sans pousser, sans brusquer. Mais en l'entraînant irrémédiablement vers le haut, là où brillait cette étincelle d'espoir. De son côté, Elide s'agrippait au nymphe comme on se rattache à un rocher, avec cette force que font naître les plus grandes terreurs. Une fois debout, la jeune femme chancela un instant, l'esprit étourdit et le corps éreinté par ses pleurs. Puis, comme un faon qui s'éveille après une longue nuit à trembler dans l'obscurité et qui voit se dessiner devant lui l'ombre de sa mère, elle leva les yeux vers l'homme devant elle. Il était plus grand que ne le laissait présager sa carrure. Elle ne s'en était pas rendu compte, ramassé comme il était au-dessus d'elle, à la protéger d'elle-même autant que des assauts de la pluie.
La pluie. Pourquoi ne la sentait-elle plus ? se demanda-t-elle vaguement en essuyant ses larmes qui coulaient toujours. Ses yeux descendirent sur les épaules d'Eos. Ses sourcils se froncèrent, son regard passant de lui à elle, et d'elle à lui. Elle prit conscience de la cape qui la recouvrait. Oh. Les paroles du docteur percèrent les brumes de son esprit abruti par le deuil. La jeune femme secoua la tête avec véhémence à la première question posée.
« No.. Non » parvint-elle à placer entre deux hoquets. Sa poitrine lui paraissait être comme dans un étau, et elle peinait à parler clairement. À respirer. « Je veux dire, oui, sur les remparts, j'ai une chambre, mais je ne peux pas y aller maintenant. Je ne veux pas qu'ils me voient, je... mais ça va aller, ce n'est pas grave » expliqua-t-elle d'une voix hachée par les sanglots en secouant de nouveau la tête. Avait-elle froid ? Il lui semblait qu'elle ne ressentirait plus jamais rien. « Attendez. » Maladroitement, elle fit glisser la cape de ses épaules et, sans lâcher la main du nymphe, la lui tendit. « Tenez, je suis désolée. Merci. Et je suis... dé... désolée de vous avoir dérangé. Désolée. » S'adressait-elle toujours à Eos ? Ses pleurs forcèrent de nouveau, sa main resserra sa prise sur les doigts du nymphe. Elle serra les dents, essaya de ravaler sa tristesse. Une partie d'elle n'avait qu'une envie : fuir pour aller se terrer et lécher ses blessures, puis faire comme si rien n'était arrivé. Et recommencer. Encore. Et encore.
« Je… je n'ai pas faim, je ne sais pas, je pense... que c'est mieux si je rentre... si... » Mais, d'un autre côté, elle était tellement, tellement fatiguée de cette solitude et de cette souffrance qu'elle ne parvenait pas à partager. Pour un soir, juste pour un soir, peut-être pouvait-elle raconter à quelqu'un les horreurs de son histoire ? « Je ne sais pas » avoua-t-elle dans un murmure. « Je veux bien, mais... je ne sais pas. » Le souffle lui manquait, de nouveau sa poitrine se serrait. Elide secoua la tête, perdue, les yeux noyés de larmes. Elle ne voulait pas s'imposer, elle ne voulait pas déranger cet homme plus qu'elle ne l'avait déjà fait. Il lui avait même prêté sa cape, et qu'en avait-il récolté ? Des vêtements trempés et des dents qui s'entrechoquaient de froid.
« Attendez, je peux peut-être... Attendez. » À contrecœur, la jeune femme lâcha la main d'Eos – il lui sembla que le monde perdait un peu de son assise et que les ténèbres autour n'en devenaient que plus menaçantes. Elle leva ses propres mains et les rapprocha du torse de son vis-à-vis – la gauche paume ouverte, la droite, bleutée et sanguinolente, recroquevillée malgré elle comme une serre. Au bout de quelques secondes, un flux d'air apparu, que la jeune femme dirigea vers les vêtements trempés du nymphe. En dépit de la froideur du baiser de ce vent surgit de nulle part, Eos pouvait sentir le tissu qu'il portait perdre peu à peu de son humidité. Mais Elide était blessée, épuisée de ces longues nuits sans sommeil, et malgré ses sourcils froncés et la grimace de concentration qui déformait sa bouche, le filet d'air faiblit rapidement pour finalement mourir sans un bruit, laissant le travail inachevé. L'élémentaire secoua la tête une troisième fois, cette fois-ci pour signifier son refus d'y croire. Ses doigts se crispèrent davantage avant qu'elle ne retourne ses mains, qu'elle observa d'un air paniqué.
« Ça ne marche pas...Pourquoi ça ne marche pas ? » Elle leva les yeux vers le nymphe, comme si celui-ci détenait la réponse à cette question qui n'en attendait aucune. « Pourquoi ça ne marche jamais ? » répéta-t-elle, éperdue. L'élémentaire porta ses mains à son visage et en appuya les paumes sur ses yeux alors que ses sanglots redoublaient. Sa vie n'était qu'une succession d'échecs. Ses doigts glissèrent sur ses joues dans un nouvel essai pour faire taire ses larmes. Elle prit plusieurs grandes inspirations tremblantes pour essayer de se calmer. Ses yeux retournèrent se fixer sur Eos dans une ultime tentative pour s'ancrer à quelque chose, à quelqu'un. Je ne vais pas partir.
« Je m'appelle Elide. » De nouvelles inspirations entrecoupées de hoquets. Des mains qui se joignent sur une poitrine griffée en une prière silencieuse. « D'accord, d'accord, d'accord » souffla-t-elle en fermant les yeux tout en inspirant par le nez. Comme pour se donner du courage. Comme pour se rappeler cette décision prise quelques instants plus tôt au sein de ces bras qui la berçaient. « D'accord » répéta-t-elle en rouvrant les yeux. Un nouveau hochement de tête – une affirmation autant qu'une décision. Des larmes qui coulent, se mêlant aux centaines déjà versées. Des hoquets qui continuent de brûler sur leur passage une gorge déjà à vif. « Je... je te suis, d'.. d'ac.. d'accord. On peut aller manger, oui. D'accord. »
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
Si la crise est passée au plus gros, la confusion demeure dans les prunelles jeunes qui se raccrochent à moi comme une ancre jetée dans l'océan. Il fallait prendre des décisions vite, avant que l'averse de larmes ne puisse reprendre, que les idées noires reviennent. Car l'inaction ramène à la première phase, et les maux intérieurs de la jeune femme ne s'étaient pas tus, à peine avaient-ils baissé le ton à mon approche...
Je propose alors de la ramener chez elle, mais la confuse refuse, peut-être parce que je suis un homme et qu'elle a peur, ou parce que ses griffures seraient un spectacle que les gens de son groupe ne pourraient pas comprendre, ou bien d'autres facteurs. Comme pour ne pas me déranger, elle me rend la veste que j’attrape d'une main, les sourcils froncés d'incompréhension devant ses comportements de fuite tout en ne lâchant pas ma main qui l'a relevé. Elle a besoin d'aide, semble hésiter, réfléchir à quoi faire et je prend les devants, proposant qu'elle me suive manger, et insiste: "Tu ne seras pas obligé de manger. Être dans une salle chauffée dans une salle où personne ne te connais, ce sera plus simple que de rentrer seule, et plus confortable que de rester ici sous la pluie."
Puis elle me dit d'attendre et j'hausse un sourcil interrogateur, à deux doigts d'imaginer la petite se mettre à courir pour ne pas rester sous le regard de quelqu'un, trouver une autre rue vide pour s'infliger sa peine sans témoin... Et pourtant elle rapproche ses mains, me prenant par surprise et lorsque je bredouille "Qu'est-ce que-?" Un souffle d'air se glisse contre les mailles trempées de mes habits sous mes yeux ébahis. Une élémentaire d'air, je n'ai jamais vu leur pouvoir en réalité... Et c'est stupéfiant. ça ne dure pas cependant, et les vêtements maintenant seulement humides sont les seules traces de sa magie.
« Ça ne marche pas...Pourquoi ça ne marche pas ? » Je regarde la jeune femme sans comprendre. ça avait marché, non? Perplexe, je regarde la tristesse reprendre le dessus et je reprend sa main pour la réconforter de nouveau, glissant la cape derechef sur ses épaules tandis que je reprend l'eau. "Au contraire, ça a marché, regarde!" Je montre le pull à peine humide encore et fait un sourire reconnaissant: "Merci. La magie, c'est dur à utiliser, et tu as essayé pour moi. La fin séchera dans le restaurant." Je rigole doucement même en ajoutant: "Et puis tu vois, je suis une nymphe alors l'eau ne me dérange pas trop!" j'ouvre mon col pour dévoiler quelques écailles bleutées puis sèche d'un revers de manche les larmes nouvelles. "Allons, partons Elide."
A l'acquiescement de la jeune femme, et la main toujours dans la sienne en signe qu'elle n'était pas seule, je nous ramène à la rue éclairée. La jeune femme semble bien plus jeune que ce que j'avais imaginé, et ses cheveux colorés assombris par la pluie forment pourtant la seule couleur de la ruelle pluvieuse. "Nous allons manger à "La Perle". Ce n'est pas loin, et c'est petit. Ce sera plus simple d'y discuter." Je me tourne vers elle et boutonne la cape pour cacher ses griffures avant de jeter un regard à ses yeux rougis par les pleurs. "Comme beaucoup de gens, j'imagine que tu ne veux montrer à personne tes blessures... On prendra une table éloignée, personne ne le verra."
Puis nous prenons route et bien vite la petite vitrine fait son apparition dans le paysage calme. Le carillon de la porte sonne à notre entrée et le serveur me reconnaissant fait un grand sourire. "Monsieur Saysanasy! On ne vous attendez plus, ce n'est pas dans vos habitudes de venir si tard... Et accompagné!" Le triton sourit à la jeune femme et je répond avec un sourire calme: "Mademoiselle Elide est une patiente, nous aimerions une table tranquille pour discuter... En bas peut-être?" Ni une ni deux, l'homme sirène nous fait descendre un petit escalier. Dans la salle, il n'y a personne, et la fenêtre montre le quartier immergé, une beauté invisible du quartier que la majorité des terrestres ignore jusqu'à l'existence. Le serveur nous pose juste devant une de ses bulles avec vue sur le canal et j'installe Elide avant de montrer les habitations illuminées par les algues plumes: "C'est un petit restaurant qui ne paye pas de mine, mais il a une vue imprenable. Profite en, peu de gens hors des aquatiques peuvent se targuer de voir ça, surtout de nuit!"
Je laisse un moment à la jeune femme pour contempler la vue nocturne et pourtant bien lumineuse de l'endroit qui se dévoile à ses yeux et le serveur revient prendre commande. "Je prendrais comme d'habitude, et Elide... Tu veux quelque chose, à boire au moins?" Je fais un air encourageant, espérant qu'elle prenne quelque chose de chaud pour combattre le froid qu'elle n'avait pas enlevé à coup de souffle.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Ça a marché, regarde !
L'élémentaire fronça les sourcils pour essayer de comprendre ce que voulait dire le nymphe – tout ce qu'elle voyait, elle, c'était le tableau de ce pull encore humide et de ces cheveux dégoulinants qui lui jetait son échec au visage. Valait-il encore la peine d'essayer lorsqu'on ne réussissait jamais rien ? Les yeux fixés sur les mailles du vêtement étirées par la pluie, les épaules abaissées figées dans une posture de défaite, la jeune femme ne broncha pas lorsqu'Eos la recouvrit une nouvelle fois de sa cape. Sursauta légèrement au contact de sa main qui lui revenait – mais, après un long regard, la serra de nouveau. Pour s'y accrocher ? Pour le remercier ? Cette paume contre la sienne l'enracinait, et il lui semblait qu'elle respirait avec moins de difficultés. Ses sanglots se calmaient doucement, et les larmes qu'essuya délicatement le docteur d'un revers de manche coulaient moins vite. Elide hocha doucement la tête à sa proposition, prit une grande inspiration tremblotante et le suivit vers la lumière de la rue. Hagarde. Hébétée.
Au bout de quelques pas, Eos s'arrêta et la jeune femme l'observa sans un mot refermer les pans de sa cape, cachant ses blessures en même temps que sa honte. Tant de prévenance lui serra la gorge, autant que cela la déstabilisa encore un peu. Pourquoi cet inconnu faisait-il preuve d'autant de bonté ? Elle ne le connaissait pas, et n'était pas digne de sa dévotion. Ses yeux ne le quittaient pas alors qu'il s'affairait, découvrant pour la première fois les traits de cet ange gardien sorti de nulle part. Notant la douceur de son regard et la bonté sur son visage.
« Merci » murmura-t-elle, la gorge serrée avant de détourner le regard. Il ferait mieux de dispenser sa gentillesse à quelqu'un qui le méritait.
Ils se dirigèrent en silence vers la Perle, la jeune femme réalisant avec une certaine stupéfaction que ses pas avinés l'avaient conduite dans le quartier aquatique. Pendant combien de temps exactement avait-elle déambulé dans les rues d'Azamyr avant d'échouer dans cette ruelle sordide ? Le temps d'arriver au restaurant, et grâce à cette présence rassurante à ses côtés, Elide parvint à se calmer. Ses pleurs avaient cessé, laissant derrière eux des yeux rougis et un visage défait, et ne restaient des sanglots qu'une douleur lancinante qui lui tiraillait la poitrine à chaque inspiration. Le triton qui leur ouvrit la porte lui lança tout au plus un regard curieux avant de les conduire au sous-sol. Peut-être était-il habitué à voir dans son restaurant les âmes en perdition que lui ramenait le nymphe, ou bien était-il suffisamment délicat pour ne pas la dévisager. L'un comme l'autre, la jeune femme lui fut silencieusement reconnaissante pour son indifférence.
Une patiente. Le mot la fit vaciller. N'était-elle finalement ni plus ni moins qu'une énième désaxée dont on devrait s'occuper ? Ce repas n'était-il qu'une séance déguisée à la suite de laquelle des hommes en tunique blanche viendraient la cueillir pour l'enfermer ? La nature méfiante de l'élémentaire refit brièvement surface, et ses pas ralentirent légèrement à l'approche de l'escalier. C'était une mauvaise idée, pensa-t-elle soudain. Mais Eos l'entraîna à sa suite, empêchant ces réflexions de prendre racine, et son esprit à bout de souffle rendit les armes sans même essayer de combattre.
Parvenue dans la salle souterraine, Elide marqua un instant d'arrêt tandis que le quartier immergé déployait devant elle les ailes de sa splendeur. C'était comme si un autre monde venait soudainement d'émerger, la happant dans ses couleurs, ses sons, sa tranquillité. Stupéfaite, elle laissa Eos l'installer à leur table, son regard bondissant d'une chose à l'autre comme s'il cherchait à avaler jusqu'au moindre détail de cet univers fantastique.
« Je ne savais pas qu'il y avait de si belles choses cachées » murmura-t-elle, hypnotisée par le ballet de poissons multicolores qui passait au même moment devant leur bulle. La voix du docteur la tira du spectacle de cette réalité aux couleurs de songe.
« Je... » Elle ne savait même plus si la brûlure au creux de son estomac était causée par la faim ou bien par la douleur du souvenir de ses fantômes disparus. « ... ce que tu veux, peu importe. » Une fois le serveur reparti avec la commande, Elide baissa les yeux, mal à l'aise, soudain atrocement consciente du regard scrutateur d'Eos. Consciente de ces yeux vert-gris qui avaient été témoins d'une douleur si grande et si secrète qu'elle lui en avait faire perdre l'esprit. D'un geste inconscient, la jeune femme resserra autour d'elle les pans de la cape d'un geste protecteur, laissant échapper un sifflement de douleur lorsqu'elle contracta par mégarde les doigts de sa main ravagée. Elle la dissimula plus avant entre ses cuisses.
« Je... » Elle ne savait pas par où commencer. Les mots se refusaient à elle, peinant comme toujours à franchir la frontière de sa voix. Parce qu'en parler, c'était rendre les choses réelles. C'était revoir leur visage, c'était entendre leur voix, et c'était les partager avec quelqu'un d'autre. Ils étaient à elle – le spectre de cette présence, c'était tout ce qui lui restait d'eux. Révéler leur existence, c'était risquer de les faire disparaître. Elide ferma les yeux et serra les dents. Colère. Deuil. Chagrin. Ces démons bataillaient en elle sans qu'elle ne parvienne à les calmer. « Je... » reprit-elle dans une nouvelle tentative, sa voix serrée par l'émotion. Le poing de sa main valide, qu'elle avait posée sur la table, se serra de rage face à cette impuissance. « J'avais... quatre frères... » parvint-elle finalement à souffler. « Liam. Aujourd'hui, c'est le jour où il est... où Liam est... » Sa poitrine se serra, comme prise dans un étau, lui interdisant d'en dire plus. Elide porta la main à cette gorge si douloureusement serrée qu'elle en empêchait presque l'air de passer.
« Je ne peux pas... » avoua-t-elle d'une voix étranglée, désespérée. Ses yeux se rouvrirent d'un coup sous la violence des émotions qui l'étouffaient. Elle planta son regard dans celui d'Eos, terrifiée, éperdue. « Je n'arrive pas... à le dire... en parler... » C'est trop dur voulu-t-elle lui avouer. Aide-moi fut tout ce que lui hurlèrent ses yeux.
L'élémentaire fronça les sourcils pour essayer de comprendre ce que voulait dire le nymphe – tout ce qu'elle voyait, elle, c'était le tableau de ce pull encore humide et de ces cheveux dégoulinants qui lui jetait son échec au visage. Valait-il encore la peine d'essayer lorsqu'on ne réussissait jamais rien ? Les yeux fixés sur les mailles du vêtement étirées par la pluie, les épaules abaissées figées dans une posture de défaite, la jeune femme ne broncha pas lorsqu'Eos la recouvrit une nouvelle fois de sa cape. Sursauta légèrement au contact de sa main qui lui revenait – mais, après un long regard, la serra de nouveau. Pour s'y accrocher ? Pour le remercier ? Cette paume contre la sienne l'enracinait, et il lui semblait qu'elle respirait avec moins de difficultés. Ses sanglots se calmaient doucement, et les larmes qu'essuya délicatement le docteur d'un revers de manche coulaient moins vite. Elide hocha doucement la tête à sa proposition, prit une grande inspiration tremblotante et le suivit vers la lumière de la rue. Hagarde. Hébétée.
Au bout de quelques pas, Eos s'arrêta et la jeune femme l'observa sans un mot refermer les pans de sa cape, cachant ses blessures en même temps que sa honte. Tant de prévenance lui serra la gorge, autant que cela la déstabilisa encore un peu. Pourquoi cet inconnu faisait-il preuve d'autant de bonté ? Elle ne le connaissait pas, et n'était pas digne de sa dévotion. Ses yeux ne le quittaient pas alors qu'il s'affairait, découvrant pour la première fois les traits de cet ange gardien sorti de nulle part. Notant la douceur de son regard et la bonté sur son visage.
« Merci » murmura-t-elle, la gorge serrée avant de détourner le regard. Il ferait mieux de dispenser sa gentillesse à quelqu'un qui le méritait.
Ils se dirigèrent en silence vers la Perle, la jeune femme réalisant avec une certaine stupéfaction que ses pas avinés l'avaient conduite dans le quartier aquatique. Pendant combien de temps exactement avait-elle déambulé dans les rues d'Azamyr avant d'échouer dans cette ruelle sordide ? Le temps d'arriver au restaurant, et grâce à cette présence rassurante à ses côtés, Elide parvint à se calmer. Ses pleurs avaient cessé, laissant derrière eux des yeux rougis et un visage défait, et ne restaient des sanglots qu'une douleur lancinante qui lui tiraillait la poitrine à chaque inspiration. Le triton qui leur ouvrit la porte lui lança tout au plus un regard curieux avant de les conduire au sous-sol. Peut-être était-il habitué à voir dans son restaurant les âmes en perdition que lui ramenait le nymphe, ou bien était-il suffisamment délicat pour ne pas la dévisager. L'un comme l'autre, la jeune femme lui fut silencieusement reconnaissante pour son indifférence.
Une patiente. Le mot la fit vaciller. N'était-elle finalement ni plus ni moins qu'une énième désaxée dont on devrait s'occuper ? Ce repas n'était-il qu'une séance déguisée à la suite de laquelle des hommes en tunique blanche viendraient la cueillir pour l'enfermer ? La nature méfiante de l'élémentaire refit brièvement surface, et ses pas ralentirent légèrement à l'approche de l'escalier. C'était une mauvaise idée, pensa-t-elle soudain. Mais Eos l'entraîna à sa suite, empêchant ces réflexions de prendre racine, et son esprit à bout de souffle rendit les armes sans même essayer de combattre.
Parvenue dans la salle souterraine, Elide marqua un instant d'arrêt tandis que le quartier immergé déployait devant elle les ailes de sa splendeur. C'était comme si un autre monde venait soudainement d'émerger, la happant dans ses couleurs, ses sons, sa tranquillité. Stupéfaite, elle laissa Eos l'installer à leur table, son regard bondissant d'une chose à l'autre comme s'il cherchait à avaler jusqu'au moindre détail de cet univers fantastique.
« Je ne savais pas qu'il y avait de si belles choses cachées » murmura-t-elle, hypnotisée par le ballet de poissons multicolores qui passait au même moment devant leur bulle. La voix du docteur la tira du spectacle de cette réalité aux couleurs de songe.
« Je... » Elle ne savait même plus si la brûlure au creux de son estomac était causée par la faim ou bien par la douleur du souvenir de ses fantômes disparus. « ... ce que tu veux, peu importe. » Une fois le serveur reparti avec la commande, Elide baissa les yeux, mal à l'aise, soudain atrocement consciente du regard scrutateur d'Eos. Consciente de ces yeux vert-gris qui avaient été témoins d'une douleur si grande et si secrète qu'elle lui en avait faire perdre l'esprit. D'un geste inconscient, la jeune femme resserra autour d'elle les pans de la cape d'un geste protecteur, laissant échapper un sifflement de douleur lorsqu'elle contracta par mégarde les doigts de sa main ravagée. Elle la dissimula plus avant entre ses cuisses.
« Je... » Elle ne savait pas par où commencer. Les mots se refusaient à elle, peinant comme toujours à franchir la frontière de sa voix. Parce qu'en parler, c'était rendre les choses réelles. C'était revoir leur visage, c'était entendre leur voix, et c'était les partager avec quelqu'un d'autre. Ils étaient à elle – le spectre de cette présence, c'était tout ce qui lui restait d'eux. Révéler leur existence, c'était risquer de les faire disparaître. Elide ferma les yeux et serra les dents. Colère. Deuil. Chagrin. Ces démons bataillaient en elle sans qu'elle ne parvienne à les calmer. « Je... » reprit-elle dans une nouvelle tentative, sa voix serrée par l'émotion. Le poing de sa main valide, qu'elle avait posée sur la table, se serra de rage face à cette impuissance. « J'avais... quatre frères... » parvint-elle finalement à souffler. « Liam. Aujourd'hui, c'est le jour où il est... où Liam est... » Sa poitrine se serra, comme prise dans un étau, lui interdisant d'en dire plus. Elide porta la main à cette gorge si douloureusement serrée qu'elle en empêchait presque l'air de passer.
« Je ne peux pas... » avoua-t-elle d'une voix étranglée, désespérée. Ses yeux se rouvrirent d'un coup sous la violence des émotions qui l'étouffaient. Elle planta son regard dans celui d'Eos, terrifiée, éperdue. « Je n'arrive pas... à le dire... en parler... » C'est trop dur voulu-t-elle lui avouer. Aide-moi fut tout ce que lui hurlèrent ses yeux.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
Enfin, la lumière! Le lampadaire de la rue nous accueille dans une atmosphère d'étoiles filantes, filaments de la lumière sur les larmes du ciel, et j'en profite pour voir l'élémentaire de plus près. Elle est jeune, elle est bien griffée, et ses yeux me juge autant que les miens le font. Puis après quelques secondes de regards de reconnaissance, je m'attarde à protéger ses blessures, autant du regard d'autrui qui serait malvenu dans sa fragilité, mais aussi de l'humidité et de l'extérieur qui pourrait faire infecter les plaies fraîches. Plus vite elle serait au sec, mieux ce serait, autant pour éviter une pneumonie pour nous deux que pour se qu'elle s'est infligée.
La marche me rappelle rapidement que la jeune femme n'était pas à jeun, et je ralentis la cadence sans perdre sa main. Heureusement, l'établissement n'est pas loin et malgré les yeux surpris qu'Elide fait en voyant l'endroit nous rentrons sans questionnement de sa part. Les serveur nous accueille sans soucis apparents, mais quand nous nous dirigeons vers la porte de la seconde salle la jeune fille semble hésiter. Je m'arrête alors, un regard interrogateur et murmure à son intention: "Tout va bien?" Peut-être se sent-elle nauséeuse et je redouble d'attention quand nous prenons l'escalier.
Son arrêt ensuite est cette fois plus compréhensible et je me retourne vers elle en souriant. Un bijou caché sous les faux airs de gargote du restaurant qui recèle en fait une très belle vue du dessous du quartier, où les algues lumineuses montrent les sirènes nocturnes, des poissons en ombres fantomatiques et, une seconde peut être, la lueur douce fait miroiter sur les écailles des diamaras paisibles qui nous passent devant avec nonchalance. Je m'installe en laissant le loisir à la demoiselle d'admirer le spectacle, prenant le temps de détailler la flore et la faune lumineuse avant que l'admiration d'Elie ne crève le silence.
"Il n'est pas rare que les belles choses le soient." Le bonheur en était un parfait exemple, surtout pour les plus démunis et malchanceux d'entre nous, mais je n'étaye pas le propos pour ne pas empirer les choses. La discussion pourrait déjà ramener des larmes, il n'était pas nécessaire d'en rajouter.
Bientôt, le triton revient et comme je demande ce qu'elle veut son hésitation me fait réfléchir. Si Elie n'était pas coutumière de la nourriture aquatique, et en sachant qu'elle avait bu une quantité inconnue d'alcool, il fallait quelque chose de léger et réconfortant. Je prend un moment puis souris avant de dire au serveur: "Nous prendrons un chleucolat chaud, une assiette de Zucon fourré et des beignets de moluni s'il vous plait." Un repas-gouter donc, mais ça semble faire rire notre serveur qui s'empresse d'envoyer la commande en haut, nous laissant seuls.
Le silence prend place, moins confortable que la première fois pendant que l'élémentaire prend conscience de notre tête à tête presque auscultatoire. En se rhabillant un peu pour cacher une griffure qui pointe le bout de son nez à la lisière de la cape une grimace me fait dire: "ça fait mal beaucoup?" Il faudrait peut-être suturer... Au moins désinfecter et je pense sincèrement à faire un crochet à la maison pour trouver des vêtements secs et de quoi soulager sa douleur, mais peut-être que si la jeune femme est mal à l'aise dans un lieu neutre, la ramener en habitation sera pire.
C'est Elide qui crève le silence en premier, et je m'assois au fond de la chaise pour l'écouter, le visage éclairé par la lueur douce orangée de la pièce d'un coté, des algues bleutées de l'autre, et tout dans l'attitude de la demoiselle respire la douleur. Les mots peinent à prendre forme, ses traits se tordent et je murmure: "Respire. Prend ton temps." Si ça doit sortir, il faut laisser les choses se faire sans forcer et j'essaye d'être le plus calme possible pour aider au mieux. Puis le sujet finit par apparaître et je prend le temps de le digérer: la petite avait donc perdu des membres de sa famille sinon tous, et ce jour était un jour de deuil qui restait gravé dans sa mémoire.
Sa main se porte à sa gorge et de peur qu'elle fasse une bêtise comme se refaire mal je la lui prend rapidement mais sans force: "Respire. ça va aller... Je suis là. Je comprend... Et c'est suffisant. Tu n'es pas obligée de dire quoi que ce soit." Je soutiens le regard douloureux et rajoute: "Tu es en peine et c'est légitime. Beaucoup de gens venus à Azamyr ont une croix à porter, et tu n'es pas la seule à être venue ici avec une blessure plus profonde que ce que tu ne pourras t'infliger." Je me redresse un peu et confie: "Je suis venu ici pour ça. En voyant des patients dont le seul espoir était de trouver une nouvelle vie ici, j'ai pensé que le meilleur endroit pour être utile en tant que docteur en psychiatrie, ce serait dans un nouveau monde où s'engouffre ceux qui ont besoin de reprendre à zéro... "
J'exagère ma façon de respirer en incitant l'élémentaire d'en faire de même pour retrouver un peu de calme puis, après quelques minutes, je dis d'une voix basse et sincère: "Tu n'es obligé de parler de rien. On peut avoir une conversation normale, une qui te réconforte. Ou si tu dois décharger, je peux l'entendre aussi. Mais tu ne dois pas te forcer, car brusquer ta mémoire serait l'irriter d'autant plus."
Un bruit dans l'escalier me fait lever les yeux et voyant le plateau arriver souris à pleine dent: "Parfait, c'est tout ce que nous avions besoin! Posez ça au milieu, nous partagerons le tout. Merci beaucoup!" Le triton souris, dépose les sucreries et boissons puis s'éclipse non sans avant déposer une petite clochette en détaillant: "Si vous avez besoin de moi... Bonne dégustation!"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Tétanisée, Elide essayait de respirer mais sa gorge contractée refusait de laisser passer plus qu’un filet d’air. Elle s’étouffait, pensa-t-elle avec effroi. Sa main sur son cou se contracta sous l’effet de la panique. Ses yeux s’écarquillèrent. Respire, lui intima le nymphe d’une voix calme. Son regard rivé dans le sien, Elide hocha frénétiquement la tête. Respire. Ça va aller. La main d’Eos vint doucement reprendre la sienne. Elle la serra convulsivement, affolée mais également affamée de ce contact si simple, et si humain. Je suis là. L’élémentaire serra les dents et se força à suivre le rythme des respirations de l'homme en face d'elle. Inspire. Expire. Inspire. Expire. Sa poitrine se détendit, les battements affolés de son cœur se calmèrent. Elle ne quittait pas Eos du regard, de cette présence qui l’ancrait aussi fortement qu’elle l’apaisait. Au bout de plusieurs minutes, elle hocha la tête – plus doucement, cette fois.
« C’est… C’est bon… » murmura-t-elle. « Merci ». La jeune femme ferma les yeux pour retrouver ses esprits, en même temps que sa mémoire rejouait le fil de la conversation.
Est-ce que ça faisait mal ? lui avait-il demandé à voix basse en pointant ses blessures du menton. Elide rouvrit les yeux et les baissa sur sa poitrine dissimulée aux regards inquisiteurs, puis sur sa main blessée qui gisait dans son giron. La douleur avait toujours agi comme un placebo lorsque le deuil menaçait de l’entraîner vers des rivages qu’elle n’avait aucune envie d’explorer. Elle avait toujours fait office de distraction, même pour quelques secondes, aux tressautements de son esprit traumatisé. Un visage tuméfié, des os fêlés, des poings écorchés. Tout, pour ne pas penser.
« C’est supportable » mentit-elle après un silence. La jeune femme tenta discrètement d’étendre ses doigts écharpés, mais ses phalanges gonflées grincèrent leur indignation face à ce simple mouvement. Elle sera les dents. C’est demain, où elle aurait le plus mal, lorsque son corps mutilé lui rappellerait la liste de ses manquements. Le désespoir et l’alcool qui couraient dans ses veines jouaient cependant le rôle d’anesthésiant, et il lui suffisait pour l’instant d’un simple effort de volonté pour ignorer la brûlure de ces stries qui défiguraient sa gorge. « Ce n’est rien » affirma-t-elle d’une voix fatiguée qui ne contenait qu’une infime trace de cette sécheresse dont font preuve les personnes habituées à détourner l’attention des blessures qu’elles se sont elles-mêmes infligées. Elle retira sa main de celle du nymphe, gênée du spectacle qu'elle offrait, et médita à ce qu'il lui proposait : se taire, parler d’autre chose, ou bien apprécier simplement le silence de sa compagnie.
L’arrivée du serveur lui évita d’avoir à donner une réponse. Celui-ci déposa devant eux deux tasses fumantes, ainsi que des assiettes débordant de beignets et de quelque chose qui ressemblait vaguement à des bulbes fourrés de… quelque chose. Elide oublia momentanément la discussion pour observer le plat de zucon d’un œil perplexe.
« C’est quoi ? » demanda-t-elle prudemment. L’odeur, en tout cas, était agréable. Elle joua nerveusement avec la serviette qu’avait apportée le triton, de nouveau silencieuse. « Je veux essayer… de parler » annonça-t-elle brutalement. Comme si elle craignait qu’en attendant plus longtemps, elle n’avale cette résolution en même temps que le courage que lui demandait le fait de la formuler à voix haute. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Une fois encore, la narration de son histoire se dérobait à elle, lui arrachant un soupir frustré. Elle serra le poing, mâchonnant ces mots qui renâclaient à sortir.
« Ces gens, dont tu parles, qui ont traversé le portail avec leurs fardeaux derrière eux » reprit-elle finalement. Les voies détournées étaient parfois les plus simples pour atteindre l’objectif. « Les gens que tu as laissés derrière, en venant... volontairement ici. Est-ce que… est-ce que tu ... est-ce qu’ils ont réussi à… oublier ? » Elle secoua la tête, les sourcils froncés. « Non, pas oublier. Je… je ne veux pas oublier. Je veux juste… » Elle ferma les yeux. Inspire. Expire. « Je veux juste ne plus avoir aussi mal, quand j’y pense. » Son cœur se serra douloureusement alors que dansait derrière ses paupières closes un visage aux cheveux blonds. « Et je pense à eux… tout le temps. Je rêve d’eux, chaque nuit. Et quand je me réveille, et que je vois qu’ils ne sont plus là… » Les larmes revinrent, timides, s’échappant du coin de ses paupières serrées et coulant discrètement le long de ses joues. Elide se mordit la lèvre. « Et ils me manquent tellement. Si tu savais, si seulement tu savais, à quel point ils me manquent » avoua-t-elle enfin, brisée, des sanglots faisant trembler les notes de sa confession.
Le silence qui suivit ces paroles résonna douloureusement à ses oreilles, et Elide fut prise de vertiges alors que la réalisation de ce qu’elle venait de dire la percuta avec la puissance irrémédiable des aveux murmurés au cœur de la nuit. Mais, à la place du soulagement, c’est l’humiliation qu’elle ressentit. Une violente et terrible honte, qui la poussa à continuer alors que son visage blêmissait « Mais je leur en veux… Tellement. D’être partis. De m’avoir laissée. Ils n’avaient pas le droit. » L’élémentaire secoua la tête, dévastée, secouée de sanglots silencieux, les traits déformés en une grimace colérique. « Mais, surtout… » la jeune femme essuya d’un geste rageur les larmes qui lui chatouillaient le menton. « Mais surtout, c’est à moi, que j’en veux. Car tout ça, c’est de ma faute. C’est de ma faute… s’ils.. s’ils sont… s’ils sont… » Elle était incapable de prononcer cet ultime mot. Morts. C’était de sa faute, s’ils étaient morts. Sa mâchoire se contracta pour l’aider à ravaler les marques de cet indicible chagrin. Inspire. Expire. La jeune femme rouvrit des yeux brillants de rage et de culpabilité, et au fond desquelles dansaient mille et une lueurs de tristesse.
« Alors dis-moi… » chuchota-t-elle, les dents serrées, d’une voix désespérée « Je t’en supplie, s'il te plaît, je t'en supplie, dis-moi comment est-ce que je peux vivre avec ça ? » Elide fixa sur le nymphe un regard enfiévré, les épaules secouées par les sanglots qu’elle retenait. Les larmes coulaient de nouveau sans qu’elle ne cherche à les retenir, glissant silencieusement le long de ses joues pour venir s’écraser sur la nappe en-dessous d’elle.
« C’est… C’est bon… » murmura-t-elle. « Merci ». La jeune femme ferma les yeux pour retrouver ses esprits, en même temps que sa mémoire rejouait le fil de la conversation.
Est-ce que ça faisait mal ? lui avait-il demandé à voix basse en pointant ses blessures du menton. Elide rouvrit les yeux et les baissa sur sa poitrine dissimulée aux regards inquisiteurs, puis sur sa main blessée qui gisait dans son giron. La douleur avait toujours agi comme un placebo lorsque le deuil menaçait de l’entraîner vers des rivages qu’elle n’avait aucune envie d’explorer. Elle avait toujours fait office de distraction, même pour quelques secondes, aux tressautements de son esprit traumatisé. Un visage tuméfié, des os fêlés, des poings écorchés. Tout, pour ne pas penser.
« C’est supportable » mentit-elle après un silence. La jeune femme tenta discrètement d’étendre ses doigts écharpés, mais ses phalanges gonflées grincèrent leur indignation face à ce simple mouvement. Elle sera les dents. C’est demain, où elle aurait le plus mal, lorsque son corps mutilé lui rappellerait la liste de ses manquements. Le désespoir et l’alcool qui couraient dans ses veines jouaient cependant le rôle d’anesthésiant, et il lui suffisait pour l’instant d’un simple effort de volonté pour ignorer la brûlure de ces stries qui défiguraient sa gorge. « Ce n’est rien » affirma-t-elle d’une voix fatiguée qui ne contenait qu’une infime trace de cette sécheresse dont font preuve les personnes habituées à détourner l’attention des blessures qu’elles se sont elles-mêmes infligées. Elle retira sa main de celle du nymphe, gênée du spectacle qu'elle offrait, et médita à ce qu'il lui proposait : se taire, parler d’autre chose, ou bien apprécier simplement le silence de sa compagnie.
L’arrivée du serveur lui évita d’avoir à donner une réponse. Celui-ci déposa devant eux deux tasses fumantes, ainsi que des assiettes débordant de beignets et de quelque chose qui ressemblait vaguement à des bulbes fourrés de… quelque chose. Elide oublia momentanément la discussion pour observer le plat de zucon d’un œil perplexe.
« C’est quoi ? » demanda-t-elle prudemment. L’odeur, en tout cas, était agréable. Elle joua nerveusement avec la serviette qu’avait apportée le triton, de nouveau silencieuse. « Je veux essayer… de parler » annonça-t-elle brutalement. Comme si elle craignait qu’en attendant plus longtemps, elle n’avale cette résolution en même temps que le courage que lui demandait le fait de la formuler à voix haute. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Une fois encore, la narration de son histoire se dérobait à elle, lui arrachant un soupir frustré. Elle serra le poing, mâchonnant ces mots qui renâclaient à sortir.
« Ces gens, dont tu parles, qui ont traversé le portail avec leurs fardeaux derrière eux » reprit-elle finalement. Les voies détournées étaient parfois les plus simples pour atteindre l’objectif. « Les gens que tu as laissés derrière, en venant... volontairement ici. Est-ce que… est-ce que tu ... est-ce qu’ils ont réussi à… oublier ? » Elle secoua la tête, les sourcils froncés. « Non, pas oublier. Je… je ne veux pas oublier. Je veux juste… » Elle ferma les yeux. Inspire. Expire. « Je veux juste ne plus avoir aussi mal, quand j’y pense. » Son cœur se serra douloureusement alors que dansait derrière ses paupières closes un visage aux cheveux blonds. « Et je pense à eux… tout le temps. Je rêve d’eux, chaque nuit. Et quand je me réveille, et que je vois qu’ils ne sont plus là… » Les larmes revinrent, timides, s’échappant du coin de ses paupières serrées et coulant discrètement le long de ses joues. Elide se mordit la lèvre. « Et ils me manquent tellement. Si tu savais, si seulement tu savais, à quel point ils me manquent » avoua-t-elle enfin, brisée, des sanglots faisant trembler les notes de sa confession.
Le silence qui suivit ces paroles résonna douloureusement à ses oreilles, et Elide fut prise de vertiges alors que la réalisation de ce qu’elle venait de dire la percuta avec la puissance irrémédiable des aveux murmurés au cœur de la nuit. Mais, à la place du soulagement, c’est l’humiliation qu’elle ressentit. Une violente et terrible honte, qui la poussa à continuer alors que son visage blêmissait « Mais je leur en veux… Tellement. D’être partis. De m’avoir laissée. Ils n’avaient pas le droit. » L’élémentaire secoua la tête, dévastée, secouée de sanglots silencieux, les traits déformés en une grimace colérique. « Mais, surtout… » la jeune femme essuya d’un geste rageur les larmes qui lui chatouillaient le menton. « Mais surtout, c’est à moi, que j’en veux. Car tout ça, c’est de ma faute. C’est de ma faute… s’ils.. s’ils sont… s’ils sont… » Elle était incapable de prononcer cet ultime mot. Morts. C’était de sa faute, s’ils étaient morts. Sa mâchoire se contracta pour l’aider à ravaler les marques de cet indicible chagrin. Inspire. Expire. La jeune femme rouvrit des yeux brillants de rage et de culpabilité, et au fond desquelles dansaient mille et une lueurs de tristesse.
« Alors dis-moi… » chuchota-t-elle, les dents serrées, d’une voix désespérée « Je t’en supplie, s'il te plaît, je t'en supplie, dis-moi comment est-ce que je peux vivre avec ça ? » Elide fixa sur le nymphe un regard enfiévré, les épaules secouées par les sanglots qu’elle retenait. Les larmes coulaient de nouveau sans qu’elle ne cherche à les retenir, glissant silencieusement le long de ses joues pour venir s’écraser sur la nappe en-dessous d’elle.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
A peine assis, et comme si elle se sentait patiente d'une séance que je n'avais pas programmée, la langue d'Elide se délie, mais tellement difficilement que sa respiration se bloque, faisant paniquer la jeune femme. Une angoisse tenace, ça demande de souffler, alors je la guide, forme des respirations accrues et lentes pendant de longues minutes jusqu'à ce que son corps accepte de lâcher prise à son cou. Respirer, c'était une épreuve quand les maux étaient lointains, quand les blessures s'étaient tues trop longtemps, si longtemps que ça avait rongé l'intérieur, grignotant comme un ver les âmes les plus atteintes.
Je hoche la tête, le regard toujours sur la silhouette pour être sûr qu'elle respire, et tout ses gestes semble douleur, qu'importe si elle est de la peau ou du cœur. "Je vois." Je dis pour combler, mais tout indique que ce n'est pas tout à fait vrai. Elide, comme beaucoup trop de monde, sous-estimait sa douleur pour mieux la faire taire, comme si cacher le cadavre sous le tapis n'en suppurerait pas l'odeur, et je me contente de dire: "Au bout de la pièce, il y a une salle d'eau. Tu peux l'utiliser, nettoyer un peu tes plaies, les sécher pour éviter qu'elles ne s'infectent. Je peux t'aider, si tu veux." Je pointe la porte d'un doigt précis, mais ne me lève pas: La jeune femme me le dirait, si elle avait besoin d'aide, et protéger sa pudeur était une façon d'être dans une relation de confiance.
Puis le plateau arrive et mon regard se teinte d'une envie furieuse: Mon ventre crie famine et en témoigne le bruit de grondement qu'il fait. "Sers toi de ce que tu veux!" Je prend une assiette de Zucon et devant le mouvement de menton de l'élémentaire je souris. "C'est une plante océanique. Tu peux gouter, mais si tu n'aimes pas ne te force pas. Tout est sucré." Je plante ma fourchette dans le ballon rempli qui forme une texture solide sans être ferme et prend une bonne bouchée avant d'entendre la décision de la jeune femme. Je la regarde, mâche brièvement et déglutit avant de passer une serviette su mes lèvres en disant: "Et bien... Je t'écoute."
Je pose ma fourchette et croise mes bras sur la table, les yeux toujours rivés sur le visage triste. Elle cherche ses mots, puis commence par une question. Les gens que j'ai laissé, mh? J'écoute sans interruption, laissant la demoiselle trouver ses mots, coordonner ses pensées, tirant un sourire encourageant lorsqu'elle se reprend pour souffler. "C'est bien, continue." Je l'encourage doucement sans forcer, voyant la tristesse dégorger au fur et à mesure, et je laisse cette fois les larmes couler, salvatrices, celles-ci, et non rageuses. Une survivante, je pense, et mon empathie explose en flèche. "Je suis désolé."
Je n'en dit pas plus pourtant, tandis que la tristesse se teinte de colère et de culpabilité quand elle dit qu'elle en veut à ses êtres chers, et plus important encore à elle-même. oui, un syndrome du survivant sans aucun doute possible. Les mots bloquent, et je reprend une respiration soufflée pour désamorcer l'angoisse qui remonte et finalement sa question, une de celle que les survivants se posent tous... Comment faire son après.
Je reste muet quelques secondes puis me lève doucement, laissant à Elide le temps de comprendre et, tout doucement, m’accroupis devant la jeune femme pour l'enlacer. "Un câlin d'abord, pour toutes les choses que tu as traversé." Car je ne suis pas son thérapeute, juste une oreille attentive. "C'est normal de ressentir ce que tu ressent." Je sens les larmes reprendre au bord de mon épaule. "C'est légitime de pleurer, d'être en colère, triste, désorienté et même de culpabiliser..." Je m'éloigne un peu, suffisamment pour regarder dans les yeux de la jeune femme pour finir: "Mais notre chemin mérite qu'on s'y attarde et qu'on le vive vraiment. Pour toi, comme pour tout ceux qui ne vivent plus que dans ta mémoire."
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Tremblante – de colère, de chagrin, de douleur, et de tous ces sentiments que l’on refoule lorsqu’on réalise que la vie n’est qu’une pauvre garce –, Elide regarda Eos se lever sans un bruit. L’observa se rapprocher, sa méfiance endormie par cette rage éblouissante qui faisait vibrer jusqu’à son sang et qui avait ouvert un œil alors qu’elle partageait les prémices de son histoire. Elle le vit s’accroupir, et le fusilla d’un regard qui semblait le mettre au défi de l’absoudre de ses fautes en même temps qu’il lui interdisait d’évoquer le mot pardon. Elle voulait le fouet sans l’acquittement, elle recherchait la condamnation sans l’absolution. Qu’il ose, seulement, qu’il ose ouvrir la bouche.
Mais ce furent ses bras, que le nymphe lui ouvrit. Sans pitié, sans jugement. Juste une invitation silencieuse aux couleurs d’humanité, à laquelle il n’attendait pas de réponse. Elide sentit son masque de fureur imploser devant l’incarnation de cette compassion si simple et pourtant si pure. Son visage se décomposa, et ses traits se tordirent sous l’effet d’un chagrin tellement brut qu’il confinait à la sauvagerie. Elle explosa en sanglots – violents, incontrôlables – et se jeta dans l’étreinte qu’Eos lui offrait alors même que celui-ci l’attirait à lui. Enfoui son visage dans son épaule, comme pour ne plus voir ce monde qu’elle abhorrait. Ses bras s’enroulèrent d’eux-mêmes autour de son cou tandis qu’elle glissait de sa chaise, les entraînant tous deux à terre, à genoux, l’un contre l’autre. Elle le serra contre elle autant qu’elle se serra contre lui. Ses pleurs semblaient incontrôlables, s’élevant autour d’eux comme un long cri entrecoupé de sanglots.
Lorsque le nymphe se recula, Elide s’accrocha à lui de toutes ses forces – elle refusait de le laisser partir. Ses yeux trouvèrent cependant les siens, et elle soutint son regard malgré les larmes qui l’aveuglaient. « Je ne veux pas… Je ne.. v… veux pas Eos, je ne veux p…pas vivre sans eux. Je ne veux pas ! » Ses bras glissèrent de son cou, ses doigts sans force agrippèrent ses épaules. « Je ne veux pas qu’ils vivent dans ma mémoire ! Je veux qu’ils vivent ici, maintenant, avec moi. » Sa voix se paraît des atours des caprices enfantins. « Je veux pouvoir voir leur visage et écouter leur rire. Je veux pouvoir les entendre me dire que tout va bien. Ce chemin, si c’est pour y marcher sans eux, je n’en veux pas ! » Se mains quittèrent les épaules du nymphe pour agripper son pull. « Je n’en veux pas, tu entends Eos ? Je n’en veux pas ! » La jeune femme appuya le front contre le torse de l’homme devant elle, secouée de sanglots. « Ils me manquent tellement, Eos. Tellement. Je n’y arr.. arriverais jamais. » Sa poigne se resserra sur les mailles humides alors qu’elle laissait échapper un hoquet de souffrance. « Seigneurs, ça fait si mal… Pourquoi est-ce que ça fait si mal ? » Ses pleurs reprirent de plus belle, étouffant le reste de sa confession.
Combien de temps l’élémentaire resta-t-elle là, agrippée au nymphe ? À un moment, ses jambes glissèrent sous elle, et elle se retrouva presque recroquevillée contre lui. Il avait une odeur d’océan et de liberté. Au bout d’un temps, ses sanglots finirent par se calmer – elle n’avait plus de larmes à verser. Le calme revint doucement, timidement. Elide observa d’un air absent sa main déformée, qui agrippait toujours le vêtement d’Eos. Ses phalanges s’étaient remises à saigner, tâchant de rouge la manche de sa propre chemise. Cela risquait d’abîmer le pull, songea-t-elle vaguement.
« Cette salle d’eau dont tu m’as parlé… » commença-t-elle d’une voix râpeuse. « Je vais y aller, je crois. » Elle essaya de faire jouer ses doigts, sans succès. Elle se faisait l’impression de n’être plus qu’un pantin sans force. « Et je crois… que je veux bien que tu m’aides. Si ça te ne dérange pas. » Elle avait du mal à penser clairement. Elle était fatiguée, si fatiguée, et sa nouvelle crise de larmes avait réveillé la douleur de sa poitrine griffée et de sa main écorchée. Elle n’imagina pas une seule seconde que le nymphe puisse prendre avantage de la situation – il l’aurait déjà fait, si ça avait été son intention, et puis de toute façon, qui aurait envie d’une épave comme elle ? Quant à sa dignité… elle n’en avait guère plus, que ce soit à ses yeux ou aux siens.
« Après... » elle déglutit, l’esprit comme dans un coton. « Après… je veux bien goûter cette plante aquatique, que tu as commandée. S'il est encore temps. » demanda-t-elle, visiblement soucieuse de retrouver un semblant de normalité. À moins qu'il ne s'agisse de faire comme si rien n'était arrivé.
Mais ce furent ses bras, que le nymphe lui ouvrit. Sans pitié, sans jugement. Juste une invitation silencieuse aux couleurs d’humanité, à laquelle il n’attendait pas de réponse. Elide sentit son masque de fureur imploser devant l’incarnation de cette compassion si simple et pourtant si pure. Son visage se décomposa, et ses traits se tordirent sous l’effet d’un chagrin tellement brut qu’il confinait à la sauvagerie. Elle explosa en sanglots – violents, incontrôlables – et se jeta dans l’étreinte qu’Eos lui offrait alors même que celui-ci l’attirait à lui. Enfoui son visage dans son épaule, comme pour ne plus voir ce monde qu’elle abhorrait. Ses bras s’enroulèrent d’eux-mêmes autour de son cou tandis qu’elle glissait de sa chaise, les entraînant tous deux à terre, à genoux, l’un contre l’autre. Elle le serra contre elle autant qu’elle se serra contre lui. Ses pleurs semblaient incontrôlables, s’élevant autour d’eux comme un long cri entrecoupé de sanglots.
Lorsque le nymphe se recula, Elide s’accrocha à lui de toutes ses forces – elle refusait de le laisser partir. Ses yeux trouvèrent cependant les siens, et elle soutint son regard malgré les larmes qui l’aveuglaient. « Je ne veux pas… Je ne.. v… veux pas Eos, je ne veux p…pas vivre sans eux. Je ne veux pas ! » Ses bras glissèrent de son cou, ses doigts sans force agrippèrent ses épaules. « Je ne veux pas qu’ils vivent dans ma mémoire ! Je veux qu’ils vivent ici, maintenant, avec moi. » Sa voix se paraît des atours des caprices enfantins. « Je veux pouvoir voir leur visage et écouter leur rire. Je veux pouvoir les entendre me dire que tout va bien. Ce chemin, si c’est pour y marcher sans eux, je n’en veux pas ! » Se mains quittèrent les épaules du nymphe pour agripper son pull. « Je n’en veux pas, tu entends Eos ? Je n’en veux pas ! » La jeune femme appuya le front contre le torse de l’homme devant elle, secouée de sanglots. « Ils me manquent tellement, Eos. Tellement. Je n’y arr.. arriverais jamais. » Sa poigne se resserra sur les mailles humides alors qu’elle laissait échapper un hoquet de souffrance. « Seigneurs, ça fait si mal… Pourquoi est-ce que ça fait si mal ? » Ses pleurs reprirent de plus belle, étouffant le reste de sa confession.
Combien de temps l’élémentaire resta-t-elle là, agrippée au nymphe ? À un moment, ses jambes glissèrent sous elle, et elle se retrouva presque recroquevillée contre lui. Il avait une odeur d’océan et de liberté. Au bout d’un temps, ses sanglots finirent par se calmer – elle n’avait plus de larmes à verser. Le calme revint doucement, timidement. Elide observa d’un air absent sa main déformée, qui agrippait toujours le vêtement d’Eos. Ses phalanges s’étaient remises à saigner, tâchant de rouge la manche de sa propre chemise. Cela risquait d’abîmer le pull, songea-t-elle vaguement.
« Cette salle d’eau dont tu m’as parlé… » commença-t-elle d’une voix râpeuse. « Je vais y aller, je crois. » Elle essaya de faire jouer ses doigts, sans succès. Elle se faisait l’impression de n’être plus qu’un pantin sans force. « Et je crois… que je veux bien que tu m’aides. Si ça te ne dérange pas. » Elle avait du mal à penser clairement. Elle était fatiguée, si fatiguée, et sa nouvelle crise de larmes avait réveillé la douleur de sa poitrine griffée et de sa main écorchée. Elle n’imagina pas une seule seconde que le nymphe puisse prendre avantage de la situation – il l’aurait déjà fait, si ça avait été son intention, et puis de toute façon, qui aurait envie d’une épave comme elle ? Quant à sa dignité… elle n’en avait guère plus, que ce soit à ses yeux ou aux siens.
« Après... » elle déglutit, l’esprit comme dans un coton. « Après… je veux bien goûter cette plante aquatique, que tu as commandée. S'il est encore temps. » demanda-t-elle, visiblement soucieuse de retrouver un semblant de normalité. À moins qu'il ne s'agisse de faire comme si rien n'était arrivé.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
C'était venu aussi facilement qui si elle était une proche en deuil, sans réfléchir, d'un air grave et triste. Comme un instinct de fraternité, de ceux que Maja et moi pouvions avoir à l'époque où nous étions du même monde, nous consolions nos peines dans les bras de l'autre, simplement, comme des frères et soeurs. La petite réagit de la même façon que Maja le jour où elle avait pleuré un ami, décédé dans une rixe dans la ville où elle étudiait. Les spasmes incontrôlables, les pleurs déchainés, et ses mains, ses petites mains agrippant comme à une bouée à mes épaules collées au pull par l'humidité. Oui, Elide avait un air de ma sœur, si on oubliait que je la connaissant depuis une heure à peine.
Tandis que son chagrin sort en torrent orageux je légitime ses sentiments. Oui, le deuil était un processus douloureux où les réponses n'étaient jamais vraiment au rendez-vous. Elle nous fauche en plein dans notre vie, s'installe dans notre tête comme un parasite et brouille les sens, nous empêchant de vivre les choses comme avant sa présence. Alors je comble, je remplis les blancs, jusqu'à ce que la bouche tordue de tristesse exprime ce que d'autres expriment dans l'étape du déni. "Je sais Elide... Nous sommes impuissants. Il n'y a pas de réponse qui puisse aller en ce sens, et c'est quelque chose que nous devons tous surmonter un jour. "
Ses gestes se recroquevillent contre mon torse et je caresse doucement ces omoplates, les tapotant comme pour appuyer mon support, montrer que je suis là, encore. Les pleurs durent, elle a besoin de les évacuer, et la douleur, le manque , le traumatisme. Je caresse ses cheveux doucement, comme un frère, jusqu'à ce que le temps passe, jusqu'à ce qu'elle revienne un peu de sa décharge émotionnelle, muets tout deux, écoutant seulement le bruit du cœur et des pas de l'étage au dessus. .
Dans son moment, ses blessures se sont rouvertes, et quand elle propose de passer à la salle de bain j'acquiesce. Je me ramasse sur moi même pour prendre de l'élan, me remet debout avant d'aider Elide à se relever elle-même, un bras contre son coude pour éviter ses mains ensanglantées. Dans la salle d'eau, je me lave les mains avant de passer à celles de la jeune femme qui grimace sous l'eau froide, mais au moins les croutes et le sable des murs qu'elle a agressé tombent dans le bassin qui rejoins la mer. ""Là, ça sera mieux. ça va aller? Je n'ai pas de bandages sur moi par contre..."
Je sèche délicatement les mimines douloureuses et souris lorsqu'elle parle de manger. Enfin, un peu de réconfort dans tout ça. "Avec plaisir, j'espère que ça te plaira. C'est très doux, et ça tient au corps! Tu reprendras des forces comme ça." De retour à la table je nous réinstalle tandis que des Ildalys lumineux passent devant la fenêtre, poursuivis par un jeune balsex joueur qui tente de les attrapper. Je regarde un moment le ballet aquatique que les animaux nous réserve en mangeant quelques fourchettes de mon dessert, puis prend une gorgée du chleucolat chaud qui est plutôt tiède maintenant. J'hésite un instant, puis dit doucement: "J'ai laissé sur Terre un frère, une soeur, et mes parents. Ils me manquent, à moi aussi." Maja et sa mère adoreraient voir ses animaux marins, et non pas l'eau polluée où elles nagent quand même. "Je suis arrivé en janvier. Et toi Elide, depuis quand es-tu là?" J'hesite encore quelques seconde de plus et dis plus bas: "Depuis quand... Sont partis tes êtres chers?"
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Elide aurait voulu que ce moment ne s’arrête jamais. La chaleur des bras qui l’entouraient, comme cette main qui caressait ses cheveux en un mouvement doux et apaisant, avaient réveillé ces sentiments de plénitude et d’appartenance qu’elle avait expérimentés avec Vex presque deux mois plus tôt. Comme une droguée trop longtemps privée de la source de sa jouissance, l'élémentaire baignait dans une sorte de torpeur bienheureuse qu’elle refusait de laisser s’éloigner. Son corps épuisé et son esprit brisé n’avaient plus la force de bouger. Eos dû le sentir car il ne la força pas, se contentant de rester près d’elle et de lui offrir le réconfort de sa présence. Attendant qu’elle fasse le premier pas.
Lorsqu’elle fut prête, il aida la jeune femme vacillante à se relever puis la conduisit doucement vers la salle d’eau, obéissant, attentionné. Avec cette délicatesse qui semblait faire entièrement partie de lui, il nettoya sa main, s’excusant presque de la voir grimacer au contact de l’eau sur ses blessures à vif. Elide, elle, se laissait faire, encore trop abrutie par cette dernière crise de pleurs pour trouver la force de réagir.
« C’est parfait, merci… » parvint-elle cependant à murmurer. « Ce n’est pas grave pour les bandages, je voulais juste éviter… d’en mettre partout. » Elle observa ave un regard coupable les gouttelettes rouges qui tachaient le pull d’Eos. Il faudra qu’elle lui en rachète-un, songea-t-elle distraitement. Elle hocha la tête aux paroles de celui-ci alors que qu'il lui séchait les mains – plus pour lui faire plaisir que par véritable conviction, car son estomac était à tel point contracté qu’elle doutait de pouvoir avaler quoi que ce soir. Lorsqu’ils retournèrent à leur table, cependant, l’élémentaire se surprit à imiter le nymphe et à prendre d’elle-même quelques gorgées de son chleucolat chaud. La caresse de la boisson sucrée éveilla ses papilles, et elle la termina sans vraiment s'en rendre compte. Elle reposa la tasse, un peu gênée du contraste entre ses manières et celles de l'homme devant elle. Mais elle mourrait de faim, s'était-elle soudain rendu compte. Avec un peu plus de retenue, elle tendit donc une main timide vers un Zucon, qu’elle observa sous toutes les coutures avant de croquer dedans. Bon sang, c’était délicieux. Elide porta une main à sa bouche pour dissimuler les miettes collées à ses lèvres, braquant sur Eos un regard surpris. La jeune femme prit le temps d’avaler sa bouchée, méditant les paroles prononcées.
« Comment est-ce que tu as eu la force de prendre la décision de partir, en sachant que tu laissais ta famille derrière toi ? » commença-t-elle prudemment avant de marquer un léger silence. Elle voulait trouver les bons mots. « Toi… tu sais qu’il y a encore l’espoir que tu les retrouves. Tu sais qu’ils sont là, quelque part, et que, peut-être, ils te reviendront un jour. Moi… » Elide ne termina pas sa phrase et secoua la tête d’un air las « Pardon, je ne voulais pas être blessante. Je suis désolée pour toi. » reprit-elle en plongeant ses yeux dans ceux d’Eos. « J’imagine que ne pas savoir si ta famille va bien est aussi dure que de savoir qu’ils sont… partis. »
Un silence gêné s’installa – c’était la première fois depuis leur rencontre que la jeune femme prononçait autant de mot à la suite, et elle n’était pas certaine d’avoir fait preuve de la même délicatesse que le nymphe en s’exprimant. Elle reporta son attention sur le jeu de poursuite auquel se livrait une sorte de lézard aquatique aux écailles orangées. L’animal, farceur, fonçait sur les poissons bleutés la gueule grande ouverte, sa mâchoire claquant à quelques centimètres de leur queue alors qu’ils lui échappaient une fois encore. La scène fit naître sur ses lèvres l’ombre d’un sourire. Elle tendit une nouvelle fois la main vers les assiettes de victuailles, s’emparant cette fois-ci d’un beignet.
« Je suis là depuis… presque trois mois, je crois. Je ne connais pas la date précise à laquelle je suis arrivée » La jeune femme jeta au nymphe un rapide coup d’œil. Cela faisait moins d’un an qu’il avait passé le portail ? Il semblait pourtant si à son aise. « Tu as l’air d’être là depuis plus longtemps » avoua-t-elle à son tour.
Elide leva la main pour porter la sucrerie à sa bouche mais suspendit son geste, frappée par la nouvelle question qui lui était posée. Elle baissa doucement le bras, braquant sur Eos des yeux cernés de noir. La partie d’elle qui vivait dans le déni, ce protecteur colérique, refusait de répondre à cette question. L’autre, cet enfant vulnérable qui avait pointé son nez en cette étrange soirée de novembre, n’avait qu’une envie : tout avouer à cet étranger qui lui inspirait une confiance presque aveugle. Ce fut cette partie, qui remporta la manche – l’autre, il faut dire, était trop épuisée à lécher ses blessures pour avoir la force de se battre.
Sa langue lui sembla de plomb lorsque l'élémentaire prit la parole après de longues secondes de silence. « Onze ans. » Sa voix était creuse, vide. « Le premier… ça a été Oslo. Il y a onze ans. Mes parents sont… morts… » elle buta sur ce mot « … un an après. » La jeune femme fit tourner le beignet entre ses doigts. « Liam, ensuite. Il y a huit ans. » Commença à effriter les grains de sucre. « Et les jumeaux… » Elide déglutit et ferma brièvement les yeux. « Les jumeaux… » reprit-elle dans un souffle « … c’était il y a quatre ans. »
Lorsqu’elle fut prête, il aida la jeune femme vacillante à se relever puis la conduisit doucement vers la salle d’eau, obéissant, attentionné. Avec cette délicatesse qui semblait faire entièrement partie de lui, il nettoya sa main, s’excusant presque de la voir grimacer au contact de l’eau sur ses blessures à vif. Elide, elle, se laissait faire, encore trop abrutie par cette dernière crise de pleurs pour trouver la force de réagir.
« C’est parfait, merci… » parvint-elle cependant à murmurer. « Ce n’est pas grave pour les bandages, je voulais juste éviter… d’en mettre partout. » Elle observa ave un regard coupable les gouttelettes rouges qui tachaient le pull d’Eos. Il faudra qu’elle lui en rachète-un, songea-t-elle distraitement. Elle hocha la tête aux paroles de celui-ci alors que qu'il lui séchait les mains – plus pour lui faire plaisir que par véritable conviction, car son estomac était à tel point contracté qu’elle doutait de pouvoir avaler quoi que ce soir. Lorsqu’ils retournèrent à leur table, cependant, l’élémentaire se surprit à imiter le nymphe et à prendre d’elle-même quelques gorgées de son chleucolat chaud. La caresse de la boisson sucrée éveilla ses papilles, et elle la termina sans vraiment s'en rendre compte. Elle reposa la tasse, un peu gênée du contraste entre ses manières et celles de l'homme devant elle. Mais elle mourrait de faim, s'était-elle soudain rendu compte. Avec un peu plus de retenue, elle tendit donc une main timide vers un Zucon, qu’elle observa sous toutes les coutures avant de croquer dedans. Bon sang, c’était délicieux. Elide porta une main à sa bouche pour dissimuler les miettes collées à ses lèvres, braquant sur Eos un regard surpris. La jeune femme prit le temps d’avaler sa bouchée, méditant les paroles prononcées.
« Comment est-ce que tu as eu la force de prendre la décision de partir, en sachant que tu laissais ta famille derrière toi ? » commença-t-elle prudemment avant de marquer un léger silence. Elle voulait trouver les bons mots. « Toi… tu sais qu’il y a encore l’espoir que tu les retrouves. Tu sais qu’ils sont là, quelque part, et que, peut-être, ils te reviendront un jour. Moi… » Elide ne termina pas sa phrase et secoua la tête d’un air las « Pardon, je ne voulais pas être blessante. Je suis désolée pour toi. » reprit-elle en plongeant ses yeux dans ceux d’Eos. « J’imagine que ne pas savoir si ta famille va bien est aussi dure que de savoir qu’ils sont… partis. »
Un silence gêné s’installa – c’était la première fois depuis leur rencontre que la jeune femme prononçait autant de mot à la suite, et elle n’était pas certaine d’avoir fait preuve de la même délicatesse que le nymphe en s’exprimant. Elle reporta son attention sur le jeu de poursuite auquel se livrait une sorte de lézard aquatique aux écailles orangées. L’animal, farceur, fonçait sur les poissons bleutés la gueule grande ouverte, sa mâchoire claquant à quelques centimètres de leur queue alors qu’ils lui échappaient une fois encore. La scène fit naître sur ses lèvres l’ombre d’un sourire. Elle tendit une nouvelle fois la main vers les assiettes de victuailles, s’emparant cette fois-ci d’un beignet.
« Je suis là depuis… presque trois mois, je crois. Je ne connais pas la date précise à laquelle je suis arrivée » La jeune femme jeta au nymphe un rapide coup d’œil. Cela faisait moins d’un an qu’il avait passé le portail ? Il semblait pourtant si à son aise. « Tu as l’air d’être là depuis plus longtemps » avoua-t-elle à son tour.
Elide leva la main pour porter la sucrerie à sa bouche mais suspendit son geste, frappée par la nouvelle question qui lui était posée. Elle baissa doucement le bras, braquant sur Eos des yeux cernés de noir. La partie d’elle qui vivait dans le déni, ce protecteur colérique, refusait de répondre à cette question. L’autre, cet enfant vulnérable qui avait pointé son nez en cette étrange soirée de novembre, n’avait qu’une envie : tout avouer à cet étranger qui lui inspirait une confiance presque aveugle. Ce fut cette partie, qui remporta la manche – l’autre, il faut dire, était trop épuisée à lécher ses blessures pour avoir la force de se battre.
Sa langue lui sembla de plomb lorsque l'élémentaire prit la parole après de longues secondes de silence. « Onze ans. » Sa voix était creuse, vide. « Le premier… ça a été Oslo. Il y a onze ans. Mes parents sont… morts… » elle buta sur ce mot « … un an après. » La jeune femme fit tourner le beignet entre ses doigts. « Liam, ensuite. Il y a huit ans. » Commença à effriter les grains de sucre. « Et les jumeaux… » Elide déglutit et ferma brièvement les yeux. « Les jumeaux… » reprit-elle dans un souffle « … c’était il y a quatre ans. »
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
La pause salle de bain semblait avoir fait un peu de bien aux blessures de la jeune femme et comme un interlude à sa peine débordante sur le sol du restaurant son émotivité semble plus maîtrisé lorsque nous retournons à table. Pour autant, tout n'est pas gagné et ce n'est que quand elle avale son chleucolat que je tire un petit sourire encourageant. Un zucon plus tard et Elide a même de nouveau la force de me poser des questions.
Des gens qui me posent des questions, c'est relativement fréquent. Mais que ce soit à ce point sur ma famille, je pousse un petit rire gêné. Mais c'est sensé, et le sérieux reprend rapidement mes traits. "Tu n'es pas blessante. Cependant... Je sais que personne ne viendra des miens." Je regarde la mer s'endormir petit à petit avant de reprendre. "Ma famille a pris de gros risques pour être ce qu'ils sont, où ils sont. Ils se sont implantés et ont fait leur vie dans mon pays, le Laos, en laissant leur pays d'origine pour la majorité de mes parents. Ma soeur fait de la compétition, mon frère est très pragmatique. Aucun d'entre eux n'a d’intérêt à venir ici..." Je fais un petit sourire triste avant de regarder la jeune fille: "J'ai pris longtemps pour réfléchir, mais je pensais qu'en ayant trouvé une clé j'étais à même d'aider ici... Et trouver ma place, là où je pourrais être le plus utile."
Le silence reprend le temps du jeu de l'animal marin qui finit par s'évaporer plus loin dans le quartier immergé et je finis mon dessert avant de reprendre de quoi manger, un peu mélancolique mais pas tellement triste de mon sort avant de demander avec délicatesse depuis quand Elide était seule. Si elle est jeune arrivante, son mal date de bien plus loin et je manque d'avaler de travers mon beignet. Onze ans? Onze ans que ça avait commencé? Et je regarde interdit la demoiselle compter ses morts, presque du bout des doigts. Sept personnes dans un foyer. Et une restante sept ans plus tard. Une lente agonie familiale donc...
Le silence nous emprisonne cette fois et je réitère: "Je suis désolé." Imaginer les miens mourir près de moi était une douleur insupportable mais irréelle. Elle, elle l'avait vécu. "Tu as eu beaucoup de courage. Est-ce que ici, tu trouves un peu de réconfort?" Car il s'agissait de survivre au delà de ce monde, mais maintenant qu'elle était ici, elle avait tout pour reprendre de zéro... Si ce n'est les souvenirs qui hantent.
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Elide comprit un peu tard qu’en interrogeant Eos sur sa famille, elle avait touché sans le vouloir une corde sensible. La culpabilité l’assaillit aussitôt qu’elle nota la gêne dans le rire du nymphe, ainsi que la tristesse de son sourire, et elle s’en voulu profondément de l’avoir poussé à évoquer l’absence de ses êtres aimés. Elle, mieux que quiconque, aurait pourtant dû savoir qu’il y a des sujets qu’il est préférable de ne pas évoquer.
« Ce que tu as fait… » commença-t-elle doucement. « Tu as sacrifié ta famille, ton bonheur, pour les autres, sans aucune certitude sur ce que tu allais trouver. Tu as tout abandonné pour des personnes qui, ça se trouve, ne le méritent pas. Ne te méritent pas. » Elle secoua la tête, les lèvres pincées. « Je trouve que c’est injuste. »
L’élémentaire détourna le regard et observa à son tour l’immensité bleutée. Les créatures marines s’étaient peu à peu éclipsées, sans doute parties se retrancher pour la nuit dans ce qui leur tenait lieu de tanière. La vue de cette étendue d’eau silencieuse lui coupa momentanément le souffle. Tout semblait si calme, comme si le temps lui-même avait suspendu son cours, soucieux de ne pas déranger la plénitude de ce petit univers caché sous la surface.
La voix d’Eos la tira une nouvelle fois de sa rêverie. Un silence pesant avait suivi le funèbre exposé de ses deuils, et la jeune femme avait finalement capitulé face à l’expression bouleversée qui avait traversé le visage de son interlocuteur, préférant baisser les yeux sur la friandise à demi déchirée qu’elle tenait encore entre ses doigts. Les marques de compassion – du moins lorsqu’elle était suffisamment lucide pour en avoir conscience – la mettaient toujours profondément mal à l’aise. Elle haïssait cette sensation de vulnérabilité qui suivait les confessions à cœur ouvert, détestait cette impression de faiblesse qu’engendrent les regards chargés d’émotion, refusait ces marques de sollicitude qui la faisaient grincer des dents. Elle aurait voulu s’enterrer, disparaître pour se mettre à l’abri de ces prunelles brillantes fixées sur elle, et qui creusaient doucement la carapace de ses secrets sans qu’elle parvienne à les arrêter.
« Du courage ? » Elide secoua la tête tout en laissant échapper un rire désabusé. « Ce n’est pas du courage, mais de la lâcheté. » Elle repensa à cette période qui avait suivi la disparition des jumeaux, lors de laquelle elle avait inconsciemment délégué à d’autres cette tâche qu’elle était incapable d’accomplir de son plein gré. Sans succès. « Je ne suis pas courageuse, Eos. Je suis faible. Terriblement faible. » Ses doigts écrasèrent le pauvre beignet. « Quelqu’un de courageux aurait décidé d’avancer, ou d’en finir. J’en suis incapable, l’un comme l’autre. Je ne suis pas comme toi. »
Les mots étaient à peine sortis qu'elle aurait voulu ne jamais les avoir prononcés. L’élémentaire ferma momentanément les yeux et poussa un soupir las. Elle essuya ses doigts collants sur sa serviette, et tendit la main pour se saisir d’un autre beignet.
« Désolée. Oublie ce que je viens de dire, ça n’a pas d’importance. »
Elle croqua dans le beignet pour masquer sa colère naissante. Oui, elle détestait les marques de compassion, car cela l’obligeait à admettre qu’elle n’en était pas digne. Quant à la question du réconfort… l’élémentaire prit le temps d’avaler sa bouchée avant de répondre.
« Je ne sais pas. Si ce n’est le fait que je peux maintenant provoquer un courant d’air en éternuant un peu trop fort, ma vie ici n’est pas si différente de ce qu’elle était. » commença-t-elle d’une voix narquoise où perçaient cependant des notes de désillusion. « Ah, si, j’ai un vrai travail, maintenant. Mais du réconfort ? » L’image d’une femme aux yeux lilas surgit dans son esprit. Elle l’ignora, le cœur serré. « Non. Pas vraiment. Mais j’ai l’habitude d’être seule, maintenant, donc ça ne change pas grand-chose. » En vérité, elle ne savait pas faire autrement, mais elle avait maintenant suffisamment récupéré de contenance pour ne pas l’avouer. Pièce par pièce, Elide renfilait cette armure qu’elle portait au quotidien, mordante, piquante et faussement indifférente, et qu’elle espérait suffisante pour la protéger de la curiosité des autres et étouffer ces émotions malvenues qui, parfois, l'étouffaient soudain. Mais une armure dont elle refusait de voir les nombreuses brèches, et qui laissait jour après jour échapper aux yeux des autres un peu plus de son âme fracturée, sans qu'elle n'en ai toujours conscience.
« Ce que tu as fait… » commença-t-elle doucement. « Tu as sacrifié ta famille, ton bonheur, pour les autres, sans aucune certitude sur ce que tu allais trouver. Tu as tout abandonné pour des personnes qui, ça se trouve, ne le méritent pas. Ne te méritent pas. » Elle secoua la tête, les lèvres pincées. « Je trouve que c’est injuste. »
L’élémentaire détourna le regard et observa à son tour l’immensité bleutée. Les créatures marines s’étaient peu à peu éclipsées, sans doute parties se retrancher pour la nuit dans ce qui leur tenait lieu de tanière. La vue de cette étendue d’eau silencieuse lui coupa momentanément le souffle. Tout semblait si calme, comme si le temps lui-même avait suspendu son cours, soucieux de ne pas déranger la plénitude de ce petit univers caché sous la surface.
La voix d’Eos la tira une nouvelle fois de sa rêverie. Un silence pesant avait suivi le funèbre exposé de ses deuils, et la jeune femme avait finalement capitulé face à l’expression bouleversée qui avait traversé le visage de son interlocuteur, préférant baisser les yeux sur la friandise à demi déchirée qu’elle tenait encore entre ses doigts. Les marques de compassion – du moins lorsqu’elle était suffisamment lucide pour en avoir conscience – la mettaient toujours profondément mal à l’aise. Elle haïssait cette sensation de vulnérabilité qui suivait les confessions à cœur ouvert, détestait cette impression de faiblesse qu’engendrent les regards chargés d’émotion, refusait ces marques de sollicitude qui la faisaient grincer des dents. Elle aurait voulu s’enterrer, disparaître pour se mettre à l’abri de ces prunelles brillantes fixées sur elle, et qui creusaient doucement la carapace de ses secrets sans qu’elle parvienne à les arrêter.
« Du courage ? » Elide secoua la tête tout en laissant échapper un rire désabusé. « Ce n’est pas du courage, mais de la lâcheté. » Elle repensa à cette période qui avait suivi la disparition des jumeaux, lors de laquelle elle avait inconsciemment délégué à d’autres cette tâche qu’elle était incapable d’accomplir de son plein gré. Sans succès. « Je ne suis pas courageuse, Eos. Je suis faible. Terriblement faible. » Ses doigts écrasèrent le pauvre beignet. « Quelqu’un de courageux aurait décidé d’avancer, ou d’en finir. J’en suis incapable, l’un comme l’autre. Je ne suis pas comme toi. »
Les mots étaient à peine sortis qu'elle aurait voulu ne jamais les avoir prononcés. L’élémentaire ferma momentanément les yeux et poussa un soupir las. Elle essuya ses doigts collants sur sa serviette, et tendit la main pour se saisir d’un autre beignet.
« Désolée. Oublie ce que je viens de dire, ça n’a pas d’importance. »
Elle croqua dans le beignet pour masquer sa colère naissante. Oui, elle détestait les marques de compassion, car cela l’obligeait à admettre qu’elle n’en était pas digne. Quant à la question du réconfort… l’élémentaire prit le temps d’avaler sa bouchée avant de répondre.
« Je ne sais pas. Si ce n’est le fait que je peux maintenant provoquer un courant d’air en éternuant un peu trop fort, ma vie ici n’est pas si différente de ce qu’elle était. » commença-t-elle d’une voix narquoise où perçaient cependant des notes de désillusion. « Ah, si, j’ai un vrai travail, maintenant. Mais du réconfort ? » L’image d’une femme aux yeux lilas surgit dans son esprit. Elle l’ignora, le cœur serré. « Non. Pas vraiment. Mais j’ai l’habitude d’être seule, maintenant, donc ça ne change pas grand-chose. » En vérité, elle ne savait pas faire autrement, mais elle avait maintenant suffisamment récupéré de contenance pour ne pas l’avouer. Pièce par pièce, Elide renfilait cette armure qu’elle portait au quotidien, mordante, piquante et faussement indifférente, et qu’elle espérait suffisante pour la protéger de la curiosité des autres et étouffer ces émotions malvenues qui, parfois, l'étouffaient soudain. Mais une armure dont elle refusait de voir les nombreuses brèches, et qui laissait jour après jour échapper aux yeux des autres un peu plus de son âme fracturée, sans qu'elle n'en ai toujours conscience.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
Pour la première fois depuis mon arrivée, je parlais de ma famille à quelqu'un. Ne pas oublier leur visage, ce qu'ils étaient tous et chacun, était un exercice qui surprenamment semblait plus difficile que ce que je pouvais penser. Comment oublier pourtant? Ils avaient fait partie de ma vie jusqu'alors, et en l'espace de quelques mois, certes chargés autant mentalement qu'au niveau de l'organisation de ma vie, leurs traits semblaient plus flous dans mon souvenir, me faisant presque rougir de honte. Pour Elide, cette marque de gêne semble l'attrister d'un coup et je rectifie son propos: "J'ai pris une décision réfléchie, basée à ce que je peux apporter ici par rapport à là bas. Ce n'est pas une question de mérite ni de justice, Elide: J'ai choisi de venir parce que je pensais, à raison, que ce monde nouveau, immaculé, aurait besoin de quelqu'un pour accueillir une population qui majoritairement sont arrivé en désespoir de cause. " Je regarde la fenêtre sur la beauté de la mer que la Terre a longtemps porté, et finalement perdu. "Ozéna mérite mieux qu'une population désespérée. Sur Terre, l'homme est à l'égal de la nature qu'il a laissé: Dévasté, et sur une pente qui finira par ne laisser que misère et tristesse. Comment sauver mentalement une population dans un endroit qui agonise? Être fou dans un tel environnement... Ce serait signe d'une sanité certaine, pour moi."
Le spectacle de la mer de nuit et d'une vue unique nous fait taire un moment, et mon regard se fixe sur une algue-plume bousculée par le courant, secouant ses lumières avec délicatesse comme la lueur d'un phare. Et quand ma question crève la quiétude du moment, je finis presque par le regretter. Tant de morts, tant de solitude dans l'esprit de la jeune femme qui semble se refermer doucement quand j'ouvre la bouche. Amers, les mots durs tombent: Lâcheté, faiblesse, incapable. Un moment, je médite sur le choix de ces mots, puis après avoir mangé une bouchée ou deux de plus, les yeux rivés sur le quartier immergé, je finis par dire, laconique: "Si on traverse l'Enfer, continuons d'avancer."
Un silence nous prend de nouveau, partagé entre le désaccord personnel que j'ai avec sa façon de voir les choses et le fait de ne pas braquer l'élémentaire. Puis au bout d'un moment, j'hausse les épaules. "Je te trouves courageuse. C'est mon point de vue. Tu es là, et tu vis, c'est du courage même lorsqu'on a pas les réponse à ce qu'on fait ici, et qui on est." Une nouvelle bouchée finit le beignet et je regarde le fond de ma tasse avec un peu de désappointement avant de servir de l'eau par dessus. "Qu'est-ce que tu fais comme travail?" Au moins, elle avait quelque chose. Et si sa dernière remarque est un peu triste, je préfère lui lancer un sourire: "Tu n'es plus seule. Puisque je suis là."
Elide Evans
Maison du Ciel et du Souffle
Traverser l’Enfer sans s’arrêter, était-ce vraiment l’unique solution qui leur restait ? Continuer à mettre un pied devant l’autre, en espérant des lendemains meilleurs ? En souhaitant voir poindre l’aurore après l’éternelle grisaille des journées sans espoir ? En imaginant que ce Chemin de croix doive forcément se terminer quelqu’un part, et qu’au bout du voyage nous attente cette félicitée tant rêvée ?
Pour sa part, Elide était lasse de se forcer à continuer à marcher, ayant fini par réaliser que son propre désert était sans fin. Mais elle ne partagea pas le fond de sa pensée, persuadée qu’Eos ne la comprendrait pas. Il était trop optimiste, trop charitable, avec cette certitude que chacun, d’une façon ou d’une autre, trouverait un jour la rédemption. Elle ne voulait pas lui ôter ses espoirs, même en ayant perdu les siens, car le monde manquait terriblement d’âmes comme la sienne. Belle. Pure. Aimante. La jeune femme se tut donc, se contentant de dévisager longuement ce profil encore jeune aux traits délicats, avant de détourner à son tour le regard.
« En quelques sortes, tu es venu ici dans l’espoir d’offrir une deuxième chance à l’humanité, c’est ça ? » reprit-elle après un moment. Elle fronça les sourcils. « Mais si l’humanité ne méritait pas d’être sauvée ? Si, ici, nous ne faisions finalement que recommencer les mêmes erreurs que sur la Terre ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? Est-ce qu’on mérite vraiment une deuxième chance ? » questionna-t-elle d’une voix sincère, bien que dubitative. Elle souhaitait vraiment comprendre les motivations d’Eos, mais celles-ci semblaient lui échapper un peu plus à chaque fois que le nymphe tentait de les lui expliquer. Leur vision du monde était sans doute trop différente – lui s’entêtait à considérer le verre à moitié plein, alors qu’elle-même ne pouvait imaginer qu’il puisse être autre chose qu’à moitié vide.
« Je suis chez les Veilleurs. » reprit-elle pour changer de sujet. Elle ne voulait braquer Eos, et encore moins le blesser par ce pessimisme colérique qui teintait ses idées. « Recrue, si on veut être précis. Ce n’est pas exactement un travail, mais au moins, ça passe le temps. » L’élémentaire haussa nonchalamment les épaules. Ses doigts trouvèrent une nouvelle fois sa serviette, avec laquelle elle commença à jouer distraitement. « J’apprécierais d’ailleurs si tout… cela ne leur revenait pas aux oreilles. » Elle évitait le regard de son interlocuteur, visiblement mal à l’aise. « J’ai déjà eu quelques problèmes, récemment, qui m’ont valu… d’autres problèmes. » La silhouette d’un nouveau secret se dessinait en filigrane de chacune de ses paroles. « Mon chef d’escouade ne doit pas être au courant, pour … ce soir. Ni lui, ni personne d’autre. » Quelle serait la réaction du Malakim, s’il apprenait ce qu’il s’était passé ? Après l’épisode de la Biquelly, probablement la foutrait-il dehors, jugeant son instabilité et sa tendance à la dissimulation trop dangereuses pour l’intégrité de son escouade. Il vivait pour les Veilleurs, et ne tolérerait aucune incartade à leur sécurité. Elle se retrouverait alors désœuvrée, sans objectifs auxquels se rattacher, sans le semblant de stabilité que lui accordaient ses gardes et la compagnie de ses semblables. Les Veilleurs, réalisa-t-elle soudain avec effroi, était tout ce qui lui permettait de garder la tête hors de l’eau. Ses doigts lissèrent nerveusement la serviette désormais froissée.
Tu n'es plus seule. Puisque je suis là.
Ses doigts s’immobilisèrent. Ses épaules se raidirent. Son corps entier sembla se figer. Ses yeux fixés sur un point inexistant s’agrandirent. Danger. Danger. Danger, hurla la sirène au fond de sa mémoire. Mensonge. Mensonge. Mensonge, affirma son esprit en écho. Ils finissent tous par partir. Ils finissent tous par t’abandonner, chuchota une petite voix. La solitude est préférable. Souviens-toi, tu ne veux plus avoir à dire adieu, lui rappela son cœur.
Elide leva les yeux, posant sur Eos un regard terrorisé. C’était comme si elle le voyait pour la dernière fois, cherchant à enregistrer chaque détail qui lui avait échappé. La façon dont ses cheveux ébouriffés tombaient sur son col. La manière dont ses doigts filiformes enserraient sa tasse. Les fossettes que faisait naître son sourire. Cet éclat de bonté au fond de ses yeux. Elide se souvint de son odeur d’océan, et de la chaleur de son étreinte. De la douceur de sa voix, et de la délicatesse de sa main sur ses cheveux. Les battements de son cœur accélérèrent. L’espace d’un instant, d’un tout petit instant, l'élémentaire se laissa imaginer ce que ça ferait, d’accepter quelqu’un dans sa vie. D’avoir une personne sur qui compter. D’avoir de nouveau un être à chérir. D'avoir un ami.
Puis, elle se souvint de la dernière fois où elle avait chéri quelqu’un. Et de cette souffrance inexprimable qui avait manqué de la tuer lorsqu’elle les avait perdus. Non, elle ne supporterait pas un autre deuil. Elle ne supporterait pas d’aimer encore un possible fantôme. Alors, avec cette force qui offrent aux grandes résolutions toute leur irrévocabilité, Elide saisit mentalement le visage d’Eos et l’enferma doucement au côté de celui de Vex, dans cette cage aux barreaux à l'alliage composé des innombrables pleurs qu'elle avait versés. Avec la terrible impression de commettre l’erreur de sa vie, et d’enterrer une partie d’elle-même.
Ce fut comme si son cœur se fracturait une fois encore. Un adieu pour en éviter d’autres, tenta-t-elle de se convaincre. C’était pour le mieux, se répéta-t-elle alors qu’un sanglot étranglé s’échappait de sa gorge. Personne n’est éternel. Personne, se força-t-elle à se rappeler alors que ses doigts tremblaient. Elle inspira, enfila ce sourire vide et mensonger, desserra l’étau de ses dents.
« Merci… mais je ne suis pas facile à apprécier. » murmura-t-elle simplement. Elle aurait pourtant tellement voulu y croire.
** Je ne veux pas risquer de te perdre toi aussi. ** pensa-t-elle de toutes ses forces. Si seulement il pouvait l'entendre.
Pour sa part, Elide était lasse de se forcer à continuer à marcher, ayant fini par réaliser que son propre désert était sans fin. Mais elle ne partagea pas le fond de sa pensée, persuadée qu’Eos ne la comprendrait pas. Il était trop optimiste, trop charitable, avec cette certitude que chacun, d’une façon ou d’une autre, trouverait un jour la rédemption. Elle ne voulait pas lui ôter ses espoirs, même en ayant perdu les siens, car le monde manquait terriblement d’âmes comme la sienne. Belle. Pure. Aimante. La jeune femme se tut donc, se contentant de dévisager longuement ce profil encore jeune aux traits délicats, avant de détourner à son tour le regard.
« En quelques sortes, tu es venu ici dans l’espoir d’offrir une deuxième chance à l’humanité, c’est ça ? » reprit-elle après un moment. Elle fronça les sourcils. « Mais si l’humanité ne méritait pas d’être sauvée ? Si, ici, nous ne faisions finalement que recommencer les mêmes erreurs que sur la Terre ? Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? Est-ce qu’on mérite vraiment une deuxième chance ? » questionna-t-elle d’une voix sincère, bien que dubitative. Elle souhaitait vraiment comprendre les motivations d’Eos, mais celles-ci semblaient lui échapper un peu plus à chaque fois que le nymphe tentait de les lui expliquer. Leur vision du monde était sans doute trop différente – lui s’entêtait à considérer le verre à moitié plein, alors qu’elle-même ne pouvait imaginer qu’il puisse être autre chose qu’à moitié vide.
« Je suis chez les Veilleurs. » reprit-elle pour changer de sujet. Elle ne voulait braquer Eos, et encore moins le blesser par ce pessimisme colérique qui teintait ses idées. « Recrue, si on veut être précis. Ce n’est pas exactement un travail, mais au moins, ça passe le temps. » L’élémentaire haussa nonchalamment les épaules. Ses doigts trouvèrent une nouvelle fois sa serviette, avec laquelle elle commença à jouer distraitement. « J’apprécierais d’ailleurs si tout… cela ne leur revenait pas aux oreilles. » Elle évitait le regard de son interlocuteur, visiblement mal à l’aise. « J’ai déjà eu quelques problèmes, récemment, qui m’ont valu… d’autres problèmes. » La silhouette d’un nouveau secret se dessinait en filigrane de chacune de ses paroles. « Mon chef d’escouade ne doit pas être au courant, pour … ce soir. Ni lui, ni personne d’autre. » Quelle serait la réaction du Malakim, s’il apprenait ce qu’il s’était passé ? Après l’épisode de la Biquelly, probablement la foutrait-il dehors, jugeant son instabilité et sa tendance à la dissimulation trop dangereuses pour l’intégrité de son escouade. Il vivait pour les Veilleurs, et ne tolérerait aucune incartade à leur sécurité. Elle se retrouverait alors désœuvrée, sans objectifs auxquels se rattacher, sans le semblant de stabilité que lui accordaient ses gardes et la compagnie de ses semblables. Les Veilleurs, réalisa-t-elle soudain avec effroi, était tout ce qui lui permettait de garder la tête hors de l’eau. Ses doigts lissèrent nerveusement la serviette désormais froissée.
Tu n'es plus seule. Puisque je suis là.
Ses doigts s’immobilisèrent. Ses épaules se raidirent. Son corps entier sembla se figer. Ses yeux fixés sur un point inexistant s’agrandirent. Danger. Danger. Danger, hurla la sirène au fond de sa mémoire. Mensonge. Mensonge. Mensonge, affirma son esprit en écho. Ils finissent tous par partir. Ils finissent tous par t’abandonner, chuchota une petite voix. La solitude est préférable. Souviens-toi, tu ne veux plus avoir à dire adieu, lui rappela son cœur.
Elide leva les yeux, posant sur Eos un regard terrorisé. C’était comme si elle le voyait pour la dernière fois, cherchant à enregistrer chaque détail qui lui avait échappé. La façon dont ses cheveux ébouriffés tombaient sur son col. La manière dont ses doigts filiformes enserraient sa tasse. Les fossettes que faisait naître son sourire. Cet éclat de bonté au fond de ses yeux. Elide se souvint de son odeur d’océan, et de la chaleur de son étreinte. De la douceur de sa voix, et de la délicatesse de sa main sur ses cheveux. Les battements de son cœur accélérèrent. L’espace d’un instant, d’un tout petit instant, l'élémentaire se laissa imaginer ce que ça ferait, d’accepter quelqu’un dans sa vie. D’avoir une personne sur qui compter. D’avoir de nouveau un être à chérir. D'avoir un ami.
Puis, elle se souvint de la dernière fois où elle avait chéri quelqu’un. Et de cette souffrance inexprimable qui avait manqué de la tuer lorsqu’elle les avait perdus. Non, elle ne supporterait pas un autre deuil. Elle ne supporterait pas d’aimer encore un possible fantôme. Alors, avec cette force qui offrent aux grandes résolutions toute leur irrévocabilité, Elide saisit mentalement le visage d’Eos et l’enferma doucement au côté de celui de Vex, dans cette cage aux barreaux à l'alliage composé des innombrables pleurs qu'elle avait versés. Avec la terrible impression de commettre l’erreur de sa vie, et d’enterrer une partie d’elle-même.
Ce fut comme si son cœur se fracturait une fois encore. Un adieu pour en éviter d’autres, tenta-t-elle de se convaincre. C’était pour le mieux, se répéta-t-elle alors qu’un sanglot étranglé s’échappait de sa gorge. Personne n’est éternel. Personne, se força-t-elle à se rappeler alors que ses doigts tremblaient. Elle inspira, enfila ce sourire vide et mensonger, desserra l’étau de ses dents.
« Merci… mais je ne suis pas facile à apprécier. » murmura-t-elle simplement. Elle aurait pourtant tellement voulu y croire.
** Je ne veux pas risquer de te perdre toi aussi. ** pensa-t-elle de toutes ses forces. Si seulement il pouvait l'entendre.
Eos Saysanasy
Maison des Maintes Eaux
▼
▲
Par un soir de novembre - Eos & Elide
15 Novembre 118
Il était plutôt difficile de redonner du courage à ceux qui traversait le désespoir, et Elide était effectivement de ceux-ci. Persuadés que rien ne pourrait aller mieux, ou peut-être que si, mais pas pour eux, pour de multiples raisons allant de la dévalorisation à un état d'apathie. Mais Elide n'était pas apathique, elle avait encore l’énergie d'être en colère, d'avoir peur, et même avec ce regard trahissant sa suspicion, elle était loin d'abandonner toutes émotions. Cependant, sans espoir de sa part pour le moment, mes paroles trouvaient porte close à son esprit et lorsque son regard se détourne j'en fais de même. Un pas après l'autre: Elle avait déjà parlé, et c'était l'un des pas les plus terribles.
"Je... ne suis pas aussi bon en psychiatrie que ça." Je glousse, m'imaginant un instant "sauveur de l'humanité". Quelle image égocentrée, et tellement improbable. J'écoute tout de même ses arguments, sa perplexité, puis finit par hausser les épaules. "Il n'y a pas de mérite qui tienne: Nous sommes là. Si nous n'agissons pas pour le meilleurs, alors nous reproduirons nos erreurs. Pourquoi ne pas espérer, essayer de faire ressortir le meilleur en ce cas?" La deuxième chance qu'on le voulait ou non, nous avait été donné. Il fallait maintenant faire de notre mieux pour ne pas sombrer de nouveau dans le malheur et la désolation.
Passant à Elide en elle-même je lui demande quel métier elle pouvait avoir. Les liens, quel qu'ils soient, étaient aussi une évaluation des chances pour la jeune femme de s'épanouir dans quelque chose et de s'ancrer à ce monde malgré tout. Elle est donc jeune veilleuse, et je hoche la tête: "Beaucoup d'entre nous lorsqu'ils ne savent pas comment user de leur énergie vont chez les veilleurs. Ou les explorateurs, selon ce qui les touche le plus. Pourquoi pas les explorateurs?
En hésitant, l'élémentaire me demande de ne pas parler de sa crise et j'acquiesce: "Mon travail consiste aussi à recueillir les paroles et de les garder pour moi. Même qi je ne travaille pas, tout de suite, je suis capable de garder un secret." Je la regarde et ajoute, un air sérieux sur le visage: "Je ne suis obligé d'en parler que si tu es dangereuse pour toi. Et bien que l'auto-mutilation est un signe, je ne crois pas, du moins j'espère, que tu essayeras d'en finir. Si?" Il fallait que j'en soit sûr, et si le doute existait il fallait qu'il s'éteigne.
Ma remarque sur le fait que j'étais toujours là semble avoir un effet, et je vois la posture de la jeune femme se raidir, les yeux rivés sur moi dans une expression de peur puis de concentration intense. Que pouvait penser l'élémentaire pour être ainsi silencieuse? Je fais un rapide tour de ce dont je me souviens sur le syndrome du survivant puis pose une main décidée mais douce sur la sienne, comme pour la faire revenir à la table. "Hé. Je ne vais pas mourir." Mes yeux se connectent aux siens et je rajoute: "Ici, on ne meurt pas comme ça, tu sais. " Je me redresse et montre le quartier immergé, puis les assiettes à demie vides: "Nous avons de l'eau pur et de l'air, et autant de nourriture qu'il n'en faut..." Puis je montre la salle: "...Nous avons assez d'habitations pour nous loger décemment..." Puis je me pointe du doigt: "Et je suis de nature prudente: Je ne suis jamais allé en exploration, et n'irais certainement jamais. En plus en tant que nymphe, j'ai une espérance de vie très longue." Enfin, un sourire ponctue mon propos. "Elide, je ne vais pas mourir. Pas avant des siècles. Et toi non plus." Je tapote sa main pour la réconforter puis demande: "Et je te trouves très supportable. Encore un câlin, pour le courage?"
Contenu sponsorisé
Page 1 sur 2 • 1, 2
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|